
Par Shatha Yaish
Alors que les Israéliens se réveillaient tôt vendredi 13 juin pour découvrir que leur pays avait déclaré la guerre à l’Iran, les Palestiniens de Cisjordanie ont constaté que l’armée israélienne les avait placés en état de bouclage.
Les fermetures et les postes de contrôle (checkpoints) sont la norme dans les territoires occupés depuis des décennies, et ils sont devenus encore plus nombreux et restrictifs depuis le 7 octobre. Mais après avoir frappé l’Iran, l’armée a réduit la circulation des Palestiniens à un état de quasi-paralysie, bouclant les villes avec des barrières métalliques, fermant les points de contrôle entre la Cisjordanie et Jérusalem et fermant le passage frontalier d’Allenby avec la Jordanie.
Israël a justifié ce bouclage en affirmant qu’il devait détourner des troupes vers d’autres fronts. Pourtant, la remobilisation des réservistes, dont beaucoup sont des colons, a en réalité augmenté le nombre de soldats dans le territoire. L’ONU rapporte (OCHA, 18 juin https://www.ochaopt.org/content/humanitarian-situation-update-298-west-bank ) désormais que de nombreuses barrières ont été levées, mais avec plusieurs points de contrôle fermés et de nouvelles barrières et barrages routiers érigés, la mobilité des Palestiniens reste fortement restreinte.
A Jérusalem-Est également, des groupes de défense des droits humains ont signalé une escalade des restrictions et de la répression visant les Palestiniens, notamment l’interdiction totale de prier à la mosquée Al-Aqsa.
«Depuis le lancement de l’opération militaire israélienne en Iran, les autorités ont mis en place des mesures radicales et répressives qui rappellent les mesures policières agressives qui ont suivi le 7 octobre», ont déclaré les ONG israéliennes Ir Amim (City of Peoples, ONG créée en 2004) et Bimkom (Urbanistes pour le droit à l’aménagement du territoire, ONG créée en 1999) dans un communiqué publié en début de semaine. «Ces mesures ont gravement perturbé la vie quotidienne, restreint la liberté de culte et violé les droits fondamentaux des habitants palestiniens de la ville.»
La facilité avec laquelle Israël a pu bloquer pratiquement tous les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur des villes palestiniennes, grâce à un dispositif de contrôle comprenant près de 900 points de contrôle et barrières, met en évidence l’ampleur de l’empreinte de l’occupation en Cisjordanie et souligne l’objectif plus large d’Israël pour ce territoire, alors que l’attention du monde est tournée ailleurs.
«Tout est une occasion pour Israël», nous a déclaré Honaida Ghanim, directrice du Forum palestinien pour les études israéliennes (communément connu sous l’acronyme arabe «Madar») basé à Ramallah, au magazine. «Ce gouvernement saisira chaque occasion pour faire avancer son programme idéologique, en particulier en Cisjordanie.»
En fait, selon elle, ce à quoi nous assistons actuellement est une nouvelle preuve de l’annexion, à quoi il ne manque le qualificatif. «C’est déjà le cas sur le terrain; toutes les infrastructures le montrent», affirme Honaida Ghanim. «L’idée est de fragmenter la population, de la regrouper dans des poches plus petites afin de la contrôler plus facilement. La seule chose qui manque, c’est la déclaration officielle. Et lorsqu’elle sera faite, elle ne fera que formaliser ce qui existe déjà.»
«Chaque village a une porte – nous sommes coincés»
Ahmad Abu Kamleh et son collègue Naeem Al-Shobaki étaient en route pour livrer des marchandises à un supermarché près de Ni’lin, un village à l’ouest de Ramallah, lorsque le bouclage a été imposé. Leur minibus est rapidement tombé en panne d’essence alors qu’ils tentaient de contourner les nouveaux barrages routiers, et ils se sont retrouvés bloqués.
Après avoir passé deux nuits bloqués à l’extérieur de Ni’lin, dormant dans leur minibus, ils ont décidé d’abandonner le véhicule et de tenter de rentrer chez eux à Burin, près de Naplouse, par d’autres moyens. Ils ont d’abord pris un taxi pour une partie du trajet, avant de faire du stop dans trois voitures particulières différentes, qui les ont conduits à travers au moins huit villages. Au milieu d’un labyrinthe de barrages routiers et de détours forcés, ce qui aurait dû être un trajet de 40 minutes s’est transformé en un calvaire de six heures.
«Je me sens mort à l’intérieur; seul mon corps est vivant», a déclaré Abu Kamleh après son voyage cauchemardesque. «Les routes étaient presque désertes, mais il y avait des soldats partout. On a peur de bouger. Ce n’est pas sûr.»
Pendant ce temps, à Sinjil, un village du nord de la Cisjordanie, les habitants se sont retrouvés pratiquement coupés des villes voisines de Ramallah et Naplouse.
Mahfouz Fawlha, un dentiste du village, a un cabinet à Ramallah, où il a désormais du mal à se rendre. «Le cabinet n’est qu’à 15 minutes, mais maintenant, le trajet peut prendre plus de deux heures», explique-t-il.
Depuis le 7 octobre, l’armée israélienne a commencé à ériger une barrière de barbelés pour séparer Sinjil de la route principale et des terres agricoles des habitants. «Chaque village a désormais une porte», a déclaré Mahfouz Fawlha. «Nous sommes pris au piège.»
A Ramallah, Shadi et Diala (qui ont préféré ne pas donner leur nom de famille) avaient prévu de baptiser leur fille ce week-end. Mais les barrages routiers ont empêché le prêtre maronite de se rendre dans la ville depuis Jérusalem, et de nombreux membres de la famille n’ont pas pu être présents. Ils ont donc fait appel à un prêtre catholique romain basé à Ramallah, qui s’est rendu disponible à la dernière minute.
A la fin de la cérémonie, le bruit des missiles a retenti dans les environs. «Nous avons décidé d’aller de l’avant malgré tout», a déclaré Shadi. «Que pouvons-nous faire? Nous ne savons pas ce qui va se passer.»
Effacer la question palestinienne
Malgré le bouclage, la vie à Ramallah s’est déroulée presque normalement pendant le week-end: les magasins ont ouvert, la circulation était fluide et les cafés se sont progressivement remplis. Certaines personnes se sont précipitées pour acheter des produits de première nécessité, formant des files d’attente devant les stations-service, mais l’ambiance restait morose.
L’Autorité palestinienne n’a fait aucun commentaire immédiat sur l’escalade entre Israël et l’Iran, alors même que les gouvernements arabes ont condamné ces attaques. Plus tard, elle a appelé au calme et affirmé que les stocks de produits de première nécessité seraient suffisants pour répondre aux besoins des habitants pendant au moins six mois.
Quelques heures après la première attaque israélienne contre l’Iran, la défense civile palestinienne a publié un communiqué demandant à la population de ne pas monter sur les toits pour observer les «objets volants», une consigne que beaucoup ont ignorée, les réseaux sociaux se remplissant rapidement de vidéos montrant des traînées de fumée et des explosions dans le ciel [provoquées par des missiles iraniens pour l’essentiel interceptés]. Elle a également rappelé aux habitants que des éclats d’obus pouvaient causer des blessures graves, voire mortelles, à des centaines de mètres du lieu de l’explosion, et les a exhortés à ne pas s’approcher ni toucher les débris.
Lundi 16 juin, un porte-parole de la défense civile a rapporté qu’au moins 80 éclats d’obus provenant de missiles interceptés étaient tombés sur des communautés palestiniennes à travers la Cisjordanie. Dimanche, des éclats d’obus tombés sur la ville d’Al-Bireh, près de Ramallah, ont provoqué un incendie sur un toit.
Alors que les Israéliens vivant dans des colonies illégales en Cisjordanie ont accès à des abris anti-bombes, les Palestiniens sont totalement exposés aux fragments de missiles qui tombent.
La situation est similaire à Jérusalem-Est où, en raison de restrictions en matière d’urbanisme et de construction, il n’existe que 60 abris publics pour près de 400 000 Palestiniens. En comparaison, Jérusalem-Ouest dispose de centaines d’abris publics pour sa population majoritairement juive, et les appartements sont souvent équipés de pièces sécurisées renforcées.
Sans protection adéquate, les familles vivent dans la peur constante en période de conflit intense, ne sachant pas où se réfugier si les attaques s’intensifient. Et tandis que la nouvelle guerre avec l’Iran inquiète les Palestiniens quant à l’avenir, beaucoup en Cisjordanie ont le sentiment de vivre déjà dans un état de guerre permanent depuis deux ans, voire beaucoup plus.
Pour Ghanim, de Madar, l’avenir de la Cisjordanie dépend en partie de la manière dont Israël sortira de son offensive en Iran. «S’il en ressort plus fort, il sera encore plus en mesure d’aller de l’avant», explique-t-elle. Il ne s’agit plus de gérer le conflit, mais d’y mettre fin, selon les conditions d’Israël, en effaçant complètement la question palestinienne.» (Article publié sur le site +972 le 19 juin 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
Shatha Yaish est une journaliste qui couvre Jérusalem-Est et la Cisjordanie
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Cisjordanie: à Jénine, la destruction de dizaines de logements
Selon RFI, en date du 20 juin, «en Cisjordanie, l’armée israélienne accélère la démolition des camps de réfugiés palestiniens qui n’abritent presque plus personne. Ceux-ci représentaient jusqu’à présent un refuge – censé être temporaire – pour les familles des Palestiniens ayant dû fuir leurs terres en 1948, lors de la Nakba après la création d’Israël. Dernière accélération en date: le 17 juin, la Cour suprême israélienne a donné l’autorisation à l’armée de détruire 90 bâtiments dans le camp de Jénine, l’un des plus importants de Cisjordanie.»
Selon Alice Moreno, correspondante de RFI en Cisjordanie: «Depuis le sommet d’un immeuble, en lisière du camp de Jénine, Hatem observe, impuissant, les bulldozers israéliens. Les lourdes machines ont détruit sa maison hier: «Je me suis mis à pleurer quand j’ai vu ma maison d’ici. Je vois les bulldozers tout démolir, c’est dévasté, dévasté!! ce n’est plus qu’une ruine!! Je n’arrive pas à y croire encore maintenant, là je vous parle, mais en réalité mon esprit n’est pas là.»
Il a vécu dans le camp de Jénine pendant quarante ans. Mais l’armée israélienne l’empêchait d’y accéder ces derniers mois. Des tireurs embusqués se cachent notamment dans les immeubles alentours: «J’ai voulu y aller à trois reprises, et trois fois l’armée m’a tiré dessus.»
«Faire disparaître les camps sans témoin, c’est faire disparaître la cause palestinienne selon Aoutef, expulsée du lieu et forcée de s’installer dans un village voisin: «Ils veulent faire disparaître tout ce qui a un lien avec les réfugiés palestiniens et transformer le camp en un simple quartier de Jénine. Nous sommes tous dispersés. C’est vrai que le camp ne devait être qu’une solution temporaire, si Dieu le veut, nous retournerons enfin chez nous.»
Elle craint que la démolition du camp n’efface son histoire, son statut de réfugiée, et son droit au retour, sur ses terres, à Haïfa.»
[Selon Middle East Eye, Live de l’après-midi du 20 juin: «Les forces israéliennes ont poursuivi leur offensive sur Tulkarem et le camp de Nour Shams en Cisjordanie occupée, a rapporté l’agence de presse Wafa. Selon Wafa, l’armée israélienne a démoli plus de 50 bâtiments à Tulkarem (située au bord de la ligne verte, à 15 km de la Méditerranée) au cours des deux dernières semaines. Wafa a également rapporté que les forces israéliennes ont pris d’assaut les villages environnants à l’aube, fouillant les maisons et déplaçant les habitants.]
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A Gaza, l’horreur de la politique génocidaire s’égrène au fil des «nouvelles» diffusées par Middle East Eye ce même après-midi: «Israël a tué vendredi au moins 25 Palestiniens qui tentaient de recevoir de l’aide dans la bande de Gaza, alors que les hôpitaux avertissaient que la pénurie de fournitures essentielles menaçait la vie des nourrissons.
Au moins 42 personnes ont été tuées dans l’enclave palestinienne, y compris celles qui étaient visées alors qu’elles cherchaient une aide humanitaire dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de Gaza, et à Rafah, dans le sud. Des dizaines d’autres ont été blessées, certaines gravement.
Selon des journalistes présents sur place, l’armée israélienne a tiré directement sur des civils qui s’étaient rassemblés à un point de distribution d’aide humanitaire de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), soutenue par les Etats-Unis, près du corridor de Netzarim, qui traverse l’enclave. Des témoins oculaires ont déclaré que les équipes de secours n’avaient pas pu récupérer les corps ni sauver les blessés en raison des bombardements intensifs dans la zone.
Par ailleurs, des sources à l’hôpital Nasser ont déclaré à Al Jazeera que cinq personnes avaient été tuées dans un centre de distribution d’aide humanitaire au nord-ouest de Rafah.»
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