Royaume-Uni. Que vont décider les salarié·e·s du NHS face à «l’offre» du gouvernement, après des mois de mobilisation?

Par rédaction A l’Encontre

La statistique de l’inflation au Royaume-Uni vient de tomber: 10,4% en février 2023. Pour saisir la signification effective de cette hausse moyenne des prix pour une grande partie des salarié·e·s, il faut indiquer l’évolution des prix au cours des 12 derniers mois de divers produits alimentaires de base: le lait écrémé 42,2%, l’huile d’olive 40,7%, le sucre 38,4%, le fromage et le fromage blanc 34,9%, le lait entier 34,4%, les œufs 32,5%, le sel et les épices 30,9%, les abats 30,4%, la margarine et autres graisses végétales 30,4%, les légumes congelés 29%. C’est en prenant appui sur cette «crise de la vie chère» que l’on peut comprendre pourquoi un large secteur des salarié·e·s de la santé s’oppose à l’accord avec le gouvernement passé par les directions des principaux syndicats: Royal College of Nursing, Unison et GMB, à l’exception d’Unite. Cet accord est soumis à une consultation des adhérent·e·s.

Dans un reportage de Joe Duggan, sur iNews du 23 mars, sont rapportées les motivations du refus de l’accord animé par le NHS Workers Say No qui compte 30’000 followers sur Twitter et 30’000 sur Facebook. Leur audience a crû rapidement et ne cesse de croître. Une infirmière, membre du NHS Workers Say No, travaillant dans l’est de l’Angleterre, a expliqué les raisons de leur refus: «Nous voulons surtout rejeter la proposition, car nous ne pensons pas qu’elle changera quoi que ce soit à la situation actuelle du NHS et à la situation à laquelle nous nous affrontons au jour le jour ou lors de nos gardes. 5% [pour 2023-24; les salarié·e·s au bas de l’échelle toucheront plus mais leur salaire restera toutefois en dessous du «salaire de subsistance national], c’est loin de l’inflation. Nos syndicats nous ont dit que le gouvernement leur avait assuré, je ne sais pas comment, que l’inflation allait baisser l’année prochaine. Mais nous avons vu que les prévisions pour le mois de février dépassaient les 10%, alors 5%, c’est loin de faire l’affaire. Lorsque les infirmières étaient en grève, qu’elles perdaient leur salaire et qu’elles étaient sur le piquet de grève, on nous disait que le syndicat fixait une ligne rouge à 10%, alors qu’on nous recommande maintenant de n’accepter que 5%.» Un membre du NHS Workers Say No déclare: «Même une augmentation de 10% est inférieure à l’inflation et laisse les brancardiers, les femmes de ménage, les aides-soignant·e·s et d’autres personnes avec des salaires inférieurs à ceux qu’ils recevraient dans les supermarchés et les entrepôts, exacerbant ainsi la grave pénurie de personnel dans le secteur de la santé.» (rs21, 23 mars)

Les médias exercent une pression importante pour que le personnel de la santé accepte l’accord. Or, cet accord, comment l’ont rapporté divers médias, est issu d’une sorte de chantage: le gouvernement avait fait de l’acceptation de tout accord une condition préalable à l’ouverture de négociations. Le déni de ce fait par la dirigeante du syndicat RCN conforte paradoxalement les modalités qui ont conduit à la négociation. Or, comme le rappelle un large secteur militant, lorsque a été lancée la campagne #NHSpay15 en 2020, le choix de l’objectif d’une augmentation alors de 15% se fondait sur la perte en termes réels des salaires de 15% depuis 2010. Et c’est suite à la mobilisation d’abord du GMB, puis d’Unite que la revendication de 15% a rassemblé plus largement. Ce sont les activités militantes à la base qui ont conduit à l’adoption par le RCN de la revendication et que s’est construit ainsi un vaste mouvement pour une «restauration» des salaires suite aux pertes accumulées. Le gouvernement et les directions syndicales, pour faire passer l’accord, promettent que le Pay Review Body, qui «conseille» le gouvernement sur les salaires du secteur public, aura une attitude beaucoup plus favorable dans le futur. Une promesse sans grande garantie. En outre, le projet d’une division sectorielle salariale du personnel du NHS est envisagé, en créant une structure salariale distincte pour le personnel infirmier uniquement, ce qui porterait atteinte à l’unité de tout le personnel de la santé, unité qui a été un facteur de l’ampleur de la mobilisation. Actuellement, au Royaume-Uni, seuls les dentistes et les médecins négocient leurs salaires en dehors de la structure d’ensemble.

Le regroupement NHS Workers Say No a opéré un travail d’information en distribuant des tracts, en organisant des réunions virtuelles avec les salarié·e·s du NHS. Dans les semaines à venir, les débats et les échanges au sein des organisations syndicales et dans l’ensemble du personnel de la santé au Royaume-Uni vont se conclure par un vote et surtout indiquer le type de dynamique de la stratification socio-syndicale que des mois de mobilisation ont provoqué. Dans tous les cas, les salarié·e·s de la santé ne seront plus exactement, collectivement, les mêmes face à une opération d’ampleur de privatisation du NHS voulue par les conservateurs et des secteurs financiers, assurances entre autres. (24 mars 2023)

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Une grève de 4 jours des internes du NHS. Une grève hors du commun

Par Yuri Prasad

Les médecins en formation (internes) en Angleterre sont prêts à faire grève pendant quatre jours à partir du mardi 11 avril, dans le cadre du plus long débrayage jamais connu dans le conflit salarial des services de la santé. Le syndicat BMA (British Medical Association) des médecins exige que leur salaire soit rétabli au niveau de 2013, ce qui impliquerait une augmentation de 26%.

La nouvelle de la grève devrait faire l’effet d’un éclair sur les dirigeants des autres syndicats de la santé, qui recommandent un accord salarial lamentable. Les docteurs Vivek Trivedi et Robert Laurenson, du comité des jeunes médecins de la BMA, ont déclaré: «C’est avec déception et une grande frustration que nous devons annoncer cette nouvelle grève. Le gouvernement a traîné les pieds à chaque occasion. Il n’a présenté aucune offre crédible et refuse d’admettre qu’il y a lieu de rétablir les salaires, qualifiant notre principale revendication d’“irréaliste” et de “déraisonnable”. Nous ne sommes donc pas convaincus que ces négociations puissent aboutir sans action supplémentaire.»

John Plashet, membre de la BMA, nous a déclaré qu’il était tout à fait favorable à l’intensification de la grève. «Le débrayage de quatre jours devrait mettre le gouvernement sous une pression considérable. Nous travaillons dans un service déjà mis à rude épreuve par une décennie de coupes et de sous-financement. En outre, nous avons traversé une pandémie – et maintenant nous engageons une grève. Tout gouvernement normal entendrait cette sonnette d’alarme et ferait quelque chose pour remédier à la situation.» Et, selon John Plashet, si les conservateurs ne font rien, cela «prouvera qu’ils ne s’intéressent pas à la santé et au bien-être des gens ordinaires». Et cela «montrera les dégâts qu’ils ont causés au NHS».

Les effets de la grève seront considérables: des milliers d’opérations planifiées à l’avance seront annulées et des services de consultation externe seront fermés.

«Pendant les grèves, les hôpitaux sont censés fonctionner comme un jour férié», explique John Plashet. «Cela peut durer un ou deux jours, car le NHS en a l’habitude. Mais quatre jours, c’est du jamais vu. Les médecins spécialisés, agréés devront assurer tous les services et donc renoncer à organiser des consultations externes. Ou bien ils décideront d’organiser des consultations, mais cela signifiera que des décisions importantes concernant les soins aux patients dans les services seront retardées, ce qui pourrait bloquer les hôpitaux. Vous pouvez imaginer ce que cela va signifier pour les services d’urgence, qui sont déjà au bord de l’effondrement à cause du Covid et de l’effondrement des services sociaux de soins.»

Selon John Plashet, la description que font les médias de droite de la BMA, à savoir qu’elle est dirigée par des «activistes», ne tient pas compte du fait que la pression en faveur d’une action plus poussée provient de la base même du syndicat. «Lors du dernier conflit des médecins en formation, en 2015-2016, la plupart de mes collègues étaient extrêmement nerveux à l’idée de passer à l’action. Ils étaient en colère contre le ministre de la Santé de l’époque, Jeremy Hunt [actuel ministre des Finances], mais s’inquiétaient de l’opinion publique et de leurs relations avec les patients. Mais nous avons fait grève, et la plupart d’entre nous pensent que nous avons failli gagner. C’est à ce moment-là que la direction de la BMA a mis fin au conflit et que rien n’a été fait. Cette fois-ci, les personnes qui animent la mobilisation sont un peu hantées par cela et ne veulent pas refaire la même erreur. Cette fois-ci, la plupart des médecins sont beaucoup moins préoccupés par la façon dont ils sont perçus. Ils savent qu’ils se battent pour l’ensemble du service de santé et pour leur salaire.»

John Plashet espère que la résistance du syndicat des médecins – et son refus de s’engager dans des négociations vides de sens – est un message pour tous les autres syndicats de la santé. «J’aimerais croire que ce que nous faisons encouragera tous les membres du NHS à réfléchir aux accords salariaux qui leur ont été proposés [voir ci-dessus]. Ils devraient se demander si ces accords sont vraiment les meilleurs qu’ils puissent obtenir. Et ils devraient réfléchir au pouvoir que nous aurions si nous faisions tous la grève ensemble.» (Article publie le 23 mars 2023 sur le site de Socialist Worker; traduction rédaction A l’Encontre)

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