Israël. «Nous ne servirons pas l’occupation»

Tair Kaminer (à g.) et Tamar Ze’evi

Par Marie Semelin

Sur le boulevard Rotschild, en plein cœur de Tel-Aviv, Tamar Ze’evi, vingt ans, cheveux courts et marinière, a le sourire aux lèvres. Soulagée de voir son nom inscrit en bas de la lettre avec 62 autres. Une manière de rendre son combat officiel. «Je pense que c’est un signe très positif envoyé à la gauche israélienne, par des jeunes, encore au lycée ou qui viennent d’en sortir, et qui ont le courage d’adopter un point de vue critique sur nos actions dans les territoires occupés», explique-t-elle, enveloppée dans son écharpe.

La missive, adressée au Premier ministre Benyamin Netanyahou, au chef d’état-major Gadi Eisenkot et aux ministres de la Défense et de l’Education, a été publiée dans le journal Yediot Aharonot, le plus important quotidien du pays. «Nous avons décidé de ne pas participer à l’occupation et à l’oppression du peuple palestinien, écrivent les soixante-trois signataires, tous nés entre 1997 et 2001. Cette situation temporaire s’éternise depuis cinquante ans et nous refusons d’y prendre part.»

Pourtant, en Israël, personne ou presque ne remet en question le service militaire obligatoire – 24 mois pour les

filles, 32 mois pour les garçons – et pour Tamar, le choix n’a pas été facile. «Un soir où j’étais en famille, je leur ai demandé comment ils réagiraient si je refusais de servir. Vu les réponses, j’ai attendu une autre année, raconte-elle, encore un peu émue. Et puis j’ai décidé que je ne pouvais pas faire autrement. Et j’ai choisi de le faire publiquement.»

Les sarvanim, «ceux qui refusent» en hébreu, sont un mouvement ultra-minoritaire en Israël, mais impossible néanmoins d’évaluer son ampleur: aucun recensement officiel n’existe et certains jeunes Israéliens tentent également de se faire réformer pour raisons psychologiques ou physiques.

«Je l’ai considéré, mais je voulais être honnête avec moi-même, explique Tamar. Je ne voulais pas non plus faire comme beaucoup à gauche qui disent qu’il faut faire l’armée pour changer le système de l’intérieur, qu’il faut servir pour être le soldat le plus sympa du monde au check-point.» Avant d’ajouter, avec une pointe d’énervement: «C’est n’importe quoi, ça ne change rien d’être le plus sympa au check-point parce que le check-point ne devrait simplement pas être là!»

Elle se présente donc à sa base militaire le jour de son enrôlement, une petite valise à la main avec le nécessaire pour son incarcération et annonce qu’elle ne veut pas servir. Car ceux qui mettent en avant la situation politique pour refuser l’armée passent par la case prison. Elle vient d’y passer cent quinze jours avant de finalement être exemptée, mais aucune règle n’existe en la matière. Tamar Alon, une autre jeune signataire, a elle passé cent trente jours à la prison militaire. L’un des membres du groupe, Matan Helman, est actuellement incarcéré depuis un mois.

«L’arbitraire fait partie de ce système, dit Tamar Ze’evi. C’est déjà difficile d’être en prison, et ça l’est encore plus quand on ignore pour combien de temps on est là.»

Tout au long du processus, ils sont accompagnés par le réseau Mesarvot, une organisation qui met en contact des «objecteurs de conscience», comme ils se définissent, passés ou présents. Un soutien moral également destiné aux parents, qui souvent ne comprennent pas cette décision. Tair Kaminer fait désormais partie de ces accompagnateurs, après avoir elle-même passé cinq mois en prison en 2016.

«Le plus dur, c’est le prix social qu’il faut payer, explique-t-elle, derrière ses lunettes à montures blanches. Auprès de la famille, des amis ou simplement sur les réseaux sociaux, les insultes fusent.» En Israël, l’armée est la colonne vertébrale du pays, et, dans leur immense majorité, un point commun entre tous ses citoyens juifs israéliens – seuls la minorité arabe d’Israël et les juifs ultraorthodoxes en sont exemptés d’office, et le gouvernement voudrait voir ces derniers rejoindre les rangs.

Alors «pour un entretien d’embauche ou lorsqu’on rencontre quelqu’un, c’est la première question que tout le monde pose : dans quelle unité as-tu fait ton service militaire?, explique Taïr. Ici on appelle l’armée l’armée de la nation. Le point de vue général, c’est qu’elle nous protège tous. Alors, lorsqu’on refuse d’y aller, pour beaucoup de gens ça équivaut à agir contre notre propre peuple. Ça n’est pas facile à faire, et ça n’est pas facile d’expliquer que nous sommes guidés par un désir de changer la réalité, et la société, de manière positive.» (Article publié dans Le Soir, en date du 8 janvier 2018)

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