Algérie. «27e vendredi du hirak et rejet du panel»

Par Abdelghani Aichoun

Les Algériens sont sortis, hier, pour le 27e vendredi de suite, pour réclamer une nouvelle fois le départ du système. Six mois après le début du hirak, le 22 février dernier, et alors que certains misaient sur son essoufflement durant cet été, il apparaît que la tendance est apparemment vers une plus forte mobilisation dans les semaines à venir.

Ainsi, hier, et malgré le déploiement d’un dispositif sécuritaire tout aussi important, il y avait plus de monde par rapport aux semaines précédentes. Vers 15h, le boulevard Amirouche, la place jouxtant la Grande-Poste, Audin, et une partie des rues Didouche Mourad et Hassiba Ben Bouali étaient noires de monde. Vers 16h, les manifestants continuaient toujours à affluer vers le centre d’Alger. Ce qui laisse penser qu’avec la fin de la période des vacances, il y aura certainement beaucoup plus de monde. Comme pour les vendredis passés, les manifestants ne cessaient de scander: «Manach habsine, koul djemaa khardjine!» (On ne s’arrêtera pas, chaque vendredi on sortira). «C’est presque la fin de la permanence», ironisent certains citoyens qui disent que durant les mois de juillet et d’août, ils étaient là pour assurer la continuité du mouvement en attendant le retour des plus gros contingents au mois de septembre. Le pari a donc été tenu, selon eux. Le hirak ne s’est pas arrêté durant le Ramadhan et l’été et il promet d’être plus fort d’ici les prochaines semaines.

Le Panel unanimement rejeté

Bien évidemment, et comme à chaque fois, le hirak a réagi aux développements que connaît la scène politique nationale. Hier, les manifestants qui ont marché dans la capitale, et en plus des slogans habituels, comme «Dawla madania machi askaria!» (Etat civil non militaire), étaient unanimes à rejeter le dialogue du panel. Que ce soit par les slogans ou les écriteaux, ceux-là ont, une nouvelle fois, mais d’une manière plus marquée, critiqué l’instance de dialogue que dirige Karim Younès. «Karim Younès ma imathelnach ou Gaïd Salah mayehkamnach!» (Karim Younès ne nous représente pas et Gaïd Salah ne nous gouverne pas), ont-ils crié plus d’une fois. Ils ont également repris le slogan «Makanch intikhabat ya issabat!» (Pas d’élections, bande) ou «Makanch hiwar maa issabat!» (Pas de dialogue avec les bandes).

Beaucoup de citoyens ont également exprimé leur rejet de ce panel via des écriteaux qu’ils ont brandis tout haut. «Tous ceux qui participent à la commission de la honte veulent rejoindre le système pourri», «Panel de la bande: le peuple vous rejette», lit-on sur deux pancartes. Dans le même ordre, les manifestants ont, plus d’une fois, évoqué l’article 7 de la Constitution qui stipule que «le peuple est source de tout pouvoir». «Où est l’article 7?» ont-ils scandé à cet effet. Par ailleurs, plusieurs jeunes ont porté des tee-shirts sur lesquels était portée l’inscription «7 pouvoir au peuple».

Ainsi, les Algériens ont réagi à certains membres du panel qui ont affirmé, ces derniers jours, que dans le hirak il y avait des gens qui soutiennent ce dialogue. Les politiques qui ont pris part à ce 27e vendredi sont également allés dans le même sens que la majorité des manifestants. Karim Tabbou, premier responsable de l’UDS (Union démocratique et sociale), qui a marché à Alger aux côtés de l’avocat et défenseur des droits de l’homme, Mustapha Bouchachi, et du sociologue, Nacer Djabi, a estimé que ce qu’entreprend le panel [devant mener un «dialogue»] est un «monologue». Pour lui, «le peuple a compris que le pouvoir est en train de dialoguer avec lui-même dans l’unique but de se restructurer sous d’autres casquettes».  Par ailleurs, et comme pour anticiper par rapport aux supposées visées du pouvoir en place, les manifestants ont également fustigé Ali Benflis, ex-chef de gouvernement et président de Talaie El Hourriyet [parti créé en 2015], qui a reçu avant-hier des membres du panel, et Abdelmadjid Tebboune, ex-Premier ministre également.

Libération des détenus d’opinion

Les manifestants n’ont pas aussi oublié les dizaines de détenus d’opinion qui croupissent dans les prisons en attente de leurs procès. «Libérez nos enfants!», ont-ils scandé à maintes reprises. Des manifestants ont également porté des pancartes sur lesquelles était inscrit le nom du moudjahid Lakhdar Bouregaâ, détenu à la prison d’El Harrach. D’autres ont mis la photo de ce dernier sur leurs tee-shirts. La libération des détenus reste une question très présente dans le hirak.

C’est, d’ailleurs, l’un des facteurs de blocage de tout processus de dialogue. Beaucoup de politiques ont réclamé la mise en œuvre de quelques préalables, dont justement la libération de ces détenus, dont la majorité ont été interpellés pour port du drapeau amazigh. Cela serait, selon eux, un gage de bonne volonté de la part du pouvoir en place. Certains manifestants ont par ailleurs brandi des photos de leurs proches qui sont en prison, comme ce fut le cas pour des jeunes de Aïn Benian, localité de l’ouest d’Alger, qui ont porté des tee-shirts avec les photos de deux jeunes de leur quartier, arrêtés au mois de juin dernier.

En tout cas, ces deux dernières semaines, il y a de plus en plus de monde par rapport au mois de juillet (exception faite pour le 5 juillet) et au début du mois d’août. Le hirak entame donc une courbe ascendante en termes de participation, ce qui augure d’un retour en force au mois de septembre. Et celui-ci rejette jusque-là unanimement le dialogue mené par le panel et par extension des symboles du régime Bouteflika, le chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, et le Premier ministre, Nourredine Bedoui. (Article publié le 24 août 2019, par El Watan)

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Béjaia. Une détermination inébranlable

Par Nouredine Douici

La population de Béjaïa (Kabylie) a été encore une fois au rendez-vous lors de ce 27e vendredi de protestation contre le système et les symboles qui le représentent. La rue continue de gronder, pendant que les membres du panel de médiation et de dialogue dirigé par Karim Younès poursuivent leur tournée des formations politiques et des personnalités nationales pour «vendre la feuille de route» qui consiste en l’organisation d’un dialogue national qui doit aboutir à une élection présidentielle.

A ce sujet, la population reste intransigeante, rejetant cette démarche menée sous la dictée du pouvoir réel, en l’occurrence l’état-major de l’armée. «Pas de dialogue ni de concertation, Karim Younès est à la solde du pouvoir», «Le panel à la poubelle», rétorquent les milliers de marcheurs qui ont sillonné les boulevards de la capitale des Hammadites. Déterminés à poursuivre les manifestations, ils ont réaffirmé qu’«ils ne vont pas s’arrêter jusqu’au départ de tous les symboles du système». Et de rappeler à l’homme fort du moment, Ahmed Gaïd Salah, que «Le peuple en a marre des généraux», «Dites à Gaïd Salah que nous sommes pour un Etat civil et non militaire», pour une «Algérie algérienne, démocratique, fédérale et laïque».

A l’approche de la rentrée sociale, l’appel à la grève générale et à la désobéissance civile se fait de plus en plus persistant. En ce 27e vendredi, ces appels – qui fusent principalement du carré d’un parti de gauche – ont été repris en chœur par une grande partie de manifestants. «Rahou djay el3isyan el madani» (La désobéissance civile est inéluctable), «La grève générale, jusqu’au départ du système!», «La désobéissance civile est l’unique solution à la situation!», tonnent-ils, bien que plusieurs activistes souhaiteraient soumettre préalablement cette option à un débat au milieu du mouvement.

Le chef du parti Talaie El Houriyet, Ali Benflis, qui a rencontré les représentants du panel pour le dialogue, a été hué. Le slogan «Ali Benflis dégage!» a réapparu comme pour lui reprocher «ses velléités de cautionner le plan de Gaïd Salah» à la lumière de sa dernière sortie médiatique. L’homme a été décrié à maintes reprises par les Algériens pour avoir signé de sa main la décision d’interdiction des manifestations à Alger lorsqu’il était chef du gouvernement sous Bouteflika, le Président déchu.

«Il ne peut y avoir des élections propres sous l’égide de la mafia», lit-on sur une banderole sur laquelle on peut distinguer les portraits du «quatuor»: Ahmed Gaïd Salah, Karim Younès, Nouredine Bedoui et Abdelkader Bensalah.

Les détenus du drapeau amazigh et d’opinion n’ont pas été oubliés, les manifestants ont exigé une nouvelle fois leur libération. «Libérez les détenus d’opinion!», a scandé la foule. Le vœu populaire de voir le sigle FLN mis au musée est également réapparu, en soutien à l’appel du secrétaire général par intérim de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Mohand Ouamar Benelhadj et en réponse, aussi, aux cadres du FLN qui se sont défendus alors. (Article publié dans El Watan en date du 24 août 2019)

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