Ukraine-Russie enquête. «Les survivants de Marioupol sont interrogés dans des camps de «filtration» avant d’être emmenés en Russie»

Par Dean Kirby

Les survivants de Marioupol sont interrogés dans des camps de «filtration» par des Russes en uniformes militaires avant d’être emmenés en Russie, où certains ont peu de chances de retourner en Ukraine.

Des témoins qui ont traversé un camp contrôlé par les Russes et identifié par iNews à Bezimenne, à 17 km à l’est de la ville détruite, affirment que les jeunes hommes sont soumis à un interrogatoire intensif de plusieurs heures et que toute opinion sur les forces armées ukrainiennes est enregistrée sur vidéo.

A l’issue du processus – qui comprend la prise de leur photo et de leurs empreintes digitales et le remplissage de questionnaires à trois reprises – ils sont emmenés en bus jusqu’à la frontière russe.

Ils traversent la frontière à pied avant d’être répartis dans d’autres régions du pays, selon des sources ukrainiennes, et se voient remettre des papiers tamponnés par le ministère des Affaires intérieures de la République populaire de Donetsk (RPD), qui leur donneraient droit à la citoyenneté russe.

Les détails sur ce qui se passe dans les camps, fournis par des témoins oculaires, font suite aux révélations faites par iNews lundi 11 avril sur la manière dont Vladimir Poutine envoie des milliers d’Ukrainiens dans des régions reculées de Russie, notamment en Sibérie, dans le Caucase du Nord et en Extrême-Orient, alors que le pays connaît un déclin démographique post-soviétique historique.

Un bordereau délivré dans les camps par le ministère de l’Intérieur de la RPD et pouvant être échangé contre un passeport de citoyen de la Fédération de Russie.

Alors que l’on craignait hier que Marioupol ne tombe aux mains des Russes, des documents consultés par iNews indiquent que l’on dit aux gens qu’ils recevront une terre en Russie s’ils passent la frontière.

iNews a appris que certaines familles tentent de faire sortir leurs proches de Russie en passant par la Biélorussie, les Etats baltes, la Finlande et même le Kazakhstan.

Artem Ilyn, dont les parents âgés de 75 et 67 ans ont été emmenés au camp après que les soldats russes leur ont donné 30 minutes pour quitter leur bunker à Marioupol, a déclaré: «Presque tout le monde, après la «filtration», est envoyé en bus sur le territoire de la Russie. Il y a un autre camp à la frontière. Ils vous dispersent plus loin dans la Fédération de Russie. Je connais des cas où des personnes âgées ont appelé leurs enfants depuis des villes russes très éloignées de la frontière.»

S’adressant à iNews depuis l’Ukraine, il a déclaré: «Mes parents sont des retraités et ont été traités plus simplement, mais pour les personnes plus jeunes, surtout les hommes, le traitement est plus dur. Ils sont interrogés très soigneusement – pendant plusieurs heures d’affilée. Beaucoup de personnes à Bezimenne portent des uniformes militaires avec des chevrons du ministère des Situations d’urgence de la République populaire de Donetsk, mais il y a des rumeurs selon lesquelles certains d’entre eux sont du FSB. Ces contrôles sont de plus en plus durs et pas seulement dans les camps. Des parents d’amis ont été contrôlés trois fois, dont deux fois en Russie.»

L’analyse par iNews d’un décret russe pour le déplacement des Ukrainiens montre que les gens sont envoyés dans les coins les plus reculés du pays. Les zones les plus sombres sont celles qui accueillent le plus de personnes. (Cartographie des données par Tom Saunders, reporter de données visuelles pour iNews)

Il a été dit à iNews qu’il est presque impossible pour les Ukrainiens, y compris ceux de Marioupol qui ont été forcés de partir sans leurs affaires, de se déplacer en Russie sans argent liquide et ceux qui n’ont pas de documents «rencontrent le plus de problèmes» et, sans passeport, il est impossible de prendre l’avion pour quitter le pays. Les cartes SIM et les cartes bancaires ukrainiennes ne fonctionnent pas actuellement en Russie.

Il a été signalé que des personnes tentant de quitter le pays ont été arrêtées et interrogées par le FSB.

Artem Ilyn a réussi à faire sortir ses parents de Russie en train via la Biélorussie, bien qu’on leur ait dit qu’ils seraient condamnés à une amende pouvant aller jusqu’à 5000 roubles s’ils tentaient de quitter le pays. Selon lui, des milliers de personnes sont «incapables de sortir du flot» créé par les Russes.

Il a déclaré: «Pendant deux jours, ils ont regardé les avions et les hélicoptères militaires russes voler au-dessus de Rostov-sur-le-Don. Nous avons eu de la chance à bien des égards. Les étoiles se sont alignées de la manière la plus inattendue qui soit. Une préparation minutieuse et des amis et d’autres personnes en Russie et nous ont aidés.»

L’emplacement du camp de «filtration» contrôlé par la Russie à Bezimenne, qui signifie «sans nom» en anglais, a été révélé en exclusivité par iNews le mois dernier, alors que le maire de Marioupol avertissait que des milliers de personnes étaient emmenées contre leur gré en territoire russe.

iNews a localisé le camp à l’aide de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, puis a utilisé des méthodes de renseignement de source ouverte pour comparer les bâtiments, les routes, les arbres et un arrêt de bus, ainsi que la direction du soleil couchant, avec les cartes russes du village côtier.

Les images satellites obtenues par ce journal ont montré que jusqu’à 30 tentes bleues et blanches avaient été dressées sur un ancien marché pendant trois jours entre le 19 et le 22 mars.

iNews a également été informé que des centres de «filtration» ont également été installés à Snizhne, Dokuchajevsk, Starobesheve et Torez, dans l’est de l’Ukraine, tandis que les points de transit identifiés par ce journal comprennent une école en Crimée et un centre sportif dans la ville russe de Taganrog, ainsi que les postes-frontières de Matveev Kurgan, Veselo-Voznesenka et Chonhar.

Une image satellite capturée par Maxar Technologies montrant le camp de tentes dans le village de Bezimenne contrôlé par les Russes, à l’est de Marioupol (Photo: Copyright 2022 Maxar Technologies)

Des dizaines de séquences d’actualités télévisées russes analysées par iNews semblent également montrer des personnes originaires d’Ukraine arrivant dans des cantonnements temporaires, notamment des colonies de vacances pour enfants, des écoles et des hôtels dans des villes russes situées à des centaines de kilomètres de la frontière ukrainienne, dont Nijni Novgorod, Michurinsk, Tambov, Kazan et Oulianovsk, ainsi que Derbent, dans la République du Daghestan.

«Aucune de nos connaissances ne voulait ou ne prévoyait de se rendre en Russie. Mais depuis la région de Marioupol où mes parents vivaient, depuis la mi-mars, il n’y a aucune chance de se rendre sur le territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien», a déclaré Artem Ilyn.

«Des soldats russes armés ont chassé les gens de leurs abris anti-bombes et de leurs bunkers. Dans certains cas, ils ne leur ont donné que deux minutes. Ils leur ont dit où aller.» (Article publié sur le site iNews-The Independent, le 13 avril 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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