Grèce. Première Conférence de l’Unité Populaire

IMG_20160626_133003-696x391Par Antonis Ntavanellos

La Conférence de l’Unité Populaire (UP) – qui s’est tenue du 24 au 26 juin 2016 à Athènes [1] – fut le lieu et le moment d’un rassemblement d’un effectif militant, précieux et combatif, de la gauche radicale et anti-mémorandaire. L’Unité Populaire compte quelque 5000 membres. Les instances dirigeantes – entre autres le Conseil politique composé de 111 membres – ont été élues par 1009 délégué·e·s présents. Etant donné les problèmes de transport, un certain nombre de délégués ont été contraints de partir avant la fin des travaux. Les trois principales composantes de ce «front politique» qu’est l’UP sont les suivants: la Tendance de gauche (dont le porte-parole le plus connu est Panagiotis Lafazanis), avec 55% des élus; la coalition «Rénovation radicale» avec 19,7% des élus et le Red Network avec 12,8%.

La première conférence de l’UP marque une différence par rapport à d’autres courants de la gauche dite radicale qui, soit s’orientent essentiellement dans la perspective de participation aux élections, soit considèrent que, dans la conjoncture actuelle, il faudrait d’abord «se regrouper» (en mettant l’accent surtout sur une évaluation politico-théorique de la période SYRIZA), ce qui implique que l’action politique est objectivement reportée à un moment ultérieur [2].

Pendant les deux jours de dense discussion politique, avec toutes les difficultés propres aux procédures liées à la «fondation» d’une telle organisation dans une telle phase socio-politique, l’UP a approuvé un cadre programmatique et une résolution politique qui constituent la feuille de route pour l’action politique de ses organisations locales et de secteur (quelque 180). Ces textes ont nécessairement le caractère d’un compromis entre des positions politiques parfois distantes. Toutefois, comme a pu le constater la grande majorité des délégué·e·s, ce compromis marque un progrès dans l’élaboration et la convergence politiques. Il ne pouvait en être autrement: l’UP est un front politique, donc les accords fondamentaux doivent être «larges». En même temps, l’UP est un nouveau front – personne ne doit oublier que cela fait moins d’un an qu’il a été créé ­– et en son sein existent des tendances qui ont des trajectoires et expériences politiques assez différentes. Une grande partie vient de la Plateforme de Gauche de SYRIZA (donc du Courant de gauche et du Red Network), tandis qu’une autre partie est issue des bilans effectués par des groupes d’Antarsya, entre autres en relation avec des postures passées sectaires.

La discussion politique pendant les deux jours de la conférence a abordé des questions d’importance cruciale. Quelques courants ont tenté de définir le caractère de l’UP comme avant tout un «courant contre l’UE», en sous-estimant qu’il est nécessaire de lier notre but de rupture/sortie de la zone euro aux batailles décisives et immédiates contre l’austérité, les mémorandums et le néolibéralisme [3]. Cette sous-estimation du contenu clairement classiste de notre opposition à l’euro et à l’UE est liée: à la sous-estimation de la stratégie anticapitaliste (qui est adoptée explicitement par les décisions de la conférence); à la sous-estimation de la référence plus générale à la libération/émancipation socialiste (une référence qui «colore» de façon décisive notre politique et place des limites claires, par exemple en ce qui concerne les alliances politiques admissibles…); et aux stratégies qui s’articulent autour de la dite perspective de «l’indépendance nationale».

Pourtant, le monde aujourd’hui n’est pas le même qu’il était pendant les décennies 1950-60. La politique de l’impérialisme n’impose pas une «colonisation par la dette» au moyen de canonnières, mais principalement par le bras de levier les banques. La différence n’est pas seulement tactique: dans les pays comme la Grèce, la classe dominante locale est liée aux centres européens impérialistes par mille fils. Cette classe dirigeante a soutenu avec toutes ses forces les accords avec les créanciers. Elle a donné son accord aux mémorandums. Elle n’a montré aucune volonté de faire des expérimentations de type «nassérien», c’est-à-dire de rechercher une quelconque autonomie par rapport aux options des «institutions» internationales, même selon une version conservatrice. Ce constat central enlève tout fondement à ces stratégies d’«indépendance nationale»: le renversement anti-mémorandaire de l’austérité, la sortie de l’euro avec un programme populaire-ouvrier, cela soit fera partie d’un programme de transition internationaliste vers le socialisme, soit n’existera pas. C’est ça le fondement des différentes estimations sur le Brexit.

C’est une prise de position de considérer le Brexit en tant que preuve de la crise de l’Union européenne et des contradictions de l’adversaire, et d’être ravi par cela; c’est autre chose que d’insister sur une approche autonome, classiste et politique. C’est une chose d’être ravi par le Brexit, mais c’est autre chose que de sous-estimer les problèmes spécifiques de direction politique qu’on peut constater en Grande-Bretagne; sans même parler de rechercher en Grèce les Nigel Farage locaux, en leur accordant – qui plus est – quelque rôle «libérateur»… [4]

Notre insistance sur la définition de la ligne de l’UP en tant que antimémorandaire-anticapitaliste se précise sans problème dans les décisions que nous avons prises concernant la planification de l’activité des organisations, des sections de l’UP. Nous avons décidé d’agir contre la réforme de la loi travail, de résister à la contre-réforme du système de la sécurité sociale, de lutter contre les privatisations et la mise aux enchères des logements populaires, d’organiser la solidarité avec les réfugié·e·s.

Que signifierait au niveau crucial de l’action – ce qui nous rappelle le «modèle français» de la mobilisation, sur la durée, contre la loi travail, ce qui a été quelque peu sous-estimé dans la discussion – la stratégie de l’indépendance nationale? Quel serait, par exemple, le contenu spécifique des «Comités de défense de la souveraineté nationale»? Quel serait le contenu des propositions – heureusement très minoritaires – de «contrôler les frontières»? Ceux qui veulent vraiment comprendre l’esprit de la base de l’UP devraient aussi avoir à l’esprit que l’UP est désormais, officiellement, le premier «parti» politique en Grèce à affirmer le refus de l’homophobie, après avoir sanctionné par une large majorité l’amendement sur le droit de couples du même sexe d’adopter des enfants.

Nous ne nous faisons pas d’illusions que cette discussion soit «terminée»: nous savons qu’elle se continuera et – par la suite – en liaison étroite avec l’activité des 180 organisations locales et sectorielles de l’UP. C’est la raison pour laquelle nous sommes optimistes quant au résultat final de ce débat, puisque nous sommes convaincus qu’il y a une grande majorité orientée vers la politique radicale de gauche.

La discussion sur les statuts de l’UP n’a pas pu être menée à bout, pour des raisons de temps. La recherche de la «constitution» la plus démocratique possible – discussion liée étroitement à des questions telles que l’élargissement de l’UP, le fonctionnement collectif de sa direction et la relation entre les décisions du «parti» et le discours public de ses cadres [5] dans les médias – a suscité le dépôt de dizaines d’amendements. Pour des questions de temps, donc, ce débat n’a pas été conclu.

A notre avis, tout ce matériel devra être étudié par les nouveaux organes élus, les questions devraient être groupées de façon claire. Et il faudrait convoquer un Congrès pour y discuter avec du temps et décider, sans heurts, les statuts et les règles de fonctionnement de l’UP. Entre-temps, l’UP devrait fonctionner en suivant la proposition qui a été sanctionnée «en principe», et avec la sensibilité qui s’impose après avoir entendu les exigences déposées.

L’UP est le «lieu» crucial du regroupement de la gauche radicale anti-mémorandaire, après la capitulation de SYRIZA et ses effets de désintégration sur la gauche. La Conférence était un pas positif dans cette direction, une direction dans laquelle nous allons nous engager avec détermination.

Pendant la Conférence, le Réseau Rouge a démontré qu’il a fait des pas dans sa consolidation et sa maturation politique: nous avons élu 14 camarades dans le nouveau Conseil politique de l’UP, sur une base «ouverte» à des collaborations, mais en faisant aussi des choix idéologiques et politiques clairs. Nous avons refusé de suivre le modèle des «blocs» [des regroupements] qui constituent des cercles de collaboration dans le but d’obtenir plus d’élus dans les instances du front; «blocs» peut-être utiles sur ce plan, mais qui sont remplis de contradictions non explicitées. (27 juin 2016; traduction Sotiris Siamandouras; édition A l’Encontre)

____

[1] L’Unité Populaire (UP) a été fondée le 21 août 2015 par l’opposition politique ouverte, publique, qui se développait depuis assez longtemps dans Syriza. La constitution de l’UP a été précipitée non seulement par la capitulation complète du gouvernement face aux créanciers et à leurs représentants institutionnels, mais suite à la déclaration par la direction Tsipras de tenir des élections en septembre 2015. L’essentiel de l’UP a été constitué, initialement, par la Plateforme de gauche de Syriza. D’autres dissidents de Syriza l’ont rejoint, ainsi que des forces qui se sont séparées d’Antarsya, coalition de la gauche radicale. Lors des élections du 20 septembre 2015, l’UP, tout juste constituée, a obtenu 2,87% des suffrages, ce qui impliquait, en termes de loi électorale, que le seuil de 3% n’était pas franchi. L’UP n’a donc pas de représentation au parlement.

[2] L’auteur fait référence ici au «parti» lancé par Zoé Konstantopoulou (ex-présidente du parlement), la «Course vers la liberté», à des composantes d’ANTARSYA, ainsi qu’a DIKTYOSI, réseau de militants issus pour l’essentiel du courant dit des «53» dans Syriza qui ont refusé, sur la base de différences idéologiques, de rallier le front politique de l’UP.

[3] L’auteur fait référence aux positions de militants d’ARAN et ARAS, des groupes d’origine maoïste qui étaient membres d’ANTARSYA. Certains membres du Courant de gauche, aussi, flirtent avec cette position «anti-euro», au sens étroit. Kostas Lapavitsas, économiste enseignant à Londres, et Dimitris Mpelantis, qui a regroupé des militants autour d’une telle approche, soutiennent cette position qui n’est pas inscrite dans une dynamique transitoire où les batailles contre les plans d’austérité conduisent à poser la question de la «sortie/rupture» avec l’euro, en évitant le biais «nationaliste» ou le «c’est la précondition à toute action», ce qui avait été défendu par Lapavitsas lors des élections de septembre 2015.

[4] Le Brexit a fonctionné comme une métaphore, comme un «mythe» dont l’exégèse pourrait offrir la clef pour une «solution à la grecque». Panagiotis Lafazanis est intervenu pour dégager, à cette étape, un point d’équilibre entre une partie des membres de l’UP qui mettaient l’accent sur la voie «d’un Brexit» grec et une autre partie – entre autres le Réseau Rouge – qui défendait un lexit, «un leftist exit».

[5] Cette question existait déjà dans Syriza. Les conférences adoptent des positions, toutefois, une partie des dirigeants élus défendent leurs avis propres, sur des points précis adoptés collectivement. Ce qui tend à miner certaines procédures collectives de prise de décision et peut donner, sur une question ou une autre, des traits particuliers à des positions prises comme étant celles du parti en tant que tel.

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