En date du 5 et 7 septembre 2013, nous avons mené, sur ce site, une campagne pour la libération de Haitham Mohamedain, un avocat du travail et un membre des Socialistes Révolutionnaires. Cette campagne a été largement facilitée, en Europe, par Mena Solidarity Network qui a, aussi, stimulé un mouvement de solidarité significative dans le mouvement syndical anglais. Cette campagne de solidarité avec les travailleurs d’Egypte et contre la répression continue. Non seulement dans la perspective de faire annuler les charges continuant à peser sur Haitham Mohamedain, mais aussi – et surtout – pour combattre les mesures liées à l’instauration de l’Etat d’urgence par le gouvernement intérim d’Adly Mansour et du général Al-Sissi. Les lectrices et lecteur du site alencontre.org peuvent signer la déclaration générale se trouvant à cette adresse: http://menasolidaritynetwork.com/2013/08/18/egypt-emergency-statement-on-the-military-crackdown/. Le sobre témoignage d’Haitham Mohamedain met en lumière le retour des méthodes policières propres à l’ère de Moubarak. Il est de même fort instructif sur la façon dont ce militant mène une ferme défense politique afin de mettre en échec des accusations et des méthodes propres à un «Etat sécuritaire». Enfin, Haitham Mohamedain sait nous transmettre une parcelle de la réalité sociale qui est un des soubassements de ses convictions et de sa pratique militante. (Rédaction A l’Encontre)
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J’étais en route vers la ville de Suez pour rencontrer un nombre de camarades et de travailleurs. Arrivant au point de contrôle 109 sur la route du Suez, un officier de police a ordonné au chauffeur de l’autobus à bord duquel je me trouvais de s’arrêter. Après avoir tourné autour du véhicule, il s’est arrêté à mon niveau. Il a tapoté contre le carreau et m’a fait signe de descendre. Ce que j’ai fait. Il a demandé de vérifier mes papiers d’identité. Je lui ai donné ma carte d’identité et mon carnet d’inscription à l’Ordre des avocats pour prouver mon métier. Il les a examinés, puis a commencé à se moquer du carnet et m’a demandé si je suis exclu de l’Ordre des avocats. J’ai répondu par la négative. Il a fait remarquer que le carnet est daté 2011. Je lui ai dit que j’ai laissé le nouveau carnet à l’Ordre des avocats.
«Ta barbe ne me plaît pas»
Il a continué avec ses moqueries puis a commencé à me traiter de manière indécente en posant des questions du type: «Pourquoi te laisses-tu pousser la barbe?»; «Pourquoi as-tu cette drôle d’allure?»…
Je lui ai répondu que ça n’avait rien à voir ni avec la loi, ni avec son travail; que ce n’était pas son affaire et qu’il n’avait pas le droit de me parler ainsi. Des limites existent et qu’il doit rester dans les limites de ses fonctions. Evidemment ma réponse ne lui a pas plu. Ensuite ils m’ont emmené, lui et les membres de la police qui étaient avec lui, dans le pavillon de leur point de contrôle. Sans aucun avertissement, ils ont commencé à me fouiller, mettant leurs mains dans mes poches et précédant à une fouille corporelle. Ils ont sorti tout le contenu de mes poches – papiers, téléphone, cigarettes… – et l’ont étalé sur un bureau. L’officier m’a arraché un bloc-notes que j’avais en main et a commencé à le feuilleter en lisant à voix haute le contenu, par le menu. Ensuite il a pris ma carte d’identité, le carnet d’inscription à l’Ordre des avocats et mon bloc-notes et s’en est allé
«Si on vous bat, ne vous fâchez pas!»
Un peu plus tard un autre officier de l’armée, ayant le grade de major je crois, est venu pour me poser quelques questions:
• Vous participez dans les manifestations et vous jetez des pierres ?
• Nous participons dans les manifestations.
• Donc si nous vous battons, ne vous fâchez pas et si quelqu’un parmi vous se fâche, qu’il se tape la tête contre le mur.
J’ai répliqué que nous continuerons à participer dans les manifestations bien que nous nous attendions à ce que l’Etat nous réprime sous toutes les formes. En outre, dans tous les cas, nous ne pouvons pas arrêter les manifestations parce que nous tenons à participer au processus révolutionnaire. Evidemment ma réponse ne lui a pas convenu.
Quelque temps après, l’officier qui a pris mes papiers d’identité et mon bloc-notes est revenu pour passer plusieurs coups de fil; je ne sais pas à qui. Alors que je m’asseyais à côté du pavillon, un officier est arrivé. Selon l’adjudant de police assis à côté de moi, il est officier de la Sûreté nationale. Je lui ai fait savoir que je ne parle pas avec eux et ne veux pas le faire avec lui. Il lui a dit cet homme-là ne «veut pas parler avec toi ni avec la Sûreté d’Etat». Il n’y a eu aucun échange avec lui.
Après un laps de temps, l’officier qui avait pris mes affaires est venu vers moi en parlant à quelqu’un au téléphone, tout en me montrant du doigt de manière volontairement indécente et provocatrice. Je lui ai demandé s’il y avait quelque chose, il m’a tendu le combiné en disant : «Tiens et parle.»
• Allô.
• Allô bonjour, ici le major Mhammed, directeur de Sûreté de Suez, nous nous excusons pour les désagréments.
• Et quels agréments?! L’officier au poste de contrôle m’a traité de façon indécente, ce qui n’est pas admissible. Puis j’ai remis le combiné à l’officier.
Puis après environ deux heures d’attente au point de contrôle pendant lesquels l’officier n’a pas arrêté de passer ses coups de fil, alors qu’il était prévu de nous conduire à la station de police Faisal, situé à côté du siège de la Sûreté d’Etat à Suez, ils nous ont soudainement transférés au poste de police d’Ataka. Sur place, l’officier qui m’a arrêté a procédé à ma fouille au corps, sans autorisation du parquet, sans base juridique et en l’absence de cas de suspicion. Ensuite après avoir vérifié mon identité et les données de ma carte d’identité ainsi que mon carnet professionnel, il a rédigé un rapport dans lequel il indique que je suis membre d’une organisation clandestine dénommée les Socialistes Révolutionnaires. Il a joint mon bloc-notes à son rapport.
Ils m’ont ensuite conduit en détention préventive dans le poste de police d’Ataka.
Environ deux heures plus tard, ils m’ont convoqué chez un officier pour rédiger un rapport de police.
• Est-ce que tu fais partie d’un mouvement politique?
• Oui j’appartiens au Mouvement des Socialistes Révolutionnaires dont je suis membre du Bureau politique.
Il a commencé par me poser des questions sur le mouvement et ses activités. Je lui ai dit que je ne répondrai à ces questions que devant le parquet.
Il a clôturé le rapport avec la seule question à laquelle j’ai répondu, puis ils m’ont reconduit au centre de détention préventive où j’ai passé une nuit.
Il était prévu que je devais être déféré, dans les vingt-quatre heures, au parquet, délai légal de la détention policière, autrement dit le lendemain de mon arrestation avant quatorze heures.
La veille on m’avait informé que je devais comparaître le lendemain, vendredi après la prière, devant le parquet. Deux heures, trois heures, quatre heures de l’après-midi sont passées et on ne m’a pas encore déféré au parquet. Personne ne m’a informé des causes de ce retard. J’ai su après, durant les interrogatoires, que le rapport de police avait été présenté au parquet en mon absence, afin de donner le temps au parquet pour demander des investigations de la part de la Sécurité nationale ou de la Sûreté d’Etat. Le rapport de police me concernant a été donc présenté vendredi 6 septembre 2013 au parquet qui mentionna la comparution immédiate, donc samedi, et demanda les investigations de la Sécurité nationale.
Samedi 7 septembre, j’ai comparu devant le parquet. Sont arrivés aussi les résultats de l’enquête menée par la Sécurité nationale qui mentionnent mon appartenance au Mouvement des Socialistes Révolutionnaires. Mais selon la Sûreté d’Etat, je suis un membre des Frères musulmans qui fait de l’entrisme chez les Socialistes Révolutionnaires !
Déféré au parquet
Le procureur commence à m’interroger. La première question est très étrange.
• Qui est Haitham Mohammedein ?
Normalement les interrogatoires commencent par des questions traditionnelles portant sur le nom, l’âge et l’adresse de l’accusé.
J’ai compris qu’il s’agit d’une question politique qui n’a rien à voir avec l’interrogatoire. Je lui ai répondu : « Je m’appelle Haitham Mohammedein, membre du Bureau politique des Socialistes Révolutionnaires. J’ai rejoint ce mouvement il y a treize ans, en l’an 2000; j’ai participé à toutes ses activités depuis l’Intifada palestinienne, passant par la guerre contre l’Irak, jusqu’à la campagne de contestation des révisions constitutionnelles en 2004-2005, puis j’ai participé à différentes manifestations et protestations ouvrières et finalement à la révolution égyptienne».
Il m’a dit qu’il y a beaucoup d’échanges me concernant sur twitter. J’ai répondu que je n’en ai aucune idée étant en détention depuis hier.
Puis commença l’interrogatoire proprement dit.
• Est-ce que tu fais partie d’un mouvement politique ?
• Oui j’appartiens au Mouvement des Socialistes Révolutionnaires.
• Comment ce mouvement accomplit-il ses activités et quand est-ce qu’il a été créé?
• Il existe depuis la fin des années 1980 début 1990 et a pris part à la plupart des protestations sociales et politiques survenues depuis qu’il est actif en tant que tel.
• Est-ce que ce mouvement a participé aux derniers événements (comprendre la révolution égyptienne même s’il ne le dit pas explicitement)?
• Le Mouvement des Socialistes Révolutionnaires est l’une des forces qui a appelé et a participé à la révolution du 25 janvier 2011 et pris part à son organisation et sa direction. Nous nous sommes mobilisé·e·s de toutes nos forces pendant la révolution égyptienne. Nous avons pris part aux différentes protestations, que ce soient des manifestations ou des grèves ouvrières. Nous étions aux côtés du peuple égyptien dans la révolution de 25 janvier pour renverser le régime Moubarak et depuis, le Mouvement continue sa lutte pour le parachèvement du processus révolutionnaire.
Il m’a demandé si notre Mouvement considère que les objectifs de la révolution ont été réalisés. J’ai dit «non» bien sûr. Pour nous, les objectifs de la révolution n’ont pas été atteints, parfois une révolution peut prendre un certain temps, et c’est pour cela que nous participons aux différentes protestations en cours sur la scène politique égyptienne.
Des questions politiques…
J’aimerais parler des questions politiques qui m’ont été posées par le parquet. Il m’a posé des questions qui vont à mon avis au-delà des limites du rapport de l’officier de police.
Il m’a demandé combien de membres compte le Mouvement; qui est son président; ses locaux et de nombreuses questions concernant certains sujets précis et détails sur le mouvement des Socialistes Révolutionnaires. Je n’ai répondu qu’à certaines de ces questions parce que je pense possible d’affirmer que des questions allaient, à mon avis, au-delà du contexte de l’interrogatoire.
Il y avait aussi des questions sur les idées et principes des Socialistes Révolutionnaires et comment ceux-ci voient l’important changement survenu. Je lui ai alors répondu de façon nette et précise que pour les Socialistes Révolutionnaires le vrai changement réside dans la répartition des richesses dans la société et l’assurance des plus larges libertés politiques. Il a essayé par cette question d’arriver à l’idée de «la domination d’une classe sur les autres classes», c’est-à-dire la domination politique de la classe ouvrière sur l’ensemble de la société, et cela pour confirmer le premier chef d’accusation retenu contre moi. Avec d’autres mots, la charge qu’il veut confirmer contre moi est que l’organisation — il utilisait les termes «organisation clandestine» des Socialistes Révolutionnaires — vise à imposer la domination de la classe ouvrière sur les moyens de production et sur le pouvoir politique ce qui, en vertu du droit pénal égyptien, est un crime. Il a cherché à obtenir des réponses de ce genre pour prouver ma culpabilité d’où le caractère purement politique des questions posées.
Une autre question directe: «Est-ce que tu crois que l’Etat actuel prend des mesures qui réalisent les objectifs des Socialistes Révolutionnaires?» Par cette question aussi il voulait arriver à la conclusion que notre Mouvement est contre l’Etat et donc prouver la deuxième charge qui est: «vouloir changer la forme du gouvernement par des moyens terroristes». Je lui ai répondu que le Mouvement des Socialistes Révolutionnaires a un but principal, celui de réaliser les objectifs de la révolution de 25 janvier concernant le pain, la liberté et la justice sociale et qu’il prendra part à toutes les protestations sociales et politiques du peuple égyptien en vue de réaliser ses objectifs face à tout pouvoir, durant toutes les phases de la révolution, parce qu’il s’agit de revendications du peuple égyptien et de la révolution égyptienne.
Une autre question: «Est-ce que les mesures prises par le gouvernement répondent aux aspirations et objectifs de l’organisation clandestine des Socialistes Révolutionnaires?» J’ai répondu que l’organisation des Socialistes Révolutionnaires «a pour objectif la répartition des richesses dans la société».
Quelle est la relation des Socialistes révolutionnaires avec les Frères musulmans ?
Il y avait d’autres questions sur la relation du Mouvement des Socialistes Révolutionnaires avec les Frères musulmans et si nous avons voté pour eux à un moment donné. Cela bien sûr en complément des enquêtes de la Sûreté d’Etat. J’ai répondu que les Socialistes Révolutionnaires n’ont pas de coordination avec les Frères musulmans, ni n’ont fait alliance avec eux ou encore rencontré leurs membres depuis 25 janvier 2011; et que nous avions boycotté les élections législatives et le second tour de la présidentielle. J’ai ajouté que nous avons des divergences idéologiques fondamentales avec les Frères musulmans et des divergences politiques radicales concernant leurs choix politiques depuis leur arrivée au pouvoir [élection de Morsi, mandat en juin 2012] et que nous étions parmi les premiers qui ont appelé et participé aux manifestations de 30 juin 2013 et dans leur organisation afin de renverser le pouvoir des Frères musulmans.
Il a posé beaucoup de questions minutieuses à ce sujet, en s’arrêtant à des détails tatillons. Puis, il a pris mon bloc-notes et a commencé à déchiffrer mes notes et inscriptions. Il s’est centré sur les plans préparatoires des manifestations de 30 juin 2013 qui ont commencé à être mis en place dès le 18 juin et il m’a demandé «ce que j’en pensais». «C’est sans doute mon écriture, ai-je répondu. J’étais l’un de ceux qui ont élaboré ce plan avec d’autres représentants d’autres forces politiques.» Il y avait un autre plan, deux pages plus loin, de toutes les manifestations, dans les différentes places, le 30 juin même, pour renverser le pouvoir des Frères musulmans et nous étions parmi les forces politiques qui se sont mobilisées avec toutes nos forces pour les dégager en vue de continuer la révolution égyptienne et réaliser ses objectifs.
En tant que socialiste révolutionnaire et avocat des travailleurs, est-ce que tu participes à leurs grèves ?
Il y avait beaucoup de questions qui étaient posées à la lumière de mes notes personnelles dont certaines sur mes relations avec les travailleurs. S’il y a une relation entre mon travail en tant qu’avocat des travailleurs et les idées et principes des Socialistes Révolutionnaires.
J’ai répondu que, en tant que membre du Mouvement, je suis convaincu de ses idées et de ses principes qui ont pour objectifs la réalisation de la justice sociale et la répartition des richesses dans la société en faveur des couches populaires et paupérisées, notamment les travailleurs. Et, en tant qu’avocat, je mets mon métier au service des travailleurs et pour défendre leurs droits.
Il m’a dit «est-ce que tu participes aux grèves des travailleurs qui bloquent le processus de production?» Je lui ai répondu qu’en pratique je ne peux pas participer à ces grèves, parce que ce sont les travailleurs eux-mêmes qui organisent et dirigent leurs grèves. Puis les grèves ne sont pas illégales. Le droit de grève est un droit fondamental protégé par la Constitution et garanti par le droit du travail et les conventions internationales. Donc en ma qualité d’avocat, je soutiens toujours leurs grèves avec tous les moyens possibles, sachant que les Socialistes Révolutionnaires, en tant que Mouvement révolutionnaire, nous nous mobilisons avec nos forces pour soutenir ces grèves que nous considérons comme un moyen de réaliser l’un des objectifs de la révolution qui est la justice sociale.
A toutes les questions qui m’ont été posées, j’ai formulé une défense politique que ce soit concernant la révolution de 25 janvier 2011 ou les manifestations de 30 juin 2013 visant à renverser le pouvoir des Frères musulmans.
Et l’usage de la violence donc ?
Il m’a demandé si l’«organisation clandestine» des Socialistes Révolutionnaires avait commis des actes de violence lors de la révolution de 25 janvier. Je lui ai répondu que les Socialistes Révolutionnaires ont participé aux côtés du peuple égyptien à la révolution du 25 janvier et ont fait partie intégrante de ce processus. Il a posé la même question une seconde fois en la reformulant ainsi: «Est-ce que le Mouvement des Socialistes Révolutionnaires préconise l’utilisation de la violence et la force pour atteindre ses objectifs?» Cette question a été tirée des investigations de la Sûreté d’Etat dont le rapport mentionne que «l’organisation secrète des Socialistes révolutionnaires utilise la violence pour atteindre à ses objectifs». J’ai répondu que ceci n’est pas une fin en soi des Socialistes Révolutionnaires, mais que notre organisation œuvre à ce que les gens puissent changer leurs conditions de vie de la façon qu’ils décident.
Il m’a ensuite cité les chefs d’accusation (voir l’article publié sur ce site en date du 7 septembre 2013) portés contre moi et qui sont publiés sur le site des Socialistes Révolutionnaires parmi lesquels: l’accusation d’avoir fondé et de diriger une organisation clandestine dénommée les Socialistes Révolutionnaires qui a pour but de paralyser les autorités et les services de l’Etat…
Dans ma réponse j’ai réfuté catégoriquement toutes ces charges qui proviennent de la Sécurité d’Etat, fait savoir nos positions et formulé une défense politique de notre organisation et des forces politiques révolutionnaires.
Pour revenir à l’arrestation, c’est un acte illégal. Il s’agit d’une interpellation arbitraire et d’une fouille au corps illicite faites par l’officier de police au point de contrôle et qui faisait ça avec plusieurs véhicules et personnes, ce que j’ai constaté pendant mon arrestation. Toutes les personnes qui passent par là sont fouillées au corps illégalement. Il a dit dans le rapport qu’il a procédé à une fouille préventive. Ce n’est pas vrai car ce qu’il a fait en réalité, c’est une fouille corporelle. Il y avait aussi des arrestations contraires à la loi, dont mon arrestation et ma mise en détention dans le poste de police d’Ataka.
Je voulais dire à la fin que je pense, au même titre que le Mouvement des Socialistes Révolutionnaires, qu’il s’agit ici de tentatives de terroriser les forces politiques et révolutionnaires pour les dissuader de parachever la révolution égyptienne face au pouvoir militaire en place. Mon arrestation est intervenue dans ce contexte. Je considère que l’interrogatoire était plus politique que pénal, et c’est pourquoi ma défense a été politique. J’ai défendu les positions de notre Mouvement. Dès le début j’ai annoncé mon appartenance au Mouvement et être membre de son Bureau politique. J’ai aussi défendu notre vision des exigences qui permettent de continuer la révolution égyptienne.
De la solidarité qui paye…
Je considère que ces tentatives ne réussiront pas à dissuader les forces révolutionnaires de continuer leur révolution. J’ai constaté et senti la grande solidarité des forces révolutionnaires que je tiens à remercier ainsi que tous les révolutionnaires et camarades qu’ils soient en Egypte, dans la région arabe révolutionnaire ou n’importe où dans le monde, pour leur large et magnifique solidarité qui, je crois, a grandement influencé la décision du parquet. La réaction des forces révolutionnaires quant à mon arrestation et aux charges préfabriquées par l’appareil des renseignements et la Sécurité d’Etat – qu’on voit revenir en pleine activité – est un message clair que les forces révolutionnaires ne resteront pas les bras croisés devant le retour de l’Etat sécuritaire, tyrannique et de l’Etat militaire. Ces réactions sont un début pour la poursuite des contestations et de la révolution égyptienne.
Je n’ai pu constater cet élan de solidarité qu’après ma libération. Le premier jour, jeudi 5 septembre, ils m’ont mis en détention préventive, et le lendemain j’ai été placé en détention criminelle après m’avoir refusé la détention politique. Les cellules sont étroites 4 mètres sur 4, invivables. Dans ma cellule s’entassaient quarante-deux personnes, et pour dormir il faut, faute de place, s’allonger sur le côté, personne ne peut s’allonger sur le dos… C’est pour vous dire les conditions dans la prison du poste de police d’Ataka où j’ai passé les vendredi et samedi.
Leur but était de me mettre sous pression en me transférant de la détention préventive à la détention criminelle. Mais cela ne m’a pas du tout dérangé. J’ai pu écouter les histoires des prisonniers, concernant leurs malheurs et les mauvais traitements qu’ils ont subis de la part de la police ou des membres de la police militaire, que ce soit pendant l’arrestation, le transfert ou à d’autres moments. Des citoyens égyptiens de différentes provinces. Ce que j’ai remarqué c’est qu’ils s’attendent à une libération de l’extérieur, ils espèrent qu’une révolution vienne les affranchir. Ils considèrent qu’ils ont été emprisonnés arbitrairement et ont la conviction que le pouvoir en place ne va pas les libérer et qu’il les opprime. Ils sont opposés au retour de l’Etat sécuritaire, bien qu’ils ne le disent pas en ces termes, mais parlent du «retour du gouvernement» qui arrête les gens dans leurs véhicules et dans leur maison, le «gouvernement» qui peut vous coller un procès… ils veulent dire la police.
Ils sont en colère à cause de leurs conditions de détention, se plaignent de la manière dont ils ont été arrêtés et se posent des questions sur ce qui se passe à l’extérieur: y a-t-il encore des manifestations? Y aura-t-il une autre révolution? … Ils rêvent du changement, car c’est ce changement qui leur ouvrira les portes. C’est l’espoir de la grande majorité des gens qui étaient en détention criminelle avec lesquels j’ai eu de longues discussions sur mon appartenance politique, les causes de ma détention et pourquoi une organisation clandestine», pourquoi on m’a mis avec eux, et c’est quoi le «socialisme». Je me suis trouvé à leur expliquer de façon très simple les idées auxquelles je crois.
J’ai découvert aussi qu’il y avait deux travailleurs parmi les détenus, l’un arrêté pour fraude, l’autre pour une bagarre. Nous avons longuement parlé des conditions des travailleurs à Suez et dans les entreprises où ils travaillent.
C’était une occasion pour moi de découvrir d’autres idées et d’autres cultures dans la prison même où je me trouvais.
A la fin de l’interrogatoire mené par le président du parquet de Suez, avec des prérogatives de parquet de la Cour de la sûreté d’Etat-Etat d’urgence – ce dernier possède la prérogative d’ordonner la mise en détention de l’accusé pendant 15 jours et non 4 jours –, il a appelé les gardes qui m’ont ramené en bas et fait monter dans le véhicule des transferts qui s’est dirigé vers le poste d’Ataka. Jusque-là je ne savais rien de la décision du parquet.
Arrivé, ils m’ont conduit à ma cellule. M’étant réveillé très tôt, j’avais bien l’intention de dormir un peu. J’ai pu m’assoupir un court instant jusqu’à ce qu’un agent de police soit venu m’appeler et m’a fait sortir. Là ils m’ont informé qu’une décision de me libérer est tombée. Après que les procédures administratives soient remplies, j’ai quitté le poste de police avec quelques collègues avocats qui étaient là déjà dès le début – le jeudi 5 septembre – puis pendant l’interrogatoire et qui ont assuré ma défense légale devant le parquet. Je tiens à les remercier énormément.
Vers 21 heures j’étais en route vers Le Caire.
Cependant il faut dire que j’ai été mis en liberté mais le parquet de la Cour de la Sûreté d’Etat-Etat d’urgence reste saisi de l’affaire et peut ordonner un complément d’enquête.
Je conclus en affirmant sans risque de me tromper que le pouvoir en place accable les militants politiques d’accusations graves qui sont du ressort de la Cour de la Sûreté d’Etat/Etat d’urgence; des accusations qui rappellent l’époque Moubarak et de Sadate avant lui comme l’accusation typique de «création, appartenance à et direction d’une organisation clandestine qui a pour but de renverser les bases sociales de l’Etat»; ou encore de «vouloir changer la forme du gouvernement par la violence et des moyens terroristes», «l’incitation à la domination d’une classe sociale sur une autre», qui sont toutes des formulations infâmes du Code pénal égyptien qui, disons-le en passant, sont toutes reprises du Code pénal fasciste italien de 1931. Elles sont toujours en vigueur et applicables à toutes les forces politiques qui affrontent le pouvoir. (Traduit de l’arabe par Rafik Khalfaoui)
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