France. Pour un Code du travail qui soit un vrai progrès

code-travail_0_730_501Par Laurent Lacoste

La manière dont le mouvement social contre la «loi travail» a été traité dans les médias, entièrement focalisés sur les «heurts» survenus lors des manifestations, les interpellations et les blocages, a donné des syndicats une image peu avantageuse: celle d’organisations constituées de militants prompts à rejeter systématiquement toutes les réformes proposées par les gouvernements successifs, ce qui induirait une incapacité à réfléchir et à définir un projet de société cohérent.

Cette propagande véhicule cette idée non moins ancestrale que le peuple, dont sont issus les syndicalistes, serait une sorte de masse inculte incapable de saisir les enjeux historiques de son époque et d’œuvrer à l’intérêt général – une mission à laisser aux «puissants» et aux «décideurs», bien sûr.

Dans le cas de la «loi travail», qui propose de réformer le Code du travail – c’est-à-dire, tout de même, les dispositions qui régissent les relations entre les employeurs et les salarié·e·s –, cette propagande a totalement passé sous silence le fait que les organisations syndicales étaient elles aussi d’accord sur la nécessité de refondre ce Code du travail. Que la plupart d’entre elles, sous des formes différentes, formulaient toute une série de propositions ou de contre-propositions poursuivant cet objectif de transformation sociale et prenant en compte les profonds changements qui ont eu lieu dans nos sociétés.

C’est d’ailleurs le titre d’un document diffusé par SUD-Travail, adhérent de l’Union syndicale Solidaires: «Nous aussi, nous voulons réformer le Code du travail». 

La primauté des branches renforcée

Si l’article 2 de la «loi travail» est la principale source de conflit entre le gouvernement et les syndicats, c’est parce qu’il concerne un point clef – la négociation collective – dont découle tout le reste, et parce que le gouvernement, en imposant la primauté des accords d’entreprises sur les accords de branches, briserait ce qui est la colonne vertébrale de tous les acquis sociaux et ce qui a permis aux salariés de s’affranchir de la négociation «de gré à gré» en vigueur au XIXe siècle, condition de tous les chantages et abus [une réalité prégnante en Suisse, Réd. A l’Encontre].

Cela explique la place importante tenue par ce chapitre dans les propositions de la CGT pour un «Code du travail du XXIe siècle», mais aussi dans les publications de l’Union syndicale Solidaires. En préambule de son document de propositions, la CGT reproche tout d’abord à la «loi travail» de favoriser le dumping social: «un accord d’entreprise permettant de baisser les salaires et/ou d’augmenter le temps de travail en dérogeant à la branche mettra à coup sûr en difficulté les autres entreprises d’un même secteur d’activité et provoquera une course vers le moins-disant social». La centrale estime par ailleurs que cela affaiblira la représentativité syndicale contenue dans la loi de 2008, laquelle est «indissociable pour garantir la légitimité de la négociation collective».

Tout en précisant que cette évolution doit se faire «sur la base des garanties les plus favorables pour les droits des salariés», la CGT propose de renforcer «le rôle de régulation sociale de la branche», rôle auquel il serait donné une fonction «normative». Plus concrètement: dans le respect des planchers et des plafonds légaux, ce sont les branches qui définissent les marges de négociation possible dans les entreprises, où «le principe de faveur demeure la règle». Les accords de branche, eux, sont validés majoritairement, la majorité se calculant en fonction de la représentativité patronale et salariale.

L’application de ces principes aurait évidemment des conséquences sur les accords d’entreprises: ces derniers, selon la CGT, doivent «limiter la subordination en traçant une frontière claire entre-temps de travail et temps de vie personnelle» et «être plus favorables aux salariés que la loi, la convention collective et les accords conventionnels». Autre disposition majeure, ils ne pourraient être négociés que dans les limites fixées par la branche, et validés par les organisations syndicales majoritaires. Si un accord d’entreprise entend déroger à la branche, il doit en faire la demande à une «Commission de branche» qui fonctionne sur le modèle du comité d’entreprise – seuls les membres des organisations syndicales y ont le droit de vote – et qui pourra être saisie au cas où un accord d’entreprise aurait dérogé à la règle. Afin de «dynamiser la négociation collective», il est en outre proposé d’élargir le champ des négociations obligatoires, en particulier «pour évaluer les aides publiques, l’impact sur la compétitivité, l’emploi et la résorption de la précarité dans les entreprises du secteur d’activité».

SUD-Travail, de son côté, en reste pour le moment aux principes fondamentaux en proposant un «Code du travail unique pour tous les salariés» et l’inscription du respect de la hiérarchie des normes dans la Constitution. Pour faciliter le contrôle, le syndicat demande aussi «la création d’une base de données des accords d’entreprises accessible à tous».

Le progrès, c’est vers l’avant

La primauté donnée à l’accord d’entreprise (déjà appliquée avant la lettre à pas mal d’endroits) provoque une cascade de conséquences touchant tous les compartiments de la vie professionnelle et privée: licenciement économique, durée légale du travail, travail nocturne et dominical, temps partiel, etc.

Sur le temps de travail hebdomadaire, la CGT et Solidaires sont depuis longtemps d’accord sur une réduction à 32 heures hebdomadaires sans diminution de salaire; les deux organisations estiment que cette mesure serait créatrice d’emplois et libérerait du temps pour l’engagement citoyen et associatif. Vaste sujet qui nécessiterait un article à lui seul.

Sur le volet du licenciement économique (que la «loi travail» entend faciliter pour les entreprises), la CGT, après avoir posé que «tout ne peut reposer sur des sacrifices imposés aux salariés, employeurs et actionnaires doivent également être mis à contribution de façon proportionnée» propose une série de garanties où le contrôle des instances représentatives du personnel se voit renforcé, en particulier au sein du comité d’entreprise: «À la place de qualifier précisément ce qu’est une difficulté économique réelle, nous proposons que la question de la réalité du motif puisse être examinée par le juge judiciaire en amont et avec une procédure accélérée […] Le comité d’entreprise doit être doté d’un droit de veto sur la question des suppressions d’emplois [une revendication portée depuis plusieurs années par Solidaires Industrie, ]».

SUD-Travail va dans le même sens en défendant la «nullité du licenciement et par conséquent un droit à la réintégration quand les difficultés économiques […] ne sont pas avérées» et demande, lorsque le licenciement économique ne peut être évité «la création d’un fonds national de garantie, financé exclusivement par le patronat» qui sera chargé de reclasser les salariés licenciés pour motif économique, hors plan social, et de financer les plans sociaux. Sur le plan juridique, ce même syndicat est pour «l’attribution de moyens supplémentaires à la justice pénale et aux tribunaux des Prud’hommes pour […] garantir des délais de procédure raisonnables (six mois maximum pour les Prud’hommes, un an pour la justice pénale)».

Solidaires et CGT se rejoignent aussi sur le travail détaché, de plus en plus important sur notre territoire et source d’un dumping social qui tire tout le monde vers le bas. Si les premiers estiment que les salariés étrangers doivent bénéficier des «conditions les plus avantageuses, soit celles du pays d’accueil, soit celles du pays d’origine», les seconds dénoncent tout d’abord la faiblesse de la contribution forfaitaire prévue par la «loi travail» (d’autant que celle-ci ne serait pas versée aux caisses sociales) et proposent un «forfait social spécifique applicable aux donneurs d’ordre».

Entrer dans le détail de toutes les propositions syndicales est un exercice qui nécessiterait un espace équivalent. Nous ne nous y livrerons pas ici, mais un examen des documents sur les sites des organisations syndicales luttant contre la «loi travail» démontre que ces dernières, au-delà des revendications immédiates, défendent toutes des projets de société cohérents qui débordent largement du monde du travail et qui sont tournés vers la justice sociale et la redistribution. (Article publié dans le Progrès social)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*