Portugal. La droite gagne sans majorité

Cavaco Silva, président de la République (à droite), et Passos Coelho, ancien premier ministre
Cavaco Silva, président de la République (à droite), et Passos Coelho, ancien premier ministre

Par António Simões do Paço

La coalition qui réunit les partis de droite – Parti social-démocrate (PSD) et Parti du centre démocratique et social (CDS) qui ont constitué pour les élections du 4 octobre le front Portugal a Frente (FaP) – et qui gouverne le Portugal a obtenu 38,48% des suffrages exprimés et 104 députés sur 230 (voir le tableau des résultats en fin d’article). Néanmoins, le FaP a perdu 743’680 suffrages par rapport à ce que les deux partis de droite avaient obtenu en 2011. Le Parti socialiste, avec 32,4% des voix et 85 députés, confirme la baisse qui avait été enregistrée au cours des dernières semaines [les sondages lui attribuaient en avril 2015 37,5% des votes, 32,7% le 29 septembre; la direction du PS avait comme objectif déclaré d’obtenir une majorité absolue].

A gauche, la grande surprise fut la croissance électorale du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche-BE), qui avec 10,2% et 19 députés, a doublé ses résultats par rapport à 2011 et obtient sa meilleure représentation parlementaire [le dernier sondage du 29 septembre attribuait au BE 9,4%]. La Coalition démocratique unitaire (CDU), formée par le Parti communiste portugais et les Verts, a légèrement augmenté ses suffrages avec 8,3% et 17 députés (un de plus qu’en 2011).

Les petites formations dissidentes du Bloc de gauche, Livre/Tempo de Avançar (TPA) et Agir (fusion entre PDA et MAS), qui avant la campagne électorale pensaient qu’ils pouvaient réduire les suffrages du vote du BE, ont obtenu des résultats extrêmement limités (0,72% et 0,38% respectivement) n’élisant aucun député.

La CDU, bien qu’augmentant légèrement son résultat par rapport à 2011, a connu un résultat décevant, peu capable de capitaliser le mécontentement populaire face à la «politique d’austérité» et surtout s’est vu dépasser, pour la première fois, par le BE.

La diminution des luttes sociales après le cycle des grandes manifestations entre 2011 et 2013 et l’incapacité du PS, cosignataire aux côtés de la droite du protocole d’entente avec la troïka, de se distancier de manière significative des politiques d’austérité du gouvernement PSD/CDS, ont permis à la coalition de droite de récupérer une fraction de l’électorat «socialiste». Le message de la droite était que son gouvernement avait «mis en bon ordre» les comptes publics du pays, que le chômage était en train de s’abaisser et que la «confiance» des entrepreneurs et des «consommateurs» était en train de revenir, alors que le gouvernement antérieur du PS [mars 2015-juin 2011, sous la direction de José Sócrates] avait «conduite le pays à la banqueroute».

La campagne électorale du PS fut de plus désastreuse. La direction n’a jamais réussi à se défaire de l’image que lui collait la coalition PSD/CDS, et de plus l’électorat de gauche n’arrivait pas à décoller l’image que les recettes politiques proposées ne divergeaient que de peu de l’austérité appliquée par la droite. A cela se sont ajoutés des événements déplorables comme l’utilisation de faux chômeurs et de faux émigrants sur ses affiches électorales (en réalité, il s’agissait de fonctionnaires d’une municipalité à majorité socialiste) et le transfert de l’ancien premier ministre du PS José Sócrates dans un appartement de Lisbonne, où il est soumis à un arrêt domiciliaire [pour corruption], tout cela sous les feux des caméras de la télévision. L’intégration dans le programme économique du PS de coupes dans les retraites et de réductions dans la TSU (Taxa Social Única, contribution obligatoire pour la sécurité sociale) revint à se tirer une balle dans le pied. La tentative du gouvernement de droite de réduire la TSU fut précisément un des facteurs qui mirent dans la rue 1,5 million de personnes lors des grandes manifestations du 15 septembre 2012.

Catarina Martins
Catarina Martins

Plus le PS s’affaissait dans les sondages, étant dépassé par la coalition de droite (le 18 septembre, le sondage de l’Université catholique donnait 7 points de pourcentage d’avance à la droite face au PS), plus diminuait la pression pour le «vote utile». Et les intentions de vote en faveur du BE doublaient pratiquement de 4% au début septembre à 8% au 18 septembre.

Quelques jours avant le 4 octobre, lors d’un débat télévisé entre Catarina Martins [1], porte-parole du BE, et António Costa, secrétaire général du PS, la première posait trois conditions pour que le BE «discute avec le PS sur un gouvernement qui puisse sauver le pays»: «Abandonner l’idée de couper 1,6 milliard d’euros dans les retraites, abandonner la réduction de la TSU et abandonner l’idée du régime compensatoire [mesure devant faciliter les licenciements].»

António Costa répondit de façon peu convaincante, en mettant l’accent sur le fait que dans le programme du BE étaient prévues des nationalisations et posant la question du coût qu’impliquaient les mesures défendues par le Bloco: «Où sont les comptes effectifs pour réaliser cela? Où allez-vous trouver l’argent? Et qu’en est-il de la renégociation de la dette?»

La droite, une victoire à la Pyrrhus?

La victoire électorale de la coalition de droite, après quatre années d’une politique d’austérité brutale, et l’incapacité du PS de s’affirmer comme alternative font en quelque sorte écho aux résultats des élections, le 7 mai, en Grande-Bretagne et à la victoire de Cameron. Si ce n’est qu’au Portugal la droite a perdu sa majorité au parlement. Le PS se trouve aujourd’hui entre deux feux. Celui d’un gouvernement de droite (le président Cavaco Silva a déjà demandé à la coalition de droite de former un gouvernement), ce qui n’est possible qu’avec l’accord du PS. Le président a affirmé qu’il «appartient aux partis politiques de trouver un compromis pour un gouvernement qui assure la stabilité politique et la gouvernabilité» (Publico, 6.10.2015). Ou une pression de la gauche, venant du BE et du PCP qui lui lance le défi de former un gouvernement de gauche qui disposerait d’une majorité parlementaire [2].

Le BE, qui, il y a moins d’un an, était donné pour très affaibli suite à la rupture de ses ailes plus à gauche et plus à droite, a été le principal gagnant de ces élections, bénéficiant de l’incapacité structurelle du PS et de la perte de crédibilité du modèle d’alternance au gouvernement entre «socialistes» et droite. Toutefois, ses ambiguïtés sur «la renégociation de la dette» (sujet sur lequel il est accompagné par le PCP) laissent planer des doutes sur un possible début de «syrization» dans le sens de sa croissance électorale [allusion à l’évolution électorale de Syriza qui a réuni 36,5% des suffrages en janvier 2015, après avoir obtenu 16,8% en 2012], et sur le fait qu’il ne pourrait pas connaître une «tsiprisation» [allusion à Alexis Tsipras], lorsqu’il serait confronté à des choix aussi dramatiques que ceux face auxquels les Grecs se sont trouvés placés. (7 octobre 2015)

António Simões do Paço est historien. Il est l’auteur d’une biographie de Salazar, Salazar – O Ditador Encoberto, Bertrand Editora, Lisboa, 2010, coordinateur de Os Anos de Salazar, um retrato do Estado Novo, en 30 volumes, et auteur de Francisco Louçã, Biografia, Bertrand Editora, 2009.

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[1] Le soir des élections, Catarina Martins a clairement déclaré que le Bloco s’opposait à la formation d’un gouvernement sur décision du président de la République et que la discussion devait s’ouvrir sur cette question dans le cadre du parlement, c’est-à-dire «l’instance traduisant au mieux les choix des électeurs et électrices». (Réd. A l’Encontre)

[2] En date du 30 juillet 2015, Fernando Rosas, dirigeant du BE et cofondateur avec Francisco Louça du BE, dans un entretien accordé au magazine trimestriel français Regards, animé par Clémentine Autain du Front de gauche, affirmait à propos d’une possible alliance avec le Parti socialiste: «On pourrait imaginer des accords avec le PS à une double condition: qu’il revoie sa position sur la dette et sur le respect du pacte de stabilité européen. Si le PS accepte de revoir sa position sur ces deux points, le Bloc est prêt à des accords avec le PS. Ça, c’est absolument clair. Nous n’excluons rien, à condition, je l’ai dit, que le PS accepte de revoir sa position sur la dette. Mais nous n’en sommes pas là aujourd’hui. Ce qui divise aujourd’hui, c’est la question de la renégociation de la dette. Les socialistes sont contre, y compris après ce qui s’est passé entre la Grèce et l’Eurogroupe. Nous avons publiquement tiré les conclusions de cet épisode: premièrement, on ne peut pas mener de politique anti-austérité dans le cadre de l’euro. Deuxièmement, l’eurozone est une sorte de dictature qui n’admet pas les choix démocratiques des pays européens. Nous voulons donc renégocier la dette et, le cas échéant, nous serions prêts à sortir de l’euro. On ne fera pas l’erreur d’Alexis Tsipras qui est allé aux négociations sans plan B.»

Depuis, le BE a apparemment retiré la renégociation de la dette des préconditions pour un accord de soutien à un gouvernement PS. Cf. Diário de Notícias, 12-10-2015. (Réd. A l’Encontre)

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Radiographie électorale

Par Rédaction A l’Encontre

Les principaux médias écrits européens présentaient les élections portugaises comme devant être un test pour l’Europe du Sud sous la forme suivante: un gouvernement de droite appliquant une sévère austérité, au point que la troïka a quitté le Portugal en 2014, satisfaite, va-t-il obtenir un bon résultat et, mieux, va-t-il être réélu? A tel point que El Pais du 5 octobre, en page 3, titrait (avant d’avoir les résultats définitifs): «Le Portugal avalise dans les urnes les politiques d’austérité du gouvernement». Il ajoutait dans un article de pied: «Le futur exécutif devra appliquer des ajustements économiques. Les principaux partis assument le plan dicté par Bruxelles.» D’un côté, le résultat de la coalition PSD/CDS est loin d’être négligeable, de l’autre, la non-conquête d’une majorité absolue crée une relative instabilité politique. Certains pronostiquent va se tenir coi jusqu’en octobre 2016, date de l’échéance budgétaire. Voici quelques rappels des résultats électoraux.

• Le taux d’abstention n’a cessé d’augmenter: 2009: 40,3% , 2011: 41,11%, 2015: 43,07% (il faut y ajouter les votes nuls à hauteur de 1,61%).

• Le PaF (PSD/CDS): 36,8%, 1’979’132 suffrages. En 2011, le PSD récoltait 38,5% et le CDS 12%, ce qui assurait la majorité absolue.

• Le PS: 32,4%, 1’742’012 suffrages. En 2011, 28,06%, 1’568’168 suffrages.

• Le BE: 10,2%,  549’878 suffrages. En 2011, 5,2%, 288’973 suffrages.

• La CDU (PCP/Verts): 8,3%, 444’955 suffrages. En 2011, 7,91%, 441’852 suffrages.

• L’évolution en pourcentage du Bloco est la suivante: 1999: 2,4%, 2002: 2,7%, 2005: 6,4%, 2009: 9,8%, 2011: 5,2%, 2015: 10,2%.

• La porte-parole du BE depuis 2014 est Catarina Martins, âgée de 42 ans, élue depuis 2009 et réélue en 2011 et 2015, actrice de son métier. Francisco Louça a été le porte-parole du Bloco entre 1999 et 2012. Comme l’indique Fernando Rosas dans l’entretien cité: «il nous a en effet fallu un peu de temps pour trouver une formule de remplacement stable. Nous l’avons trouvée: c’est une jeune femme, Catarina Martins, qui est la nouvelle porte-parole de notre parti. Nous avons une autre jeune femme brillante, Mariana Mortágua à Lisbonne, qui s’est distinguée en menant une enquête parlementaire sur une affaire de corruption impliquant la banque Espirito Santo. L’unité est donc retrouvée dans le Bloc.»

• Le PCP avait à sa tête Jéronimo de Sousa, âgé de 68 ans, ouvrier métallo, militant syndical, secrétaire général du PC depuis 2004 et entré au comité central du PCP en 1979. Le PCP va changer de secrétaire général. (Réd. A l’Encontre)

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