Par Food Foundation
Cette recherche novatrice sur la pauvreté alimentaire conclut que près de 4 millions d’enfants au Royaume-Uni vivent dans des ménages qui, pour des raisons financières, ont du mal à acheter suffisamment de fruits, de légumes, de poisson et d’autres aliments sains pour satisfaire aux directives nutritionnelles officielles.
La recherche, menée par le groupe de réflexion de la Food Foundation, indique que les familles à faible revenu peuvent de moins en moins s’acheter des aliments sains, ce qui entraîne un risque accru de maladies liées à l’alimentation telles que l’obésité et le diabète, ainsi qu’un accroissement des inégalités en matière de santé dans la société.
Selon l’étude, le cinquième le plus pauvre des familles devrait mettre de côté plus de 40% de son revenu hebdomadaire total après déduction des coûts de logement pour satisfaire aux exigences des directives Eatwell (se nourrir de manière saine) du gouvernement.
Les auteurs du rapport ont demandé aux ministres d’augmenter les prestations sociales et de veiller à ce que des aliments sains soient plus largement disponibles et abordables pour les ménages à faible revenu, par exemple au moyen de bons d’alimentation en période de maternité et de repas scolaires gratuits pour tous.
Graphique 1
53% des ménages au Royaume-Uni répondent aux exigences des directives de Eatwell
dans leurs dépenses hebdomadaires
Pourcentage des ménages répondant à ces directives selon l’emploi du chef de ménage: emploi à plein temps, indépendant, travail à temps partiel, retraité·e·s, chômeurs/euses, ensemble des ménages
«L’estimation du revenu des ménages par le gouvernement souligne le fait que des millions de familles au Royaume-Uni n’ont pas les moyens de se nourrir conformément aux directives alimentaires du gouvernement», a déclaré Anna Taylor, directrice générale de la Food Foundation. «Il est crucial qu’un effort coordonné des autorités développe des mesures pour rendre compte des coûts des recommandations diététiques et mette sur pied un système alimentaire qui ne relègue pas les personnes à faibles revenus dans les zones à risques qui favorisent des maladies liées à leur mode d’alimentation.» Le guide Eatwell, rédigé par Public Health England (Agence exécutive du ministère de la Santé et des Affaires sociales), définit la proportion conseillée d’un régime alimentaire se rapportant à cinq catégories: les fruits et légumes; les glucides comme les pommes de terre, le riz et les pâtes; les protéines comme les haricots, le poisson, les œufs et la viande; les produits laitiers; les huiles et les produits à tartiner.
La Food Foundation affirme que son étude est la première enquête indiquant dans quelle mesure les ménages britanniques types peuvent se permettre de suivre les lignes directrices en matière d’alimentation. Selon les estimations officielles des dépenses, une famille de deux adultes et de deux enfants âgés de 10 et 15 ans devrait dépenser 103,17 £ (soit 129 CHF) par semaine pour la nourriture.
Le coût officiel par adulte respectant les directives Eatwell est de 41,93 £ (52,41 CHF) par semaine. Selon l’étude, un ménage comptant deux adultes devrait dépenser 68,74 £ (86 CHF) par semaine. Une famille de deux adultes et trois enfants, âgés de 2, 5 et 8 ans, devrait disposer d’un budget hebdomadaire de 111,35 £ (139,20 CHF) pour l’alimentation.
L’étude estime que 47% de tous les ménages britanniques avec enfants ne dépensent pas suffisamment pour l’alimentation afin d’atteindre les objectifs de Eatwell, une proportion qui passe à 60% pour les familles monoparentales. L’étude estime que seulement 20% des ménages dont le principal soutien économique est au chômage dépensent le montant recommandé.
Les coûts d’une alimentation saine pèsent de façon disproportionnée sur la moitié la plus pauvre de la population, pour laquelle, selon l’étude, une alimentation saine et équilibrée représenterait en moyenne près d’un tiers du revenu disponible. A titre de comparaison, pour la moitié des ménages les plus riches le coût d’une alimentation saine ne représente, en moyenne, que 12% de leur revenu disponible (revenu dont dispose effectivement un ménage afin de consommer – et épargner pour certains).
Selon les chercheurs, les ménages situés dans les deux derniers déciles des revenus (décile: chaque partie représente 1/10 de l’échantillon de la population examinée) – donc gagnant moins de 15’860 £ (19’835 CHF) par an – devraient dépenser 42% de leur revenu
pour ce type d’alimentation, après déduction du loyer. Les ménages situés dans le dernier décile des revenus les plus élevés ne devraient, eux, ne dépenser que 6% de leur revenu disponible.
Bien que la Food Foundation (FF) soit préoccupée par le fait que certains ménages ne disposent pas des compétences nécessaires pour cuisiner de manière adéquate ou n’ont pas accès à des magasins vendant des produits frais, elle estime que le manque d’argent est le principal facteur d’une mauvaise alimentation. «La plupart des gens savent ce qu’il faut faire pour avoir une alimentation saine, mais ils ne le font pas parce que les choix d’aliments sains ne font pas partie des produits bon marché», a expliqué un porte-parole de la FF.
Cette étude intervient au moment où l’insécurité alimentaire (définie comme l’incapacité de pouvoir manger régulièrement ou sainement) suscite de plus en plus d’inquiétudes parmi les ménages les plus pauvres.
Graphique 2
Les ménages les plus pauvres du Royaume-Uni devaient dépenser 74% de leur revenu disponible pour suivre les directives de Eatwell
Revenu disponible nécessaire pour «manger bien», selon les revenus par décile
Un projet de loi parlementaire obligeant le gouvernement à mesurer l’insécurité alimentaire, élaboré par la députée travailliste Emma Lewell-Buck, sera adopté en deuxième lecture en octobre.
Selon l’étude, le revenu des ménages pauvres a diminué de 7,1% entre 2002 et 2016, alors que les prix des aliments ont augmenté de 7,7%. Elle indique que de nouvelles hausses de prix, déclenchées par exemple par les fluctuations de la livre liées au Brexit, pourraient faire qu’une famille de quatre personnes ait besoin d’un supplément de 158 £ (195,5 CHF) par an pour satisfaire aux normes de Eatwell.
L’étude ajoute: «Pour les ménages des déciles inférieurs de l’échelle des revenus et qui ont déjà du mal à se permettre une alimentation saine, une telle augmentation des prix les éloignera encore davantage des recommandations diététiques officielles du gouvernement».
L’année dernière, une enquête de la Food Standards Agency (Agence exécutive responsable de la protection de la santé) a révélé que quatre millions d’adultes britanniques déclaraient avoir connu une sécurité alimentaire faible ou très faible et, en conséquence, avaient eu de la peine à manger un peu plus sainement, ce qui signifiait qu’ils avaient donc sauté des repas ou réduit la qualité de leur alimentation.
Alison Tedstone, nutritionniste en chef du Public Health England (agence exécutive du ministère de la Santé et des Affaires sociales), explique: «Ce rapport suggère qu’il faudrait 6 £ par jour pour un adulte; nous dépensons actuellement à peu près la même somme pour mal manger. Nos choix alimentaires sont influencés par d’autres facteurs tels que le nombre de points de restauration rapide dans nos rues et la promotion d’aliments malsains dans nos magasins, ce qui souligne l’importance de notre travail pour améliorer l’alimentation du pays.»
La députée travailliste Sharon Hodgson, qui préside une enquête parlementaire sur la pauvreté alimentaire des enfants, a déclaré: «Il n’est pas juste que 50% des ménages au Royaume-Uni aient actuellement des budgets alimentaires qui ne suffisent pas pour répondre aux recommandations du guide gouvernemental Eatwell.»
Le groupe de réflexion indépendant de la Food Foundation a été créé par l’ancienne députée conservatrice Laura Sandys et compte parmi ses administrateurs et conseillers l’expert en santé publique Sir Michael Marmot ainsi que la conseillère en alimentation Rosie Boycott et le maire de Londres, Sadiq Khan.
Une «étude des cas»
«Je fais vraiment des efforts, et mes enfants mangent bien, mais ce n’est pas vraiment ainsi que j’aimerais qu’ils mangent», raconte Elaine, 41 ans, une mère mariée avec quatre enfants, âgés de 14 à 15 ans, qui vit à Thanet, dans le Kent.
Le budget alimentaire hebdomadaire d’Elaine est de 50 £ à 60 £ par semaine, alors que selon la Food Foundation, pour respecter les directives gouvernementales en matière d’alimentation saine, elle devrait dépenser 131,28 £.
Cette ancienne infirmière dans une crèche dépense 8 £ par semaine pour des fruits, principalement des pommes, des oranges et des bananes, et garde un œil sur les légumes soldés dans les magasins voisins Aldi et Tesco. Vu son budget serré, elle sait improviser les repas et elle se passe parfois d’un repas pour que ses enfants puissent manger.
Son budget alimentaire peut facilement être bouleversé par d’autres coûts essentiels, tels que l’achat de chaussures neuves ou d’uniformes scolaires ou un chauffage d’appoint pendant une vague de froid. D’ici à quelques semaines, elle pense que son budget alimentaire tombera à 30 £ (37,5 CHF).
Lorsque l’argent se fait rare, elle achète des articles tels que des saucisses bon marché, du pain et des beignets qu’elle congèle pour les conserver, même si elle sait que ce ne sont pas des aliments sains. «C’est plein de glucides, de sucre et de sel, mais c’est rassasiant et bon marché.»
Elle espère reprendre son travail ce mois-ci, lorsque sa plus jeune fille ira à l’école, mais pour l’instant, la famille est privée d’allocations – son mari a dû renoncer à son travail pour des raisons de santé, ce qui limite le revenu de son ménage à 385 £ (485 CHF) par semaine, loyer compris, et réduit son revenu hebdomadaire disponible de 95 £ (118,75 CHF).
Elle dit qu’idéalement elle consacrerait un minimum de £120 par semaine à la nourriture de la famille. Elle aime les épinards, par exemple, et les fraises, mais ce sont des friandises rares. Elle achèterait davantage de salade et une plus grande variété de légumes ainsi que de la «viande convenable». (Article publié dans le quotidien The Guardian, en date du 5 septembre 2018; traduction A l’Encontre)
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