Par Benoît Bouscarel
Existe-t-il, dans le calendrier, des dates anniversaires qui seraient de gauche? Et d’autres qui seraient… de droite? Les avis des historiens sur cette question sont partagés, et il y a là un vieux débat qui va certainement se trouver relancé par une très récente décision de François Hollande.
Le chef de l’Etat, à l’approche du 54ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie (1962), a en effet décidé de participer aux commémorations du 19 mars: ce sera samedi prochain, devant le mémorial national du Quai Branly à Paris, et ce sera une grande première. Jamais un président de la République n’avait encore prononcé de discours en ce jour qui marque certes l’entrée en vigueur du cessez-le-feu officiel, au lendemain des accords d’Evian, mais pas la fin des hostilités et des drames, qu’il a fallu attendre encore de longs mois.
La question est très sensible, politiquement, et elle a longtemps été source de blocages: la décision, en 2012, de faire du 19 mars une journée nationale de commémoration, avait été très contestée, au Sénat, par la droite et le centre, qui y voyaient une négation des souffrances des communautés pied-noir et harkis, dont des milliers de membres sont morts APRÈS le 19 mars.
De l’art très subtil, et très politique, de la commémoration
Pour tenter de faire consensus, Jacques Chirac avait inventé et instauré la date du 5 décembre, complètement par hasard, pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie. Au grand dam d’une partie des anciens combattants. François Hollande, lui, accepte aujourd’hui de courir le risque de la re-politisation de cette question, et donc de la division, pour tenter, 54 ans après, d’apaiser les mémoires. Et il n’est pas du tout dit qu’il y parviendra.
En attendant, ce retour de la guerre d’Algérie dans le débat public la semaine prochaine va aussi nous rappeler qu’on ne se sert pas que des dates pour faire de la politique. C’est en 1955, en effet, qu’avait été instauré pour la première fois l’état d’urgence, en Algérie. Mesure qui avait été prise pour ne pas avoir à déclarer l’état de siège, et pour pouvoir continuer à parler des «événements d’Algérie», plutôt que de guerre.
Aujourd’hui, vous l’avez noté, face au risque terroriste, c’est exactement l’inverse: s’il y a l’état d’urgence, c’est bien qu’on est en guerre! (11 mars 2016)
Apres le 19 mars:
-20 mars:decret interdisant aux habitants des DOM d’Algerie de voter pour ratifier ou non les accords d’Evian
-Application unilaterale du cessez le feu.
-60 000 harkis desarmés et massacrés par le FLN et mabandonnés par la France.
-3000 pieds noirs morts ou disparus(Massacre de la rue d’Isly 80 morts et massacre d’Oran 700 morts)
-Attentats OAS 2000 morts dont 70 barbouzes.
-Règlements de compte entre indépendantistes.
-Exode de 800 000 pieds noirs. dont moi et ma famille.Et on veut que je commemore cette date.
Sources:Pervillé,Jordi,Lefeuvre,Stora.
Une colonisation française qui a laissé l’Algérie exsangue et qui, lors des dits événements d’Algérie, a fait des centaines de milliers de morts ne peut pas, historiquement, déboucher sur une transition non chaotique. Il faut comprendre, les faits invoqués sont indiscutables, mais pour comprendre il faut les contextualiser dans la trajectoire de la colonisation et des luttes anti-coloniales, qui ont commencé dès la résistance à la conquête de l’Algérie par la France, entre autres sous la direction de l’émir Abd el-Kader (1832-1847). L’enquête faite par Pierre Bourdieu dans les régions de Kabylie et de Collo (500 km à l’est d’Alger), notamment sa Sociologie de l’Algérie publié dans la collection Que sais-je? des PUF en 1958, donne une approche, souvent oubliée, de la situation existant dans ces deux régions où l’opposition nationaliste était très forte. Parmi les auteurs cités dans le commentaire précédent, un oubli: M. Harbi. Enfin, on pourrait relever aussi l’offensive brutale menée en juin 1963 par le duo Ben Bella-Boumédiène contre les Kabyles. La commémoration d’Hollande relève d’un refus d’examiner effectivement le processus complexe de la révolution algérienne, au moins depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, marquée entre autres par le massacre par l’armée française de nationalistes, d’indépendantistes et d’anti-colonialistes à Sétif, Guelma et Kherrata en 1945 (plusieurs milliers de morts).