Une nouvelle loi régissant le droit de manifester est en cours d’élaboration, selon le ministre de la Justice, Ahmad Mekki. Lors d’une conférence organisée jeudi 3 janvier 2013, ce dernier a expliqué que la nouvelle loi tiendrait compte de certains aspects régulateurs, telle la nécessité d’informer préalablement le ministère de l’Intérieur pour qu’il «assure la sécurité des manifestants», ainsi que des garanties juridiques, telle que la présence d’un juge lors de la dispersion d’une manifestation, une décision qui ne serait prise que sur ordre du tribunal.
«Dans tous les pays du monde, il existe des mesures qui réglementent les manifestations, notamment l’interdiction de l’usage de la violence et le respect de l’inviolabilité d’un certain périmètre autour des sièges du gouvernement. Quant au droit de grève, il est garanti, mais les grévistes ne doivent pas réclamer leur salaire pendant les jours de grève», a poursuivi le ministre.
D’autres éléments de ce projet de loi ont été communiqués à la presse, sans être confirmés ou infirmés par le ministre de la Justice. Ainsi, la nouvelle loi – qui est censée être passée au Conseil de la choura (Chambre haute du Parlement chargée du pouvoir législatif jusqu’à l’élection de la nouvelle Chambre des députés) – limiterait les horaires des manifestations entre 7 et 19h. Elle obligerait les organisateurs à alerter les autorités compétentes 3 jours à l’avance, en les informant du motif, du lieu et de la date de la manifestation. Les autorités (entendre par là le ministère de l’Intérieur) auront le droit d’interdire la manifestation si elles estiment que les conditions présentent un certain danger.
Toujours selon les mêmes sources officieuses, le projet de loi accorde au ministère de l’Intérieur le droit de disperser une manifestation après l’expiration du temps accordé, ou si elle dérape. Les policiers peuvent à cette fin utiliser les canons à eau, les grenades lacrymogènes et les bâtons électriques. Toute personne accusée de faire en sorte d’entraver les dispositions de la nouvelle loi sera passible d’au moins un an de prison et d’une amende allant de 30 000 à 100 000 L.E. [soit de quelque 4200 CHF à 14’300]
En outre, la nouvelle loi interdirait aux manifestants de bloquer les routes, les lignes de chemins de fer ou d’entraver la circulation. Les ouvriers, eux, peuvent poursuivre leur grève à l’intérieur de leur établissement sans nuire aux moyens de production ni à l’économie nationale. Ils doivent en informer leur patron 14 jours avant (ou 28 jours dans le cas du secteur public).
«A l’encontre de la révolution»
«Le texte est absurde dans son ensemble, que ce soit au niveau de son contenu ou à celui du timing choisi pour le promulguer», lance le directeur du Centre arabe pour l’indépendance de la justice, Nasser Amin. «Il est illogique que le gouvernement impose une telle loi dans un contexte de transition, alors que le peuple recourt aux manifestations pour exprimer son refus et son mécontentement de toutes politiques qui vont à l’encontre des objectifs de la révolution», estime encore Amin. Et d’ajouter: «Au lieu de demander des comptes aux citoyens qui protestent, le gouvernement ferait mieux de promulguer des lois susceptibles de leur garantir une vie digne».
«Le projet de loi pose des restrictions pour interdire les manifestations motivées par des revendications salariales. En interdisant aux manifestants d’entraver la circulation, la loi empêche dans la pratique les employés des chemins de fer et du métro de faire la grève», pense pour sa part Kamal Abbass, militant du mouvement ouvrier. «En ce qui concerne le non-paiement des jours de grève, je suis d’accord sur le fait que c’est la règle du jeu dans les pays où il existe des syndicats forts capables de soutenir moralement et financièrement leurs ouvriers … mais ce n’est pas notre cas», ajoute-t-il.
Gamal Hechmat, membre du Conseil de la choura issu du Parti Liberté et Justice des Frères musulmans, n’a pas nié les clauses du texte publiées dans la presse. Il les défend car, selon lui, il ne s’agit pas de limiter le droit de manifester, mais plutôt d’en organiser l’exercice. «Nous en avons eu assez du blocage des routes, de l’arrêt de la circulation et du ralentissement de la production. Personne n’a le droit de manifester ou d’arrêter le travail sur un coup de tête. Nous n’accepterons plus cela», affirme-t-il.
Mais les activistes ne font aucun cas, ni des menaces des responsables, ni de celles du texte. «Nous allons faire pression pour que cette loi ne sorte pas sous cette forme-là. Mais quel qu’il en soit, les lois n’ont jamais réussi à interdire une grève», constate Nasser Amin. Ragia Omrane, une autre militante, acquiesce: «La seule force qui peut faire taire ce texte c’est la rue. Jusqu’ici, le seul acquis de la révolution du 25 janvier c’est le droit de protester et de manifester. C’est un droit que le gouvernement ne peut pas nous retirer aussi facilement».
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Ce texte a été publié le 9 janvier 2013 dans Al Ahram.
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