Iran. «Les manifestations contre le hidjab sont désormais massives, mais une révolution nécessitera que l’armée change de camp»

Sous le portrait de Khamenei est écrit: «Le sang de notre jeunesse est sur vos mains.» Au-dessous, les portraits de quatre jeunes femmes assassinées: Nika Shakarami, 16 ans, Hadis Najafi, 20 ans, Mahsa Ahmini, 22 ans, Sarina Esmaeilzadeh, 16 ans (de g. à d.).

Par Arshin Adib-Moghaddam

Plus de trois semaines après la mort [le 16 septembre] de Mahsa Ahmini, 22 ans, pour avoir désobéi aux lois sévères de l’Iran qui rendent obligatoire le port du hidjab – ou foulard islamique – les protestations continuent de faire rage dans les rues de toutes les grandes villes. Samedi 8 octobre, les manifestants ont même réussi à pirater la plus grande chaîne d’information iranienne afin de diffuser leur message à l’ensemble du pays [voir illustration ci-contre].

Une émission montrant le guide suprême, Ali Khamenei, en réunion avec des représentants de l’Etat, a été substituée par des images de manifestantes tuées [quatre femmes] dans le cadre de la violente répression de la rébellion en Iran. Le chant populaire «Femme, vie, liberté», qui est devenu le slogan des manifestations, a été incorporé dans une chanson, dont un extrait a été diffusé, de même que des appels aux téléspectateurs à «nous rejoindre et à se soulever».

On estime que 185 personnes, dont au moins 19 enfants, ont été tuées depuis l’annonce de la mort de Mahsa Amini le 16 septembre. On rapporte que 14 membres des forces de sécurité iraniennes ont également été tués.

Les «protestations contre le hidjab» sont passées de la colère des féministes iraniennes face à la police des mœurs oppressive du pays à une volonté générale de résistance et de contestation à l’égard de la République islamique elle-même. D’amples grèves ont été signalées dans plusieurs villes [1].

Il existe des parallèles avec la révolution de 1979 qui a renversé le dernier shah d’Iran. Les femmes ont également joué un rôle majeur dans ce soulèvement, en portant le hidjab pour montrer leur refus de l’interdiction de se couvrir la tête décrétée par le père du shah [Reza Shah Pahlavie 1925-1941] en 1936 – interdiction annulée par la suite, mais qui reste un symbole de la monarchie répressive.

Mais si la révolution de 1979 a apporté l’indépendance tant recherchée vis-à-vis de l’impérialisme occidental, elle a également livré le peuple iranien à un système patriarcal autoritaire. Et le hidjab, que de nombreuses femmes avaient pris l’habitude de porter pour défier le régime du shah, est rapidement devenu un outil d’oppression des femmes par la République islamique.

Mais la montée en puissance de la police des mœurs de la République islamique, qui impose la séparation des sexes en public, et de plus en plus en privé, a porté atteinte à la liberté de tous, hommes et femmes confondus. Comme en 1979, les protestations ont été les plus vives dans les écoles et les universités, mais certains signes indiquent qu’elles s’étendent à une plus grande partie de la société. Beaucoup de gens sont en colère contre la façon dont le régime gère l’économie face aux sanctions occidentales et contre l’incompétence évidente du gouvernement de la ligne dure à négocier un accord avec Washington qui pourrait atténuer l’impact de ces sanctions.

2009: «Ce n’est pas une révolution»

Au cours des trois dernières semaines, on m’a posé plusieurs fois les mêmes questions que lors des manifestations de masse de 2009: «Est-ce une révolution? Va-t-elle faire tomber le régime?» Ma réponse se doit d’être critique. Lors du «Mouvement vert» de 2009, des centaines de milliers d’Iraniens sont descendus dans la rue pour protester contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmedinejad. Le meurtre [à Téhéran sur l’avenue Karegar] d’une jeune femme iranienne de 26 ans, Neda Agha-Soltan [le 20 juin 2009], abattue lors d’une manifestation antigouvernementale [par un membre de la milice paramilitaire Bassidji], avait suscité la colère de la population [une vidéo avait été rapidement diffusée et avait pris une dimension virale].

A l’époque, j’ai écrit un article pour The Guardian, qui a été titré: «Iran: this is not a revolution» (23 juin 2009). L’article soulignait les différences entre les manifestations de masse de cette année-là et la révolution de 1979 qui avait renversé le défunt shah. Parmi lesquelles je soulignais non seulement le problème que les manifestant·e·s avaient à désigner un «coupable» à incriminer, mais aussi le fait que le régime était ouvert à un certain degré de flexibilité et de concession. Le même titre pourrait être utilisé aujourd’hui pour décrire les événements récents. Et voici ce que mes recherches me suggèrent.

Tout d’abord, les gouvernements en général sont devenus plus habiles à utiliser la technologie pour gérer les populations. Les médias sociaux ont été largement utilisés en Iran, où le taux de pénétration d’Internet est élevé et où une génération de jeunes férus de technologie apprend à utiliser les outils en ligne pour mobiliser l’opposition. Mais la République islamique sait aussi contrôler le cyberespace, même ceux qui tentent d’utiliser les réseaux privés virtuels et d’autres technologies utilisées par les Iraniens pour échapper à la censure.

Et, contrairement à 1979, il n’y a pas de leader charismatique prêt à endosser un rôle révolutionnaire. Il s’agit, jusqu’à présent, d’un mouvement sans leader – et les révolutions ont généralement besoin d’une figure de proue «derrière» laquelle les gens sont prêts à assumer des risques – à leur façon, un Lénine, un Mao, un Castro ou, comme en 1979, un Ayatollah Khomeini.

Je dois juste ajouter une réserve ici. L’une des principales forces coercitives de la République islamique est le Corps des Gardiens de la révolution islamique (IRGC). Si le IRCG décidait de rester dans ses casernes ou refusait de tirer sur les manifestant·e·s si on le lui ordonnait, cela pourrait tout changer. Ce refus de provoquer de nouvelles effusions de sang devrait être généralisé et non simplement ponctuel.

Jusqu’à présent, rien n’indique que cela risque de se produire. Mais la fureur populaire suscitée par le meurtre de Mahsa Amini – ainsi que par la mort de plusieurs autres jeunes femmes pour avoir réclamé justice et liberté – ne peut que saper l’édifice en ruine de la théocratie iranienne, de plus en plus impopulaire. (Article publié sur le site The Conversation, le 10 octobre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

Arshin Adib-Moghaddam est professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS), Université de Londres

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Complexe d’Asalouyeh, 10 octobre 2022

[1] lundi 10 octobre, divers réseaux indiquaient que les travailleurs de la raffinerie d’Etat d’Abadan rejoignaient les travailleurs intérimaires en grève du Complexe d’Asalouyeh, dans la province de Bouchehr, situe le long du golfe Persique. Des vidéos postées montraient des travailleurs chantant: «Cette année est l’année du sang, Seyed Ali Khamenei est fini!» et «A bas le dictateur». Ce dernier slogan avait été lancé par des étudiant·e·s et manifestant·e·s dès le 17-18 septembre. Les travailleurs d’Asalouyeh ont bloqué les routes avec des blocs de béton et de pierre et mis le feu à des pneus et des fûts de goudron. Nous reviendrons, dans la limite des informations qui nous proviennent, sur le développement des grèves ouvrières du secteur pétrolier, décisif dans l’économie iranienne. (Réd. A l’Encontre)

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