Par Daniel Boffey (Lviv)
Les forces russes ont été accusées de prendre en otage les habitants de la ville ukrainienne Tchernihiv, assiégée, alors que des responsables locaux désespérés ont imposé un rationnement de l’eau potable aux civils pris au piège.
Environ 150 000 personnes sont bloquées dans cette ville du nord du pays, avec peu d’espoir de recevoir de l’aide, après que la Russie les a coupées de la capitale, Kiev, située à 160 km au sud, en bombardant un pont routier sur la rivière Desna.
Chernihiv, qui a été le centre d’intenses combats au cours desquels des dizaines de personnes ont été tuées quotidiennement, est déjà privée d’électricité depuis plusieurs jours, et les pillages sont monnaie courante, alors que la ville sombre dans le chaos.
Les autorités ont déclaré qu’elles commençaient à manquer d’eau potable, ce qui laisse présager une catastrophe humanitaire aussi grave que celle du port de Marioupol, dans le sud-est du pays, où 100 000 personnes tentent de fuir.
«Le nombre de réservoirs d’eau potable est limité», ont indiqué les autorités de Tchernihiv dans une alarme adressée aux civils mercredi 23 mars. «En raison de cela, afin de protéger la population de la ville, à partir de [jeudi] des restrictions sont imposées sur la distribution d’eau potable. L’eau sera versée à raison de 10 litres par personne.» Aucune date pour un deuxième approvisionnement en eau n’a été communiquée.
Lyudmila Denisova, médiatrice ukrainienne pour les droits de l’homme, a affirmé que la population était prise en otage. Le gouvernement ukrainien craignant que le Kremlin ne cherche à faire valoir ses exigences «maximalistes» dans le cadre des négociations de paix en cours avec Kiev en augmentant le nombre de civils pris pour cible.
Lyudmila Denisova a déclaré: «Aujourd’hui, Chernihiv reste complètement coupée de la capitale. Les occupants ont bombardé le pont qui traverse la rivière Desna, par lequel nous avons transporté l’aide humanitaire vers la ville et évacué les civils. La ville n’a pas d’électricité, d’eau, de chauffage et presque pas de gaz, les infrastructures sont détruites. Selon les habitants, les occupants dressent des listes de civils pour les “évacuer” vers Lgov [dans la région de Koursk, en Russie]. Les racistes [les forces russes anti-ukrainiennes], en coupant Tchernihiv de la capitale, ont transformé ses habitants en otages.»
Le maire de Tchernihiv, Vladyslav Atroshenko, a déclaré que la Russie ciblait ses tirs sur les hôpitaux de la ville, en écho à la guerre d’usure menée ailleurs. Il a déclaré: «Un hôpital est-il aussi une infrastructure militaire? Il est important de comprendre les méthodes utilisées par la Russie lorsqu’elle mène des hostilités à Tchernihiv. Leur tactique consiste à viser intentionnellement des civils et des installations d’infrastructure. Cela n’a rien à voir avec les tirs ciblés sur les installations d’infrastructure militaire.»
Vladyslav Atroshenko a déclaré au site d’information ukrainien Censor.net qu’il y avait désormais 40 enterrements par jour à Tchernihiv, contre huit auparavant, en raison des bombardements aveugles de la Russie. Et ce, bien que la moitié de la population du temps de paix ait fui. Il a ajouté: «Nous avons deux hôpitaux de base dans la ville avec environ 200 blessés dans chacun d’eux. Nous enterrons environ 40 personnes par jour. Avant la guerre, nous enterrions en moyenne huit personnes par jour. D’après mes estimations, environ 50% des habitants ont quitté la ville. Une autre moitié est restée, mais malheureusement, de nombreuses personnes parmi celles qui sont restées ne peuvent pas prendre soin seules d’elles-mêmes.»
Oleksiy Arestovych, un conseiller du chef du bureau du président ukrainien, a déclaré à Channel 24 que la Russie avait commencé à «appliquer à la ville à peu près la même tactique qu’à Marioupol» [voir le dossier à ce sujet publié sur le site A l’Encontre le 23 mars https://alencontre.org/europe/russie/marioupol-dossier-la-ville-est-peut-etre-detruite-mais-des-exemples-nous-ont-appris-que-meme-les-ruines-peuvent-etre-defendues.html]. Oleksiy Arestovych a toutefois précisé que, contrairement à Marioupol, il restait de moyens fournir une aide humanitaire à la ville.
Mercredi 23 mars, la vice-première ministre ukrainienne, Iryna Vereshchuk, a déclaré qu’un accord avait été conclu pour tenter d’évacuer les civils piégés dans les villes ukrainiennes par le biais de neuf «couloirs humanitaires», mais qu’aucun accord de ce type n’avait été trouvé pour établir un couloir sûr à partir du cœur de Marioupol. […] Le Pentagone a déclaré que la Russie était en train de pilonner Marioupol à l’aide d’artillerie, de missiles à longue portée et de navires déployés dans la mer d’Azov toute proche.
Pendant ce temps, l’Ukraine occidentale s’inquiète de plus en plus de voir la Biélorussie se préparer à envoyer ses propres troupes dans le pays. Mercredi, le gouvernement d’Alexandre Loukachenko a demandé à certains diplomates ukrainiens de quitter le pays. Mardi, le service de sécurité biélorusse, le KGB [la Biélorussie a conservé le nom], avait accusé huit diplomates ukrainiens d’espionnage. (Article publié dans The Guardian, le 23 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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