France. Macron, «En Marche» et l’oubli des vraies leçons de la crise

E. Macron à Londres, devant le 10 Downing Street (21 février 2017)

Par le collectif des
Economistes atterrés

Dans Le Monde du 13 avril, 40 économistes ont annoncé leur soutien à Emmanuel Macron. Pourtant, son programme ne tire aucune leçon ni des déséquilibres économiques qui ont abouti à la crise financière de 2008 ni des politiques «austérité/réformes structurelles» qui, sous la férule des institutions européennes, ont maintenu les pays de la zone euro dans la récession.

Selon ces 40 économistes, le fort taux de chômage en France s’explique uniquement par les rigidités du marché du travail et par l’inadéquation des salariés. Il faudrait donc amplifier ce qui a déjà été entrepris: plus de flexibilité de l’emploi, moins de protection des salariés, mise en cause du droit du travail et du paritarisme. Ils avancent qu’«il est capital d’offrir aux entreprises et aux travailleurs à la fois plus de flexibilité et de protection». Or, depuis 1980, la flexibilisation du travail est en marche: le recours aux emplois temporaires a été multiplié par 5 pour l’intérim, par 4 pour les contrats à durée déterminée et par 3 pour les stages et les contrats aidés. Pas moins de 17 réformes sur la protection de l’emploi ont été réalisées en France de 2000 à 2013. Résultat: le chômage et la précarisation de l’emploi n’ont cessé de progresser. En Italie (47 réformes sur la même période), Espagne (39) ou en Grèce (23), le chômage a aussi atteint des niveaux record. Et l’Allemagne, qui a certes diminué son taux de chômage, l’a fait par des gains de compétitivité qui ont déstructuré la zone euro, par l’extension de la pauvreté au travail et par la décrue démographique.

Ils écrivent que «sans une réforme profonde de la formation professionnelle, les travailleurs seront démunis face aux transformations qui viennent». Comment peut-on prétendre que le 1,5 million de chômeurs supplémentaires depuis 2008 serait dû à un problème de formation? Surtout, quand nombre d’emplois sont pris par des individus surqualifiés. En fait, les entreprises profitent du chômage de masse pour augmenter leurs exigences à l’embauche, alors que jadis elles acceptaient de former les salariés embauchés aux compétences requises. Plus que de formation hors des entreprises, les salariés, les jeunes en particulier, ont aujourd’hui besoin de création d’emplois.

Les dangers de l’austérité

Jugeant «l’extension de l’assurance-chômage à tous les travailleurs comme une mesure puissante de justice sociale et d’efficacité économique», les signataires oublient de préciser qu’Emmanuel Macron envisage d’économiser 10 milliards sur l’assurance-chômage, cela essentiellement par un contrôle accru des chômeurs. Ce serait inique : dans une économie où il manque plus de 4 millions d’emplois, le contrôle des chômeurs conduirait à plonger nombreux d’entre eux, et leurs familles, dans la précarité. De la même façon, les 40 économistes n’indiquent pas que remplacer les cotisations salariales à l’assurance-chômage par de la CSG vise à affaiblir la légitimité du droit aux prestations chômage et à exclure les représentants des salariés de toute voix au chapitre.

Les 40 économistes admettent des «erreurs collectives dans la gestion de la crise de la zone euro». Dès 2011, de nombreux économistes, dont les Economistes atterrés, avaient alerté sur les dangers de l’austérité en période de faible activité économique. Or, Emmanuel Macron, conseiller de François Hollande puis ministre de l’économie, a refusé de remettre en cause les règles européennes. S’il a reconnu dans Les Echos (23 février) que «l’Europe s’est enfermée dans une politique économique inadaptée s’engageant dans une politique d’austérité à contretemps», son programme prône toujours des coupes budgétaires, poursuivant la logique austéritaire qui a fait de la zone euro le malade de l’économie mondiale. Pire, son objectif consiste à se couler dans les contraintes européennes, en réduisant le déficit public français (pourtant inexistant si on raisonne, comme il se doit, en solde structurel hors dépenses d’investissement) et en lançant le programme de réformes structurelles demandé par la technocratie européenne. Qui peut croire qu’après être passé sous les fourches Caudines de Bruxelles et de Berlin, le gouvernement français aurait la volonté et le poids pour demander une réorientation de la politique européenne?

Enfin, nos économistes avancent que «la nouvelle croissance se fondera sur la transition énergétique et environnementale, c’est-à-dire sur un renouvellement radical de nos façons de produire et de consommer». Peut-on espérer un tel «renouvellement radical» avec un plan d’investissement public en faveur de la transition de 15 milliards d’euros sur cinq ans? Rappelons que la loi Macron visait à «simplifier» le droit de l’environnement, et qu’Emmanuel Macron, quelques mois après la conférence de Paris sur le climat, défendait l’exploitation du gaz de schiste. Pour permettre «un renouvellement radical», la transition énergétique ne pourra pas se faire uniquement via des incitations (fiscales ou subventions), mais bien par des investissements massifs et par la refonte d’un projet industriel adapté aux enjeux environnementaux.

Le programme Macron repose sur la foi en une croissance portée par des innovations perpétuelles impulsées par de courageux entrepreneurs – passant par des destructions d’emplois et financés par un système bancaire et financier libéralisé. Ce schéma ne tient aucun compte ni des contraintes écologiques ni des besoins sociaux. Plaisants économistes qui ne veulent pas voir les impasses sociales et écologiques où nous plongerait ce programme.

Aller plus loin dans l’impasse serait mortifère. Nous préconisons un changement de trajectoire qui tire toutes les leçons de la crise financière, économique et écologique.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*