Par Sofia Dermetzoglou et Michael Vergitsis
Antónis Samaras et Evangelos Venizelos [1] manœuvrent, au cours de ces deux premières semaines de décembre 2014, avec une tactique qui doit se dérouler en deux phases.
• Tout d’abord, ils tentent de gagner du temps en cherchant à maintenir en place le gouvernement jusqu’en 2016 ou, au moins, jusqu’à la fin de 2015.
Ce scénario s’appuie sur une campagne médiatique d’épouvante sur les thèmes: la catastrophe qui fera suite à une sortie de l’euro et de l’UE: Grexit, le Bank Run, soit un retrait massif de toute l’épargne déposée dans les banques et même l’encouragement indirect à ce que les firmes (qui ne l’ont pas déjà fait) fassent sortir leurs capitaux, l’écroulement de tous les financements publics, etc.
A cela s’ajoute aussi l’intervention directe, sans précédent, de dirigeants de l’UE – Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne; Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires; Wolfgang Schäuble, ministre des Finances de l’Allemagne – concernant le futur d’un Etat membre. Tous se sont prononcés pour le choix de Samaras, marquant de la sorte le mépris le plus grand pour les aspects même formels de règles démocratiques. Leurs interventions ne reposaient sur aucune base légale ou «technique» de l’Union européenne.
Si leur objectif est atteint et que se prolonge la survie politique du gouvernement Samaras, ils auront la possibilité – et peut-être la capacité – de faire appliquer le nouveau paquet de mesures d’austérité. C’est essentiellement un troisième mémorandum, que la Troïka (FMI, BCE, UE, au-delà des nuances possibles entre ces trois entités) considère comme une condition préalable à la poursuite de la mise à disposition d’une tranche de 1,8 milliard d’euros pour payer les créanciers [ladite aide à la Grèce est en fait une assurance donnée aux créanciers, en très large majorité européens, de récupérer leurs prêts].
Les conséquences sociales barbares de cette politique sont visibles pour tout le monde et la réprobation, le tollé de la population est le facteur clé qui empêche Samaras de rallier les nécessaires 180 membres du Parlement grec nécessaires pour élire le nouveau président (Stavros Dimas) et pour éviter des élections législatives qui découleraient de cet échec. En cas de réussite, Samaras et la coalition Nouvelle Démocratie-PASOK pourraient se maintenir au pouvoir. Ce qui permettrait de faire passer les plans d’austérité, tout en disant que le gouvernement va les négocier avec l’Union européenne et la Troïka
«La parenthèse de gauche»
Si les alliés européens et grecs de Samaras essuient un échec le 29 décembre 2014, ils vont tenter de déposer la bombe du nouveau mémorandum (l’accord en cours avec la Troïka) dans les mains d’un gouvernement Syriza (Coalition de la gauche radicale).
Ainsi, ils vont chercher à forcer ce nouveau gouvernement de reculer de manière désordonnée – en tant que gouvernement de la gauche – par rapport à ses engagements idéologiques et politiques fondamentaux. Et cela avec le risque fort grand de ruiner les forces de la classe des travailleurs et des travailleuses qui ont déposé leurs espoirs, depuis longtemps, dans Syriza.
Autrement dit, ils parient soit sur un affrontement non préparé avec la classe dominante grecque et ses alliés internationaux, soit sur une large déception des masses laborieuses sur la base d’une politique se situant dans une certaine continuité du gouvernement précédent, soit sur les deux, ce qui conduirait à une expérience brève d’un gouvernement de la gauche. Cette double menace est le fondement de la théorie qui a pour nom, en Grèce: «la parenthèse de gauche».
Cette politique de la droite doit susciter une réponse ferme et durable de Syriza et de toutes les autres composantes effectives de la gauche.
Le sens d’un changement politique réel en Grèce est identifié avec un changement de gouvernement – donc une défaite de la Nouvelle Démocratie et du PASOK – accompagné d’une tentative résolue de terrasser la politique économique et sociale d’austérité.
Les principaux engagements de Syriza à l’occasion de la Thessaloniki International Exhibition [2] peuvent se résumer dans ces décisions: abolir le Mémorandum [«accords» pour les politiques d’austérité]; renégocier la dette dans le sens suivant: supprimer la plus grande partie de cette dette, arrêter de suite le paiement des intérêts et de l’amortissement, etc. Voilà les premiers pas absolument nécessaires sur le chemin d’un changement effectif.
Un gouvernement de gauche – qui a pour objectif d’appuyer l’activité des salarié·e·s et de stimuler la mobilisation des masses laborieuses et populaires – devrait être et serait en mesure de procéder en changeant complètement le paysage politique. Ce qui implique de mettre en échec les politiques et les décisions prises sous l’emprise des politiques dites néolibérales: les privatisations, la flexibilisation accrue dudit marché du travail, la démolition des conventions collectives, la réduction drastique des diverses allocations de l’Etat dit social, le chômage de masse avec des allocations dérisoires et d’une durée réduite, la démolition du système public de santé, etc.
Seule la persistance dans une telle direction politique et organisationnelle (d’un mouvement de masse à stimuler) peut construire un «contrepoids» face à la combinaison de facteurs tels que: le matraquage médiatique afin de créer la panique face au futur, les interventions internationales multiples que nous allons connaître dans les prochaines semaines.
Les déclarations de certains membres centraux de Syriza peuvent conduire à une défaite politique majeure. Ils ont exprimé des opinions allant dans le sens de la mise en place de procédures afin d’établir une sorte de «consensus national» qui impliquerait de renoncer à des décisions unilatérales de la part d’un véritable gouvernement de gauche, décisions certainement plus que nécessaires face aux créanciers.
Ces déclarations ne correspondent pas à la volonté des membres de Syriza, ni aux rapports de force à l’intérieur de la direction large de la coalition.
Ces déclarations ne nous renforcent pas sur le chemin de la victoire politique. Au contraire, elles créent la confusion et réduisent la possibilité d’un effectif gouvernement de gauche.
Ces opinions exprimées publiquement devraient recevoir une claire réponse de la part de Syriza, afin de créer les conditions pour établir un courant social durable et cohérent qui soutienne activement les décisions de Syriza.
Selon les mêmes critères, certaines questions tactiques importantes exigent une riposte. Les alliances politiques ne peuvent pas être modifiées – suite à des accords avec des candidats qui se situaient au centre ou au centre-droit pour la formation des futures listes électorales – sous le prétexte d’éviter un affrontement décisif.
Les décisions de la conférence de Syriza écartent des listes électorales celui ou celle qui a pris la responsabilité de soutenir les Mémorandums gouvernementaux. Ces décisions n’étaient pas «trop strictes», «trop sévères»; elles répondaient à la volonté d’un vaste courant populaire.
Travailler avec certains membres du Parlement qui ont résisté aux pressions du gouvernement Samaras pour atteindre les 180 députés nécessaires à l’élection est justifié. Mais il n’y a aucune raison de les faire participer aux listes de Syriza en cas d’élections législatives en janvier 2015, ce qui serait une forme de feu vert donné pour un gouvernement de coalition qui n’a rien à voir avec un gouvernement de gauche effectif.
Parce que la future fraction parlementaire de la gauche – en cas d’élection fin janvier ou début février 2015 – devra faire face à des défis généraux et à des choix plus difficiles. Les hésitations et les stratégies – qui ont commencé à partir d’autres projets politiques que celui d’un gouvernement de gauche – ne seront pas pardonnées.
«Autre» Gauche
Dans la discussion de Syriza la question des relations avec le Parti communiste de la Grèce (KKE) et Antarsya devrait être soulevée [d’autant plus que, sous l’effet des échéances politiques, des débats très marqués, des divisions entre ses composantes traversent cette coalition au nom de Front de la gauche grecque anticapitaliste].
Avec les forces organisées de «l’autre gauche» – celle qui a résisté à la crise, contrairement, par exemple, à Dimar: la Gauche démocrate – qui disposent d’une influence réelle au sein de la classe ouvrière et du mouvement populaire, les actions et relations de front unique pourraient avoir un effet notoire sur les options concrètes de Syriza.
Cette tactique d’alliance (avec cette «autre gauche» doit être mise en œuvre directement par le «parti» Syriza, autrement dit par les organismes élus par les membres et par les structures institutionnelles telles que le bureau politique, le comité central, etc. Les alliances ne peuvent être le résultat d’opérations d’un «cercle présidentiel».
Dans une période de batailles décisives, les personnes organisées de la gauche doivent démontrer pratiquement leur détermination et leur choix stratégique et tactique – expliqués pédagogiquement – pour des changements d’ampleur en direction, avant tout, des structures de base du parti et des rassemblements locaux, ce qui ne peut que se traduire au niveau des organes de direction de Syriza. (Traduction d’Antonis Martalis pour A l’Encontre, article publié dans le bimensuel de DEA, La gauche ouvrière, N° 326, du 17 décembre 2014; les deux auteurs sont membre de DEA et du Comité central de Syriza)
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[1] Samaras est le premier ministre et dirigeant d’un gouvernement de droite dure – qui a intégré des ministres issus de la droite extrême (LAOS) – représenté par la Nouvelle Démocratie (ND). Venizelos est vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Il est le leader du PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) qui est un parti en chute libre au plan électoral, d’autant plus si Geórgios Andréas Papandréou, ex-premier ministre du PASOK d’octobre 2009 à novembre 2011, crée sa propre formation politique en cas d’élections après le 29 décembre 2014. Cela au cas où Samaras ne peut pas réunir les 180 députés nécessaires – après trois votes au parlement – à l’élection du nouveau président. Le candidat présenté par Samaras – et la Commission européenne, de facto – est Stavros Dimas. C’est un ex-commissaire européen à l’Environnement entre 2004 et 2010. Il fut ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement de Loukas Papadimos (ex-vice-président de la Banque centrale européenne et ex-gouverneur de la Banque centrale de Grèce) en 2011 et 2012. Dimas a déclaré le 24 décembre 2014 qu’il n’accepterait pas d’être élu grâce à des voix d’Aube dorée, le parti néonazi dont les principaux dirigeants sont en prison pour activités criminelles. (Rédaction A l’Encontre).
[2] La Thessaloniki International Exhibition se déroule chaque année. A cette occasion, chaque début septembre, le premier ministre et le dirigeant de la principale opposition – Alexis Tsipras, président de Syriza, cette année – exposent les lignes de force de leur parti respectif pour l’année à venir. (Note du traducteur Antonis Martalis)
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