Iran: crise au sommet sur fond de crise sociale

Par Behrooz Farahany

Il y a environ un an a été mise en place une réforme des subventions aux produits de première nécessité, dans la droite ligne des dogmes néolibéraux du FMI. Résultat, les prix ont explosé et le niveau de vie des salarié·e·s a un peu plus chuté.

Ce phénomène ne s’est pas réellement vu atténué par les tentatives du gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad d’amortir la chute, d’une part, en étalant sur 5 ans les suppressions des subventions sur l’essence, le gazole, le sucre, le blé, le riz, le lait, l’eau et l’électricité et, d’autre part, en distribuant des aides monétaires aux couches les plus défavorisées. Il voulait ainsi éviter des «émeutes de faim» semblables à ce qui s’est passé partout dans le tiers-monde. Ces aides devaient couvrir 50% à 70% des augmentations des denrées et des biens de base.

Mais, comme prévu, l’inflation galopante n’a fait qu’une bouchée de ces aides. Des centaines des milliers de familles sont passées de pauvreté à misère. Le chômage a en effet continué à grimper, même selon les chiffres officiels. Depuis trois ans le gouvernement d’Ahmadinejad a en effet changé les critères de comptabilisation des chômeurs: désormais quelqu’un qui n’a pas de travail fixe mais qui a travaillé une heure par semaine est considéré comme salarié et non pas comme chômeur.

Cependant, même avec cette nouvelle modalité d’évaluation, les chiffres officiels du chômage ont atteint les 14,5% cet été 2011. Ils se situent en réalité autour de 20-25%, selon les calculs d’économistes indépendants. Il faut noter que Ahmadinejad a pratiquement fermé l’Office d’Etat des statistiques et interdit à quiconque de publier des chiffres macroéconomiques.

Il faut signaler que tous les économistes néolibéraux iraniens – qu’ils soient résidents d’Iran ou à l’étranger – ont soutenu cette réforme. De plus, peu après le lancement du programme, le gouvernement iranien a reçu, en août 2011, les félicitations du FMI (à l’instar d’anciens dirigeants qui n’étaient autres que Moubarak et Ben Ali!).

Il faut ajouter à cela l’impact des sanctions unilatérales des Etats-Unis et de l’Europe qui coupe l’accès du pays au circuit du crédit et empêchent les grandes sociétés industrielles et agroalimentaires de s’approvisionner en produits semi-finis, pièces détachées nécessaires au fonctionnement de l’outil industriel et autres fournitures industrielles indispensables. Il en résulte un délabrement du tissu économico-industriel, avec une exception pour l’industrie militaire qui, avec un budget dépassant le quart du budget national, ne subit pratiquement aucune restriction.

Une montée des luttes sociales

Comme l’on pouvait s’y attendre, les travailleurs et autres salarié·e·s iraniens sont entrés en résistance. Une vague ininterrompue des grèves et protestations secoue le pays. La grande grève des travailleurs de la pétrochimie ne constitue que la partie visible de l’iceberg perçue à l’extérieur de l’Iran.

Les syndicalistes iraniens ont jusqu’à présent payé et paient toujours un lourd tribut dans ces batailles. Les arrestations de syndicalistes se multiplient. La tactique de harcèlement consiste à arrêter un militant et à ne le libérer que contre une caution démesurée. Cela provoque des «dégâts» financiers considérables et rend la vie impossible à leurs familles. Néanmoins, le nombre des grèves et des manifestations de protestation n’a jamais été si élevé que ces derniers mois.

Signalons qu’une campagne internationale de soutien est actuellement en cours en faveur du syndicaliste Réza Shahabi, en prison depuis plus de 19 mois. Il a besoin le plus rapidement possible d’une opération chirurgicale, sous peine de devenir paralysé, ou même de perdre la vie. Une pétition en ligne est notamment disponible sur le site www.amnesty.org.uk.

Des tensions importantes au sommet de l’Etat

L’épisode de l’occupation de l’ambassade britannique (fin novembre 2011) est révélateur de la profonde division qui, une fois de plus, existe au sommet de la république islamique d’Iran.

En réalité, les événements ont infirmé les prédictions de ceux qui clamaient, haut et fort, «le succès» remporté par le régime islamique dans sa politique d’étouffement du  mouvement de protestation post-électoral, en 2009-2010, grâce à une répression farouche et tous azimuts.

Une lutte de pouvoir sans merci est engagée entre différentes factions.

• Le cercle proche de l’ayatollah Ali Khamenei, qui était uni contre le mouvement des réformateurs mené par Moussavi et Karoubi (actuellement en résidence surveillée et coupés du monde extérieur), a volé en éclats, suite à la politique menée par Ahmadinejad et ses proches. Ce bloc, dit «des Principalistes» se veut le garant des principes fondateurs de la république islamique et surtout du principe du règne absolu du Guide suprême (Vélayat-é-Faghih). Il s’est divisé d’abord en deux, puis, peu après, en plusieurs sous-fractions incapables de former un bloc suffisamment uni en vue des élections législatives de l’année prochaine.

Des élections déjà boycottées par la quasi-totalité de l’opposition et même par des réformateurs proches de l’ex-président Khatami, même si ce dernier continue d’envoyer des signaux contradictoires.

• Les conflits entre le Majlès, «Parlement islamique», contrôlé par la fraction dure des Principalistes menée par Larijani et son frère, chef du pouvoir judiciaire, se multiplient. Qu’il s’agisse de délibérer sur les nominations des ministres ou de voter les propositions émanant du gouvernement. De plus, les arrestations des proches d’Ahmadinejad sur base de diverses accusations de corruption, fraude fiscale et même d’abus du pouvoir font la une des journaux!

• Paradoxalement, Ahmadinejad tente de jouer le rôle de «réformateur de l’intérieur» et, par ce biais, compte attirer une partie des protestataires légalistes et d’autres tendances proches des revendications du mouvement vert pro-Moussavi. Ses propos sur une «approche iranienne» de la lecture de l’islam, ou ses diatribes contre ceux qui dérangent la vie privée des «gens ordinaires» vont tous dans ce sens.

Après avoir volé les élections de juin 2009 et écrasé le mouvement de masse avec une brutalité extrême, Ahmadinejad tente maintenant d’usurper le mouvement de grogne des Iraniens contre le système-régime islamique, et compte pour cela sur une partie de l’appareil répressif, des technocrates et les déçus du Mouvement vert. Mais cette démarche n’aura pour conséquence que d’amplifier d’autant plus la crise déjà sérieuse au sommet du pouvoir.

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Behrooz Farahany est militant de SSTI (Solidarité socialiste avec les travailleurs iraniens) –  www.iran-echo.com

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