Irak. «Le barrage de Mossoul est face à un risque grave et sans précédent de défaillance catastrophique»

8e03b4adda23646e56c4b331c2f8bed49e0ac064Par Suadad al-Salhy

Les autorités irakiennes ont publié un plan d’urgence concernant la rupture possible du barrage de Mossoul, craignant que la vie de près de 1,5 million de personnes le long du Tigre ne soit menacée en raison du risque d’inondations catastrophiques.

Ce communiqué est la première reconnaissance publique par le gouvernement irakien du danger posé par le barrage, lequel est en mauvais état après des années de négligence et sa brève capture par des combattants de l’État islamique (EI) en 2014.

Au début du mois dernier, le gouvernement a confié un contrat à la firme d’ingénierie italienne TREVI afin d’entreprendre des réparations d’urgence sur le barrage de 3,4 km, qui est le quatrième plus important au Moyen-Orient et se trouve à 40 km au nord de Mossoul, deuxième ville d’Irak, actuellement contrôlée par l’EI.

Beaucoup d’autres villes irakiennes dont Bagdad (la capitale), Shirqat, Baiji, Tikrit, Samarra, Balad et Doujaïl pourraient être inondées en cas de rupture du barrage, ont prévenu les responsables irakiens et américains.

«La rupture du barrage est très peu probable, en particulier vu les précautions techniques et administratives prises par les autorités, mais les lourdes conséquences si cela se produisait nécessitaient cette alerte», a indiqué le bureau du Premier ministre irakien Haider al-Abadi dans un communiqué publié dimanche.

«Nous avons mis au point un ensemble de recommandations par mesure de précaution, afin d’éviter tout risque potentiel, que Dieu nous en garde. Celles-ci [les recommandations] doivent être prises en compte par tout le monde.»

Dimanche, l’ambassade américaine à Bagdad a également alerté les citoyens américains, les avertissant des dangers d’une possible rupture.

Elle a déclaré que Mossoul pourrait être inondée par 21 m d’eau en quelques heures après une rupture et que les villes en aval comme Tikrit, Samarra et Bagdad seraient confrontées à des inondations moindres mais «encore importantes» 24 à 72 heures après.

«Nous ne disposons d’aucune information spécifique concernant le moment où pourrait survenir une rupture, mais par précaution, nous tenons à souligner qu’une prompte évacuation constitue la solution la plus efficace pour sauver la vie de centaines de milliers de personnes vivant dans la partie la plus dangereuse du trajet des inondations en cas de rupture», a indiqué l’ambassade.

Dans une évaluation de l’impact possible d’une rupture du barrage, l’ambassade des États-Unis a estimé que près de 1,5 million d’Irakiens seraient probablement tués par un «raz-de-marée intérieur» à moins d’avoir été déplacés vers des zones sûres.

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De même, elle juge que, puisqu’une grande partie du territoire susceptible d’être gravement touché par une rupture est contrôlée ou contestée par l’EI, «une évacuation par les autorités est peu probable» et que certaines personnes évacuées n’auraient pas la liberté de mouvement suffisante pour s’échapper.

«Le barrage de Mossoul est face à un risque grave et sans précédent de défaillance catastrophique sans avertissement ou presque. Une rupture catastrophique du barrage de Mossoul en Irak causerait de nombreuses victimes, des déplacements massifs de population et la destruction de la majorité des infrastructures sur le chemin prévu de la crue», selon le document. «Les 500 000 à 1,47 million d’Irakiens résidant le long du Tigre, dans les zones où le risque de crue est le plus élevé, ne survivraient probablement pas à son impact à moins d’avoir évacué la zone d’inondation. La majorité des six millions d’habitants de Bagdad en souffriraient aussi probablement – ils subiraient des déplacements, l’augmentation des risques sanitaires, une mobilité limitée voire absente et la perte des maisons, des bâtiments et des infrastructures.»

Le barrage, qui a ouvert en 1986, nécessite un entretien constant en raison de défauts structurels dans ses fondations, lesquelles doivent être régulièrement rejointoyées avec du ciment.

Toutefois, ce processus a été interrompu pendant huit semaines en 2014 lorsque l’EI a envahi le barrage et les régions avoisinantes.

Une évaluation du barrage menée par une équipe d’ingénieurs de l’armée américaine en Irak au début du mois pour le compte du Parlement irakien et consultée par Middle East Eye signale: «Toutes les informations recueillies au cours de l’année écoulée indiquent que le risque de rupture du barrage de Mossoul est significativement plus élevé qu’on ne l’avait cru de prime abord et il est plus élevé aujourd’hui qu’il y a un an.»

Jusqu’à dimanche, le gouvernement irakien démentait publiquement toute éventualité d’une rupture du barrage et remettait en question l’avertissement lancé précédemment par l’équipe américaine.

Le ministère irakien des Ressources en eau, qui est en charge des barrages du pays, avait minimisé l’évaluation américaine et fait valoir que des avertissements similaires avaient été lancés en 2005, 2006 et 2007.

«Le barrage sera sûr tant que le niveau d’eau est faible», avait-il affirmé.

«Avertissement de routine»

Le réservoir du barrage a une capacité de 11,5 milliards de mètres cubes, mais ne contient actuellement pas plus de 4,5 milliards de mètres cubes, selon les déclarations des responsables irakiens à MEE.

«Les travaux de maintenance sont en cours, la situation est sous contrôle et l’état actuel équivaut à seulement un tiers de la capacité du réservoir», a déclaré Mahdi Rasheed, le directeur général de la société irakienne des barrages, à MEE.

«Ce plan [d’urgence] est un avertissement de routine pour éduquer les populations sur cette question, afin que les gens soient sûrs que tout ira bien.»

Cependant, une enquête approfondie menée plus tôt ce mois-ci par la commission parlementaire de l’eau et de l’agriculture a conclu que les niveaux d’eau augmenteraient de manière significative en mars et en avril et que la «pression sur le barrage augmentera».

Le rapport parlementaire recommandait «la recherche de solutions rapides pour le drainage» et soulignait que «la diminution au minimum du niveau d’eau dans le réservoir diminuerait l’impact de la vague d’inondations si le barrage rompait, mais n’empêcherait pas totalement les dommages, [et que] donc un plan d’urgence [devait] être préparé».

Le communiqué de dimanche comprenait un «manuel d’instruction» informant les citoyens de la probabilité d’une rupture du barrage et les conseillant sur ce qu’il fallait faire le cas échéant.

Il signalait que l’échelle d’une éventuelle catastrophe dépendrait des niveaux d’eau dans le réservoir et le long du fleuve au moment où le barrage céderait.

Ces conseils reposaient sur un niveau d’eau dans le réservoir de 319 m, alors que le niveau actuel est de 307 m, ce qui «réduit sensiblement le risque, en particulier à Bagdad».

Selon le guide, toutes les villes et les villages situés le long des rives du fleuve seraient «gravement» touchés, leurs habitants devant être relogés.

Mossoul, à 400 km au nord de Bagdad, serait la ville la plus durement touchée, avec des niveaux d’eau dans certaines régions atteignant 15 mètres entre une et quatre heures après la rupture du barrage.

La crue atteindrait Tikrit en l’espace d’un ou deux jours et Bagdad dans les trois ou quatre jours avec des niveaux d’eau dans la capitale pouvant atteindre 10 m, «bien qu’avec les niveaux d’eau actuels, les dégâts seraient moindres».

Le guide conseille aux populations de s’éloigner autant que possible du Tigre et de ses affluents et de se diriger vers un terrain plus élevé.

Pour être en sécurité, la distance recommandée aux habitants de Mossoul est de 6 km, pour les habitants de Samarra 6,5 km et 5 km pour ceux de Tikrit.

«La meilleure façon d’être en sécurité est d’aller vers des zones plus élevées.» (Article publié sur le site MEE, le 2 mars 2016)

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