France: «Il y avait bien une stratégie de Grenoble»

Par Hubert Huertas

Ouf, ça va mieux…

Il y a des matins, comme ça, où on se sent plus léger. On se dit qu’on n’a pas eu la berlue. Qu’on n’a pas dit n’importe quoi.

Si la Droite a perdu [1] ce n’était donc pas la seule faute à la presse. Pas à cause d’une haine irraisonnée devenue, dans les dernières semaines de la présidentielle, un argument de campagne, et une façon de chauffer les salles dans les meetings.

Il y avait bien à l’Elysée une ligne Guéant, et une ligne Guaino. Il y avait bien une droitisation, regrettée officiellement par Bruno Le Maire, il y avait bien une stratégie de Grenoble correspondant à une «dérive droitière», dixit Jean-Pierre Raffarin, il y avait bien une course-poursuite derrière le Front National… Quant à la stratégie du Ni-Ni, pourtant approuvée il y a deux semaines par tous les ténors de l’UMP, elle était bel et bien une stratégie du «Oui-Oui» au Front National, une fois traduite en langue française par Nadine Morano…

«Quand j’ai entendu, entre les deux tours des législatives, certains dire qu’ils avaient des valeurs communes avec le Front National et qu’ils trouvaient même Marine Le Pen sympathique, je me suis dit c’est quoi la prochaine étape? On se met à table et on discute?»

Imaginez que ces propos signés François Baroin aient été prononcés par la presse, est-ce qu’on n’aurait pas parlé de commentaires scandaleusement partisans, de pensée unique, d’antisarkozysme aveugle?

Désormais l’UMP, ou plutôt une partie d’entre elle, se met à parler comme les commentateurs du complot médiatique…

Pour dire la vérité, ces propos des Baroin, le Maire, et de tant et tant de députés battus ou réélus, étaient déjà tenus depuis longtemps, mais en coulisse. Seules quelques voix osaient briser le silence, Chantal Jouano par exemple, qui s’est alors retrouvée dans le même collimateur que les journalistes. Elle était accusée de trahir la cause parce qu’elle disait ce que soutiennent désormais, avec des airs pénétrés, les Xavier Bertrand, voire même les Jean-François Copé, lequel explique aujourd’hui, dans le magazine L’Express, qu’il n’est pas l’homme qu’on croit, «même si la campagne a pu le conduire à être, je le cite, parfois un peu excessif».

Il y avait une omerta. Pas une omerta de malfaiteurs. Une omerta de père de famille qui ne veut pas perdre son capital. Il ne fallait pas dire ce qu’on voyait, pour ne pas risquer la défaite vers laquelle on courait. Ne pas dire que toutes les élections étaient perdues, et la prochaine mal engagée.

Aujourd’hui, il y a 234 nouveaux députés à l’assemblée, et un nouveau mastodonte, le Parti socialiste. Au lendemain du bac philo, le débat engagé par l’UMP pourrait servir de réflexion au nouveau parlement. Où s’arrête la discipline majoritaire et où commence la nécessaire rébellion?

Un sujet très gaulliste au fond. Une question de 18 juin, qu’il vaut mieux se poser en 1940 qu’après la guerre.
(19 juin 2012, Billet sur France Culture)

_____

[1] L’UMP, avec 194 élus (229 avec ses alliés), perd une centaine de sièges par rapport à l’Assemblée sortante. Le Parti socialiste, avec 314 sièges sur 577, a la majorité absolue à l’Assemblée nationale, sans Europe Ecologie-Les Verts. Ceux-ci obtiennent 17 sièges et peuvent former un groupe parlementaire. Le Front de gauche, avec 10 sièges, ne pourra pas constituer un groupe; Jean-Luc Mélenchon demande que le seuil pour avoir un groupe à l’Assemblée soit abaissé, le député communiste André Chassaigne vient d’annoncer la constitution d’un groupe avec des députés d’outre-mer; le Parti communiste avait 19 sièges dans l’Assemblée sortante. Le Front national fait son retour avec deux élus: Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen. Marine Le Pen est battue à Hénin-Beaumont. Le MoDem a deux députés. François Beyrou n’est pas élu. (Réd.)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*