Italie. Nous avons un problème: les banques

Jean-Claude Juncker et Matteo Renzi
Jean-Claude Juncker et Matteo Renzi

Par Franco Turigliatto

Après sa popularité initiale et l’imposition avec succès d’une série de contre-réformes néolibérales, Matteo Renzi s’affronte désormais à une situation plus difficile : le déclin de sa crédibilité dans de larges secteurs populaires et une nette défaite, lors des élections municipales (juin 2016). Tout cela s’intègre dans une situation économique incertaine dans le contexte d’une crise de l’Union européenne.

Un système en crise

Après avoir fait aboutir de nombreuses contre-réformes qui ont massacré le droit du travail, chamboulé le système public d’éducation, opéré des coupes accrues dans les dépenses sociales, en particulier dans le secteur de la santé, Renzi a mené de manière parallèle une réforme institutionnelle et une loi électorale profondément antidémocratique, fonctionnelles à la prédominance de l’exécutif et garantissant des majorités parlementaires artificielles. Toutefois, le cours de la politique de Renzi fait face à de nombreux obstacles.

Tout d’abord, la distance entre sa démagogie et la réalité se réduit. Cela sous l’effet du chômage qui reste à un niveau très élevé : il n’a y a quasiment pas d’emplois pour les jeunes. Et lorsqu’il y en a, ils sont marqués par une précarité plus ou moins forte. La relance économique est des plus faible. Elle n’a, à coup sûr, pas produit une amélioration des conditions de vie pour la majorité des citoyennes et des citoyens, dont une partie est souvent marginalisée, alors que d’autres secteurs sont préoccupés par leur avenir et celui de leurs enfants.

Les incertitudes de la situation économique internationale pèsent de tout leur poids. Les contradictions d’un système capitaliste qui continue à subir des situations orageuses ne peuvent qu’être difficilement repoussées par les initiatives financières et monétaires de la Banque centrale européenne. Les politiques insupportables d’austérité, bien loin d’être abandonnées, restent l’alpha et l’omega des classes dominantes européennes, des politiques qui trouveront une nouvelle concrétisation dans la prochaine loi de finance à laquelle travaillent Matteo Renzi et Pier Carlo Padoan, le ministre de l’économie et des finances.

La crise des banques

Le président du conseil, Renzi, s’affronte à une urgence plus grave. La crise et la possible faillite de nombreuses banques italiennes [1]. Cette crise, niée durant longtemps, s’est manifestée avec toute sa gravité, elle a un effet domino potentiel. Elle préoccupe non seulement le gouvernement italien, mais aussi, en raison de ses potentielles répercussions internationales dans le contexte post-Brexit, toutes les autorités politiques et économiques de l’Union européenne.

Dès lors, des négociations frénétiques sont en marche entre le gouvernement italien et les autorités européennes. Elles portent sur les mesures à adopter pour faire face à cette crise des banques. Dans tous les cas, il s’agit d’empêcher une extension de la contagion. Après les interventions d’ampleur, concernant le sauvetage des banques suite à la crise de 2008 en Europe et aux Etats-Unis – qui ont transformé d’importantes dettes privées en dettes publiques – une nouvelle norme a été définie à l’échelle européenne. Pour effectuer de nouveaux sauvetages, cette règle fait appel non seulement aux actionnaires des banques, mais aussi à la grande majorité de ceux qui détiennent des obligations (les obligations subordonnées – soit celles dont le remboursement n’est pas prioritaire si l’émetteur fait faillite – et celles senior non garanties), y compris, les épargnants ayant plus de 100’000 euros sur leurs comptes d’épargne. Cette norme est connue sous le nom de bail in.

Les grandes injections de liquidités opérées au cours des années passées par la BCE en direction des banques italiennes ont empêché quelques crises ouvertes. Toutefois, ces injections n’ont pas réussi à modifier la détérioration de la crise structurelle. L’intervention du Fonds Atlante [Fonds d’investissement doté d’un capital de 5 à 6 milliards d’euros devant servir à une recapitalisation des banques] n’a pas été suffisante et ses réserves ont été quasiment toutes épuisées pour faire face à la crise des banques de la Vénétie. Pour cette raison, on parle depuis quelques jours d’un instrument préventif en cas de nécessité. Mais, comment rester à l’intérieur des règles des bourgeoisies d’Europe, telles qu’elles existent, ou éventuellement les modifier au besoin ? C’est la discussion en cours lors des dernières réunions de l’Eurogroupe et de l’Ecofin (réunion des ministres des finances).

En réalité, une masse énorme de créances douteuses pèse sur les banques italiennes, à hauteur de quelque 360 milliards d’euros (en moyenne, ces crédits représentent 16,8 % de la capitalisation totale du système bancaire). Cette somme de 360 milliards, pèse sur toutes les banques, mais en particulier sur quelques-unes d’entre elles, dont le Monte dei Paschi di Siena (MPS). Ces crédits « non performants » ne sont rien d’autre que le produit de la longue crise économique et productive qui se manifeste depuis près d’une décennie.

Le gouvernement italien veut obtenir de l’UE la possibilité d’une intervention publique plus ample pour sauver les banques en danger et ne pas faire retomber le coût de l’assainissement des instituts bancaires sur les actionnaires, sur les détenteurs d’obligation et sur les épargnants. Autrement dit, faisons tomber le sauvetage sur toute la « collectivité » (l’ensemble des contribuables, comme cela a été le cas dans tous les sauvetages). Ce n’est pas un hasard si le président de l’Association des banquiers qui, jusqu’à maintenant, n’a pas été toujours un défenseur de l’intervention de l’Etat, a affirmé : « l’Italie a été pingre avec les banques, en utilisant les fonds publics de manière très limitée. » Il a ajouté que le capitalisme italien est malade et que l’avenir de millions d’entreprises est en jeu. Ce Monsieur n’a évidemment pas à l’esprit les soucis des chômeurs et chômeuses ainsi que des retraités et des salariés exploités.

Il apparaît donc que les banquiers et les patrons ainsi que leurs valets politiques s’opposent comme la peste à l’Etat lorsqu’il est question de garantir les salaires, les retraites et les services publics. En revanche, ils appuient vigoureusement l’Etat lorsqu’il s’agit de garantir leurs intérêts, leurs comptes en banque et leurs revenus, sur le dos des citoyens et citoyennes. Nous sommes pour l’intervention publique. Mais, dans la perspective d’une nationalisation des banques dans le but de mettre en place des plans de développement productifs et sociaux qui répondent aux intérêts de la collectivité.

Les discussions dans les sommets du pouvoir européen portent sur la nature des mesures. Faut-il aider, et dans quelle mesure, le gouvernement italien et lui permettre de suspendre, en totalité ou en partie, le mécanisme du bail in. Quelques-uns voudraient échapper aux règles établies il y a peu de temps, mais tous sont énormément préoccupés par les risques d’instabilité qu’affronterait un système déjà fortement perturbé. Cela d’autant plus, parce que la crise des banques est à l’ordre du jour non seulement en Italie, mais aussi dans d’autres pays. Les créances douteuses des titres toxiques sont en fait présentes dans tellement d’instituts financiers.

Vers le référendum constitutionnel

C’est dans ce contexte que « l’arme décisive » de Renzi est le référendum portant sur la contre-réforme constitutionnelle qui devait être l’instrument de sa victoire définitive. Elle montre aujourd’hui ses limites. Le risque d’avoir entre les mains un pétard mouillé est tel que le président du conseil a décidé de repousser le référendum afin de tenter de récupérer de nouvelles marges de manœuvre. Après avoir défendu avec une extrême vigueur la loi électorale, il voudrait aujourd’hui la modifier un peu après avoir constaté qu’au lieu de garantir la victoire du Parti démocrate (PD), elle pourrait favoriser le succès du Mouvement cinq étoiles.

Renzi et ses acolytes ont une conception à géométrie variable des institutions et de la démocratie. Ils choisissent « à la carte » ce qui leur convient ou ce qu’il faut changer, selon la conjoncture politique et leurs intérêts spécifiques.

Dans le cadre des grandes crises du système et des difficultés gouvernementales, existerait la possibilité, en ayant à l’esprit les luttes menées en France au cours des derniers mois, d’une contre-offensive du mouvement des salarié·e·s, des syndicats, des mouvements sociaux autour de thèmes essentiels tels que le salaire, l’emploi, la défense des droits des travailleurs, celles des services publics et le refus de l’austérité et le rejet de payer les coûts de la crise. La nécessité d’un mouvement d’opposition aux gouvernements patronaux et anti-populaires au nom d’un programme alternatif de justice sociale et de démocratie réelle.

Il manque un sujet social et politique

Nous faisons face ici à une difficulté dramatique. Le mouvement ouvrier et les classes laborieuses, suite aux défaites subies et suite aux choix délétères des groupes dirigeants syndicaux, ne forment pas un sujet politique actif dans cette phase. Ainsi, ils subissent toutes les opérations de division et les incursions politiques et idéologiques issues des forces propres aux classes dominantes.

Les directions syndicales, sur les lieux de travail, au lieu de travailler dans le but d’unifier les travailleurs et de faire face à l’offensive du patronat, se font les garants des revendications et des décisions de ces derniers en signant les pires contrats, dont l’affaire de la Fincantieri [accord qui met en question aussi bien le salaire, le droit de grève, le développement de la surveillance sur le poste de travail, etc. ceci dans une entreprise dont la profitabilité est grande] n’est que la pointe de l’iceberg.

La CGIL n’a même pas eu le courage de se prononcer pour le Non à propos du référendum constitutionnel, aussi bien par son attitude de subordination face aux institutions que pour éviter une rupture avec ladite gauche du PD, renonçant dès lors à prendre position en faveur de la Constitution de 1948, comme elle l’avait fait à d’autres occasions, en jouant le rôle élémentaire de défense des intérêts démocratiques de l’ensemble des travailleurs et de la société. C’est ce qu’elle devrait faire : s’opposer. Car, son partenaire officiel, c’est-à-dire la Confindustria, a exprimé son accord plein et total aux contre-réformes de Renzi en stimulant dès maintenant, et encore plus fortement dans les prochains mois, la mise en œuvre de ces instruments et de ces ressources en faveur de cette contre-réforme.

Dans cette situation, certains pourraient penser que le Mouvement cinq étoiles serait apte à être une alternative politique réelle utile à la classe laborieuse. Les espoirs ou les illusions en direction de ce mouvement, au sein des secteurs populaires mais aussi parmi des militants de la gauche se sont fortement accrus suite à la victoire aux élections municipales à Rome et à Turin. Si ce n’est que par la nature interclassiste de son orientation, cette force ne peut et ne veut travailler pour stimuler le mouvement social et de masse nécessaire et indispensable pour s’opposer aux orientations patronales et à l’action du gouvernement.

Dans le meilleur des cas, on pourrait penser que, comme le Mouvement cinq étoiles l’a fait jusqu’à maintenant, il cherchera à recueillir les fruits électoraux du mécontentement présents dans la population en dénonçant quelques-unes, mais seulement quelques-unes, des options du gouvernement. Ce n’est pas dans leurs cordes de mettre en discussion le marché et les règles du capital.

Renverser les règles du capitalisme

On ne peut pas développer un programme économique et social alternatif et encore moins s’engager dans la construction d’un mouvement de masse des salarié·e·s sans un véritable choix de classe et sans une rupture décisive des politiques d’austérité et une remise en discussion des dogmes économiques du marché capitaliste. Il faut renverser les logiques du capital et les choix néolibéraux qui, depuis vingt ans, font tourner à l’envers la roue de l’histoire à l’avantage des forces dominantes.

Pour cette raison, nous insistons plus que jamais sur un travail visant à unir cet automne la bataille sur les thèmes démocratiques et l’engagement dans les comités référendaires avec celle à mener sur les lieux de travail pour défendre les conditions des salarié·e·s pour redéfinir une plate-forme contractuelle à la hauteur des besoins des travailleurs et travailleuses pour construire des perspectives de luttes qui changent les rapports de forces faisant croître la conscience et la confiance en eux des protagonistes. Pour cette raison, nous soutenons le courant du syndicalisme de classe au sein de la CGIL et les courants à l’extérieur en travaillant pour leur unité sur des initiatives précises. Les forces qui restent liées et dépendantes des appareils bureaucratiques se trompent profondément, ne serait-ce que parce que ces appareils ont conduit la classe laborieuse dans un cul-de-sac.

Nous travaillons pour qu’en automne se développent les plus amples mobilisations, pour lancer la manifestation la plus large et la plus participative à l’échelle nationale pour dire Non au référendum, en organisant cela en s’efforçant d’intégrer tous les sujets concernés, les comités référendaires, les forces de la gauche et les syndicats disponibles ou prêts à le faire.

Chacun doit pouvoir développer ses propres propositions, mais il faut descendre dans la rue, tous ensemble, sans sectarisme, afin de changer les rapports de force et d’être un point d’attraction crédible pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs et pour tant d’autres citoyennes et citoyens.

On ne peut pas laisser le temps à Renzi et aux patrons, la Confindustria, de manœuvrer et d’agir pour gagner cette bataille décisive. Au même titre où il ne devrait pas y avoir d’hésitation face à la loi de finances, face à laquelle il faudra construire l’opposition la plus ample : la pleine convergence entre les mobilisations sociales et économiques et celles pour la démocratie constitutionnelle doit être consolidée. (Article publié sur le site SinistraAnticapitalista, le 10 juillet 2016. Traduction A l’Encontre)

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[1] Dans El Pais du 3 juillet 2016, l’économiste Barry Eichengreen, spécialistes des questions monétaires, interrogé sur les effets du Brexit, répondait: « La première chose à dire clairement : la banque italienne traverse une crise complète, comme celle que le système bancaire a connue aux Etats-Unis en 2008-2009. Et il faut la résoudre, sans tarder et avec courage. Voilà le débat clé dans l’Union européenne et non pas celui de savoir qui sera le prochain premier ministre dans le Royaume-Uni. » (Rédaction A l’Encontre)

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