Dossier. Les pogroms se multiplient en Cisjordanie. Les soldats ouvrent la voie aux colons 

Maison brûlée par les colons à Douma, 14 avril 2024. (Oren Ziv)

Par Oren Ziv

Les colons israéliens se sont lancés dans un véritable carnage à travers la Cisjordanie occupée au cours du week-end [13-14 avril], tuant au moins trois Palestiniens et détruisant des biens dans plus d’une douzaine de villages et de villes. L’élément déclencheur de ces attaques a été la disparition, le vendredi 12 avril, de Benyamin Ahimeir, un Israélien de 14 ans qui était parti faire du pastoralisme ce matin-là depuis l’avant-poste Malachei HaShalom («Anges de la paix»), récemment «légalisé». Lorsque les autorités israéliennes ont retrouvé le corps d’Ahimeir le lendemain et l’ont déclaré victime du terrorisme, le saccage des communautés palestiniennes environnantes par les colons battait déjà son plein [1].

Selon le groupe de défense des droits de l’homme Yesh Din [en hébreu le nom signifie «Il y a une loi»: organisation fondée en 2005 par un groupe de femmes, elle intervient en Israël et en Cisjordanie], les colons israéliens ont attaqué 11 villages et villes palestiniens au cours de la seule journée de samedi 13 avril. Ils ont jeté des pierres, incendié plus de 100 véhicules, endommagé des dizaines de maisons et ces commerces et abattu des centaines de têtes de bétail. Dans le village de Beitin, près de Ramallah, des colons ont abattu Omar Hamed, 17 ans. A Al-Mughayyir, un peu plus au nord, Jihad Abu Aliya, 25 ans, a été tué dans des circonstances encore peu claires: des colons attaquaient le village à ce moment-là, mais l’armée israélienne a déclaré qu’Abu Aliya avait été tué par leurs tirs. Un autre incident filmé par une caméra de surveillance montre des soldats israéliens montant la garde pendant que des colons mettent le feu à une voiture dans la ville de Deir Dibwan, également près de Ramallah.

Les pogroms se sont poursuivis lundi, lorsque des colons israéliens ont abattu deux bergers palestiniens – Abdelrahman Bani Fadel, 30 ans, et Mohammed Ashraf Bani Jama, 21 ans – sur des terres appartenant au village de Khirbet al-Tawil, à l’est de la ville d’Aqraba, près de Naplouse. Selon les témoignages des villageois, un important groupe de colons, dont certains étaient armés, a pénétré sur des terres palestiniennes privées, près des maisons, vers 16 heures avec un troupeau de vaches. En effet, les colons préfèrent de plus en plus les vaches aux moutons et aux chèvres parce qu’elles mangent plus et sont plus difficiles à effrayer [ce choix s’inscrit dans la politique de refoulement territorial des Palestiniens]. Plus tard, d’autres colons sont arrivés, certains armés et masqués. Des soldats sont également arrivés sur les lieux.

Peu après, selon des témoins directs, en plein jour, les colons ont ouvert le feu sur les Palestiniens, tuant les deux hommes. Le porte-parole des Forces de défense israéliennes (FDI) a annoncé par la suite que les soldats n’étaient pas à l’origine de la fusillade. L’événement a été diffusé en direct sur la page Facebook de la ville palestinienne voisine; dans la vidéo, on peut entendre des dizaines de coups de feu retentir en plusieurs salves, pendant plus d’une minute.

Nidal, dont le cousin, Abdelrahman, a été tué hier et qui était présent sur les lieux, a déclaré à +972: «J’ai dit aux soldats de pousser les colons dehors et nous partirons. Certains avaient des armes et des gourdins, d’autres étaient masqués.» Selon Nidal, l’un des colons a alors aspergé l’un des Palestiniens de gaz poivré et une bagarre s’en est suivie. «Les soldats ont tiré en l’air et, quelques secondes plus tard, les colons ont tiré, de plus près, avec des M16», a-t-il déclaré. «Je vis ici depuis 35 ans, il n’y a pas de loi ici. Les colons sont au-dessus de la loi.»

Pour l’instant, il semble que les autorités israéliennes prennent l’incident au sérieux: l’armée n’a pas autorisé l’évacuation des corps, les transférant plutôt au Centre national de médecine légale pour autopsie, ce qui pourrait théoriquement permettre à la police d’identifier les tireurs. Mardi matin, des agents de l’unité de médecine légale de la police ont été vus sur les lieux de la fusillade, rassemblant des preuves et photographiant la zone.

Les chances qu’un colon violent soit traduit en justice en vertu du droit israélien sont toutefois extrêmement faibles: depuis 2005, seuls 3% des dossiers ouverts par la police israélienne concernant des violences commises par des colons ont abouti à une condamnation. En réponse à notre demande de commentaire, la police a déclaré qu’aucune arrestation n’avait eu lieu jusqu’à présent en rapport avec l’incident.

Les soldats sont restés les bras croisés et ne sont pas intervenus

Mardi, à Aqraba, dans la tente servant de recueillement pour le deuil, Maher Bani Fadel, père d’Abdelrahman, a expliqué l’incident. «Au début, ils sont arrivés – quatre colons avec leur bétail – et sont allés dans l’oliveraie près des maisons. Ils ont appelé d’autres colons: quelques dizaines sont venus et ils nous ont jeté des pierres. Nous étions une vingtaine, et quatre ou cinq soldats étaient présents. Les colons nous ont tiré dessus à balles réelles, peut-être 30 à 40 balles, à quelques mètres de distance. Beaucoup d’entre eux avaient des armes; je ne sais pas lesquels ont tiré. Il s’agit de nouvelles armes qu’ils ont reçues de [Itamar] Ben Gvir, le ministre israélien de la Sécurité nationale. Lorsque l’armée a vu les deux cadavres, elle a commencé à séparer [les colons et les Palestiniens]». Maher Bani Fadel a ajouté qu’il avait reçu un coup de gourdin et une pierre au cours de l’incident. Avant la fusillade, «nous avons dit [aux colons] qu’ils n’avaient pas le droit d’être ici. Ils ont dit que le gouvernement leur avait donné la permission, mais c’est une terre qui appartient à nos parents et à nos grands-parents.»

Le maire d’Aqraba, Saleh Jaber, qui est arrivé sur les lieux avant la fusillade, nous a déclaré: «Des habitants m’ont appelé pour me dire qu’il y avait un troupeau [appartenant à des colons] près des maisons. Nous avons contacté l’administration civile [la branche bureaucratique de l’occupation israélienne], mais la police n’est arrivée qu’après la tuerie.»

Le porte-parole des FDI a annoncé après l’incident que des soldats étaient arrivés dans la région après des rapports faisant état d’une attaque de Palestiniens contre un berger juif. Jaber rejette cette interprétation des événements et précise que ce sont des colons qui ont lancé l’attaque. «Il n’est pas vrai que les bergers ont attaqué», a-t-il déclaré. «J’étais présent et les bergers palestiniens n’ont pas attaqué. Les colons qui ont tiré étaient habillés en civil et armés de M16. Les soldats ont d’abord tiré en l’air, puis les colons ont tiré [sur les Palestiniens]. Les soldats sont restés là sans intervenir.»

Il y a environ un mois, des soldats israéliens ont abattu le berger palestinien Fakher Jaber, 43 ans, dans la même zone. Selon un témoignage publié par Haaretz (article de Gideon Levy dans Haaretz du 6 avril 2024), Jaber était assis sous un arbre lorsqu’il a été abattu. Dans ce cas également, le porte-parole des FDI a affirmé que l’armée était arrivée sur les lieux à la suite d’un rapport faisant état d’une attaque contre un colon.

Dror Etkes, chercheur auprès de l’organisation Kerem Navot – qui suit de près la mainmise d’Israël sur les terres palestiniennes en Cisjordanie – a confirmé que l’attaque avait eu lieu sur des terres palestiniennes privées. Ces dernières années, deux avant-postes de colons [qui ont pour fonction de préparer l’extension de la colonisation] ont empiété sur les terres palestiniennes de la région: «Jackson’s Farm», près de la colonie de Gitit, et «Itamar Cohen’s Farm», au nord. «Les colonies, les avant-postes, les zones de tir et les déclarations de terres domaniales se rapprochent d’Aqraba et des communautés de la région depuis trois directions», a déclaré Dror Etkes. «Elles ont beaucoup de terres fertiles et sont donc devenues un objectif pour la spoliation.»

Le mois dernier, l’Etat israélien a déclaré 8160 dunams (environ 809 hectares) de terres à Aqraba comme «terres d’Etat», sans compter les terres où les deux bergers ont été abattus lundi. Selon Saleh Jaber, la prise de contrôle des terres palestiniennes dans la région s’est accélérée sous le gouvernement israélien d’extrême droite. «Leur objectif est de s’emparer de toutes les terres de la vallée du Jourdain. Ce qui s’est passé [lundi] est le résultat direct du harcèlement des colons et de l’expropriation des terres.»

Les colons sont revenus cinq fois

Une autre localité palestinienne durement touchée par les attaques des colons samedi est Douma. Selon des habitants qui ont parlé à +972, environ 200 colons – dont beaucoup étaient masqués et certains armés – ont fait irruption dans la bourgade peu après la découverte du corps de l’adolescent Ahimeir. Ils ont mis le feu aux maisons, aux voitures et au matériel agricole, et ont attaqué les habitants. Des soldats étaient également présents, comme le montrent les vidéos de cette attaque, et ont même tiré des gaz lacrymogènes sur les Palestiniens qui tentaient de repousser les colons.

«S’ils n’étaient pas masqués, j’aurais pu les reconnaître», a déclaré Murad Dawabsheh, 52 ans, père de cinq enfants, à propos des colons qui ont attaqué sa maison samedi. Avant le 7 octobre, il travaillait comme ouvrier du bâtiment dans l’une des colonies voisines. Parlant à +972 dimanche, il était assis devant son jardin brûlé et offrait aux visiteurs quelques feuilles qu’il avait réussi à sauver des plantes noircies.

Outre le jardin, les colons ont réduit en cendres un petit bâtiment situé à côté de sa maison, qui servait de bureau et de salle de stockage, ainsi qu’un entrepôt contenant des planches de construction en bois d’une valeur de plusieurs milliers de shekels. Les assaillants ont également tenté de mettre le feu à la porte d’entrée de la maison en utilisant des vêtements et des chaussures qu’ils avaient trouvés à proximité. «Il y avait des soldats avec eux», raconte Murad Dawabsheh. «Quand je les ai vus arriver, je suis entré dans la maison. Plus tard, j’ai ouvert la porte un instant, j’ai versé de l’eau et j’ai repoussé les vêtements en feu avec mon pied. Les colons sont revenus cinq fois.»

Dans son ancien bureau, les colons ont mis le feu à de nombreux livres, y compris des livres religieux et des poèmes. «Ce sont mes archives», déplore-t-il. «Qui brûle des livres? Je comprends l’hébreu, je les ai entendus se dire qu’il fallait brûler la maison grise [le bâtiment principal où se cachait la famille de Dawabsheh]. Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur pour moi, j’ai eu peur pour ma femme et mes enfants.»

Le chef du conseil municipal, Hussein Dawabsheh, nous a déclaré que, selon les premières informations, trois bâtiments agricoles et sept maisons ont été partiellement brûlés pendant l’attaque, et cinq maisons ont été complètement brûlées. Quinze véhicules, une pelleteuse et trois tracteurs, des terres agricoles et des oliviers ont également été incendiés.

«Nous sommes tous en danger lorsque l’armée entre avec les colons», a-t-il déclaré. «Les colons formaient un important groupe. Les plus âgés ont donné des instructions aux plus jeunes – où aller et quoi brûler.» Selon Hussein Dawabsheh, l’armée a empêché les camions de pompiers et les ambulances d’entrer dans le village pendant l’attaque.

«Si les habitants n’avaient pas fui, des familles entières auraient brûlé»

La plupart des dégâts causés par l’attaque de Douma se sont produits dans le quartier de Khalat al-Dara, situé parallèlement à la route d’Alon qui relie la région de Ramallah à la vallée du Jourdain. Dimanche, Mohammed Salawdeh se trouvait dans son atelier et évaluait les dégâts considérables. Ici, comme dans d’autres maisons, on pouvait voir des tas de paille et de brindilles dans différents coins de la maison, preuve des tentatives des colons de mettre le feu au bâtiment.

Lorsque l’attaque a commencé, Mohammed Salawdeh s’est réfugié dans une autre maison située dans une partie plus sûre et plus centrale du village. «En chemin, nous avons vu des gens armés – certains avec des bouteilles d’essence et des cocktails Molotov, d’autres en uniforme militaire – protégés par l’armée. Si quelqu’un essayait de défendre [le village], ils lui tiraient dessus.»

A quelques mètres de la maison de Mohammed Salawdeh se trouvent les restes calcinés de la maison de son parent, Anwar Salawdeh. L’élégante maison, qu’Anwar, 27 ans, venait à peine de finir de construire et de meubler, a été incendiée par des colons samedi, causant d’importants dégâts.

«J’ai quitté l’école pour travailler à l’âge de 13 ans et j’ai économisé depuis jusqu’à ce que je puisse construire une maison», nous a confié Anwar, la voix étouffée. «Au moment de l’attaque, je travaillais à Anata [une ville palestinienne près de Jérusalem]; je ne suis revenu qu’aujourd’hui. Le coût de la construction de la maison s’élève à environ 150’000 NIS (environ 40’000 dollars). «J’ai encore 100’000 NIS d’emprunt. J’ai commencé à construire la maison en 2020 et j’ai terminé cette année avec l’intention de me marier et de vivre ici», poursuit Anwar Salawdeh, en me montrant des photos de la maison avant qu’elle ne soit détruite.

Ailleurs dans le quartier, Mohammed Rashid Dawabsheh est resté pour protéger sa maison pendant l’attaque, après que sa femme Abir s’est enfuie en voiture avec leurs quatre enfants et un autre parent en direction du centre-ville lorsque les colons sont arrivés. «Lorsque j’étais dans la voiture, j’ai vu un colon vêtu de noir ouvrir le feu», nous a déclaré Abir. L’appartement du bas de l’immeuble, qui avait été récemment rénové, a subi d’importants dégâts: les fenêtres ont volé en éclats, et les pierres que les colons ont lancées ainsi que les traverses de bois qu’ils ont enfoncées dans les fenêtres brisées pour pousser de la paille brûlante à l’intérieur sont encore visibles.

Pendant l’attaque, Mohammed Rashid Dawabsheh s’est caché dans la cage d’escalier du bâtiment et a bloqué la porte à l’aide d’une poutre en bois. «Je les ai entendus dire: “Ouvre, fils de pute”. Je me suis caché, puis je suis monté sur le toit et je me suis caché derrière un cagibi.»

Selon Mohammed Rashid Dawabsheh, quatre jeeps militaires israéliennes étaient positionnées à l’extérieur de la maison, d’où elles ont tiré des grenades de gaz lacrymogènes sur les habitants qui tentaient de se protéger, eux et leurs biens. Dimanche, on pouvait voir de nombreux restes de grenades lacrymogènes dispersées autour du site.

«Trois minutes après la fuite de ma famille, [les soldats] sont venus ici. Après plusieurs minutes, les colons ont continué à avancer et une partie de l’armée est restée ici. Les soldats ont ouvert la voie aux colons et les ont laissés attaquer.» Sur la route près de sa maison, il y a toujours une barrière de pierre érigée par les colons «pour que les ambulances et les secours ne puissent pas arriver», ajoute Mohammed.

Le village de Douma a fait la une des journaux en Israël et dans le monde entier en 2015 après qu’un colon israélien, Amiram Ben Uliel, a mis le feu à la maison de Sa’ad et Riham Dawabsheh, les tuant ainsi que leur fils de 18 mois, Ali. Ahmad, le frère de Sa’ad, a subi de graves brûlures lors de l’attaque. Depuis lors, il n’y a pas eu d’attaques de cette ampleur dans le village, et le pogrom de samedi a évoqué des souvenirs traumatisants.

«Bien sûr, cela nous rappelle ce qui est arrivé à la famille Dawabsheh», a déclaré Mohammed Dawabsheh. Sa maison, comme beaucoup d’autres dans le village, a un grillage épais couvrant les fenêtres pour rendre impossible l’introduction d’objets enflammés – une leçon apprise de 2015. «Il n’y a aucune sécurité, ni sur les routes ni à la maison», a ajouté le chef du conseil. «Si les habitants n’avaient pas fui, des familles entières auraient été brûlées dans leurs maisons.»

Dans une déclaration à +972 un porte-parole de l’armée israélienne a expliqué la présence des soldats dans le village: «Samedi, les forces de l’armée israélienne ont opéré dans toute la Judée et la Samarie afin de dissiper les conflits qui se sont développés dans la région et de protéger les biens et les vies de tous les civils. Toute plainte reçue au sujet d’un comportement inapproprié de la part de soldats des FDI sera examinée comme il est d’usage et traitée en conséquence.»

+972 a contacté la police pour savoir si des suspects dans les attaques de Douma et d’autres villages au cours du week-end ont été arrêtés; leur réponse sera ajoutée au fur et à mesure qu’elle sera reçue. (Article publié par +972 le 18 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] BTselem, Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés, écrit le 21 avril 2024: «Au cours du week-end qui a débuté par le meurtre de l’adolescent israélien, des milices de colons armés ont envahi des villages palestiniens et incendié des maisons. Elles ont tiré sans raison, tuant un habitant d’al-Mughayir et en blessant beaucoup d’autres. L’armée les a soutenues et, dans certains cas, les a aidées. Le régime israélien d’apartheid et d’occupation a le devoir de protéger toutes les personnes sous son contrôle. Pourtant, le gouvernement abdique régulièrement cette responsabilité [règle qui devrait s’appliquer à toute puissance occupante] – en ce qui concerne ses citoyens captifs à Gaza et ses sujets palestiniens en Cisjordanie.»

Le 13 avril, le corps de Benyamin Achimeir a été retrouvé. «L’armée israélienne a déclaré qu’il avait été tué dans une “attaque terroriste” […] Lundi 21 avril, l’agence de sécurité israélienne Shin Bet, la police israélienne et l’armée israélienne ont déclaré qu’Ahmed Dawabsha, 21 ans, avait été arrêté dans la nuit pour le meurtre de Benyamin Achimeir et qu’il était “impliqué dans l’attaque”. Ahmed Dawabsha est originaire du village de Douma, précise le communiqué. Le village – qui, comme Mughayir, est situé au nord de la ville de Ramallah – est celui où un colon a assassiné trois membres d’une famille palestinienne dans un incendie criminel en 2015.» (BBC, 22 avril 2024) (Réd.)

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Opération israélienne dans le camp de réfugiés Nour Shams en Cisjordanie: «Ce qui s’est passé ici me rappelle 1948»

Maison détruite dans le camp de Nour Shams. (Crédit: Deiaa Haj Yahia)

Par Deiaa Haj Yahia

Un peu moins d’une semaine après la fin du Ramadan, alors que les décorations de fête recouvrent encore les maisons piteuses, les résidents du camp de réfugiés de Nour Shams, près de Tulkarem, en Cisjordanie, se retrouvent dans une situation désespérée.

Une opération menée par les forces de sécurité israéliennes, qui a débuté le 18 avril et a duré plus de 50 heures, a laissé des destructions massives dans son sillage. Il n’y avait ni électricité ni eau, et les eaux usées coulaient dans les rues du camp. Quelques heures après le départ des troupes, l’endroit est resté meurtri, abîmé et épuisé.

Les traces de l’assaut sont omniprésentes. Les balles et les grenades ont laissé des trous béants dans les murs des maisons. Des fragments d’obus et de missiles LAU jonchent les espaces libres. Les deux jours de combats entre l’armée et des militants ont fait 14 morts parmi ces derniers, selon les autorités sanitaires palestiniennes.

Des témoins affirment qu’un grand nombre de forces israéliennes sont entrées à Nour Shams dans l’après-midi du 18 avril. Plus de 120 véhicules transportant des dizaines de soldats se sont frayé un chemin dans les rues étroites du camp. Pendant les deux jours qui ont suivi, les habitants ont été assiégés, incapables de quitter leurs maisons. Certains sont restés bloqués à l’extérieur du camp. Les tirs étaient incessants, tandis que des drones planaient au-dessus de la zone pendant tout ce temps.

«Près de la moitié des maisons du camp ont été détruites ou endommagées lors de l’assaut», a déclaré Imad Jabber, un habitant, à Haaretz. «J’étais chez moi avec ma femme et mes enfants lorsqu’un grand nombre de soldats sont entrés dans le quartier, accompagnés de tirs incessants.»

Deux jeunes hommes – qui, selon lui, n’étaient pas armés – se sont réfugiés dans sa maison et ont été suivis par des soldats israéliens, qui sont entrés par effraction. «Après que nous avons quitté [la maison], ils [les soldats] ont commencé à lancer des grenades à l’intérieur de la maison et à tirer des missiles LAU. Toute la maison a été détruite», a expliqué Imad Jabber. «Les soldats ne leur ont pas donné l’occasion de parler avant de leur tirer dessus.»

Le camp est aujourd’hui en mauvais état [les routes sont défoncées, ce qui est une pratique courante par l’armée d’occupation]. Les poteaux électriques sont tombés et les câbles pendent dans les airs, mettant en danger les passants. Les pleurs de deuil se font entendre un peu partout.

Anas Hammad, un autre habitant de Nour Shams, s’est dit très inquiet de la suite des événements et s’est demandé si le camp pourrait être reconstruit. «Il n’y a pas d’institutions officielles pour prendre la responsabilité de réparer les dégâts», a-t-il déclaré. «L’Autorité palestinienne nous traite comme des citoyens de seconde zone, et c’est donc à nous qu’incombera le fardeau de la reconstruction.» Cette tâche prendra des mois, voire des années. «Nous continuerons à souffrir pendant tout ce temps d’une incertitude chronique.»

Le besoin d’aide étant plus urgent que jamais, les organisations internationales collaborent avec les militants locaux pour organiser des livraisons de nourriture, d’eau et de médicaments. «Le camp est devenu impossible à habiter, il ressemble à Gaza», a déclaré Imad Jabber, ajoutant que depuis trois jours, son fils en bas âge n’a pas mangé de nourriture correcte.

Imad Jabber estime que l’assaut de l’armée ne fera qu’accroître la colère des habitants du camp et aboutira aux résultats inverses de ceux escomptés par l’opération. «Tant que l’armée emploiera une force excessive, affirme-t-il, la résistance des jeunes ne cessera de croître – ce n’est pas une solution.» Selon lui, l’histoire enseigne que le recours à la force n’a jamais été bénéfique pour Nour Shams. «Le camp n’a pas connu la paix depuis 1948, mais malgré la douleur et la souffrance, nous restons debout.»

Shadi Qassem, dont la maison a été touchée par un missile LAU, raconte que «les soldats ont poursuivi les jeunes hommes, dont certains n’étaient pas armés. Ils sont arrivés devant notre maison et leur ont demandé de sortir. L’un d’entre eux l’a fait, les mains levées, et ils lui ont tiré dessus». [Ce type de raid, qui s’inscrit dans la colonisation par refoulement, selon la formule d’Henry Laurens, explique la volonté de résistance de la jeunesse et dès lors l’audience actuelle auprès d’elle du Hamas, en Cisjordanie. – Réd.]

Un petit drone a été utilisé pour faire exploser la porte d’entrée de la maison, après quoi les soldats sont montés au deuxième étage, où se trouvaient des femmes et des enfants en bas âge. «J’ai eu très peur et nous sommes encore sous le choc aujourd’hui.»

Au milieu des ruines de sa maison se trouve l’orgue électrique d’Imad Jabber, qui est sa seule source de revenus. Il accuse les soldats d’avoir intentionnellement détruit l’instrument. «L’orgue était le symbole de la force de l’esprit et de la créativité, et maintenant c’est un souvenir de perte et de douleur», a-t-il déclaré.

Nasat Azzam, membre du comité populaire du camp, se tenait au milieu des ruines, regardant une rue qui avait tant changé au cours de la semaine précédente. Il parle d’une voix brisée: «Il est encore difficile pour nous d’évaluer l’étendue des dégâts. Ce qui s’est passé ici rappelle 1948, tel qu’on nous l’a raconté. Maintenant, nous en avons fait l’expérience nous-mêmes», affirmant qu’il continuerait à se battre pour un avenir meilleur. Derrière lui, des volutes de fumée s’élèvent des ruines.

Les FDI ont répondu à Haaretz que «les FDI ont mené une vaste opération à Nour Shams au cours de laquelle elles se sont livrées à de fréquents affrontements avec des tirs d’armes à feu et l’utilisation d’explosifs. En conséquence, des dizaines de soldats ont été légèrement ou moyennement blessés.»

L’armée a déclaré qu’elle n’avait connaissance d’aucun cas où des soldats auraient tiré sur des personnes non armées. «Les incidents feront l’objet d’une enquête [une de plus – réd.] au fur et à mesure qu’ils seront connus», a ajouté l’armée. (Article publié par Haaretz le 22 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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