Les médias et les diverses institutions gouvernementales européennes ont rebaptisé la crise capitaliste qui a explosé dès 2007 comme étant, aujourd’hui, une «crise budgétaire» ou «une crise de la dette souveraine». Cette dénomination possède l’avantage d’effacer des radars de ladite analyse économique une des racines de la crise: l’énorme redistribution, au cours des deux dernières décennies, de la richesse créée (ladite «valeur ajoutée») en faveur des sommets des classes dominantes au détriment des salarié·e·s.
La «crise des dettes souveraines» implique, selon la doxa néolibérale, que la priorité «économique» comme «politique» soit la suivante: des coupes dans les dépenses publiques – sociales en priorité – pour «éviter l’effondrement» grâce à l’obtention «d’un nouvel équilibre budgétaire».
De la sorte, «on» oublie qu’une partie de l’endettement public ne serait pas à cette hauteur sans «l’aide aux banques pour les sauver» dès 2008, sans les injections diverses attribuées à des secteurs économiques, sans les pertes fiscales provoquées par la récession de 2008-2009, sans le sous-financement d’assurances sociales, sans la défiscalisation accrue des hauts revenus et du capital.
Cela au moment où s’effectuait une distribution de deniers publics (en réalité des impôts) en faveur des détenteurs des «dettes souveraines» (les détenteurs des obligations d’Etat). Donc, en partie, ceux qui sont défiscalisés et jouissent des niches fiscales ou autres «forfaits fiscaux».
La contention des salaires et les coupes sociales, voilà une qui doit réjouir actuellement les «milieux financiers», quitte à ce que la «zone euro» soit replongée dans la récession, avec un chômage à la hausse, une précarité accrue…Il devrait avoir là un élément de réflexion pour les «socialistes» helvétiques qui envisagent le salut dans l’Union européenne (UE) dont les institutions actuelles représentent, en fait, une sorte de syndicat de banquiers et de transnationales qui dictent – sous le nom d’emprunt: «les marchés» – les politiques des gouvernement peu souverains.
Nous publions l’article ci-dessous en tant qu’élément utile d’information sur les politiques d’austérité en cours et qui s’annoncent. (Réd.)
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Sombre 1er mai! Dans toute l’Europe, les participants au défilé risquent de n’avoir qu’une angoissante question en tête: quelle rigueur va leur être imposée? Quelles renonciations sociales vont-elles être exigées? Les premiers échos du plan grec encore en discussion donne la mesure de ce qui pourrait bientôt être la norme dans toute l’Europe: une politique de déflation sociale et d’austérité généralisée.
Alors que le gouvernement grec avait déjà gelé les salaires de la fonction publique, suspendu les recrutements, annoncé un recul de l’âge de la retraite, augmenté les taxes sur les carburants et l’alcool, le FMI et l’Europe, sous l’impulsion de l’Allemagne, exigent de nouvelles restrictions. Au menu de ce qui semble déjà acquis, suppression des 13 et 14es mois de salaires pour la fonction publique, nouveau recul de l’âge de la retraite qui serait porté de 53 ans à 67 ans, hausse de la TVA et d’autres taxes indirectes, réduction de toutes les autres dépenses publiques. La potion se veut radicale pour contraindre le gouvernement grec à réduire son déficit de 10 points de PIB d’ici à 2012. Un remède de cheval dans un pays à l’économie déjà anémiée et qui ne souffre d’aucune inflation.
Les marchés, rassurés par cette intervention brutale du FMI, soufflent. Ils sont d’autant plus sereins désormais que la panique financière, cette semaine, a tétanisé les gouvernements européens. Pour éviter de se retrouver dans la même impasse que la Grèce, tous prennent les devants et se proposent de faire du FMI sans le FMI. Sus aux déficits, aux dépenses publiques, aux droits sociaux. C’est à qui aura le plus grand brevet de rigueur pour éviter de se trouver sous les feux des marchés et perdre la précieuse notation qui ouvre l’accès aux capitaux.
Sans attendre, le premier ministre portugais [«socialiste»] José Socrates a passé, dès le lendemain de la dégradation du Portugal [par l’agence de notation Standard &Poor’s], un accord avec le parti social-démocrate [droite conservatrice] de Pedro Passos Coelho, la principale force d’opposition du pays, pour renforcer le programme d’austérité afin d’apaiser les inquiétudes des investisseurs. Dans la nouvelle mouture, le gouvernement envisage de ramener son endettement de 9,4% à 2,8% du PIB d’ici à 2013. Pour y parvenir, il prévoit une réduction drastique des dépenses publiques, qui devraient à elles seules représenter la moitié des mesures d’austérité.
Dans la fonction publique, les salaires et les recrutements sont appelés à être totalement gelés pendant au moins trois ans. Les investissements publics seront réduits, passant de 4,9 à 2,9% du PIB, les programmes de défense sont promis à une réduction de 40%. Un programme de privatisations de 6 milliards d’euros est prévu, dont 1,5 milliard dès cette année. Les impôts sur le revenu augmenteront. Mais les recettes fiscales dans leur ensemble ne représentent que 15% du plan.
L’Espagne, qui elle aussi est inscrite sur la liste des pays menacés, avait annoncé un programme d’économie avant la crise grecque afin de réduire son endettement. Le gouvernement prévoit de réduire ses dépenses de 50 milliards d’euros sur trois ans. Les recrutements dans la fonction publique seront gelés. Une réforme des retraites est en préparation, faisant passer l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans. Mais ces mesures ne sont plus jugées suffisantes par les marchés. Pour l’instant, le gouvernement [«socialiste»] de José Luis Zapatero, qui est confronté à un chômage de plus de 20%, refuse de renforcer la rigueur. Mais les pressions, jusqu’à présent discrètes, pourraient s’accentuer s’il campe dans son refus.
L’euro, un corset de fer
Tirant argument de tout ce qui se passe autour de la Grèce et de l’euro, le gouvernement français trouve une nouvelle justification pour accélérer la réforme des retraites. Le triple AAA accordé à la dette française pourrait vite se retrouver menacé, si la France ne bouge pas, commence-t-on à murmurer à l’Elysée. Le premier ministre, François Fillon, a enfoncé le clou en indiquant que l’Europe ne pourrait pas continuer ainsi «sans une harmonisation sociale et fiscale». Alors, la retraite pour tous et partout à 67 ans, comme cela semble être devenu la norme européenne par alignement sur l’Allemagne? Par contre, il n’est fait aucune allusion au bouclier fiscal, ni aux niches fiscales [1], encore moins aux trois milliards concédés en pure perte aux restaurateurs [baisse de la TVA peu répercutée sur les prix des repas]. La rigueur ne semble devoir être que sociale, jamais dans la saine gestion des deniers publics.
La déflation sociale est-elle donc devenue désormais le cœur de la politique de l’Europe? Asphyxiés par les dettes, liées à la crise, à la baisse des rentrées fiscales et au sauvetage du secteur financier, les gouvernements n’ont guère d’autres choix, s’ils se refusent, comme depuis deux ans, au moindre changement par rapport au monde financier. Et plus encore face au dogme d’une fiscalité allégée pour les plus riches et les entreprises, qui a appauvri systématiquement les Etats depuis trente ans.
Si tous ces paramètres restent identiques, l’euro se révèle être un corset de fer dans cette période de crise: les pays n’ont aucune possibilité de dévaluer, de jouer sur les taux, d’utiliser l’inflation. Dès lors, la seule arme qu’il leur reste est l’ajustement social, une dévaluation interne qui ne dit pas son nom.
C’est la politique qu’a mise en œuvre l’Allemagne avec succès à partir de 2002 dans le cadre de son Agenda 2010, soutenue par tous les partis politiques et les syndicats, font remarquer certains analystes. Et cela a été un succès, soutient le gouvernement allemand qui demande désormais que la même rigueur soit appliquée aux autres. Mais les structures comme les circonstances sont différentes. D’abord, l’Allemagne a une industrie très qualifiée, de forte valeur ajoutée et très exportatrice. Ce qui n’est pas le cas de toutes les économies européennes. Ensuite, ce programme d’ajustement faisait suite à de forts dérapages liés à la réunification et il a été mené pendant une période d’expansion de l’économie mondiale. Le coût social, malgré tout, en a été très élevé. Enfin, l’Allemagne a été gagnante car elle a été la seule à mener ce programme. Ses excédents commerciaux ont été nourris par les déficits de l’Europe, qui lui a assuré 75% de ses débouchés. Qu’adviendra-t-il à l’Europe, et même à l’Allemagne, si l’ensemble de l’économie européenne plonge dans la déflation?
Car cette politique est déjà à l’œuvre en Irlande, en Lituanie, en Lettonie, en Roumanie, en Hongrie depuis un an, avec ou sans le FMI. Qu’a-t-elle donné? En Lituanie, le gouvernement, bien que n’étant pas dans la zone euro, a décidé de laisser sa monnaie arrimée à la monnaie européenne, malgré la crise. En contrepoint, les dépenses publiques ont été réduites de 30%, les salaires des fonctionnaires dans les mêmes proportions, les retraites de 11%. La TVA est passée de 18 à 21%, la fiscalité de 15% à 20%.
Résultat? Le taux de chômage a grimpé de 10 à 14%, l’économie s’est effondrée de 15%. Cette dernière a regagné quelques points de compétitivité mais s’engage dans sa troisième année de récession consécutive. Les écoles, les hôpitaux, manquant de crédits, sont totalement désorganisés, certains ont dû fermer. Surtout, le taux de suicides monte en flèche et l’émigration s’accélère à un rythme impressionnant. Comme en Islande.
Le précédent du plan Laval
Membre à part entière de la zone euro, l’Irlande a opté en avril 2009 pour une cure d’austérité sans précédent pour faire face à la crise et à l’ascension vertigineuse de son endettement (12,5% du PIB). Là encore, tous les efforts ont porté d’abord sur les dépenses publiques. Les effectifs de la fonction publique ont été abaissés, tout comme les salaires (moins 7,5%) et les retraites. Une hausse générale des impôts sur les revenus a été adoptée: + 2% pour les salaires minima; + 8% pour les salaires les plus élevés.
En revanche, pas question de toucher à la vache sacrée irlandaise: l’impôt sur les sociétés qui lui a permis d’attirer de nombreuses multinationales qui ont organisé une fraude fiscale généralisée au sein de l’Europe au travers des prix de transfert. L’impôt sur les sociétés est donc resté à 12,5%. «L’Irlande fait exactement ce qu’il faut», se félicitaient alors de nombreux gérants de fonds d’investissement. C’est une des raisons qui expliquent aussi l’extrême mansuétude dont font encore preuve les marchés financiers à l’égard de ce pays, en dépit de ses finances dégradées.
La situation, en dépit de la purge imposée, ne s’est guère améliorée. Le pays a connu en 2009 une récession record: moins 7,1% du PIB. Elle devrait se prolonger cette année, les experts tablant sur une chute d’au moins 1%. Là encore, les organismes sociaux sont totalement désorganisés, le chômage enfle et la population commence à gronder. Et l’Etat a dû à nouveau voler en urgence au secours d’une de ses banques sur le point de s’effondrer. [Il s’agit de l’Anglo Irish Bank qui doit être à nouveau recapitalisée, après avoir été nationalisée en 2009 ; selon le Financial Times, le système bancaire irlandais a besoin de 81 milliards d’euros pour être débarrassé de ses «actifs toxiques», en grande partie liés à l’immobilier].
C’est le début d’une spirale dépressive qui guette aussi la Grèce. Faute de débouchés et de soutien, l’économie s’effondre, l’Etat voit diminuer encore ses recettes, et proportionnellement les dettes prennent un poids démesuré, bientôt insupportable. C’est aussi l’avertissement qu’a lancé l’économiste Nouriel Roubini le vendredi 30 avril 2010, dans le Financial Times. «Le plan A (tel qu’il est conçu par le FMI et l’Europe pour aider la Grèce) fait courir le risque d’une faillite désordonnée et d’une crise financière.» Mieux vaudrait, selon lui, restructurer la dette grecque, conduire un plan d’ajustement budgétaire pour les pays périphériques [Irlande, Grèce, Espagne, Portugal et Italie] de la zone euro, accompagné par une aide plus importante de l’Union européenne et du FMI, enfin engager des baisses de taux et une stimulation de la demande en Allemagne.
Sera-t-il entendu? Pour l’instant, ce que l’Europe, sous la dictée des marchés financiers, préconise n’est ni plus ni moins qu’une resucée du plan Laval de 1935 [un des rares budgets en équilibre] au niveau européen. Pour ne pas dévaluer le franc et le laisser arrimé au bloc or, afin de préserver la «rente», celui-ci imposa alors une diminution de 10% des salaires et des retraites, augmenta les impôts, décréta une chute des prix. A la fin de l’année 1935, le budget de l’Etat était à l’équilibre – comme le souhaitent aujourd’hui ceux qui veulent rendre le déficit inconstitutionnel – mais l’économie française s’était totalement écroulée. On connaît la suite. A la fin de la guerre, Winston Churchill jugea que la non-remise en cause des dogmes financiers de l’époque, les parités fixes par rapport au bloc or, furent parmi les pires erreurs de l’Europe dans les années 1930.
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