France. Et maintenant, dissolution!

Hollande-Valls – le 15 août au Fort de Brégançon – préparent la feuille de déroute.
Hollande-Valls – le 15 août au Fort de Brégançon – préparent la feuille de déroute

Par Hubert Huertas

Quelle accélération! Dans la foulée d’un désastre aux élections municipales [ mars 2014], Jean-Marc Ayrault [Premier ministre du 15 mai 2012-31 mars 2014] avait été congédié et Manuel Valls [ministre de l’Intérieur du 16 mai 2012 au 31 mars 2014 ; puis Premier ministre jusqu’au 25 août 2014, et nouveau Premier ministre depuis cette date] – alors fortement aidé par Arnaud Montebourg [ministre de «redressement productif» du 16 mai 2012 au 31 mars 2014, puis ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique!] et Benoît Hamon [ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire et à la Consommation] – lui avait succédé à Matignon. L’idée était de bâtir un gouvernement de combat, uni comme les doigts de la main derrière le président de la République. Cent quarante-sept jours plus tard, cette équipe n’existe plus.

Moins de cinq mois. Hormis le gouvernement de Pierre Messmer [juillet 1972-mai 1974], interrompu par le décès de Georges Pompidou en 1974, jamais depuis 1958 [octobre : proclamation de la Ve République], un gouvernement n’avait tenu si peu de temps. Une durée à l’italienne… «Je veux que la gauche réussisse dans la durée», avait martelé Manuel Valls en direct sur Mediapart, le 12 mars dernier. Il vient effectivement d’établir un record.

Autre nouveauté frappante. Il est souvent arrivé, dans le passé, que des ministres expriment un désaccord. Jean-Pierre Chevènement (PS)l’a fait à plusieurs reprises; Alain Madelin [ministre de la droite fort libérale dans des gouvernements de Chirac, Balladur et Juppé, sous les présidences de Mitterrand puis Chirac] aussi, en 1995; et plus près de nous Delphine Batho [PS, ministre de l’Ecologie et du Développement durable].

Ils sont partis, ou ont été démis de leurs fonctions, mais c’est la première fois qu’une divergence «individuelle» [entre Montebourg et Valls] se transforme en démission de tout le gouvernement. Le seul précédent nous renvoie à Jacques Chaban-Delmas [Premier ministre de juin 1969 à juin 1972], mais l’homme était premier ministre, et ce changement d’équipe avait un sens profond. Il correspondait à l’enterrement d’une politique (la «Nouvelle société») et à la définition d’une autre, beaucoup plus conservatrice.

Dans la Cinquième République, un changement de gouvernement n’est jamais un rappel à l’ordre ou le licenciement d’un seul, fût-il ministre de l’économie [référence à Montebourg]. Il a un sens politique, et c’est encore le cas.

Au-delà des habiletés formelles, la nomination du gouvernement Valls 2 [sa composition sera connue le 26 août 2004] correspond, sous couvert de rappel à la discipline ou à l’autorité, à la consécration d’une ligne, et à la mise à l’écart de sa contestation.

Bien sûr, de nombreux noms de rechange circulent déjà, on parle de Robert Hue [secrétaire général du PCF de 1994 à 2001, puis président du PCF de 2001 à 2003, puis membre du Mouvement unitaire progressiste, actuellement sénateur] en guise d’ancrage à gauche, ou de Jean-Vincent Placé et François de Rugy pour représenter le retour des écologistes.

Mais ce n’est pas faire injure à l’ancien secrétaire général du PCF que de constater qu’il ne représente que lui-même. Quant aux écologistes, la secrétaire nationale d’Europe-Écologie, Emmanuelle Cosse, a déjà précisé que s’ils devenaient ministres ce serait «en leur propre nom».

Une fois retombé le frisson médiatique, c’est-à-dire les allées et venues à Matignon ou à l’Élysée, le nom de ceux qui restent, ou qui entrent, ou qui partent, il restera la réalité, et elle est incontournable. Valls est devenu Premier ministre avec l’appui d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, sur une ligne de compromis, certes précaire, mais d’un compromis quand même, entre «l’aile droite» et «l’aile gauche» des socialistes. Ce compromis a explosé.

La majorité s’était déjà rétrécie en mars avec le départ des ministres écologistes, elle menaçait de se réduire encore sous la mauvaise humeur des radicaux qui refusent la réforme territoriale, elle avait tangué dans les appels des frondeurs, et voici que les départs de Montebourg, Hamon et Filippetti [ministre de la Culture] ramènent le gouvernement à la base électorale de Manuel Valls: un peu plus de 5 % lors des primaires de 2011.

En termes politiques, François Hollande est ainsi passé de 52 % du corps électoral français en 2012 à la seule fraction du PS qui soutient son «Pacte de responsabilité», un pacte que Manuel Valls, déjà, dans son programme de 2011, appelait de ses vœux, sous le nom de «Pacte de croissance et de compétitivité». Cette réduction d’un vote multiple en 2012 (extrême gauche, Front de gauche, PS, radicaux, centristes, socialistes, etc.) à une composante unique et minoritaire du seul Parti socialiste correspond à une «dissolution» de fait.

Cette majorité minoritaire, de nombreuses voix voudraient la renvoyer devant les électeurs. Des voix venues de la droite bien sûr, mais de la gauche également. Il y a pourtant peu de chances, voire aucune, pour que le président de la République prononce la vraie dissolution. Les institutions de la Cinquième République lui permettent de tenir jusqu’aux prochaines présidentielles, y compris jusqu’à l’absurde, et en dépit de «la Vérité».

Tant pis si François Hollande lui-même commentait par avance la situation qu’il traverse aujourd’hui dans son livre d’entretien avec Edwy Plenel, Devoir de vérité, publié aux Editions Stock, 2006.

Le passage est désormais célèbre: « Je ne crois plus à la possibilité de venir au pouvoir sur un programme pour cinq ans dont il n’y aurait rien à changer au cours de la mandature. Je pense qu’il y a forcément un exercice de vérification démocratique au milieu de la législature. La réalité change trop vite, les circonstances provoquent des accélérations ou, à l’inverse, des retards, des obstacles surgissent, des événements surviennent […] Le devoir de vérité, c’est d’être capable de dire : “Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral afin de retrouver un rapport de confiance”.»   

Par rapport à son discours de campagne, Hollande a incontestablement changé «en cours de mandature», et même dès le lendemain de son élection. Mais le chef de l’Etat ne se résout pas à dire: «Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral afin de retrouver un rapport de confiance »

Dès lors, ce dossier considérable, un changement de gouvernement, est présenté comme une affaire de discipline. Comme une question d’autorité. Comme si le problème, précisément, n’était pas l’absence initiale d’autorité du président: dans son livre Voyage au pays de la désillusion, Cécile Duflot considère, comme tant d’autres, que François Hollande, fraîchement élu, pouvait, et devait, tenir tête aux conservateurs allemands, et ne l’a pas fait, contrairement à ses promesses.

Aujourd’hui, le président en est réduit à faire preuve d’autorité, sur la personne de Montebourg et d’autres ministres, au nom d’un choix qu’il a mis en œuvre par absence d’autorité. Il exige «un gouvernement en cohérence» avec ses incohérences… Qu’il vérifie plutôt sa politique «devant le corps électoral» et ne s’en tienne pas aux délices de cette Cinquième République, si verrouillée, et si présidentielle, qu’une minorité minoritaire peut rester majoritaire. (25 août 2014, publié sur le site de Mediapart)

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