La Grèce: un équilibre précaire et gros de dangers

Nikos Dendias, ministre de «L'ordre public et de la protection des citoyens»
Nikos Dendias, ministre de «L’ordre public et de la protection des citoyens»

Par Charles-André Udry

Une prévision «économique» ne risque pas d’être démentie pour ce qui a trait à la Grèce: celle du chômage. L’ELSTAT (Institut de statistiques) vient de publier les «résultats» pour octobre 2012: le nombre officiel de chômeurs et chômeuses s’élevait à 1’345’715; une hausse de 36’000 en un mois. Rappel, le nombre de chômeurs se situait, lors du même mois d’octobre, en 2007, à hauteur de 398’085; en 2008: à 375’528; à 498’211 en 2009; à 694’508 en 2010; à 977’614 en 2011. Une augmentation, en un an, de 368’701.

Ernst &Young «prédit» 28% pour fin 2013 et le centre d’étude du syndicat du secteur privé, le GSEE, place la barre à au moins 30%. Le taux de chômage, en octobre 2012, est de 56,6% pour la tranche d’âge de 15 à 24 ans. En 2010, il était de 34,7% et de 46,7% en 2011. Pour les 25-34 ans, l’évolution est la suivante: 34,1% en octobre 2012; 27% et 18,9% pour le mois correspondant des deux années précédentes.

Des «recettes» pour l’emploi

La région d’Athènes (Attica) est frappée le plus durement: 28,3% en octobre 2012 (20,4% en octobre 2011). Suit la région de l’Epire-Macédoine: 28,2% (20,9% en octobre 2011). Le gouvernement allemand vient d’annoncer que, durant l’année 2012, 123’000 personnes provenant de Grèce ont cherché du travail en Allemagne. Ce flux participe de la nouvelle configuration – entre zones de l’Union européenne – de l’armée de réserve industrielle, avec ses diverses composantes. Il accroît la concurrence entre salarié·e·s conjointement à «la flexibilisation» des «règles du marché du travail».

Il est vrai qu’en Grèce, comme dans d’autres pays européens, pour faire baisser les chiffres du chômage, une méthode est connue: selon le journal Democratia, seront «créés», en 2013, 60’000 emplois, sous forme de stages dits de formation. Ils s’adresseront aux moins de 35 ans. Leur durée: de six semaines, payées 480 euros. Ils devraient être financés par l’Union européenne (ESPA) pour un montant total de 35 millions d’euros. L’expérience a déjà démontré la stérilité de ce genre de mesure, si ce n’est sur le résultat statistique mensuel du chômage.

Certes, l’imagination sociale de certains caciques du pouvoir qui gardent une mémoire historique dépasse ces mesurettes. Ainsi, l’ancien ministre de Finances Petros Doukas de la Nouvelle Démocratie – qui a exercé ses talents de 1992 et 1993 lorsque Konstantinos Mitsotakis était premier ministre (d’avril 1990 à octobre 1993) et de 2004 à 2007 sous Konstantinos Karamanlis (2004-2007) – a mis à profit son site Web pour lancer une audacieuse proposition qui synthétise toute une culture politique. Il propose la mise en place «d’un travail volontaire», sans salaire. Cela fait partie de ses «90 propositions pour un New Deal Grec II». Ces «travailleurs volontaires» seraient au service de l’Etat, des municipalités et, y compris, du secteur privé. Doukas renvoie à l’expérience du RAD (Reichsarbeitsdienst) qui fait que le «travail vous rend libre». Sous des formes moins brutales, des «expériences» de ce type commencent à susciter des projets dans des fractions, certes minoritaires, des dominants. L’ignorer serait une erreur.

Il est vrai que Doukas possède une mémoire à trous: n’a-t-il pas oublié de déclarer au moins un million d’euros (près de 2 affirment certaines sources) dans sa déclaration d’impôt? Une affaire de lenteur qui est devenue la règle, selon lui, dans les transferts bancaires!

Cette indolence n’est pas isolée. L’agence Bloomberg, le 24 décembre 2012, estimait le total du non-paiement d’impôts à 54 milliards d’euros, dont les deux tiers relevaient de la responsabilité de 1500 Grecs. Bloomberg – usant d’informations judicieuses – jugeait que la récupération, au mieux, atteindrait la barre des 20%. Les «oublis» de paiement des cotisations sociales à la sécurité sociale sont aussi monnaie courante (et ce n’est pas une spécialité grecque). Le boss de Real Media, Andreas Kouris, ancien propriétaire de la chaîne de TV Alter, n’a-t-il pas une dette de 9 millions d’euros envers la sécurité sociale?

La paupérisation s’accentue

L’envol et la durée du chômage, les baisses massives des salaires, des rentes et autres allocations combinés avec une majoration brutale de divers impôts, tout cela a précipité des centaines de milliers de personnes en dessous de la «ligne de pauvreté» et vers «l’exclusion», pour utiliser le vocabulaire officialisé par la Banque mondiale et l’OCDE. Pour 2011, 21,4% de la population est considérée comme devant survivre avec moins de 5951 euros par année. Un seuil qui ne cesse de descendre, puisqu’il est mesuré à partir du salaire médian qui est à la baisse. Ainsi, il se situait à 7178 euros en 2010.

Le rapport de l’ELSTAT, rendu public le mardi 8 janvier 2013, insiste sur le fait que les chiffres pour  2012 seront nettement plus sombres. Le «coussin amortisseur» des diverses «aides sociales» ne fonctionne plus, car elles ont été soit supprimées, soit comprimées. Le nombre de ménage «ayant une basse intensité de travail» – lisez dont tous les membres sont au chômage, ou ne disposent que de «petits boulots» – a passé de 619’000 en 2010 à 979’000 en 2011. Le pourcentage de personnes ne pouvant couvrir, en 2011, un certain nombre de besoins de base (4 sur une liste de 9) s’élève à 28,4%  (24,1% en 2010). Parmi ces besoins de base, sont mentionnés: les dépenses fixes contraintes (loyer, hypothèques, etc.); une nourriture adéquate; un téléphone (y compris portable); un chauffage adéquat…

Les femmes (en particulier familles monoparentales) sont le plus durement frappées: taux pour cette «catégorie» de 43,2% en 2011 (33,4% en 2010).

Selon une dernière étude syndicale, 50% des nouveaux entrants sur le «marché du travail» gagnent 300 euros par mois. La presse vient de publier les nouveaux salaires contractuels des marins grecs (qui disposent de diplômes et de responsabilités sur les navires): ils passent de 2500 euros par mois (avec prime pour les heures supplémentaires) à 850, sans compensation pour les heures supplémentaires. Le journaliste, avec une ironie amère, déclare: «Les marins grecs sont devenus des marins philippins.» Il doit surestimer le salaire de ces derniers.

Le nombre de SDF à Athènes est évalué, par les ONG qui interviennent «sur ce terrain», à 20’000; avec toutes les diverses contusions propres à ce qui est qualifié aujourd’hui: «cette population».

L’offensive gouvernementale de la «loi et l’ordre»

Dans un tel contexte, le gouvernement d’Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie) – soutenu par le PASOK d’Evangélos Venizélos et DIMAR (Gauche démocrate) de Fotis Kouvélis – a lancé depuis quelques semaines une campagne quotidienne très violente contre SYRIZA. Il cherche, avec un certain succès conjoncturel, à fixer l’agenda politique et mettre SYRIZA dans une position strictement réactive.

La police devant Villa Amalia
La police devant Villa Amalia

Sous un certain angle, cette offensive de la droite gouvernementale et de son appareil étatique, avec ses relais médiatiques, marche sur les brisées des vastes opérations policières (arrestations multiples, camps de rétention, etc.) contre les migrants [1]. Ce qui est parfois négligé par une partie de la gauche européenne qui concentre ses «réflexions» strictement sur l’Aube Dorée [2], dont la percée ne doit certes pas être sous-estimée. Ces opérations politico-policières sont placées sous la bannière de Xenios Zeus, du nom du roi des dieux antiques Zeus, protecteur des hôtes!

Le 9 janvier 2013, la police a attaqué deux squats historiques à Athènes, le plus connu (aussi de ceux qui ont donné l’assaut!) est celui de Villa Amalia. Le second se trouve à la croisée des rues Patission et Skaramanga: Villa Skaramanga. Enfin, les «forces de l’ordre» ont poursuivi l’opération, mardi 15 janvier, à 13 heures, en délogeant les occupants d’un autre squat historique (Villa Leila Karagiani), dans le quartier de Kypseli. Le déploiement de police était spectaculaire: bouclage entier du quartier par les forces de police, hélicoptères, etc. Huit femmes et 6 hommes ont été arrêtés. La manifestation de solidarité du dimanche 13 janvier avec les squatters et contre les méthodes des forces de police fut assez importante. Elle était précédée par une manifestation, politiquement importante, contre le projet minier destructeur de la compagnie minière canadienne El Dorado à Skouries, située dans la région d’Halkidiki. Le soutien des forces de gauche d’Athènes à ces 2000 manifestants, diffusant un matériel très bien fait et pédagogique, était peu visible. Un manque certain.

Le ministre de l’Intérieur Nikos Dendias – chef d’orchestre de la campagne Xenios Zeus – a déclaré: «Nous ne reculerons pas sur la question des squats.» Il a indiqué que 40 squats à Athènes seraient «nettoyés». Selon les règles de ce genre de «nettoyages de squats», la police – relayée par les chaînes de TV – a multiplié les photos de bouteilles de bière qui «servent à fabriquer des cocktails Molotov», de bâtons «utiles pour attaquer la police».

Par un divin hasard, le quartier général de la Nouvelle Démocratie (ND) a subi dans la nuit de lundi 14 janvier, à 2h30, des tirs d’une «kalachnikov». Et l’alerte de la possible explosion d’une bombe a été donnée, avec évacuation du bâtiment de la Cour suprême. D’autres «attaques» de locaux de partis (PASOK, entre autres) ont été mentionnées.

Squatter l’espace politique

Les visées de ces initiatives gouvernementales autoritaires et «l’effet de ces événements», précipités dans le temps, peuvent se décliner ainsi:

«Provoquer» (avec la polysémie que ce terme comporte) une réaction dudit milieu anarchiste, ce qui fut le cas. Après l’évacuation de Villa Amalia, les «occupants» ont réoccupé les lieux, brièvement, puis ont choisi une «appropriation» succincte du siège de DIMAR. La campagne politique et médiatique s’est renforcée afin de chercher à accroître la «légitimité» des arrestations (plus de 140), des condamnations et de la «guerre aux squatters».

Mettre la question de la violence – «la loi et l’ordre» comme le disent les éditorialistes politiques – au centre du débat politique. Cela de concert avec un thème énoncé sur le ton: «Nous sommes en train de voir la lumière au bout du tunnel, grâce à l’aide reçue de l’UE; or la gauche radicale est en train de souffler sur cette flamme.» L’éditorial de Kathimerini, en date du 14 janvier, souligne: «Les turbulences [sociales et politiques] sont toujours là, mais l’opinion publique sait, maintenant, que la crise a envahi de nombreux autres pays et qu’il n’y a pas de solution magique. Les gens ont aussi compris que l’antidote à la montée du chômage ne réside pas dans un mélange d’instabilité et de manifestations qui ne cessent jamais.»

Le débat ne doit donc plus porter, avant tout, sur les plans d’austérité et leurs effets ou sur les compromissions ainsi que la corruption des politiques. Par exemple: la «liste Lagarde» (les noms des Grecs qui avaient des comptes dans la filiale de HSBC à Genève). Le débat, à rebondissements, sur ce thème a été un révélateur des comportements et du réseau social propres au régime PASOK-ND. La queue de comète de ce scandale courant est loin de s’éteindre. Il faut donc tenter de la masquer et de déplacer le regard des «citoyens».

La véritable question à l’ordre du jour ne réside-t-elle pas dans les conditions de stabilité sociale et politique qui «nous» permettront de sortir de cette crise fin 2013, début 2014, comme la BCE (Draghi le 10 janvier) en a laissé entrevoir la possibilité?

Dès lors, SYRIZA «doit» clairement prendre position face à la population: cette coalition de la gauche radicale est-elle pour la violence ou non, pour l’ordre ou non? Ne doit-elle pas cesser de jeter les feux sur la terrifiante violence sociale propre aux diktats de la Troïka et de ses alliés gouvernementaux, porte-voix des riches?

Il est dès lors inacceptable qu’un des députés de SYRIZA affirme, avec franchise, que les anarchistes, à leur façon, sont pour la démocratie directe, une valeur qu’il partage.

Tous les médias et les dirigeants gouvernementaux interrogent de suite Alexis Tsipras. Il doit être «absolument clair» à propos de la violence et pas seulement déclarer que le gouvernement «crée une polarisation artificielle» et «que la violence ou les menaces contre la vie humaine ne sont pas en syntonie avec les valeurs de la gauche». Ce d’autant plus qu’il préparait sa visite, le lundi 14 janvier, au ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble. Ce dernier lui a d’ailleurs simplement réaffirmé son credo. Prévisible. Cela ne contribuera pas beaucoup à la stature gouvernementale de Tsipras qui se rendra aussi aux Etats-Unis.

Les attaques contre SYRIZA combinent la dénonciation de son «intolérance», de sa caution donnée aux «affrontements», avec une assertion répétée à satiété: «Vous êtes incapables de présenter clairement les objectifs et les modalités de gestion si vous étiez au gouvernement.» Ce qui renvoie à des poussées contradictoires sur la question du gouvernement de gauche et de sa définition en termes d’alliances et d’initiatives dans les rangs de SYRIZA.

Essayer de dicter l’agenda politique

Le thème de la violence est d’autant plus incisif médiatiquement que des engins explosifs, très amateurs, ont fait quelques dégâts matériels mineurs, vendredi 11 janvier, devant les entrées des bâtiments de cinq journalistes: Antonis Skyllakos, dirigeant de l’Athens News Agency, le présentateur Giorgios Oikonomenas de l’influente Mega TV, une des chaînes déchaînée contre SYRIZA, Antonis Liaros ex-homme d’influence du groupe Mega, Petros Karsiotis d’Alpha TV et Christos Konstas, ancien d’Alpha TV et à la tête du journal économique Ependitis.

Le porte-parole du gouvernement, Simos Kedikoglou, a renouvelé le dimanche 13 janvier, dans le quotidien Kathimerini, les attaques contre SYRIZA, suite au jet d’un cocktail Molotov devant l’entrée de l’habitation de son frère Giorgios. Les formules sont choisies: «Les différences entre les déclarations enflammées et les attaques enflammées sont très petites. Il doit y avoir une claire dénonciation de la violence et de la violence verbale.»

Le premier ministre Antonis Samaras reprenait la thématique dans un long entretien publié, le dimanche 13 janvier, dans l’important quotidien To Vima, actuellement canal journalistique du gouvernement. Les «événements» du lundi matin, 14 janvier, mentionnés ci-dessus, font la première de toutes les émissions de radio et de TV.

Des articles de presse commencent à diffuser une «analyse des racines historiques de la violence actuelle en Grèce». En résumé, elle serait le résultat d’une accoutumance par la société à la violence de la «gauche» et de «groupes terroristes» (comme l’Organisation révolutionnaire du 17 novembre, date qui renvoie au massacre commis par l’armée contre les étudiants en 1973).

Cette violence, selon ces professionnels de la propagande construite à partir d’une chronologie biaisée et d’une réalité mise cul par-dessus tête, aurait créé le terrain favorable aux actions des néonazis de l’Aube Dorée. Les «extrêmes se nourrissent mutuellement», il faut les combattre avec détermination. Taisons les liens entre l’Aube Dorée et certains appareils de l’Etat, concentrons-nous sur le vrai danger: les squatters et tous ceux qui ne les dénoncent pas et n’approuvent pas les opérations policières.

Ainsi le gouvernement réussit à dicter, pour l’heure, une partie de l’agenda politique. Dans la foulée, il court-circuite encore plus des procédures parlementaires sur les mesures d’austérité (entre autres les impôts) en gouvernant, de fait, par décrets, sous la houlette de l’Eurogroup qui doit se réunir le 21 janvier. Car, comme le dit le porte-parole du gouvernement: «On ne peut terroriser la démocratie!» Ainsi, le lundi 14 janvier, 21 lois devaient être adoptées sans débat.

Les traits les plus élémentaires de la démocratie parlementaire sont effacés, comme l’a mis en relief Panayiotis Lafazanis, un des parlementaires les plus pointus de SYRIZA. Il a déclaré, le 11 janvier, face au ministre des Finances qui tient les manettes des plans d’austérité: «Vous introduisez une nouvelle forme de gouvernement. Les ministres imposent des décrets qui abolissent les droits du parlement et les lois ne seront en aucune mesure débattues. Vous êtes responsables de transformer la démocratie parlementaire en junte parlementaire.» Autrement dit: la majorité actuelle des 164 députés de la coalition gouvernementale (qui était de 179 après les élections de juin) vote comme un seul homme et sans discussion les lois-décrets.

A cela s’ajoutent diverses mesures, placées sous la lumière des projecteurs, contre l’évasion fiscale et, y compris, des arrestations, révélées à propos, de certains fraudeurs. Ce déploiement qui s’effectue avec l’aide de «spécialistes européens» traduit une solidarité marquée: les Français se consacreront à l’inspection des plus riches; les Espagnols fouilleront, en spécialistes, les opérations immobilières douteuses; les Suédois mettront au point un système de contrôle électronique des plus hauts revenus; les Belges et Hollandais vont créer une centrale téléphonique pour appeler les contribuables qui tardent à payer leurs impôts! La justification gouvernementale: il est difficile de réduire plus les salaires, l’accent doit être mis sur les impôts! Dont les hausses à répétition tombent dru sur les salarié·e·s et leur revenu, y compris leur richesse fictive: par exemple, la détention d’une voiture à crédit qui, outre la TVA payée, les intérêts à verser, les taxes annuelles à assumer, devient le signe d’une fortune qui doit être fiscalisée.

Cette pluie fiscale imite celle des particules cancérigènes provoquées par l’utilisation du bois de chauffage (de toutes origines) qui remplace partiellement le mazout étant donné son prix insupportable [3]. Mais les tarifs de l’électricité vont fortement grimper en 2013 et 2014. Et les institutions étatiques ont accumulé une dette de 170 millions envers la Compagnie publique d’électricité, qui est sur la liste des sociétés à privatiser.

Derrière ces dispositions contre les fraudeurs se profile une campagne politique: certes la «classe politique» et une partie des fonctionnaires étaient peu soucieuses du «bien public». Mais maintenant une nouvelle génération commence à occuper des positions importantes et fait fonctionner, à l’image des «techniciens européens», la machine d’Etat, dont les «décisions techniques» ne souffrent pas la discussion, car issues de nécessités chiffrées et de «mesures universelles, appliquées sans exception».

Dans la foulée, il est évident que se prépare, étant donné la crise du PASOK et de la Nouvelle démocratie, la mise sur pied d’une formation politique moderne, ayant de l’autorité et au profil européen, capable de «moderniser» la Grèce.

SYRIZA et la reprise de l’initiative politique

Dans la phase qui vient, SYRIZA doit être apte à reprendre l’initiative en imposant, dans l’espace public, les thèmes sociaux et politiques qui préoccupent la large majorité de la population et ceci en concordance avec les multiples et permanentes luttes sociales, les arrêts de travail, les grèves, les occupations de lieux de travail, et les diverses résistances actives de secteurs de la population. Ces résistances traduisent le rejet des décisions gouvernementales chaque fois qu’elles tombent. Et beaucoup attendent encore dans le tube.

Ce rejet exprime non seulement la péjoration des conditions de travail, la liquidation des conventions collectives, la baisse des salaires, mais toutes les facettes des conditions de vie bouleversées par trois plans d’austérité (Mémorandums). Le mouvement «Den plirono» – «Je ne paie pas» – concrétise à sa façon le principe: «nous ne paierons pas leur crise». Toutefois, les luttes n’ont pas débouché, pour l’essentiel, sur des gains. Ce qui doit être pris en compte.

A ce propos, il semble exagéré d’utiliser, sans précision, la formule de «grève générale». L’allusion au «19 grèves générales» en Grèce est, en partie, trompeuse. Pour l’essentiel, il s’est agi de «journées de grève» (24 heures, beaucoup plus rarement de 48 heures); certaines massives. Certes, plus d’une fois, elles ont été baptisées comme étant des «grèves générales». Le sens du terme de «grève générale» tend, dès lors, à perdre sa connotation d’affrontements socio-politiques d’ampleur et relativement centralisés (plus ou moins directs) avec le pouvoir politique en place.

Il ne s’agit pas de sous-estimer la montée importante de la conflictualité sociale. Mais l’utilisation peu précise du terme «grève générale» peut conduire certains – le plus souvent en dehors de la Grèce – à caractériser la situation comme pré-révolutionnaire, si ce n’est plus (et de dénoncer, dès lors, les «traîtres», toujours à l’affût). Or, précisément, la dimension de la crise sociale, les nombreuses luttes, souvent dispersées dans leur déroulement au cours d’une journée, le rejet de l’austérité n’ont pas, pour l’heure, débouché sur une fusion entre une radicalisation politique – traduite dans l’adhésion électorale massive et rapide à SYRIZA – et une mobilisation sociale large acquérant un degré d’autonomie et une indépendance, de facto, face aux appareils syndicaux.

Par contre, cela a abouti à des affrontements au sein des syndicats entre les fractions syndicales (PASKE) liées au PASOK et celles liées (DAKE) à la Nouvelles Démocratie. Une crise d’ampleur est ouverte entre ces fractions syndicales, leurs représentants (certains ont dû démissionner) et les partis de la coalition gouvernementale.

Ce qui ouvre un champ d’action à SYRIZA dont l’influence organisée sur ce plan n’est pas à la hauteur de son audience électorale (celle enregistrée en juin). Des interrogations en découlent: où mettre la priorité, dans le développement d’un syndicalisme de base classiste – où une unité d’action avec des membres du KKE et d’Antarsya s’impose – ou dans la captation de dirigeants issus du PASOK, pour modifier les rapports de force au sommet? Ce qui, certes, n’est pas toujours contradictoire. Toutefois où est placé l’accent compte pour beaucoup dans la dynamique qui peut être enclenchée et dans la capacité de jonction avec une fraction des chômeurs, de la jeunesse étudiante et d’autres mouvements sociaux.

Une autre question d’importance se pose aussi: la construction d’un front social apte à gagner un secteur de petits paysans projetés dans la misère et de petits entrepreneurs (au sens le plus élémentaire du terme) étranglés par la crise. Le GSVEE (Confédération des industriels et commerçants de Grèce) a soutenu une journée de grève appuyée par la GSEE (secteur privé). Ces petits «entrepreneurs» sont immédiatement frappés par les mesures d’austérité, la politique fiscale, ainsi que bancaire.

Ces deux composantes sociales sont majoritairement captées par la droite et les forces nationalistes. Sans une affirmation politique plus marquée de la «gauche radicale», des initiatives et propositions qui rythment l’agenda politique et affirment les propositions de SYRIZA, la jonction entre divers mouvements sociaux et un syndicalisme de classe plus consistant et renouvelé, les dérapages politiques vers des propositions de «reconstruction productive du pays» nécessitant un gouvernement «d’unité sociale» risquent de prendre de la force, ou plus de force.

S’il est clair qu’il n’y a pas d’alternative sans coûts – étant donné la profondeur de la crise, les traits propres au capitalisme grec, le contexte économique et politique européen et international – à la politique de la Troïka, une question décisive coule de source: quelles classes vont payer le véritable coût? La majorité sociale, qui paie déjà un prix analogue à celui qui était la norme dans les années trente, le vit et le sait. Une fraction des dites classes moyennes l’envisage, quand elle y échappe, encore, partiellement.

La priorité est donc d’offrir des réponses convaincantes aux franges les plus socialement actives des salarié·e·s, des chômeurs et chômeuses, en passant par les retraité·e·s et les personnes atteintes dans leur santé. Car eux tous sont frappés par de véritables «impôts confiscatoires», sous toutes les formes envisageables.

C’est sous cet angle que peut et doit être présenté un ensemble de propositions portant sur le refus des Mémorandums, le refus de payer la dette, sur la mise en place d’un système bancaire public dominant effectivement, sur la politique d’investissement et sur le contenu programmatique essentiel d’un gouvernement de la gauche dans une «situation non révolutionnaire», pour utiliser une formule non traditionnelle.

La récente déclaration du secrétaire de SYRIZA, membre de Synapsismos, Dimitris Vitsas, selon laquelle, si SYRIZA était au gouvernement, la renationalisation de toutes les firmes privatisées serait effectuée – et y compris fin serait mise au contrat léonin passé avec le géant chinois COSCO qui a acquis une part décisive du Pirée (secteur clé du centre portuaire et terrains y attenant) – traduit non seulement les effets du mécontentement populaire, mais les rapports complexes entre différentes positions au sein de cette coalition ainsi que l’attachement d’un secteur incontestable de membres au programme avancé à l’occasion des élections.

Les réactions violentes de la machinerie médiatique et des membres du gouvernement que cette prise de position a suscitées démontrent la détermination des dominants, de leur gouvernement et de leurs alliés européens.

Donc les points centraux d’une politique alternative doivent se coaguler avec les mouvements de résistance et les diverses luttes, d’autant plus qu’une certaine désynchronisation peut exister entre ces luttes – dont la dimension et la dynamique sont fluctuantes après trois ans d’une crise terrible – et des formes de radicalisation politique, liée au rejet du gouvernement, formes marquées certes par des dynamiques bi-polarisantes.

En outre, un gouvernement Samaras pourrait, dans une période proche, jouer la carte d’une affirmation de la souveraineté nationale, en alliance avec Israël (et Chypre), sur une large zone méditerranéenne censée disposer de réserves importantes de gaz et de pétrole; ressources présentées comme allant permettre «le développement de la Grèce». Une telle initiative aventuriste – avec l’appui d’Israël qui dispose d’une autonomie affirmée face aux Etats-Unis – ouvrirait un conflit politique avec la Turquie. Elle est actuellement plus difficile à mettre en œuvre étant donné la situation en Syrie. Mais, dans ce cas de figure, s’enflammeraient les tendances nationalistes en Grèce. Le 6 janvier 2012, le ministre des Affaires étrangères de Turquie, Ahmet Davutoglu, mettait déjà en garde le gouvernement grec contre les «recherches pétrolières» dans ces régions contestées. Voilà un autre défi pour les forces composant SYRIZA, plus spécifiquement pour le courant internationaliste.

Dans ce contexte – d’équilibre politique et social précaire et dangereux – le dernier sondage (11 janvier) pour Skai TV et Kathimerini tombe à point. La Nouvelle Démocratie obtient 29% des opinions «sondées» (+3%), SYRIZA: 28,5% (-2%); Aube Dorée (Chrysi Avgi): 10%; PASOK: 8%; Grecs indépendants (fort à droite): 8%, Gauche démocratique (DIMAR): 7%, KKE (PC): 5,5%.

Un résultat étonne divers analystes: le 8% du PASOK qui est en pleine déconfiture.

Le recul des personnes qui pensent, par rapport à décembre 2012, que SYRIZA peut gagner les prochaines élections est de 16% par rapport à décembre. Le rejet du gouvernement reste très fort, même s’il s’est un peu replié. Ce sondage est venu en renfort de la campagne politique exposée ci-dessus. Même si une majorité pense que la crise va durer 5 ans encore, il indique le recul de l’idée répandue d’une «faillite probable de la Grèce» avec ses «conséquences terribles pour tous», si le respect des plans d’austérité n’est pas affirmé et s’ils ne sont pas appliqués, thème mis en avant en permanence par Samaras et le ministre des Finances Yannis Stournaras.

Antonis Samaras est jugé comme plus capable de diriger le gouvernement qu’Alexis Tsipras, qui arrive en troisième position. En deuxième position arrive un absent: «les sondés» affirment que personne n’est capable de gouverner correctement. Ce qui traduit un élément significatif de la conjoncture présente. L’utilisation des sondages est une arme politique utilisée avec entrain. La presse pro-gouvernementale et les médias électroniques, hégémoniques, n’ont pas hésité à le faire.

Une configuration marquée par le (pré)Congrès

Au sein de SYRIZA, le pré-Congrès de fin novembre-début décembre 2012 a modifié la configuration des relations entre courants politiques. Les votes recueillis par l’accord passé durant le Congrès entre le Courant de gauche (représenté par P. Lafazanis) et le «pôle de gauche» (DEA et la majorité de Kokkino ainsi qu’AP0), soit 25,71% de votes sur les 2987 délégués ayant voté (un certain nombre sur les 3308 délégué·e·s – un pour 10 membres – avaient dû quitter le Congrès le vote ayant lieu très tard le dimanche soir) ont suscité l’étonnement du «groupe présidentiel» de Tsipras.

Ce dernier, sentant le climat, a effectué une longue intervention tardive – pas prévue et peu acceptée par une frange des congressistes – en plein débat sur la question de la structure organisationnelle future de SYRIZA. Il s’est clairement opposé à la présentation de deux listes pour l’élection des organes dirigeants, au nom de la «démocratie nouvelle à exercer individuellement par chaque membre». De fait, ce «centre présidentiel», composé pour l’essentiel d’une génération de trentenaires et de quadragénaires, cherche à jouer un rôle bonapartiste. Mais, il tente de le faire sur un terrain interne fort mouvant et dans un contexte où le gouvernement Samaras a repris, pour l’heure, l’initiative, même si sa base parlementaire reste faible et pourrait se défaire devant le surgissement d’événements qui sont propres à la crise multiface régnant en Grèce.

Cette position du «groupe présidentiel» – avec ses caractéristiques partiellement informelles – fait néanmoins, aujourd’hui, barrage à la dynamique la plus à droite d’un secteur influent de Synaspismos. Ce qui est souvent peu pris en compte par les dénonciateurs de SYRIZA. «Le groupe présidentiel», dans cette fonction bonapartiste difficile à maîtriser, joue face à la gauche de SYRIZA, parfois, la carte de la cooptation et surtout celle de sa neutralisation.

Ce d’autant plus que la liaison entre le «courant de gauche» et le «pôle de gauche» s’est maintenue et se consolide dans l’après-congrès. La formation d’un secrétariat exécutif de SYRIZA, qui s’est mis en place le jeudi 10 janvier et doit se réunir de manière hebdomadaire, laisse moins de marge de manœuvre au leadership Tsipras fortement médiatisé. Ce dernier aurait eu plus de possibilités de s’autonomiser par rapport à un «Comité central» qui, lui, ne se réunit qu’une fois par mois, alors que la temporalité socio-politique grecque est compressée.

L’entretien que nous publions ci-dessous, à titre d’illustration, a été donné par un membre du «réseau présidentiel», Yannis Bournous, responsable des «relations extérieures», le 14 décembre 2012 à Links (revue australienne). Il offre une idée du discours «présidentiel» fin 2012, donc avant la relance de l’initiative gouvernementale des dernières semaines. (15 janvier 2013)

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[1] Un organe de justice consacré aux infractions à la loi de la ville d’Igoumenistsa, dans le nord-ouest de la Grèce, vient d’acquitter 17 migrants sans-papiers qui s’étaient enfuis de leurs cellules, tant les conditions de détention étaient désastreuses et atroces. Ils avaient été à nouveau arrêtés. Leur fuite a été jugée comme justifiée. En effet, l’état de la prison contrevenait à trois articles de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

[2] Nous reviendrons sur les caractéristiques de l’Aube Dorée. On peut se rapporter à l’entretie publié sur ce site avec l’auteur de l’ouvrage le plus informé à ce sujet, Dimitris Psarras («Aube Dorée: des origines au présent»). Ce dernier viendra en Suisse donner des conférences début févier 2013.

[3] Les commerces de bois de chauffage enregistrés ont passé, selon la Chambre de commerce d’Athènes, de 5 en 2010, à 19 en 2011 et à 32 en 2012. Un indice de croissance de l’économie placée sous surveillance de la Troïka. Début janvier 2013, les experts du ministère de l’Environnement affirmaient que la limite des 50 microgrammes de monoxyde de carbone et d’oxyde d’azote, par mètre cube d’air, a été dépassée plus de 35 fois lors des derniers jours dans la ville d’Athènes. La distribution socio-spatiale est un peu différentiée. Avec la vague de froid hivernal, la concentration de polluants s’élève à 170 microgrammes/m3. La consommation de mazout a baissé de 75%. Il en découle une perte fiscale estimée à plusieurs centaines de millions pour l’Etat, ironie de la politique d’austérité. Une partie de la presse grecque est d’ailleurs remplie de propositions les plus fantaisistes sur les nouveaux impôts que pourrait inventer le gouvernement.

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La responsabilité historique de la gauche grecque

Entretien avec Yannis Bournous

Alexis Tsipras
Alexis Tsipras

A la mi-octobre 2012, le dirigeant de SYRIZA, Alexis Tsipras, a participé à un entretien radiophonique, au cours de laquelle il a dit que «le consortium de trois partis, qui commence à s’ébranler, s’effondrera et l’avenir du pays sera alors géré par des forces saines». Combien de temps avant que la coalition ne s’effondre?

Yannis Bournous: Tout d’abord il faut dire qu’en Grèce nous faisons une expérience sur le long terme; dans un tel contexte il n’est pas possible de faire des prédictions sûres, ni d’indiquer des dates précises. Lorsqu’il a fait cette affirmation, le leader de SYRIZA exprimait les réflexions qui nous parviennent d’une partie de la société. Même ceux qui en juin 2012 ont choisi d’accorder leur soutien au mémorandum, rejoignant ainsi les forces «pro-sauvetage», sont en train de se rendre compte, au cours d’un long processus, que les promesses pré-électorales de Nouvelle Démocratie (ND) et des autres deux partis au gouvernement sont en voie de s’effondrer.

Le gouvernement de coalition a voté en faveur du dit Troisième Mémorandum d’Entente pour la Grèce. Celui-ci a imposé un nouveau paquet de mesures d’austérité qui ont poussé le salaire minimum dans le secteur privé en dessous des 500 euros par mois. Il est en train de détruire toutes les ressources de l’actuel Etat social et du système de services sociaux en Grèce qui devrait couvrir les besoins de base des citoyens.

C’est la raison pour laquelle nous avons vu l’émergence de nouvelles mobilisations sociales à fin septembre 2012, avec les premières grèves générales. Il existe une forte volonté, de la part d’un secteur toujours plus important de la société, de renverser ces politiques de super-austérité.

SYRIZA a également déclaré officiellement qu’elle luttait pour que l’actuel gouvernement cesse de gouverner. Nous agissons dans ce sens à deux niveaux. D’abord, au niveau parlementaire: actuellement nous sommes le principal parti d’opposition. Nous y faisons tout notre possible pour bloquer les mesures réactionnaires de super-austérité, tout en proposant en même temps des alternatives. SYRIZA a, par exemple, déjà proposé un nouveau paquet de lois concernant les familles surendettées et des moyens de libérer ces familles de l’immense charge des dettes qu’elles ont contractées avec les banques privées. Nous œuvrons dans le même sens en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises qui se trouvent également dans une situation de surendettement et qui sont en train de s’effondrer depuis le premier programme d’austérité imposé il y a deux ans, alors qu’elles constituent l’épine dorsale de l’économie traditionnelle grecque.

A un autre niveau, nous essayons de raviver l’ardeur dans le domaine des luttes sociales. Depuis le moment où SYRIZA est apparu comme possible candidat au gouvernement, nous avons déclaré fermement que même si nous gagnions les élections et parvenions à établir ce que nous appelons un gouvernement de gauche opposé au Mémorandum et même si ce gouvernement bénéficiait d’un pourcentage élevé de votes, il ne serait pas en mesure de mettre en œuvre des changements réellement profonds dans l’économie grecque, à moins de bénéficier d’un fort soutien populaire.

Autrement dit, nous ne cherchons pas à reproduire l’Etat clientéliste du système politique que nous avons subi durant les 37 dernières années, depuis la chute de la dictature [1974], mais à créer un nouveau rapport avec la société. C’est une des grands défis qui se pose à nous.

Quelles sont les forces saines auxquelles tu fais allusion?

Je pense que lors des deux élections consécutives en mai et en juin 2012 toutes les forces politiques ont reçu un message nouveau.

Les programmes de super-austérité que le PASOK et Nouvelle démocratie ont imposés avec les trois derniers cabinets des ministres ont provoqué une détérioration des conditions pour beaucoup de couches sociales et de classes sociales. Cette situation a entraîné une rupture historique du lien qui existait entre les deux partis du bi-partidisme antérieur, de Nouvelle Démocratie et du PASOK, qui avaient instauré ce que nous appelons un vote pendulaire, avec les classes moyenne et basse de la société grecque.

Or ce sont ces mêmes forces sociales qui, pendant les 30 dernières années, ont permis à ces deux partis d’obtenir la majorité absolue, en alternant leurs positions entre le gouvernement et la principale opposition.

C’est ainsi que nous nous trouvons actuellement devant un scénario politique complètement nouveau.

Le modèle social-démocratique grec est en voie d’effondrement. En ce qui concerne le PASOK, les sondages montrent qu’il ne recueille que 5 à 6% des intentions de vote. Par ailleurs, même si Nouvelle Démocratie a gagné les élections, elle l’a fait avec les plus mauvais résultats électoraux de son histoire. Cette situation implique une libération des forces sociales. Ce que nous visons avec notre projet de gouvernement alternatif est une nouvelle connexion entre ces forces sociales libérées, émancipées, indépendamment de leurs votes précédents.

Les représentants de SYRIZA ont souvent argumenté que le fait d’abandonner la zone euro pourrait détruire l’économie grecque. Comment répondez-vous aux critiques de certains secteurs de la gauche grecque qui affirment que l’abandon de l’euro serait une position beaucoup plus radicale?

Le mot d’ordre fondamental de SYRIZA est: «ne plus faire de sacrifices au nom de l’euro». Les derniers événements à niveau européen ont clairement démontré qu’il n’y a jamais eu une menace réelle de la sortie de la Grèce – ce qu’ils appellent une «sortie GR» (Greek exit)

Cet argument a été utilisé pour exercer un chantage sur l’électorat grec, mais aussi pour convaincre les contribuables des autres pays européens que les contributions versées par l’intermédiaire des dits mécanismes de soutien – qui sont en réalité des contributions pour sauver les banques privées voleuses – sont utilisées pour éviter un démantèlement de la zone euro.

En même temps, ils ont expliqué aux citoyens grecs – par l’intermédiaire des principaux médias – que la «sortie GR» ne serait pas un problème pour l’Allemagne ou pour le reste de la zone euro, mais que par contre elle entraînerait la destruction de la société et de l’économie grecque. Or, tout ceci n’est qu’une énorme campagne de désinformation. Notre réponse est qu’un gouvernement de gauche ferait tout son possible pour protéger les intérêts sociaux.

Lorsqu’on essaye de répondre à une question erronée, et même si la réponse peut paraître correcte, elle reste néanmoins la réponse à une fausse question. Il ne s’agit en effet nullement du démantèlement de la zone euro: ce problème n’a jamais existé. Il est possible que quelques démocrates-chrétiens fondamentalistes et néolibéraux de la Bavière, de la Finlande ou de la Hollande aient soutenu une telle idée, mais depuis le début ce n’étaient que des groupes marginaux qui n’ont jamais représenté une réelle menace.

En fait, cette critique de la gauche ne concerne ni notre position contre la «sortie GR», ni la dissolution de la zone euro. Cette critique qui soutient le retour à la drachme (ancienne monnaie grecque), part d’un point de vue strictement keynésien.

Je vais expliquer brièvement pourquoi. La théorie qui sous-tend la dite position de gauche pour sortir de la monnaie unique propose que nous quittions l’euro pour retourner à la drachme, ce qui provoquerait une dévaluation de la monnaie nationale. Cette dévaluation entraînerait une détérioration accrue des salaires et des retraites. Mais par la suite – toujours selon cette théorie – la Grèce serait plus compétitive en ce qui concerne les exportations. Les grands exportateurs, qui profiteraient ainsi des exportations, distribueraient magiquement leur richesse.

Cette idée est 100% keynésienne et n’a rien à voir avec une position radicale sur la question de l’existence et des fonctions de la zone euro et de ses économies. Elle répond en réalité à une question erronée. En identifiant la monnaie comme l’acteur principal, ils font le jeu de l’ennemi.

Ce que nous voulons n’est pas de changer la monnaie, mais de modifier les rapports sociaux et la distribution des pouvoirs que représente cette monnaie.

C’est la raison pour laquelle nous appelons à la lutte non seulement à niveau national. Nous savons que le niveau national est fondamental pour la lutte de classe; mais nous reconnaissons également que, même si nous gagnions en Grèce et réussissions à établir un gouvernement de gauche, un tel gouvernement resterait isolé si nous n’effectuons pas de changements graduels dans la distribution du pouvoir ou dans les rapports de force, au moins à niveau européen.

On pourrait penser qu’il y aurait une rupture historique, puisqu’il y aurait un gouvernement qui opposerait tout à coup une résistance au projet autoritaire néolibéral. Nous appelons à la formation d’un front européen de résistance. C’est pourquoi les mobilisations européennes du 14 novembre 2012 étaient cruciales. A mon avis il y a eu une avancée très importante pour tous les mouvements sociaux en Europe.

Je crois que le mouvement Occupy a créé un sol fertile pour le développement d’un nouveau type d’internationalisme dans les luttes sociales. Même les syndicats réformistes sont actuellement en train de se mobiliser dans cette direction. Cela nous paraît décisif, car sans coordination et sans résistance massive à niveau européen, on pourra juste atteindre les objectifs initiaux, mais non procéder à des changements plus profonds.

On a aussi critiqué SYRIZA depuis la gauche pour avoir appelé à une renégociation de la dette grecque au lieu de refuser son paiement. Pourrais-tu expliquer la position de SYRIZA sur cette question?

Nous pensons que la question de la dette n’est pas technique, mais politique. On a utilisé la dette comme excuse pour imposer les programmes d’austérité. La Grèce a eu des problèmes avec la dette, tout comme beaucoup de pays européens depuis de nombreuses années. Même l’Allemagne a une dette publique qui dépasse les critères du pacte de stabilité.

Nous pensons que pour résoudre un problème politique il faut chercher une solution politique. Nous avons répété depuis le début de la crise que la dette n’est pas seulement un problème grec. C’est le produit d’une crise structurelle européenne qui vient de la manière dont l’Union européenne et la zone euro ont été construites.

C’est pour cela que nous avons insisté sur le fait que ce n’est pas au niveau national qu’il faut chercher à résoudre un problème qui se pose à niveau européen. Avec d’autres forces de la gauche européenne, nous avons par contre proposé d’aller vers un accord européen sur la crise de la dette publique. Un tel accord, qui devrait inclure tous les Etats européens surendettés, pourrait prendre comme modèle celui qui a été conclu pour l’Allemagne en 1953, après la deuxième Guerre mondiale.

Cet accord devrait porter sur deux questions. D’une part, il devrait prévoir l’abolition d’une grande partie de la dette. Nous proposons la mise en place d’un audit pour analyser le type de dette pour découvrir, par exemple, la part due à la corruption ou à des taux d’intérêt spéculatifs du passé.

D’autre part, nous devons protéger certains petits investisseurs, comme les familles qui ont consacré l’épargne de toute une vie à acheter des obligations de l’Etat grec ou les fonds de la sécurité sociale qui possèdent ces obligations et qui se sont trouvés sans protection l’année passée face à ce qu’on a appelé la «coupe de cheveux» (hair cut) de la dette grecque [suppression d’une partie de la dette, renégociation des échéances, réduction des intérêts, etc.].

Les petites familles et les fonds de la sécurité sociale grecs ont été les premiers à être détruits par les mesures d’austérité. La même chose est arrivée aux universités grecques, qui ont frôlé la banqueroute suite à la «coupe de cheveux». C’est la raison pour laquelle nous affirmons que notre programme et notre stratégie doivent rester orientés sur les classes sociales. Il s’agit de protéger ceux qui n’ont pas provoqué la crise et punir ceux qui en sont responsables.

En même temps, nous appelons à l’optimisation des conditions de remboursement du reste de la dette, également selon le modèle de l’accord en Allemagne de 1953. Cela implique comme précondition une croissance..

Il n’est pas besoin d’être un économiste pour le comprendre. Si nous devons payer les intérêts et rembourser le principal des capitaux empruntés, tout en trouvant également de l’argent pour des investissements publics afin de stimuler la création de poste de travail, alors que nous subissons la récession, cela devient une tâche impossible. Si nous voulons sauver l’Europe dans son ensemble, il est nécessaire de prendre certaines décisions. Notre décision est de défendre et de stimuler les politiques qui puissent aider l’Europe à sortir de la récession: création d’emplois, investissements publics, contrôle social des entreprises stratégiques (secteurs bancaire, énergétique, du transport, etc.), tout en assurant les services sociaux de base.

Mais comme la crise est structurelle, cela ne suffira évidemment pas. Nous affirmons que les traités européens qui ont été votés jusqu’à maintenant ont conduit l’Union européenne au point où nous nous trouvons maintenant. Nous avons besoin d’un changement radical dans les traités ainsi que dans les statuts de la Banque Centrales européenne, de manière à ce que celle-ci devienne un prêteur en dernière instance, qui offre donc des prêts directs aux Etats surendettés, avec un taux d’intérêt très bas.

Le Parti de la gauche européenne a proposé officiellement la création d’une banque publique européenne ayant pour objectif le développement social et écologique. Cette banque pourrait financer directement, avec un intérêt nul ou très bas, uniquement des investissements publics pour des projets de développement écologique soutenable ou de création d’emplois.

On a cité Tsipras comme ayant déclaré: «L’austérité a échoué non parce qu’elle a été appliquée, mais précisément parce qu’elle a été imposée.» Quelle est l’alternative de SYRIZA à l’austérité?

C’est la première fois de notre histoire où c’est la société elle-même qui nous oblige à chercher des alternatives concrètes pour le «jour d’après». Cela représente un changement de rôle pour un parti de gauche en Grèce.

La question est cruciale. Si nous voulons établir un gouvernement de gauche, il est impératif de trouver des fonds. Ainsi, une des propositions serait l’instauration d’un impôt extraordinaire, un impôt immédiat sur les grands capitaux, les grandes compagnies et les riches.

En même temps nous avons besoin d’une stratégie rapide et efficace pour changer  le système fiscal en Grève, un système qui est d’ailleurs contraire à la constitution grecque, selon laquelle les impôts doivent être progressifs, chaque citoyen devant contribuer selon ses possibilités.

Alors que la Grèce est en train de vivre la sixième année de récession, l’ex-premier ministre du PASOK, Georges Papandréou, a diminué l’impôt annuel sur les bénéfices des grandes entreprises. Alors que dans le même temps on réduisait les salaires des travailleurs et on dégradait leurs conditions de travail.

J’ai lu récemment un rapport officiel d’après lequel, au cours des deux dernières années de récession, le profit des 500 entreprises les plus importantes de Grèce avait augmenté de 19%. Cette information montre bien que quelque chose doit changer.

Donc, l’un des objectifs fondamentaux doit être que ce soient les riches et non pas les pauvres qui paient, puisque les classes moyennes et basses, et les gens ont perdu leurs emplois et leurs foyers, ne peuvent pas contribuer davantage. A  Athènes, il y a actuellement environ 25’000 personnes sans abri. Le nombre de suicides suite à des bouleversements personnels a augmenté de manière exorbitante. Tout cela démontre clairement que nous devons opter pour une politique radicalement différente en termes de revenus de l’Etat.

Il faudra un accord pour percevoir des impôts sur la fortune de biens immobiliers de l’Eglise, puisque celle-ci est la plus grande propriétaire de biens immobiliers en Grèce. Il faudra également pouvoir imposer les grands armateurs, qui possèdent la deuxième flotte marchande du monde et qui, grâce 70-75 exemptions dont ils bénéficient suite aux décisions des gouvernements précédents, peuvent faire officiellement de l’évasion fiscale.

Si nous ne cherchons pas des solutions orientées en direction des classes sociales, nous ne sortirons jamais de la tragique condition dans laquelle se trouve actuellement l’économie grecque.

Selon les sondages, le parti fasciste Aube dorée bénéficie un soutien de 13%. On a comparé cela à l’essor du fascisme en Allemagne dans les années 1930. Comment SYRIZA répond-il à cette situation?

L’essor d’Aube dorée est un phénomène complexe. On ne peut pas l’expliquer simplement en disant que 500’000 électeurs grecs sont devenus fascistes du jour au lendemain.

Aube dorée est née comme une solution radicale contre le système. C’est entre autres pour cela que beaucoup de jeunes ont fini par voter pour ce parti. C’est en premier lieu le gouvernement du PASOK, avec la rhétorique raciste et xénophobe dont il truffait le discours politique dominant, qui a préparé un sol fertile pour l’éclosion d’idées néofascistes.

Les citoyens se sont habitués aux concepts xénophobes émis par un gouvernement «socialiste». Si l’on combine une crise générale de représentation politique avec le refus de ce que les gens voient comme un système politique d’ensemble, il est ensuite facile d’en arriver à des solutions de ce type.

Aube dorée se compose d’un réseau complexe. En ce qui concerne certains aspects économiques, ils sont «national-socialistes», puisqu’ils proposent, par exemple, la nationalisation des banques. Mais en même temps, ils sont très contradictoires. Dans leurs discours officiels au parlement, ils ont exigé du gouvernement qu’il n’applique pas les nouveaux impôts aux armateurs parce que, disaient-ils, ils étaient aussi des «patriotes qui peuvent aider notre pays».

Nous savons maintenant qu’ils travaillent à élargir leur influence dans les gymnases, les supporters «ultras» des clubs de football parmi le personnel de sécurité des cabarets et dans les escadrons des forces armées spéciales. On peut donc dire qu’ils sont engagés dans activités criminelles, et pas uniquement à cause de leurs agressions violentes et assassines contre les immigrés.

Aube dorée est un réseau complexe, qu’il n’est pas facile d’affronter, ni de dissoudre. Ses adhérents se montrent également très hostiles aux luttes des travailleurs. Par exemple, l’année passée il y a eu une grande grève des travailleurs de l’acier à Halyvourgia [contrôlée par le KKE]. Aube dorée était opposée à la grève, mais à un moment donné ils ont changé de position et ont apporté de la nourriture aux grévistes; d’un autre côté, ils se déclaraient officiellement contre là grève, et dans une usine ils en sont arrivés à menacer les travailleurs pour qu’ils rentrent chez eux.

Aube dorée est le produit de la crise capitaliste. Elle se présente elle-même comme une force anti-système, ce qui est en réalité faux.

Qu’avons-nous fait dans ce domaine? Le problème est complexe et exige une stratégie multidimensionnelle. Nous ne pensons pas que la solution puisse être, comme le proposent quelques anarchistes, de créer des escadrons de choc et de se battre contre eux toutes les nuits.

Ce que nous avons essayé de faire est de créer divers comités antifascistes, par exemple dans les écoles, en collaborant avec des syndicats d’enseignants, ou dans les quartiers, surtout à Athènes, où le problème est plus aigu. Dans les quartiers, nous avons aussi collaboré avec des citoyens artistes ou intellectuels et nous participons à des événements culturels, en essayant de développer un autre type de culture.

Nous savons que les réseaux de solidarité que nous avons créés dans ces quartiers sont un aspect très important. Non seulement ils sont cruciaux pour la survie des citoyens, qui reçoivent de l’aide grâce à ces réseaux, mais aussi pour développer un autre type de rapport social fondé sur la solidarité. En effet, les nazis comptent beaucoup sur la peur, sur l’isolement des gens, sur la peur de la criminalité, de la faim etc.

Nous essayons de développer une manière collective d’affronter les problèmes sociaux, ce qui implique également de travailler de pair avec nos voisins immigrés. Il ne s’agit pas de philanthropie, ni d’une relation verticale, ni d’un jeu de pouvoir entre celui qui a et qui donne et celui qui n’a rien et qui dépend de la personne qui est au-dessus de lui. Il s’agit plutôt d’une relation horizontale.

Dans nos réseaux de solidarité les rapports se fondent, outre l’approvisionnement en nourriture et en vêtements gratuits, sur la notion d’échange sans médiation de l’argent. Echange de biens, mais aussi de services. Si le voisin immigré a travaillé dans l’industrie de la construction et se trouve actuellement au chômage, il peut venir peindre ta maison, et en échange tu peux lui donner un flacon d’huile d’olive ou des leçons pour ses enfants.

Il s’agit de réflexions qui se réfèrent à des questions plus stratégiques. Car si l’on parle d’une vision du socialisme dans la liberté et la démocratie, nous devons développer un modèle de société de ce type en ouvrant de petites portes comme celles-ci.

Notre but n’est pas de nous approprier le rôle des services de l’Etat. Cela nous le disons clairement aux gens qui participent aux réseaux de solidarité: lorsque nous créons un centre local de santé sur la base du volontariat, nous ne sommes pas en train de remplacer un hôpital. Nous essayons d’aider les gens à survivre de manière collective, mais en même temps nous les encourageons à exiger collectivement la satisfaction de leurs besoins de base.

Cette stratégie qui repose sur une réponse collective constitue également une arme contre le fascisme, une réponse antiraciste et culturelle au concept utilisé par Aube dorée pour gagner des forces.

On a accusé les fascistes d’avoir des liens avec les forces de police. Que peux-tu dire à ce sujet ?

Il ne s’agit pas des simples allégations, nous avons des preuves. Il y a eu des incidents répétés de tolérance de la part de la police antiémeute à l’égard des fascistes lors des affrontements avec les antifascistes, et aussi lors des manifestations. Il existe de nombreuses preuves que les policiers motocyclistes portent à l’arrière de leurs casques des emblèmes portant des symboles de la Grèce antique utilisés par les nazis, et des symboles monarchistes.

Nous avons souvent observé des incidents de violences racistes dans les départements de la police. Amnesty International l’a dénoncé à niveau international. Dans un des cas, lorsqu’un groupe de manifestants antifascistes ont affronté des membres de l’Aube dorée, 15 des antifascistes ont été arrêtés et torturés. The Guardian [quotidien anglais] a publié un article sur cet incident et sur l’utilisation de tasers et d’autres tactiques de répression.

La réponse du Ministre de la «protection du citoyen,» comme on l’appelle en Grèce, a été de déclarer publiquement qu’il poursuivrait The Guardian pour cette désinformation.

Un autre type d’incident a eu lieu dans deux régions de la Grèce : des membres parlementaires d’Aube dorée ont participé à plusieurs agressions contre des vendeurs immigrés dans des petits marchés, détruisant leurs boutiques et les chassant. Il existe des preuves confirmant que lors d’une de ces agressions, dans la ville de Messologi, plusieurs policiers déguisés en paysans étaient présents parmi les membres de l’Aube dorée.

Une pétition demandant une enquête à ce sujet a été déposée, mais nous avons l’habitude de voir ce type d’enquêtes être renvoyées.

Après les élections il y a également eu un sondage montrant que, dans plusieurs locaux de vote d’Athènes, proches des départements centraux de police, on avait évalué que près de 50% des policiers qui y étaient recensés avaient voté pour Aube dorée.

Tout cela est renforcé par la théorie «des deux extrêmes» qu’utilisent dangereusement tous les partis au gouvernement, y compris,malheureusement, la Gauche démocratique [DIMAR]. Il s’agit d’un schéma ayant deux pôles: d’un côté Aube dorée et de l’autre SYRIZA, ou n’importe qui manifeste et résiste.

Le gouvernement n’utilise pas que la rhétorique, il prend aussi clairement position entre les deux extrêmes. Les déclarations du Ministre de l’Intérieur ont été réellement provocantes.

L’autre danger vient du fait que ce discours est fréquemment repris dans les partis de gauche. Par exemple, après les élections de juin, la secrétaire générale [Aleka Papariga] du Parti communiste de Grèce (KKE) a déclaré dans une interview que nous ne devrions pas craindre Aube dorée, puisque maintenant qu’ils sont au Parlement ses membres se mettront en redingote et s’adapteront au système.

C’est une terrible erreur. Car l’histoire a malheureusement prouvé que lorsque les institutions entrent en contact avec le fascisme, c’est plutôt elles qui s’adaptent à lui. Nous avons repoussé cet argument depuis le début de la période pré-électorale. Nous avons dit que même si un citoyen n’est pas d’accord avec SYRIZA, et même s’il pense que nous allons complètement contre ses intérêts, il ne devrait jamais voter pour Aube dorée. C’est là le message que nous avons transmis clairement à travers nos candidats et notre dirigeant. Nous avons été le seul parti à maintenir cette position.

Quand SYRIZA prévoit-il de nouvelles élections? Y aura-t-il des élections anticipées?

Cela nous renvoie d’une certaine manière à la première question. Nous ne sommes pas des oracles. Plus sérieusement, pour nous, tout dépend de la disponibilité sociale et de l’organisation des mouvements de résistance. Si des citoyens sont présents activement et font pression sur le gouvernement, nous pourrions voir des changements politiques rapides. En l’absence de telles mobilisations, nous ne verrons pas de changement et ces gens resteront encore longtemps au pouvoir.

Nous avons officiellement déclaré que notre objectif politique actuel est de faire que le gouvernement actuel soit révoqué, mais cela ne pourra se faire qu’avec une pression sociale. Quoi qu’il en soit, nous serons là pour montrer que nous sommes prêts à assumer notre responsabilité historique.

Au mois de mai de l’année prochaine se tiendra le congrès de fondation officiel qui fera de SYRIZA un nouveau parti unifié, multi-tendances. Est-ce que SYRIZA se prépare pour les élections?

Depuis les élections de juin, les membres de SYRIZA ont constamment été en situation de période pré-électorale. Pour nous, cela ne signifie pas seulement nous organiser en vue des campagnes électorales, mais surtout de participer au mouvement de résistance. C’est la pression sociale qui a expulsé deux gouvernements et a imposé des élections.

Voici ce que nous essayons de développer actuellement. Le lendemain des élections de juin 2012, après avoir remercié 27% de l’électorat d’avoir attribué à SYRIZA une si grande responsabilité, nous avons expliqué clairement qu’en termes organisationnels SYRIZA était un parti du 4%. Nous devons croître et nous développer de manière à pouvoir construire un parti de gauche ouvert, inclusif, démocratique et radical. Il ne s’agit pas uniquement d’en rester au 27% qui ont déjà voté pour nous, mais d’élargir l’éventail de notre appel.

Cela implique les alliances sociales que nous avons soutenues dernièrement et que nous avons déjà mentionnées. Pour nous c’est un grand défi de voir si nous sommes capables de transformer SYRIZA en un sujet politique beaucoup plus cohérent.

Nous sommes en train de vivre une période historique dans laquelle le modèle des partis d’«unité idéologique» a échoué. Un tel échec est apparu encore plus clairement après les élections en Grèce, dans lesquelles le dogmatisme monolithique et le sectarisme du Parti communiste l’ont conduit à une marginalisation politique et électorale.

Nous croyons en l’unité politique et en l’unité des besoins sociaux. Et c’est ce que nous essayons de construire actuellement.

Les premiers symptômes de cette période de préparation sont positifs. SYRIZA a presque multiplié par trois le nombre d’adhérents depuis les élections : ils dépassent maintenant les 30’000, et nous allons vers les 40’000. Ce n’est pas encore beaucoup, mais c’est significatif. C’est le nombre le plus important d’adhérents qu’ait connu un parti à la gauche de la social-démocratie en Grèce dans les 20 dernières années.

L’analyse qualitative des nouveaux membres qui ont rejoint SYRIZA démontre clairement qu’il y a un élargissement de la disponibilité sociale à entrer en contact avec les idées de la gauche plurielle et radicale. C’est notre objectif de base pour la prochaine période. Nous nous adressons aux citoyens de toutes les provenances politiques; nous pensons que nous sommes dans une période historique où nous pouvons nous rencontrer avec des gens de tout le spectre politique en partant de la protection des besoins sociaux. A l’exclusion, bien entendu, de l’extrême droite.

Peu à peu cela nous donne de l’optimisme et de la force pour continuer l’unification, le processus de transition et la transformation de SYRIZA au cours de la prochaine période, jusqu’au congrès de fondation.

Nous voyons également le même type de signes positifs dans les élections des syndicats des différents secteurs: les listes des forces d’unité de la gauche que nous nous efforçons de mettre sur pied sont en train de progresser. Tout cela nous semble très important, étant donné qu’un de nos principaux objectifs est de convaincre les gens que le modèle du syndicat traditionnel de la dernière décennie – celui qui comprend corruption, bureaucratie et conservatisme – doit changer.

Or, la seule manière de changer est de soutenir les forces qui proposent un projet alternatif à ce qu’est devenu le syndicalisme actuel. Comment pourrait-on, par exemple, intégrer dans le syndicalisme la force de travail en conditions précaires, une force énorme en Grèce actuellement, mais que les syndicats ignorent?

Les signes sont positifs et nous pensons que pendant cette période de transition jusqu’au congrès de refondation à la fin mai ou au début de juin 2013, nous serons capables d’élargir notre influence. (Traduction A l’Encontre)

 

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