France-dossier-vidéos. «A partir du 7 mars, on entre dans une nouvelle phase»

Dans le local de Sud Rail, à la gare de Lyon, «veillée d’armes», un militant syndicaliste qui travaille au fret confie au journaliste, pour le journal de 6h30 de France Culture, le 6 mars: «On est motivés et les collègues aussi pour mener la reconductible. On espère un mouvement interprofessionnel large. Après, nous, on est cheminots, on mène le combat chez nous. Ce n’est pas nous qui allons faire grève à la place des autres professions.» Ce salarié n’a pas de statut de cheminot, donc pas de régime spécial, il partirait à la retraite deux ans plus tard avec la réforme. «Aujourd’hui, je travaille en 3×8, de nuit, les week-ends. Pourtant je suis quand même censé partir en retraite à 64 ans.» Conducteur de train de marchandises, Olivier Richard ira convaincre les cheminots qui hésitent à rejoindre le mouvement. «A ces collègues-là, il faut leur dire “tu es proche du régime général”. Pour les collègues qui sont contractuels – ceux qu’on embauche depuis 2020 sont tous contractuels – ils sont en fait au régime général sur les retraites. A ces gens-là, il faut leur dire que ça les concerne aussi.»

Suit une question du journaliste: malgré les trains à quai, les trains annulés en cascade auront-ils le soutien de l’opinion? Une vendeuse de billets à la gare de Lyon veut y croire: «Je vois l’attitude des gens qui nous disent qu’on a raison, qu’effectivement ça les embête car ils ne peuvent pas prendre le train qu’ils voulaient, mais qu’ils s’arrangeront. Ils comprennent et ils se sentent aussi concernés; ils nous disent que peut-être moi aussi je vais faire grève, je pourrais, mais en tout cas vous avez raison.» La quadragénaire a anticipé en mettant de côté un peu d’argent ces dernières semaines pour tenir sans salaire durant les jours de grève.

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Voilà l’ambiance qui existe dans des secteurs importants des salarié·e·s. A cela s’ajoutent, dès le dimanche 5 et le lundi 6 mars, des initiatives des routiers. Ils anticipent que le congé de fin d’activité (CFA) – dispositif leur permettant de partir en retraite à 57 ans – ne les protégera pas d’un report de l’âge légal de départ à la retraite, d’autant plus que le Sénat a supprimé cinq régimes spéciaux, même si le CFA n’est pas strictement un régime spécial. Autrement dit, les routiers devraient partir à 59 ans en cas d’entrée en vigueur de la «réforme» et de mise en question du CFA. Le secrétaire général de Forces ouvrières (FO) Transports, Patrice Clos, confie à une chaîne de télévision: «Certains conducteurs étaient mobilisés lors des manifestations précédentes, mais nous n’arrivions pas à en capter beaucoup… Les chauffeurs partent le dimanche soir ou le lundi matin, donc pour une manifestation un mardi ou un jeudi, ils sont obligés de s’arrêter en pleine campagne.» Dès lors, cette fois, ils ont décidé de se mobiliser dès le dimanche. En effet, le CFA a été créé «en raison de la pénibilité du métier», insiste Khalid Oughzif, secrétaire fédéral FO en charge du transport routier de voyageurs. «Nous sommes sur une profession à durée de travail dérogatoire: 52 heures par semaine, plus de 200 par mois. Les nuits sont passées dans des véhicules, sur des parkings…». Travailler deux années de plus n’est pas envisageable. «Où sont les normes préconisées par la Sécurité routière?», demande-t-il. «Avec le vieillissement, les gestes et la réactivité sont plus lents. A plus de 55 ans, il y a davantage de risques de faire un malaise cardiaque. Et au volant d’un véhicule de plus de 40 tonnes, imaginez les conséquences.»

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Nous publions, ci-dessous, quelques articles qui permettent de comprendre l’importance de la grève du 7 mars, de ses suites. Nous commencerons par un article portant sur une étude sur «l’état de l’opinion publique» face la réforme Macron. (Réd. A l’Encontre)

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Retraites. 65% des Français pour la grève reconductible

Par Stéphane Guérard

L’intersyndicale unie contre le projet de réforme du gouvernement [voir son communiqué ci-dessous] n’a pas seulement gagné la bataille de l’opinion. Ses revendications et modes d’action sont majoritairement approuvés par les Français, selon une étude d’opinion Ifop pour l’Humanité.

On savait le projet de réforme des retraites impopulaire dès avant sa présentation par Élisabeth Borne le 10 janvier. L’étude d’opinion que nous dévoilons aujourd’hui [6 mars] marque un cran de plus dans le rejet citoyen de cette double régression voulue par l’exécutif: recul de 62 ans à 64 ans de l’âge légal de départ et accélération de l’augmentation des années à cotiser pour percevoir une pension à taux plein.

Car, dans le sondage Ifop pour­ l’Humanité, il ne s’agit plus de l’expression de l’opposition au dessein ­d’Emmanuel Macron et de son gouvernement, mais de l’adhésion à la démarche portée par l’intersyndicale unie et des organisations de jeunesse, en vue d’obtenir le retrait du texte de loi en discussion au Sénat, quitte à «mettre la France à l’arrêt».

Non seulement 65% des Français et Françaises adhèrent à la ­revendication du retrait de la réforme. Mais aussi et surtout 65% jugent légitime un mouvement reconductible à partir de mardi 7 mars.

«Le rejet de la réforme atteint deux tiers des Français. Chez les personnes actives, c’est même trois quarts d’entre elles, décrypte Frédéric Dabi, directeur général du département opinion de l’Ifop. Notons qu’il ne s’agit même plus d’une question de pour ou contre la réforme, mais d’adhésion à la démarche des syndicats. Deux tiers des personnes interrogées sont favorables à leur demande de retrait du projet de loi. Et, à l’inverse, si l’on regarde le cœur des gens favorables à la réforme, ils ne sont que 16% à juger “pas du tout justifié” ce retrait. C’est un chiffre notable, car il n’a rien à voir avec ce que l’on avait pu constater lors de la réforme des retraites de 2010. À cette époque, 45% des Français trouvaient que passer d’un âge légal de 60 à 62 ans représentait un effort raisonnable dans un contexte de finances dégradées. Cette fois, la situation rappelle plus la mobilisation de 2006, avec une forte adhésion en faveur du retrait du contrat première embauche (CPE).» Jacques Chirac avait alors reculé face à la pression de la rue en n’appliquant pas la loi pourtant votée.

Le retrait voulu que l’on soit ouvrier, artisan, diplômé du supérieur ou d’un niveau CEP, pauvre ou de classe moyenne supérieure

Selon l’étude d’opinion, cette demande de retrait du texte est largement partagée, que l’on soit ouvrier (84%) ou artisan (60%); diplômé du supérieur (63%) ou d’un niveau CEP [certificat d’études primaires], BEPC-collège (61%); que l’on soit parisien (62%) ou habitant d’une commune rurale (77%); pauvre (76%) ou de classe moyenne supérieure (52%). Même les catégories jusque-là favorables à la réforme ne sont plus trop sûres d’elles: les 65 ans et plus, non touchés par le projet gouvernemental, se disent défavorables au retrait, mais de peu (53%) et voient parmi eux les retraité·e·s basculer pour le retrait (52%).

Les plus aisés (plus de 2500 euros par mois) sont très hésitants (51% pas favorables, 49% favorables). Encore plus surprenant: 30?% des proches de la majorité présidentielle et même 38% de ceux de la droite se déclarent en faveur de la demande des syndicats. Côté «Les Républicains» (LR), ils sont même 20% à trouver légitime la grève reconductible à partir du 7 mars, comme 36% des électeurs macronistes!

«La légitimité accordée à une grève reconductible est une autre façon de mesurer le rejet de la réforme. Là encore, 65% des Français trouvent ces actions justifiées. Nous ne sommes peut-être pas loin du scénario du plan Juppé de 1995, quand les Français soutenaient les mouvements reconductibles par procuration», envisage Frédéric Dabi, de l’Ifop. Comme en 2006, le gouvernement avait retiré son projet.

«Il faut toucher aux richesses créées pour que le gouvernement recule»

Pour Catherine Perret (CGT), cette étude d’opinion confirme que «la majorité des citoyens est convaincue qu’il faut faire grève plusieurs jours s’il le faut, pour obtenir le retrait de la réforme. Le patronat soutenant cette réforme de droite, il faut arrêter la production économique et toucher aux richesses créées pour que le gouvernement recule. C’est ce que nous allons faire cette semaine».

Pour tenter d’inverser la pression populaire, les ministres comme les sénateurs LR se sont succédé ce week-end, essayant de décrédibiliser des grèves qui vont bloquer ceux «qui triment», dixit Gabriel Attal [ministre chargé des Comptes publics], à propos desquelles le sénateur de droite Bruno Retailleau juge «absolument inacceptable de vouloir mettre la France à genoux».

Le front syndical demeure serein, rétorque Dominique Corona (Unsa): «Nous sommes stratèges en intersyndicale. Eux ne le sont pas en matière gouvernementale. Nous sommes calmes. Eux moins au vu de leurs outrances des derniers jours. Nous sommes responsables, car nous faisons des propositions pour conforter le système des retraites. Eux avancent des mesures qu’ils ont du mal à étayer. La dynamique est clairement de notre côté.» (Article publié le 6 mars 2023 dans le quotidien L’Humanité)

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Toutes et tous en grève le 7 mars et prêt·es pour la suite!

Communiqué SUD-CGT-FO-FSU-SNALC-UNSA-SGEN-CFDT (Intersyndicale)

Depuis le 19 janvier, les travailleur·euses des secteurs publics comme privés, la jeunesse, les étudiant·es, les lycéen·nes, les chômeur·ses, soutenu·es par une énorme majorité de la population, ont fait la démonstration d’un rejet massif du projet de réforme des retraites.

Les personnels de l’éducation ne s’y sont pas trompés. En effet, les personnels des écoles, établissements et services ont été fortement mobilisés ces dernières semaines, montrant la force collective qui structure nos professions sur tout le territoire. Nos métiers, exercés majoritairement par des femmes et dans des conditions qui ne cessent de se dégrader, rendent cette réforme d’autant plus inacceptable.

C’est pourquoi nous serons en grève le 7 mars et encore dans l’action le 8 mars, journée internationale de luttes pour les droits des femmes. Très peu d’entre nous pourront partir en retraite avec une pension complète à moins de travailler jusqu’à un âge impensable. Enseigner jusqu’à 67 ans n’est souhaitable ni pour les personnels, ni pour les élèves! Celles et ceux qui le pensent ne connaissent pas les réalités de nos professions. Travailler toujours plus longtemps, dans des conditions toujours plus mauvaises et avec un salaire toujours plus faible… Ce n’est pas acceptable!

Dans le même temps, le gouvernement multiplie les provocations à l’égard des personnels de l’éducation: revalorisations insuffisantes dans le cadre du “socle”, missions supplémentaires inacceptables dans le cadre du “pacte”, suppressions de postes qui auront dès la rentrée 2023 des conséquences scandaleuses.

Le gouvernement Macron-Borne persiste dans le maintien de sa réforme. L’heure est à l’organisation du blocage du pays, partout et à tous les niveaux. Les organisations CGT éduc’action, SGEN-CFDT, FNEC-FP-FO, FSU, SNALC, SUD éducation, UNSA-Éducation appellent:

  • à faire grève massivement le 7 mars
  • à se mobiliser massivement notamment par la grève le 8 mars journée internationale de lutte pour les droits des femmes
  • à décider en Assemblée générale des suites à donner à la mobilisation, y compris la reconduction de la grève
  • à participer aux mobilisations prévues le 9 mars par les organisations de jeunesse

Nos organisations de l’éducation se réuniront pour relayer et décliner dans nos lieux de travail les positions adoptées par l’intersyndicale interprofessionnelle à la suite du 7 mars.

Elles soutiennent d’ores et déjà les écoles et établissements qui décideraient de poursuivre la grève après le 7 mars. (Publié le 4 mars 2023)

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Education: mettre les écoles à l’arrêt le 7 mars et les jours suivants

Paris, 31 janvier 2023, manifestation contre la réforme des retraites (Photothèque Rouge / JMB)

Par L’Anticapitaliste (NPA)

Avec des chiffres de grève et de participation aux manifestations très importants, en particulier le 19 janvier, la participation des personnels de l’éducation à la lutte contre la réforme des retraites n’est plus à démontrer, même si le secteur semble encore douter, à tort, du rôle qu’il peut jouer pour gagner contre Macron.

Même si pour la grande majorité des profs, dans le calcul actuel de la retraite, il faudrait aller jusqu’à 67 ans voire plus pour avoir une retraite complète, le rejet du recul de l’âge de départ de 62 à 64 ans est tout aussi profond qu’ailleurs. Il est l’expression d’un ras-le-bol qui englobe aussi la dégradation des conditions de travail, en accélération ces dernières années. Et les annonces de Pap Ndiaye [ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse], qui place sa politique dans la lignée de son prédécesseur [Jean-Michel Blanquer], augmentent encore ce ras-le-bol. L’augmentation annoncée de 10% pour touTEs s’éloigne chaque jour un peu plus tel un mirage dans le désert, et les déclarations sur le «pacte» montrent qu’il s’agit bien de dépoussiérer la vieille arnaque du «travailler (beaucoup) plus pour gagner (un peu) moins». À ce jeu-là, on peut se demander si le ministre n’a pas surestimé la capacité d’encaissement d’une profession déjà largement pressurée.

Ancrer la grève reconductible dans les faits

Pour toutes ces raisons, le 7 mars a d’ores et déjà toutes les chances d’être une journée très forte dans l’Éducation nationale. L’enjeu maintenant est de voir au-delà, afin de vraiment déstabiliser la machine macronienne. Cela passe par l’impulsion d’une grève reconductible, dès le 8 mars qui a une signification très forte dans une profession aussi féminisée, mais aussi le jeudi 9 avec la jeunesse, afin d’ancrer la grève reconductible dans les faits, aux côtés d’autres secteurs comme les transports.

Il y aura pour cela quelques blocages à dépasser dans les jours qui viennent. La colère est présente, mais la conviction que l’on peut gagner et, surtout, que les travailleurs de l’Éducation ont le pouvoir de jouer un rôle déterminant dans le mouvement est encore largement à construire. Convaincre que nous pouvons gagner passe par la reconstruction d’une capacité d’action en partant du plus concret comme les banderoles d’établissement, les affiches, les tracts locaux, jusqu’aux AG de lutte. Cela se fera aussi en reliant cette lutte à celles qui nous ont permis de gagner par le passé. En 1995, en 2006 et en 2019, nous les avons fait reculer! Ainsi qu’en s’inspirant des luttes victorieuses contre les expulsions d’élèves sans-papiers qui ont largement mobilisé les écoles avec des occupations.

L’Education nationale peut être un secteur «bloquant»

La période du confinement a fait la démonstration claire et sans appel de l’impact dans la société d’une fermeture des écoles, mais aussi des collèges et des lycées. Au-delà, le maillage des quartiers par nos établissements et la concentration de travailleurEs que nous représentons à cette échelle permettent d’envisager une territorialisation des actions de blocage et de visibilisation dans le sens d’une «gilet jaunisation» de la mobilisation (blocages et tractages aux ronds-points, réunions publiques de quartier en lien avec les parents, occupations d’écoles pour en faire des lieux d’organisation, etc.).

Après cinq ans d’un Blanquer autoritaire qui a imposé sa loi, les profs, et plus largement tout notre camp social, nous avons besoin d’une victoire afin de retrouver la confiance dans notre propre force. En 2023 c’est possible! (Publié le 3 mars 2023 à 17h)

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Olivier Besancenot: «Pour gagner, pas d’autre possibilité que la grève générale»

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Michaël Zemmour

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