Grèce. La BCE face à la Grèce, coup de poker ou coup d’Etat?

Wolfgang Schäuble et Yanis Vanoufakis
Wolfgang Schäuble et Yanis Varoufakis, le 5 février 2015

Par Christian Losson
et Martine Orange

La partie d’échecs est musclée. Avec une dramaturgie, des coups de bluff, une stratégie de tension au climax. Décor en carton-pâte ou échange de tirs à balles réelles? Entre l’Europe (UE) et la Grèce, jamais on n’aura été autant dans le duel. Plus dans le petit jeu de celui qui cédera le premier que dans «une nouvelle relation de confiance et de sincérité». Ce new deal qu’Aléxis Tsípras, le nouveau Premier ministre grec, appelait de ses vœux, il y a quelques jours. Jeudi, devant son groupe parlementaire, il a donc averti: «On ne peut pas exercer de chantage sur la démocratie en Grèce», un «pays souverain», qui ne sera pas victime de «la terreur» [le programme gouvernemental sera présenté devant le Parlement le dimanche 8 février, soit plus tard que prévu – réd. A l’Encontre]. Raison de son coup de sang: le couteau sous la gorge d’Athènes mis la veille par la Banque centrale européenne (BCE), qui a menacé de fermer en partie le robinet à euros dont bénéficiait la Grèce. Explications.

Qu’a fait la BCE pour mettre la pression sur Athènes?

Comme elle avait menacé de le faire, la BCE a mis fin mercredi soir à un régime de faveur qui permettait aux banques grecques de se refinancer auprès d’elle en fournissant comme garanties des obligations émises par Athènes. Une réponse à la fin de non-recevoir opposée par le gouvernement Tsípras à la «Troïka» formée par le FMI, la BCE et la Commission européenne… «C’est un coup politique de la BCE pour faire pression, confie l’économiste Kostas Vergopoulos, proche de Syriza. Si la BCE assure que, à partir du 11 février, les banques grecques ne pourront compter pour se refinancer que sur l’aide d’urgence de la Banque nationale grecque, c’est que cela tombe à la veille du sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernement.» Dans le même temps, la BCE a en effet maintenu – jusqu’au 28 février – l’accès du système financier grec au programme de liquidité d’urgence (ELA). Un ballon d’oxygène [1] conséquent pour les banques grecques. Pas moins de 60 milliards d’euros, a-t-elle laissé entendre jeudi. Et Vergopoulos de rappeler: «Les quatre plus grandes banques grecques, reconnues comme systémiques depuis le 4 octobre, font en effet partie du système bancaire européen, et la BCE ne peut pas les laisser tomber.» Sauf à risquer une réaction en chaîne aux conséquences imprévisibles. Mais quid après le 28 février?

Quel message envoie la BCE?

Il est très politique et sur une ligne très orthodoxe: si la Grèce ne poursuit pas les réformes sur lesquelles elle s’était engagée, la BCE cessera de la soutenir, ce qui reviendra à l’exclure de fait de la zone euro. L’institution monétaire européenne présidée par Mario Draghi n’a même pas attendu de constater l’échec des discussions «avec le nouveau pouvoir à Athènes pour lancer son coup de semonce». Elle met la Grèce au pied du mur: en cas de refus du cadre très contraignant imposé par l’Europe, le pays prend le risque d’un défaut de paiement, antichambre de l’option «Grexit». «La pression est maximale et en contradiction avec ce que martelait encore tout récemment Mario Draghi en affirmant qu’il ferait tout pour sauver la zone euro, analyse Jean-Paul Fitoussi, professeur à Sciences-Po. Or la sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro est un vrai danger.» Et pas uniquement économique. Un «Grexit» créerait un précédent. «C’est un paradoxe de voir une institution comme la BCE, qui n’a pas de légitimité démocratique, sommer ainsi un gouvernement élu démocratiquement de rentrer dans le rang, poursuit-il. Avec le risque de venir nourrir l’extrémisme de droite si la gauche radicale ne parvient pas à démontrer qu’elle peut opérer un changement radical de politique.» C’est précisément le message envoyé à Berlin jeudi par le ministre des Finances grec Yanis Varoufakis à son homologue, Wolfgang Schäuble: «L’Allemagne doit être fière du fait qu’ici le nazisme a été éradiqué… Mais quand je rentrerai à la maison ce soir, je trouverai un Parlement dont la troisième force politique n’est pas un parti néonazi, mais un parti nazi…»

Quelle suite diplomatique?

Le divorce est quasi acté avec la BCE tandis que Berlin a clairement opposé une fin de non-recevoir aux demandes de la Grèce. «Nous ne sommes même pas tombés d’accord sur le fait de ne pas être d’accord», a euphémisé Yanis Varoufakis jeudi, à l’issue d’un dialogue (de sourd) avec son homologue allemand. L’effacement partiel de la dette hellène n’est donc pas «d’actualité». Athènes peut tenter de laisser entendre qu’elle suspendra son remboursement. Ou menacer carrément de faire défaut, comme elle l’a déjà fait en octobre 2011, sur 115 milliards d’euros. Sauf que l’actuelle dette est aussi détenue par des Etats (41 milliards pour la seule France). Qui n’entendent pas, pas plus que le FMI ou la BCE, céder. D’où la montée en puissance du bras de fer. Et la marge de manœuvre de la Grèce? Elle est à la fois symbolique, politique… et démocratique. Il lui faudra lâcher un peu de lest tout en campant sur son désir, légitime, de restructurer une dette jugée illégitime. Elle pourra compter sur un allié de circonstance, Barack Obama, qui le 2 février, a pris soin de s’immiscer à sa manière dans le débat européen en assurant «qu’on ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression».

Tsípras pourra aussi actionner, pour satisfaire son opinion publique très remontée [voir ci-dessous entretien avec Kostas Vergopoulos après l’article de Matine Orange], le levier d’une bataille juridique, autour de «l’illégalité» des accords avec la Troïka. Et s’appuyer, entre autres, sur une étude de la prestigieuse London School of Economics and Political Science. Car le mémorandum de la liste des réformes imposées à Athènes violerait une série de droits fondamentaux: santé, éducation, logement, droit à un salaire décent, mais aussi la liberté d’association et de négociation collective.

Par ailleurs, le gouvernement pourrait ressortir le thème de l’audit de la dette, pour tenter, explique un économiste, «d’identifier les irrégularités» dans sa constitution. «Les prêts octroyés par la Troïka à la Grèce à partir de 2010 ont servi très largement à rembourser les anciens créanciers, principalement les banques françaises et allemandes qui possédaient la moitié du total des titres de la dette grecque avant l’intervention de la Troïka», assure Renaud Vivien, du CADTM, un réseau antidette. Le Grexit tient encore de l’épouvantail que personne n’ose agiter. Car il ne ferait, à l’arrivée, résume un économiste proche de Syriza, «que des perdants». (Libération, 5 février 2012, Christian Losson)

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[1] En réalité, l’accès aux liquidités d’ELA a un coût supérieur à celui offert par la BCE (0,05% contre 1,55%), et pour autant qu’il n’y ait pas de fuite de capitaux. Car le conseil de direction d’ELA peut à une majorité des deux tiers réduire ce financement si elle juge qu’il va à l’encontre des mandats de l’eurosystème.  L’Eurogrope va donner sa position le 11 février, le 12 février les chefs d’Etat et de gouvernement se réunissent avec la «situation grecque» à l’ordre du jour et le 18 le Conseil de direction de la BCE se tient. (Réd. A l’Encontre)

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Coup d’Etat financier

Par Martine Orange

À quoi joue la Banque centrale européenne (BCE), si ce n’est au pompier pyromane? Alors que le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et le ministre des finances, Yanis Varoufakis, bousculent tous les agendas et vont de Berlin à Londres, en passant par Paris et Rome, pour tenter d’élaborer un nouvel accord sur le sauvetage de la Grèce, le comité de la BCE a décidé, par une seule mesure technique, de mettre le nouveau gouvernement de Syriza dos au mur, mercredi 4 février.

Alexis Tsipras et Jean-Claude Juncker, le 4 février 2015
Alexis Tsipras et Jean-Claude Juncker, le 4 février 2015

Les responsables de la banque centrale ont annoncé que l’institut monétaire mettait un terme à partir du 28 février – dans les faits, la mesure devrait prendre effet dès le 11 février pour des raisons techniques – à la clause qui lui permettait d’accepter les titres grecs, classés aujourd’hui en junk bonds, que les banques grecques placent en dépôt de garantie pour obtenir des crédits bancaires. Pour les banques grecques, privées de tout accès aux financements interbancaires, ce dispositif est essentiel pour assurer leur financement. La BCE, obligée par ses statuts de n’accepter que des titres sûrs (notés A), avait décidé de faire une exception pour tous les pays en crise de la zone euro, à commencer par la Grèce, dès 2010, afin d’assurer la stabilité financière du système bancaire. Brusquement, l’institut monétaire semble se poser des questions sur des titres qu’elle a acceptés depuis près de cinq ans.

Pour justifier cette volte-face – imposée par la Bundesbank, affirment certains observateurs financiers –, la BCE met en avant les règles et, naturellement, les fameux traités européens. «La décision du comité a été prise compte tenu du fait qu’il n’est actuellement pas possible de tenir pour acquis un accord sur la révision du programme (du sauvetage grec – ndlr) et est en ligne avec les règles existantes du système monétaire européen», dit le communiqué.

L’institut monétaire précise que les banques grecques pourront toujours avoir accès aux lignes de liquidité d’urgence (ELA) mises à disposition par la banque centrale grecque. Des termes techniques incompréhensibles pour la majorité, qui risquent seulement d’affoler un peu plus.

Dans l’urgence, le ministère grec des finances a publié un communiqué, cherchant à rassurer et à minimiser la situation. Il y affirme que les banques grecques sont bien capitalisées et ne risquent rien. Avant d’ajouter: «La BCE, en prenant cette décision, fait pression sur l’Eurogroupe afin de conclure rapidement un nouvel accord entre la Grèce et ses partenaires, au bénéfice de tous.»

À la seule publication du communiqué de la BCE, les financiers sont redevenus très nerveux. Les questions se reposent sur la solidité de la zone euro. Certains évoquent une panique bancaire en Grèce, voire une nationalisation du système bancaire grec poussant le pays vers la sortie de la zone euro. Un scénario qu’avait imaginé Goldman Sachs à la mi-décembre et qu’il a affiné il y a quelques jours, soulignant que le moindre faux pas pouvait par enchaînement conduire à une situation explosive en Europe.

La mesure de la BCE relève d’une grande irresponsabilité. Pour les Grecs, la décision de la BCE risque d’avoir une traduction simple: leurs banques n’ont plus le soutien de la banque centrale européenne. Il ne pouvait y avoir plus mauvaise annonce au plus mauvais moment. Elle revient à verser de l’essence sur un foyer enflammé. Depuis l’annonce des élections anticipées, fin décembre, les banques grecques font face à une fuite de capitaux sans précédent. Le chiffre de 100 milliards d’euros circule dans les milieux financiers. Selon l’agence Bloomberg, 14 milliards d’euros auraient été retirés des comptes bancaires en janvier avant les élections législatives. Comment la situation va-t-elle évoluer dans les jours à venir ?

Même si la situation ne tourne pas au tragique, elle place le gouvernement grec dos au mur. La tournée diplomatique éclair qu’ont décidé de faire les responsables de Syriza ne relève pas seulement de l’exploitation d’un moment politique: le gouvernement grec, fort de son succès électoral, ne sera jamais dans une meilleure position de force pour négocier des changements, réclamés par toute la population grecque. Mais elle répond aussi à une urgence économique. Alors que le dernier plan de sauvetage arrive à son terme, le gouvernement grec doit faire face à des échéances financières hors de sa portée: la Grèce doit rembourser plus de 20 milliards d’euros dans l’année. Dès mars, il lui faut 1,5 milliard d’euros pour faire honorer les prêts du FMI, 9 milliards dans l’année. Fin juillet et fin août, Athènes doit aussi rembourser 7,7 milliards de prêts détenus par la banque centrale européenne (BCE).

Ces échéances sont connues de longue date. Dès 2013, le FMI s’alarmait de ce mur de dettes que devrait affronter la Grèce. Les responsables européens avaient renvoyé l’obstacle sous la table, affirmant que d’ici là, Athènes aurait résolu tous ses problèmes. Grâce aux miracles de sa politique d’austérité, elle aurait de nouveau accès aux marchés financiers. Comme depuis le début de la crise de l’euro, rien ne s’est passé comme prévu. La Grèce est toujours sous assistance respiratoire et dans l’incapacité de trouver des financements sur les marchés.

Nul doute que l’ancien premier ministre grec, Antonis Samaras, en provoquant des élections législatives précipitées dès fin janvier, avait aussi ce calendrier en tête. Il savait que la Grèce était dans une impasse, dans l’incapacité d’honorer ces échéances. Les responsables européens, le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker et Angela Merkel en tête, le savaient parfaitement aussi. En acceptant des élections législatives qui ne pouvaient que placer Syriza au pouvoir, leur calcul n’était-il pas d’imposer au nouveau pouvoir de gauche la froide réalité de la situation financière de la Grèce et de l’obliger à plier et endosser à son tour l’austérité?

Dès son arrivée au pouvoir, Alexis Tsipras, a annoncé qu’il renonçait à la ligne de crédit de 7 milliards d’euros versée par la Troïka. L’accepter aurait été d’emblée se soumettre à toutes les conditions imposées par la Troïka. C’est-à-dire faire l’inverse de ce qu’il a promis à ses électeurs. Le gouvernement grec a expliqué qu’il pouvait s’en passer car les comptes étaient à l’équilibre. Dans les faits, la situation est beaucoup moins tranquille que le soutient Syriza. Les comptes sont repassés dans le rouge à la fin de l’année. Les rentrées fiscales se sont asséchées depuis l’annonce des élections législatives. Le gouvernement d’Antonis Samaras a utilisé tous les expédients. Il a quitté le pouvoir en laissant derrière lui un désert: toutes les lignes et les facilités financières qui ont été consenties à la Grèce dans le cadre du plan de sauvetage ont déjà été épuisées.

Pour faire face aux échéances pressantes de mars et faire la jonction, en attendant la conclusion d’un nouvel accord, le gouvernement grec, inspiré par son conseiller Matthieu Pigasse, banquier chez Lazard semble-t-il, a imaginé de s’appuyer momentanément sur les banques grecques. Celles-ci souscriraient aux titres émis par le gouvernement et les re-déposeraient en garantie ensuite auprès de la banque centrale pour obtenir des liquidités. «Nous avons besoin de six semaines pour mettre en place un nouveau plan. Laissez-nous un peu de temps», a redit Alexis Tsipras, lors de sa rencontre avec François Hollande mercredi à l’Élysée. C’est précisément ce que vient de lui refuser la BCE, au nom de la pureté des règles.

Revenir sur toutes les mesures annoncées

Pourtant, alors que certains responsables européens plaident au moins pour un adoucissement de la peine imposée à la Grèce, les membres de la majorité allemande en tiennent pour l’inflexibilité. Le chef de file de la CDU au Bundestag, Volker Kauder, a adressé mardi une fin de non-recevoir. «Nous avons des accords avec la Grèce, pas avec un gouvernement, et ces accords doivent être respectés», a-t-il déclaré. Le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, est sur la même ligne. Selon Reuters, un document a été préparé par l’Allemagne, recommandant la plus grande intransigeance face au gouvernement grec. «L’Eurogroupe a besoin d’une engagement clair de la Grèce lui garantissant la complète application des réformes nécessaires pour garder le programme (de sauvetage) sur les rails», est-il écrit. Il demande que le gouvernement revienne sur toutes les mesures annoncées, telles que l’arrêt des privatisations, la hausse du salaire minimum, les embauches dans la fonction publique. En revanche, il insiste pour que les réformes sur la santé, l’éducation, les retraites, le droit du travail soient poursuivies. Pas un mot sur la lutte contre l’évasion fiscale, la fraude et la corruption, comme le souhaite Syriza. La Troïka doit, naturellement, être maintenue, selon ce document.

La BCE paraît aujourd’hui se ranger délibérément dans le camp des Allemands: il n’y a rien à négocier. L’Europe se résume-t-elle aux propos cyniques de Jean-Claude Juncker: «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens»? Après avoir mené un coup d’État politique silencieux en novembre 2011, en interdisant à Georges Papandréou de mener un référendum et en l’obligeant à abandonner le pouvoir, est-elle prête à mener un coup d’État financier? Moins de deux semaines après avoir été élu, Syriza se retrouve, en tout cas, devant le même ultimatum: soit il se soumet, met fin à toutes ses demandes, tirant un trait sur tous ses engagements politiques, soit il quitte la zone euro.

Lors de sa visite à Bruxelles, le président du parlement européen, Martin Schulz, a mis en garde le ministre grec des finances. «Si la Grèce modifie unilatéralement ses engagements, les autres ne sont pas obligés d’accepter. La Grèce risque la banqueroute», a-t-il prévenu. «Mais nous sommes déjà en banqueroute», lui a répliqué Yanis Varoufakis. C’est peut-être cette dimension dont les Européens n’ont pas pris la mesure et qui les amènent à jouer avec le feu: la Grèce n’a plus rien à perdre. (Publié sur Mediapart, le 5 février 2015)

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«La BCE met le nouveau gouvernement d’Aléxis Tsípras dans une position impossible»

Entretien avec Kostas Vergopoulos

Stupeur et tremblement à Athènes. La Banque centrale européenne (BCE), qui refuse tout ajournement de la dette grecque, a en effet annoncé mercredi soir la fin d’un régime de faveur qui permettait aux banques grecques de se refinancer auprès d’elle. Elles pouvaient jusque-là fournir, comme garanties des obligations émises par Athènes, des titres de moindre qualité que ceux que la BCE accepte normalement. La BCE prive ainsi les banques grecques d’un canal de financement. Dès le 11 février, elles ne pourront compter que sur l’aide d’urgence en liquidité de la Banque nationale grecque. Kostas Vergopoulos, professeur émérite d’économie à l’université Paris-VII, revient, pour Libération, sur une décision très politique.

Simple pression, coup de semonce, coup de force… comment interprétez-vous la décision de la BCE?

Kostas Vergopoulos: Sur le plan pratique, cela ne fera pas une grande différence. Car il y a deux mécanismes de financements des banques grecques. Celui qui passait jusqu’à présent par la BCE. Et l’ELA, l’aide d’urgence en liquidités, via la Banque nationale grecque. Les quatre plus grandes banques grecques, reconnues comme systémiques depuis le 4 octobre 2014, font en effet partie du système bancaire européen, et la BCE ne peut pas les laisser tomber. Mercredi soir, après sa décision, Mario Draghi, le patron de la BCE, a appelé dans la foulée Aléxis Tsípras, le nouveau Premier ministre grec, pour le rassurer sur ce point. Mais c’est un coup politique, pour faire pression. Si la BCE assure que, à partir officiellement du 11 février, les banques grecques ne pourront compter pour se refinancer que sur l’aide d’urgence en liquidités de la Banque nationale grecque, c’est que cela tombe à la veille du sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernement. Et que la BCE sait que l’Allemagne est inflexible à l’idée de toute renégociation de la dette grecque. La décision de l’institution de Francfort vient donc renforcer l’intransigeance de Berlin… Jusque-là, Tsípras pensait jouer la carte Draghi contre Merkel. Or la BCE s’aligne sur cette dernière.

Les autorités grecques parlent de «chantage». Soit elles font des concessions et renient le mandat qui les a portées au pouvoir. Soit elles campent sur leurs positions, et risquent encore plus de se marginaliser…

Cela met le gouvernement de Syriza dans une position impossible. C’est la raison pour laquelle des manifestations de soutien doivent avoir lieu le 5 février. Car Tsípras comme Varoufakis, l’actuel ministre des Finances, ont eu des positions constructives, coopératives, et modérés, privilégiant les discussions multilatérales pour un nouveau pacte européen. Seule l’Allemagne n’a pas cédé. Elle rejette tout compromis. Et campe sur l’austérité. Veut que le salaire minimum reste à 580 euros au lieu de 750 euros, pousse pour qu’il y ait 150 000 fonctionnaires en moins, etc. Comme s’il n’y avait pas eu d’élections démocratiques.

Quels scénarios possibles envisagez-vous pour la suite?

Difficile à dire, tout est possible, y compris un accident: la rupture. Je ne le souhaite pas et un coup tactique est encore envisageable pour qu’un compromis voit le jour. Les forces politiques nationales se sentent affaiblies, soumises à des forces économiques supranationales. Or il y a toujours des marges de manœuvre. Et puis, les forces politiques ont toujours la main. Il n’y a qu’à voir Angela Merkel et Wolfgang Schaüble, son ministre des Finances, ce sont des politiques qui donnent le ton en Europe aujourd’hui. Une politique basée sur la loi de stupidité, comme disent de grands quotidiens américains, qui mène à la catastrophe, pour leur propre intérêt.

Mais même Barack Obama, qui a assuré le 2 février qu’«on ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression», soutient désormais le nouveau gouvernement grec…

Il est, lui, parvenu à sortir son pays de la crise sans passer par l’austérité. Des réformes, essentielles, doivent avoir lieu, mais impossible de le faire dans une économie en chute libre. Comme je l’écrivais récemment dans les colonnes de Libération, l’austérité a été un gâchis contre-productif. L’ensemble des dettes souveraines de la zone euro ne cesse de croître pour se situer sensiblement à plus de 14’000 milliards d’euros et au niveau de 100% du PIB de cette zone. Or, de l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, la dette fédérale dépasse déjà 18’000 milliards de dollars, soit 110% du PIB américain. Pourtant, l’Amérique, malgré sa dette supérieure, ne manifeste pas de signes de récession, au contraire, son économie retrouve les 5% de croissance, tandis que son chômage est déjà passé sous la barre des 5,8% ! Or aujourd’hui, 80% des réformes que demande l’Allemagne en Grèce ont un effet récessif, rappelle le Financial Times.

Pourtant, il existe des réformes fortes, comme la lutte contre l’évasion fiscale ou la corruption. Un ministère anticorruption vient ainsi d’être créé…

C’est essentiel. Comme il est essentiel que l’Allemagne tempère ses positions jusqu’au-boutistes. L’Union européenne est une union de démocratie, pas un empire. Même si c’était un empire, il faut savoir l’entretenir, à coup de plan Marshall ou de New Deal, pour irriguer des capitaux vers l’économie réelle; ce qu’ont fait les Britanniques ou les Américains. Or l’Allemagne semble vouloir aujourd’hui se tailler un empire économique sans en supporter le coût minimum. C’est un rêve irréalisable. (Entretien conduit par Christian Losson)

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