Algérie. Le 8 mars: «Un moment de lutte, une séquence d’une longue marche de la dignité pour les droits des femmes»

Par Amel Blidi

Le ton a été donné sur les réseaux sociaux, où des dizaines de vidéos sont postées sous le hashtag «le 8 Mars n’est pas une fête» et dans lesquelles des femmes expliquent les raisons pour lesquelles la lutte des Algériennes doit se poursuivre.

Plusieurs appels pour une marche des femmes, ce dimanche 8 mars, ont fleuri à travers tout le territoire national.

Emanant de plusieurs associations de femmes, telles que le réseau Wassila, Femmes algériennes pour un changement vers l’égalité, le Collectif des femmes d’Aokas et le Collectif libre et indépendant des femmes de Béjaïa, Assirem N’yellis N’Djerdjer, Bnet El Houria et d’autres encore, l’initiative est placée sous le slogan «Le 8 Mars n’est pas une fête, c’est la Journée internationale de la lutte pour les droits de la femme».

• L’idée est de rendre à la journée du 8 mars son cachet politique et militant et dénoncer, par là même, un glissement sémantique faisant de cette journée une «fête» où les revendications des femmes étaient, plusieurs années durant, étouffées par les youyous et la zarnadjia [musique souvent utilisée pour les mariages].

Cette année donc, le cœur n’est pas à la fête. «Nous ne pouvons pas faire la fête, alors que nous avons un code de la famille méprisant, faisant des femmes des mineures à vie; nous ne pouvons pas faire la fête, alors qu’il n’y a que 18% de femmes sur le marché du travail; nous ne pouvons pas faire la fête alors que nous n’avons pas trouvé une solution radicale à la violence et au harcèlement à l’encontre des femmes», proclame la militante féministe Amel Hadjadj dans une vidéo sur Facebook.

Et de poursuivre: «Le 8 Mars n’est pas une fête, mais la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Nous sommes dans un contexte particulier où l’on réclame un changement radical et une Algérie libre et démocratique. La démocratie ne peut se réaliser sans accorder les droits à toutes les catégories de la société. La célébration de cette journée constituait une manière de prendre à la légère les droits des femmes, de cette journée et de son contenu politique. C’est une opération visant à vider cette journée de son contenu politique.»

• Aussi, et pour changer l’image de cette journée, les associations appellent les femmes à revendiquer leurs droits dans la rue partout en Algérie: une marche est ainsi prévue à Alger devant le portail de la faculté d’Alger à 14h, une autre à Béjaïa, près de la maison de la culture Taos Amrouche dès 13h, une marche devrait s’ébranler à Oran, dès 14h à partir de la place d’Armes, Le Collectif des femmes libres de Bouira a décidé de marcher, dès 13h30, de la porte de l’université jusqu’à la Maison de la culture…

Le rassemblement des femmes de Constantine, en coordination avec les étudiants du CEC (Collectid des étudiant·e·s de Contantine), organise une journée portes ouvertes (à partir de 10h30 au département langues à l’université de Constantine) sur l’origine de la journée du 8 Mars et de lui rendre son cachet politique en tant que journée de lutte et non pas de célébration. Ce sera aussi l’occasion d’évoquer les questions de harcèlement scolaire contre les femmes.

• Le ton a été donné sur les réseaux sociaux, où des dizaines de vidéos ont été postées sous le hashtag «le 8 Mars n’est pas une fête» et dans lesquelles des femmes expliquent les raisons pour lesquelles la lutte des Algériennes doit se poursuivre.

Elles invitent les femmes à revendiquer leurs droits à l’occasion de cette journée symbolique. «Le 8 Mars ne doit pas être une journée folklorique, mais une journée qui nous rappelle que nous avons des droits à revendiquer, que nous avons un combat à poursuivre.

C’est un jour de rappel des luttes journalières. Pourquoi je me bats en tant que femme algérienne? Mon quotidien se résume à me battre contre un système profondément misogyne, d’un côté, et un patriarcat que l’on croirait presque inscrit dans l’Adn du peuple, de l’autre.

De ce fait, je ne pourrais jamais me soumettre ni à un Etat qui m’outrage à travers ses lois que je n’ai à aucun moment votées, ni à un patriarcat qui s’acharne à faire de moi une propriété privée», souligne une jeune fille dans une vidéo postée sur Facebook.

Une militante embraye: «Le système algérien a longtemps fait en sorte que cette journée soit une fête. Nous sommes d’ailleurs l’un des rares pays qui ont une demi-journée pour les femmes. Au nom des gâteaux et des roses distribués ce jour-là, il y a un code de la famille qui outrage nos droits.»

L’initiative est reprise également par Nadia Chouitem, députée du Parti des travailleurs, qui appelle à faire de ce 8 mars 2020 une «journée révolutionnaire». «Ce 8 mars 2020, dit-elle, intervient dans un contexte marqué par un élan révolutionnaire visant une rupture avec le système et avec ses politiques.

Pour ce qui nous concerne, il est temps aujourd’hui d’abroger le code de la famille, mis en place en 1984 par l’ex-parti unique (…) le 8 mars 2020 devrait être celui de la rupture avec les politiques du système rétrogrades et autoritaires afin de permettre l’égalité des droits entre les citoyens.» (Article publié par El Watan, en date du 8 mars 2020)

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«La femme, un acteur majeur du hirak»

Par Karim K.

La lutte des femmes est avant-gardiste vu qu’elles sont victimes d’une double oppression aujourd’hui: celle du pouvoir et de ses lois et celle de la société et de ses convictions conservatrices.

Le constat est unanime: lorsqu’en février 2019, le mouvement populaire avait décidé d’investir, de façon inédite et spectaculaire, la rue pour dire «non» à un cinquième mandat, peu de voix pariaient sur une forte présence féminine. L’appréhension tenait à la fois des pesanteurs sociologiques, mais aussi de la crainte des dérapages dans un pays qu’on a décrété à tort de «violent, et de la dépolitisation dont on affublait ce segment de la société.
Pourtant, au troisième vendredi, coïncidant avec le 8 Mars, elles étaient des milliers, dans plusieurs wilayas du pays à rejoindre les manifestations pour crier, elles aussi, leur refus de l’ordre établi et clamer leurs aspirations à une nouvelle Algérie.

Cette implication qui ne s’est jamais démentie depuis, a non seulement bousculé l’«ordre moral», subrepticement installé depuis la décennie noire, mais également conféré au mouvement, de l’avis de tous et toutes, son caractère pacifique. S’il faut sans doute se garder de tirer des conclusions hâtives sur tous les aspects de l’apport de cette présence féminine dans le mouvement, il reste que tous s’accordent à dire qu’elle a pu changer le «regard» des Algériens, mais aussi introduit dans le débat, même s’il est amorcé timidement, la place qui lui revient de droit en tant qu’acteur social à part entière.

«La présence des femmes dans la rue impose de fait le maintien du caractère pacifique. Nous sommes dans une société qui sacralise la femme en tant que ‘mère’, que ce soit dans le regard des manifestants ou des services de l’ordre. Il y a aussi la présence des enfants. Ce que je retiens, c’est la présence des femmes dans le débat public, non pas en tant que mère, sœur ou femme simplement, mais en tant que force politique. Il y a tout un débat qui, pour l’heure, relève de la polémique. C’est une belle avancée», analyse Tin-Hinane Makaci, féministe et journaliste.
Selon elle, cet investissement des femmes a permis également d’entretenir la revendication progressiste et démocratique. «Les femmes posent la question des inégalités, que ce soit en genre ou en économie. De fait, la lutte des femmes est avant-gardiste vu qu’elles sont victimes d’une double oppression aujourd’hui: celle du pouvoir et de ses lois et celle de la société et de ses convictions conservatrices. Elles se battent autant pour changer la société que pour changer le système», résume-t-elle.

Parce qu’elles vivent dans leur chair et en première ligne les effets pervers de la crise sur leur progéniture, comme la harga [émigration clandestine, si dangereuse], la déperdition scolaire ou encore le chômage, que leur implication pouvait apparaître naturelle, imprimant de fait à la formidable mobilisation populaire ce qui prend les relents d’une douce «révolution culturelle» d’autant qu’elle est appuyée par des figures révolutionnaires et historiques de renom, à l’image de Louisette Ighilahriz [née en 1926, militante nationaliste durant la guerre est présente dans le hirak] ou encore Djamila Bouhired [née en 1935, miliante du FLN, condamnée à mort pour «terrorisme» par le pouvoir colonial, libérée en 1962 suite à unev vaste campagne, elle est présente dans le hirak]. S’affirme aujourd’hui l’émergence de certaines figures du hirak, telles que Samira Messouci ou encore Nour El-Houda Oggadi.

«La femme algérienne investit l’espace public et contribue à changer l’image de la société algérienne. Elle mène une révolution culturelle sur le terrain. Elle prend la parole devant le public et défend ses avis politiques. Le hirak est une opportunité historique pour afficher les transformations positives que vit la société depuis des années», relevait récemment le sociologue, Nacer Djabi.

Il reste qu’au-delà de ces aspects, le chemin vers une véritable émancipation s’annonce encore long. «Le chemin est encore long, car pour le moment les seuls à porter cette lutte, ce sont les féministes», observe, avec un tantinet de dépit, Tin-Hinane Makaci. (Article publié dans Liberté-Algérie en datedu 9 mars 2020)

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La voix des femmes révoltées enflamme Alger: «Il n’y a pas de festivités, il y a des manifs!»

Par Mustapha Benfodil

«N’offrez pas de fleurs, le 08 Mars n’est pas la Saint-Valentin», gronde une bannière brandie par une manifestante qui paradait, hier, dans les rues d’Alger. Sur d’autres pancartes, on peut lire ce même message: «On n’est pas venues faire la fête, on est venues pour que vous partiez».

Comme en écho à ce slogan, la foule, composée essentiellement de femmes, des femmes de tout âge et de toute condition, scandait: «Ma djinache nahtaflou ya issaba, djina bach tarahlou ya îssaba!» (On n’est pas venus faire la fête, on est venus pour vous obliger à partir). On l’aura compris: ce 8 mars 2020 a des accents insurrectionnels et vient rappeler comme de juste que cette date symbolique, c’est avant tout un moment de lutte, une séquence d’une longue marche de la dignité pour les droits des femmes.

«Les Algériennes portent le Hirak»

Une manif’ était annoncée pour 14h, avec, comme point de départ, le carré féministe qui prend habituellement place près du portail latéral de la Fac centrale, pas loin de la place Audin. Vers 13h45, en nous approchant du point de rendez-vous, on aperçoit un cortège qui s’ébranle en direction de la Grande-Poste. Constitué au début de quelques dizaines de personnes, il va grossir au fil de la manif’ jusqu’à atteindre plusieurs centaines de manifestantes.

A hauteur de la Grande-Poste, le cortège tourne vers Pasteur, puis emprunte la rue Khemisti jusqu’au carrefour qui donne sur le boulevard Amirouche. La foule scande les slogans habituels du hirak: «Dawla madania, machi askaria!» (Etat civil pas militaire), «Qolna el îssaba t’roh!» (On a dit la bande doit partir), «Djazaïr horra dimocratia!» (Algérie libre et démocratique)… Sur les pancartes qui défilent, on pouvait lire: «Il n’y a pas de festivités, il y a des manifestations!» «Vive la femme algérienne libre!» «08 Mars, article 8», «Women are the soul of the revolution» (Les femmes sont l’âme de la révolution), «La voix de la femme est une révolution», «Révolte-toi, résiste, défie», «08 mars 2020 avec le hirak»…

Des bannières sont hissées avec ces messages: «Nous sommes fortes, nous sommes fières, nous sommes les grandes gagnantes», «Les Algériennes ont porté toutes les guerres, tous les mouvements. Aujourd’hui, elles portent le hirak». Une femme manifeste avec son fils en arborant cet écriteau: «Le peuple est roi, veut un Etat de droit». Plusieurs mères de disparus participent à la marche. L’une d’elles écrit: «Nous sommes les mères qui luttent depuis 25 ans pour connaître la vérité sur le sort de nos enfants disparus après leur arrestation par les services de sécurité».

«Toutes dans la rue pour la justice et l’égalité!»

Melissa, diplômée de l’Ecole polytechnique, s’est fendue pour sa part de cette sentence cinglante: «La femme qui a porté des bombes pendant la Révolution n’accepte pas l’humiliation». Daouïa, étudiante en architecture à l’EPAU [Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme], défile avec ce mot d’ordre: «Travailleuses, étudiantes, femmes au foyer, toutes dans la rue pour la justice et l’égalité en droits».

Pour elle, dire que «ce n’est pas le moment de parler des droits des femmes», comme on a pu l’entendre, n’a aucun sens. «Bien sûr que c’est une question légitime que de parler des droits des femmes! Parce qu’on ne peut pas parler de démocratie s’il n’y a pas de liberté et de droits pour les femmes. Cette question ne peut pas être dissociée du combat global que mène le peuple algérien. On ne peut pas se battre pour une Algérie démocratique, une Algérie libre, si les femmes ne sont pas libérées», tranche la jeune étudiante.

La manifestation poursuit sa progression, s’engouffre dans la rue Asselah Hocine. Des youyous stridents fusent, soutenus par un concert de klaxons. Ambiance de feu sous le regard des forces antiémeute qui se gardent d’intervenir, contrairement à samedi dernier où de terribles violences policières se sont abattues sur les manifestants [qui réclamaient la libération des prisonniers politiques]. Lorsque le cortège arrive aux abords de la rue Abane Ramdane, un cordon de sécurité tente d’empêcher la foule d’avancer.

La crue humaine finit par déborder le mur d’uniformes bleu marine. Et la marée ardente de foncer en direction du tribunal de Sidi M’hamed où comparaissaient plusieurs manifestants, dont notre confrère Khaled Drareni, arrêté la veille et placé en garde à vue au commissariat de Cavaignac. La foule martèle: «Ettalgou el massadjine, ma baouche el cocaine!» (Libérez les détenus, ce ne sont pas des vendeurs de cocaïne – allusion au fils de Tebboune). A un moment, on entend ce chant émouvant: «Ya lehrayar bravo alikoum, wel djazzair teftakhar bikoum!» (Bravo, femmes libres, l’Algérie est fière de vous).

Le cortège tourne ensuite par la rue Rachid Kssentini, qui longe le Square Port-Saïd, et se déverse sur le boulevard Zighout Youcef. Halte fracassante devant le Conseil de la nation aux cris de: «Klitou lebled ya esserraquine!» (Vous avez pillé le pays, voleurs). Un jeune lâche en direction de son copain: «Wallah nos femmes valent mieux que nos hommes!» La police barre l’accès vers l’APN [Assemblée populaire nationale]. La procession est forcée de revenir vers la rue Asselah Hocine. Les manifestants s’arrêtent un long moment à hauteur du commissariat de Cavaignac, où plusieurs voix scandent le nom du journaliste Khaled Drareni.

«Quand je sors, je veux être libre, pas courageuse»

15h30. Nous rejoignons l’autre marche, celle qui s’est ébranlée à partir du carré féministe. Chemin faisant, nous croisons une citoyenne qui remontait la rue Didouche en soulevant un grand panneau avec cette inscription: «Hirak même combat, égalité des droits». Sur l’autre face, elle a écrit: «Meilleurs vœux de liberté».

Nous retrouvons nos amies féministes à l’intersection entre la rue Didouche Mourad et le boulevard Victor Hugo. La foule clame: «Oh ya Hassiba, ouledek marahoum’che habssine, oh ya Hassiba, âla el houriya m’âwline!» (Hassiba Ben Bouali, tes enfants ne céderont pas, ils arracheront la liberté). Un peu plus bas, sur la rue Hassiba Ben Bouali justement, les militantes féministes chantent joyeusement, sur un air de Bella Ciao: «Qanoune el oussra, el onf wel hogra, yetnahwa ga3!» (Le code de la famille, la violence et la hogra – injustice, mépris–, qu’ils dégagent tous).

Une marée spectaculaire déferle sur la rue Hassiba. Des voix s’écrient: «Qanoun el oussra à la poubelle!» (Code de la famille à la poubelle). On pouvait entendre aussi: «Hoqouq nesswiya, dawla madania!» (Droits des femmes, Etat civil). Une banderole rouge est déployée avec ces mots: «Tu n’acceptes pas la hogra du système? Alors n’accepte pas la hogra contre les femmes».

D’autres banderoles disaient: «Les femmes algériennes se sont soulevées pour l’égalité», «Pas d’Algérie libre et démocratique sans les droits des femmes». Sur plusieurs feuilles de papier A4, ces revendications: «Justice sociale», «Egalité des droits», «Liberté d’expression». Une pancarte proclame: «Les femmes algériennes luttent depuis 1962 pour leurs droits de femmes et de citoyennes».  Retenons enfin cette pépite: «Quand je sors, je veux être libre, pas courageuse». Magistral! (Article publié dans El Watan, le 9 mars 2020)

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