France. Une législative partielle, la huitième défaite du PS, Cahuzac et le FN

Cahuzac dit Jérôme à Villeneuve...
Cahuzac dit Jérôme à Villeneuve…

Par Hubert Huertas et Mathieu Magnaudeix

La déconfiture du Parti socialiste est évidente à Villeneuve sur Lot [voir les résultat détaillé dans l’article ci-dessous| où l’on votait pour élire le successeur de Jérôme Cahuzac à l’Assemblée. Mais autre chose se dessine, de plus lourd, et qui sort du schéma classique de l’alternance droite gauche. Si dimanche prochain les électeurs du Lot votent, comme l’ont fait au second tour les électeurs de l’Oise [1], il y a trois mois, nous entrerons dans une autre dimension. La dimension Front National (FN).

Bien sûr il y a l’effet Cahuzac lisible dans certains scores extravagants, comme ces 3,28% pour un «Parti d’en rire» en référence [à deux «comiques»] Pierre Dac et Francis Blanche [animée par une groupie de Cahuzac, Anne Carpentier]. Et François Hollande pouvait toujours dire, hier soir, que ce résultat est «une séquelle», l’explication est courte. C’est la huitième législative que le PS perd en huit élections. L’échec est donc national.

Il atteint toute la gauche. L’affaire Cahuzac n’a provoqué aucun transfert de voix à l’intérieur de la majorité. Le Front de gauche et les écologistes plafonnent à des niveaux très bas… [voir résultats dans l’article qui suit].

Jean-François Copé (UMP) pouvait parler à juste titre de «Nouveau désaveu cinglant» pour François Hollande, le problème c’est que ni l’effet Cahuzac, ni le rejet de la majorité n’ont gonflé les voiles de l’opposition classique. Jean-Louis Costes, le candidat UMP, a gagné moins de deux points depuis un an, à peine un souffle malgré le climat national et la tempête locale.

Etienne Bousquet-Cassagne du FN...
Etienne Bousquet-Cassagne du FN…

Le gagnant du premier tour, incontestablement, c’est Etienne Bousquet-Cassagne, le candidat du Front National qui fait bondir le résultat de son Parti de 15,7% à plus de 26%, soit une hausse de 75%…

Et ce n’est peut-être pas fini. Le PS en a appelé au Front Républicain, c’est-à-dire à voter pour l’UMP. Il l’avait fait dans l’Oise, en mars dernier, mais le candidat Front National avait gagné 22 points entre les deux tours.

Ou bien c’était une particularité locale, ou bien c’était le symptôme d’un phénomène plus ample, et dans ce cas on le retrouvera dimanche prochain, comme l’espère Marine le Pen qui parlait de «vote historique».

La montée d’un parti protestataire et nationaliste deviendrait alors irrésistible, comme un peu partout en Europe à des degrés divers. Jacques Delors mettait le PS en garde samedi, contre «des adversaires qui ne sont pas dans le débat démocratique», et il citait «le marasme économique et social», ainsi que «l’image d’une Europe punitive, extérieure aux peuples, un professeur vilain, sourcilleux, méchant par moments, qui dicte ce qu’il faut faire».

Il est clair que le Front National capitalise sur ce sentiment-là, plus que tous les autres, et qu’en ce sens l’élection du Lot nous renvoie à une autre époque. Bruxelles et Berlin, accrochés à leur austérité, font furieusement penser à la France du Traité de Versailles, en 1920, agrippée à des sanctions qui humiliaient alors l’Allemagne et les vaincus de 14-18…

On connaît hélas la suite… [2] (Billet sur France Culture, le 17 juin 2013, à 7h36)

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[1] Le candidat UMP Jean-François Mancel a été élu, dimanche 24 mars, député de la 2e circonscription de l’Oise face à la candidate du FN, Florence Italiani. Mais la victoire est mince: seulement 800 voix les séparent. Dans l’hebdo Marianne, la question était posée: «Et si des électeurs de gauche étaient venus grossir les rangs du FN au second tour…» (Red. A l’Encontre)

[2] Hubert Huertas explique à un auditeur le sens de sa formule finale: «J’ai hésité avant d’oser cette comparaison avec le Traité de Versailles, parce qu’elle est rude. Mais la réalité d’aujourd’hui l’est également. Le parallèle entre les deux situations, pour des raisons forcément différentes, tient à la négation de ce qu’on appelle «le fait national», qui est insoluble. Le fait national allemand avait été humilié en 1920. Il l’est à bien des égards à notre époque, en direction d’autres nations européennes.?Il se peut que la comparaison avec les années 1930 soit utilisée à des fins partisanes pour conserver le monopole du pouvoir, mais surfer une vague ne veut dire que la vague n’existe pas…» Nous reviendrons sur cette question comme site A l’Encontre.

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A droite: le candidat du PS, Bernard Barral, face à l'UMP: Jean-Louis Costes
A droite: le candidat du PS, Bernard Barral, face à l’UMP: Jean-Louis Costes

Il disait :«Je suis une vague qui monte, qui monte» [déclaration faite le 19 mai 2013 par Bernard Barral, ancien patron d’une entreprise de produits surgelé, candidat du PS, lors des élections législative partielle de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), suite à la démission de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget du gouvernement Ayrault].

Mais, au lieu de le porter, la vague lui est revenue en pleine figure.

Bernard Barral, le candidat du parti socialiste à la législative partielle de Villeneuve-sur-Lot, n’ira pas au second tour. Avec 23,69 % des suffrages, il n’arrive dimanche qu’en troisième position de la législative partielle de Villeneuve-sur-Lot (Département de Lot-et-Garonne), le fief de Jérôme Cahuzac. Derrière l’UMP Jean-Louis Costes, en tête avec 28,71 %. Mais aussi derrière le jeune candidat du Front national, Étienne Bousquet-Cassagne, qui obtient 26,04 %, [soit 9431 voix, 12,55% des inscrits et 28,71% des votes exprimés; les votes exprimés au total représentent 43,70% des inscrits du Département, donc la participation a été de 45,88%; les nuls et blancs: 2,18%;  le Front de Gauche a réuni avec sa candidate, Marie-Hélène Loiseau: 5,08% des votes exprimés et 2,22% des inscrits, soit 1670 voix; le candidat Europe-Ecologie-Les Verts (EELV): 974 voix, soit 2,78% des votes exprimés et 1,22% des inscrits]

Pour le candidat PS, la comparaison avec l’élection de 2012, lors de laquelle Jérôme Cahuzac avait été élu dans un fauteuil, est cinglante. Cet ancien patron d’une société de produits surgelés perd en un an près de 15’000 voix par rapport à son illustre prédécesseur, qui a dû quitter le gouvernement pour cause de compte en Suisse non déclaré.

«Merci Cahuzac! On s’en souviendra…»

Il faut dire que Bernard Barral, le candidat PS, sympathique mais peu connu et pas très charismatique, avait les éléments contre lui: une foule de candidats (17!), l’impopularité du gouvernement, le chômage qui progresse ici comme ailleurs, et puis aussi une campagne trop courte, rongée par la rumeur d’un éventuel retour de «Jérôme», comme beaucoup disent à Villeneuve.

Rumeur évidemment alimentée par l’intéressé, qui a inondé les uns et les autres de SMS, a menacé un temps de se représenter, et même passé une tête un samedi au marché, histoire de montrer qu’il était encore là. «Cahuzac a parasité les premiers jours de la campagne», peste un responsable socialiste. Dimanche, Cahuzac a fait l’économie d’une nouvelle apparition en votant par procuration.

«Il a beaucoup hésité parce qu’il sait qu’il aurait fait un meilleur score que Barral. C’était une pointure, Jérôme : il aurait été au deuxième tour», veut croire le premier adjoint de Villeneuve, René Chambon. Il n’est pas le seul à verser dans la nostalgie. Dans les bureaux de vote de la mairie de Villeneuve-sur-Lot, les scrutateurs ont retrouvé quelques bulletins au nom de leur ancien maire. Le nom est griffonné, parfois c’est un bulletin de vote de campagnes passées. Anne Carpentier, une journaliste locale, candidate pour le «Parti d’en rire» et surtout groupie de Cahuzac, a même ramassé sur son nom plus de 1000 voix (3,28 %)…

«Encore une fois, Villeneuve se distingue!» enrage Marie-Claude Frayssihnes. Cette sympathisante écologiste croisée dans le hall de la mairie est au bord des larmes. «Je ressens une grande tristesse. Cette affaire nous a fait énormément de mal. Je le connaissais Cahuzac, je lui en veux, il nous a trahis et le résultat de ce soir, c’est la conclusion de tout ça. Je ne peux pas m’empêcher de penser: on a le FN ce soir, est-ce que ça ne va pas monter une partie de la ville contre une autre? être un déclencheur pour le vote FN au niveau national? » La semaine prochaine, Marie-Claude ne sait pas ce qu’elle va voter: «Je suis encore trop sous le choc. » Puis: «Si si, j’irai voter: je ferai barrage au FN.»

À quelques mètres, Barbara Bellanger a moins d’état d’âmes. Entre 2007 et 2012, cette jeune militante socialiste a été l’assistante parlementaire de Jérôme Cahuzac. «Au début, j’étais prête à le soutenir s’il s’était présenté, raconte-t-elle. Mais début mai, je me suis dit “non mais ça ne va pas ? c’est contre toutes tes valeurs”. J’ai fait la campagne pour Bernard Barral. On n’est pas beaucoup de militants à l’avoir faite d’ailleurs… La semaine prochaine? Je n’irai pas voter. J’ai voté Chirac en 2002 contre le FN, ça suffit.»

Au même moment, Étienne Bousquet-Cassagne, le candidat du FN entre justement dans l’hôtel de ville, suivi par une nuée de caméras. Des cris fusent «Ouh!», «Facho!», «C’est la honte!», «Vous ne passerez pas!».

Édith Bruguière, petite femme coiffée d’un chapeau («je suis de la famille du juge», dit-elle), s’emporte: «Je suis très en colère, oui, de voir ce jeune de 23 ans défendre des idées fascistes! No pasaran! Villeneuve ne mérite pas un candidat du FN, on mérite beaucoup mieux» «Merci Cahuzac! On s’en souviendra…», lance un homme, écœuré.

Star d’un jour, le frontiste Étienne Bousquet-Cassagne, fils du président de la chambre d’agriculture du département (qui, lui, soutient le candidat UMP), fait des bises, serre des mains, et livre aux médias quelques phrases clés: il se félicite d’«un choix de l’espérance, du patriotisme», parle de «vote d’adhésion». «Le vote populaire est au FN», lance-t-il avant d’appeler les abstentionnistes à voter pour lui dimanche prochain.

«Notre démocratie est en danger», prévient un peu plus loin l’UMP Jean-Louis Costes. Il admet volontiers avoir été soufflé par les résultats du Front national et appelle solennellement au «front républicain». Ironie de l’histoire: sous des dehors très policés, le candidat de l’UMP, proche d’un mouvement de la droite dure, est considéré par beaucoup de militants de gauche de Villeneuve-sur-Lot comme un artisan local du rapprochement de l’UMP avec l’extrême droite. (Article publié sur le site Mediapart, le 17 juin 2013)

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