France-dossier. «Généraliser la grève, c’est l’ancrer dans tous les secteurs»

Par SUD-éducation

Après le succès de la mobilisation du 31 janvier, nous allons faire plier le gouvernement! Le 19 janvier, 2 millions de personnes ont manifesté contre la réforme des retraites. Le 31 janvier, c’est 2,8 millions de personnes qui ont battu le pavé pour exprimer leur refus du projet de réforme du gouvernement. Il n’y avait jamais eu de manifestations aussi massives en France. Les personnels de l’éducation et des universités ont massivement pris part aux cortèges et ont participé aux Assemblées Générales de grévistes. SUD-éducation a porté la reconduction partout où c’était possible et soutient par un préavis de grève, jusqu’au 20 mars inclus, les collègues qui ont choisi de reconduire.

L’impopularité de la réforme n’est plus à démontrer. Les personnels ont compris que, dans tous les cas, tous et toutes seront perdants: celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt comme celles et ceux qui ont commencé à cotiser à la fin de leurs études, mais surtout les femmes dont les carrières sont plus hachées. Le 19 et le 31 janvier nous avons fait une démonstration de force sans précédent, en montrant que le refus de la réforme est très largement majoritaire. La réforme est très largement impopulaire dans le pays, le gouvernement est aux abois: nous allons gagner et arracher le retrait de la réforme!

Si le gouvernement s’entête dans son projet injuste et néfaste, alors nous serons en mesure d’ancrer la grève au plus près des territoires. Nous ferons vivre la grève en nous mobilisant dans chaque commune, dans chaque département, jusqu’au retrait de la réforme. Si le nombre ne suffit pas à faire reculer ce gouvernement, alors nous avons devant nous plusieurs semaines pour construire avec les autres secteurs, du public comme du privé, mais aussi avec la jeunesse, une grève si populaire, massive et durable que Macron devra reculer.

La grève est notre force, à nous aussi personnels de l’éducation et des universités: lorsque les écoles et les universités sont fermées, le travail est bloqué, et lorsque les lycéens et lycéennes ainsi que les étudiant·e·s n’ont pas cours, ils et elles peuvent se mobiliser. La mobilisation de notre secteur est essentielle pour gagner. Généraliser la grève, c’est l’ancrer dans tous les secteurs: la semaine prochaine, les syndicats des raffineries (6, 7 et 8 février) et du rail (7 et 8 février) ont d’ores et déjà annoncé plusieurs jours de grève, ce qui peut servir de point de convergence avec les grévistes de l’Education et des universités.

  • SUD éducation appelle tous les personnels à se mettre massivement en grève le 7 février et à participer aux manifestations du 11 février.
  • SUD éducation appelle à participer aux caisses de grève proposées aux différentes échelles et à les multiplier, afin d’organiser la solidarité avec nos collègues les plus précaires.
  • SUD éducation appelle les personnels de l’éducation et des universités à participer à toutes les initiatives pour ancrer la grève: marche aux flambeaux, rassemblements, repas et concerts de grévistes, piquets de grève… En cette période de début de vacances dans certaines zones, SUD éducation soutient particulièrement le développement de ces initiatives dans les territoires concernés.
  • SUD éducation appelle les personnels à organiser des Assemblées générales d’écoles, d’établissements, de services, de territoire etc., pour continuer à débattre de sa reconduction au-delà du 7 février, dans l’optique d’une convergence avec les autres secteurs, afin de bloquer l’économie et de faire plier le gouvernement! (Communiqué publié le 2 février 2023)

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Dans toutes les villes et régions: la même détermination à refuser cette contre-réforme

Manifestation à Auch

Par Pierre Jequier-Zalc

«6000 à Saint-Omer [Pas-de-Calais], 4600 à Auch [Gers], 9000 à Saint-Quentin [Aisne]. Même sur la petite île de Groix, il y a eu 300 personnes!» Au soir de la seconde journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites, les différentes organisations syndicales se réjouissaient de son succès écrasant.

Douze jours après celle du 19 janvier qui avait déjà largement mobilisé, entre 1,27 (selon le ministère de l’Intérieur) et 2,8 (selon les syndicats) millions de personnes ont manifesté partout en France, un record depuis 1995 pour une mobilisation contre une réforme sociale.

«Et ça augmente partout», souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT, «entre 15 et 30 % dans presque toutes les villes». «Ce 31 janvier a confirmé la très forte détermination à refuser le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement» affirme le communiqué de l’intersyndicale publié dans la soirée du 31 janvier, à l’issue d’une réunion qui a rassemblé des représentants de chaque organisation.

«Les députés feraient bien d’entendre cette colère avant de voter n’importe quoi»

A l’issue de celle-ci, tous mettent d’ailleurs l’accent sur cette très forte mobilisation en région […]. «Ça montre que les gens ont envie de se mobiliser chez eux, sans forcément aller dans les grandes villes», analyse Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT.

Surtout, alors que le projet de loi a commencé à être examiné en commission au Parlement, les syndicalistes souhaitent que ces fortes participations mettent la pression sur les députés. «Ils sont élus localement. Ils doivent aussi rendre des comptes aux électeurs locaux» poursuit Marylise Léon. «Les députés ont vu les chiffres dans leur circonscription. Ils feraient bien d’entendre cette colère avant de voter n’importe quoi» abonde Catherine Perret de la CGT.

Car c’est ce qui ressort de cette seconde journée de mobilisation: le gouvernement a bel et bien perdu la bataille de l’opinion. «Personne ne s’est laissé tromper par la propagande du gouvernement», assène ainsi le communiqué. Dans le cortège parisien, on n’hésite pas, par exemple, à railler la petite phrase de Franck Riester [dans sa carrière professionnelle il est le détenteur d’une importante concession automobile familiale], ministre chargé des Relations avec le Parlement dans le gouvernement Borne, qui a reconnu que «les femmes seront pénalisées par le report de l’âge légal».

«Regardez, c’est eux-mêmes qui le disent» lit-on sur une pancarte dans le cortège. «Il suffit de les laisser parler, à chaque fois qu’ils prennent la parole, ils s’enfoncent un peu plus » rit Simon Duteil, co-secrétaire national de Solidaires, «cette journée est clairement un uppercut dans la tête du gouvernement».

Rendez-vous les 7 et le 11 février

Afin de poursuivre sur cette lancée, l’intersyndicale appelle à deux nouvelles journées de mobilisations interprofessionnelles, mardi 7 et samedi 11 février. Deux dates rapprochées, dont une un samedi, que Catherine Perret explique ainsi: «On veut être accordé avec le monde du travail. On a conscience que faire grève, perdre une journée de salaire, c’est parfois compliqué, surtout en ce moment. Cette journée du samedi permettra à des gens, bien souvent des invisibles, de se rassembler en dehors du temps de travail pour s’opposer à cette réforme. Les invisibles doivent pouvoir compter dans ce mouvement.»

Au risque d’avoir des chiffres en baisse le mardi? « On verra, mais il faudra tirer les enseignements le samedi au soir, pas avant» souffle Marylise Léon qui rappelle l’importance de «faire masse».

Une grève générale et reconductible, elle, ne semble pas être encore à l’ordre du jour de l’intersyndicale. «On aura sans doute une réflexion là-dessus d’ici la mi-février» assure Simon Duteil. «Après, il peut y avoir des secteurs qui décident de partir en grève reconductible. Ce serait un appui supplémentaire», poursuit-il, évoquant différents préavis de grève, notamment chez les cheminots.

Un avis pas forcément partagé à la CFDT où l’on craint de voir basculer l’opinion publique en cas de blocage important, notamment en période de vacances. «C’est normal qu’on ne soit pas d’accord sur tout, sinon on ne serait qu’une seule et même organisation. Cette intersyndicale a été réfléchie depuis des mois. Elle est forte, soudée et chacun assume ses différences» assure Murielle Guilbert, co-secrétaire national de Solidaires.

Des mots partagés par l’ensemble des représentant·e·s des syndicats, sur place. Fort de ces deux succès consécutifs, ils sentent que c’est aussi leur union qui rassemble et inquiète le gouvernement. «On se parle très régulièrement, et franchement. L’ambiance est vraiment bonne» affirme Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA.

Silence gouvernemental

Ce mardi soir 31 janvier, c’est surtout le silence du gouvernement qui interroge. Aucune des organisations syndicales n’a été contactée pour d’éventuelles négociations. «Y’a plus de son, plus d’image » commente, un peu ahuri, Dominique Corona de l’UNSA. «Pour l’instant la mobilisation est très bon enfant. Mais si on ne nous entend pas, ça risque de se durcir.» Même son de cloche côté cégétiste: «On en a encore beaucoup sous la pédale. Si le gouvernement passe en force, il sera responsable de l’embrasement du pays.»

En début de soirée, au moment de l’annonce des futures dates de mobilisations, la Première ministre, Elisabeth Borne, s’est fendue d’un tweet. «La réforme des retraites suscite des interrogations et des doutes. Nous les entendons» a-t-elle notamment écrit, poursuivant: «Le débat parlementaire s’ouvre. Il permettra, dans la transparence, d’enrichir notre projet avec un cap : assurer l’avenir de notre système par répartition. C’est notre responsabilité!»

Un tweet sans concession, mais en forme de première perche vers des discussions de la part de la Première ministre qui craint, sans doute, la même défiance dans l’hémicycle que dans la rue. (Article publié le 1er février 2023 par Politis)

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«Il serait injuste et inefficace de faire payer les retraites par les plus âgés»

Graphique publié dans «Libération»

Par Jean-Marie Harribey

Une très grande majorité de la population française perçoit le projet de réforme des retraites du gouvernement comme injuste. Or face à ce projet, d’autres solutions existent pour financer le déficit prévu dans dix ans et qui, dans le pire des cas, ne dépassera pas 0,5 % du PIB (entre 12 et 15 milliards d’euros).

Puisque le rapport entre cotisants et retraités continuera de diminuer, tous les calculs convergent pour estimer que la hausse des cotisations qui serait nécessaire est faible: de l’ordre de 0,8 à 1 point du taux de cotisation. Le même résultat serait obtenu en soumettant à cotisations toutes les formes de rémunération qui en sont exemptées: primes, intéressement, participation. Souvenons-nous aussi des 80 milliards annuels d’exonérations de cotisations sociales à la Sécurité sociale. Et imaginons ce que pourrait apporter la soumission à cotisations des dividendes et rachats d’actions versés aux actionnaires (80,1 milliards d’euros en 2022 pour les seules entreprises du CAC40).

Le capital peu mis à contribution

Notre système de répartition mérite son appellation à double titre. Parce que les travailleurs et travailleuses actifs cotisent pour les pensions des retraités actuels. Et aussi parce que, à tout moment, la richesse produite par le travail est répartie entre les profits et la masse salariale. Or, le silence est généralement fait sur ce second aspect. En effet, toutes les réformes des retraites ont été faites sur le dos du travail et jamais en mettant à contribution le capital.

Or, l’hypothèse du Conseil d’orientation des retraites (COR) et du gouvernement est que, pendant le prochain demi-siècle, les parts relatives du capital et du travail resteront à leur niveau actuel. Le résultat est imparable: recul de l’âge de la retraite, hausse de la durée de cotisation, et beaucoup de personnes ne parviendront pas à respecter ces contraintes.

Un injuste procès fait aux retraités

Alors, certains veulent faire contribuer les retraités pour… payer les retraites. Telle est la proposition du think tank Terra Nova [centre-gauche dirigé par Thierry Pech], fondée sur le fait que les retraité·e·s jouissent d’un niveau de vie supérieur de 7,8 % à la moyenne de la population. Mais cette proposition se heurte à deux objections. D’une part, elle ne prend en compte ni l’évolution prévisible du niveau de vie des retraités dans les prochaines décennies [voir à ce sujet article de Nicolas Senèze dans La Croix, en date du 17 janvier 2023] ni les disparités entre retraités. Le COR estime qu’en 2070, selon le scénario de croissance de la productivité, le niveau de vie des retraités baissera jusqu’à 87% ou 75% par rapport à celui de la population.

D’autre part, la proposition de puiser dans le montant des retraites déjà liquidées ignore les énormes disparités entre les pensions qui tiennent à deux éléments. Notre système de retraite est largement contributif, c’est-à-dire qu’il dépend des cotisations versées pendant la carrière et l’on sait, par exemple, combien l’écart de salaires et de conditions d’emploi entre femmes et hommes se traduit par des pensions féminines inférieures de 40% aux pensions des hommes. Il faudrait donc réduire ces écarts de salaires et rendre encore plus redistributif le système de retraite.

Ne pas opposer les générations

On en vient alors à l’objection principale à la proposition de contribution des retraité·e·s: il faut situer l’origine de l’écart de niveau de vie actuel qui subsiste entre eux et l’ensemble de la population. Il tient à la détention d’un patrimoine financier et immobilier et non pas aux pensions elles-mêmes [voir à ce sujet l’article de Julie de la Brosse, dans La Croix du 5 janvier 2022] Ainsi, il existe un écart mensuel moyen de 600€ entre la pension (1800 €) et le total du revenu (2400 €), soit un tiers de plus procuré par le revenu du patrimoine du retraité moyen, mais qui laisse dans l’ombre ceux qui n’ont aucun patrimoine

On retrouve donc la cause majeure des difficultés à concevoir un système de retraite équitable: quand la structure par âge de la population se transforme, il est indispensable de modifier la répartition de la valeur ajoutée à tous les étages où elle intervient. Il est donc injuste socialement et inefficace économiquement de faire payer le coût de cette transformation démographique aux jeunes (en maintenant de force les seniors au travail), aux premiers de corvée, aux femmes aux carrières hachées, aux vieux qui n’ont que leurs maigres pensions, tandis que les titulaires de hauts revenus seraient exemptés des moindres efforts. (Tribune publiée le 1er janvier dans le quotidien La Croix)

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La triple rente des néo-retraités du CAC40

Jean-Paul Agon, patron de L’Oréal, une retraite sans cosmétique

Par l’Observatoire des multinationales

Alors que le mouvement social contre la réforme des retraites prend de l’ampleur, il n’est pas inutile de s’attarder sur le cas des patrons du CAC40 qui arrivent au bout de leur carrière.

Plusieurs PDG emblématiques – Antoine Frérot de Veolia, Jean-Paul Agon de L’Oréal, Benoît Potier d’Air Liquide, Pierre-André de Chalendar de Saint-Gobain, Martin Bouygues – ont ainsi pris leur retraite en 2021 ou 2022. Ou, pour être plus précis, ils ont cédé la direction opérationnelle de leur groupe (le DG de PDG) tout en restant au moins provisoirement président du conseil d’administration (le P de PDG).

Plusieurs d’entre eux ont soutenu explicitement la réforme des retraites ou du moins le principe de prioriser avant toute chose la réduction des dépenses sociales.

On ne surprendra personne en soulignant que par rapport à la moyenne des actuels et futurs retraités, ces néo-retraités du CAC40 s’en sortent bien. Très bien même.

D’abord, ils continuent à toucher une rémunération fixe de plusieurs centaines de milliers d’euros annuels au titre de leur position au conseil d’administration.

En outre, ils touchent ou peuvent prétendre toucher plusieurs centaines de milliers d’euros supplémentaires de rente au titre de leur «retraite chapeau». Car malgré l’extinction progressive de ce dispositif après des controverses à répétition, les dirigeants les plus anciens du CAC continuent à en bénéficier. La palme dans ce domaine revient comme souvent à L’Oréal, Jean-Paul Agon pouvant prétendre à 1,6 million d’euros annuels – soit 1260 fois la pension de retraite moyenne en France – en sus de sa retraite «normale».

Et ce n’est pas tout. Comme les groupes du CAC40 ont pris l’habitude de rémunérer leurs patrons en actions (près de 50% du montant de leur rémunération moyenne en 2021), ces derniers se retrouvent à l’heure de la retraite en possession d’un joli patrimoine (estimé à 500 millions d’euros en actions L’Oréal pour le même Jean-Paul Agon). Ce patrimoine est aussi une source supplémentaire de rente, sous la forme de paiement de dividendes. Jean-Paul Agon – un cas certes extrême – a ainsi touché pas moins de 6,1 millions d’euros de dividendes en 2021. Benoît Potier, d’Air Liquide, s’est contenté de 1,5 million, et les autres de quelques centaines de milliers d’euros.

La génération de patrons du CAC40 qui part aujourd’hui à la retraite est précisément celle qui a orchestré la soumission des grandes entreprises françaises aux marchés financiers, avec tous les effets délétères qui en découlent : priorisation des dividendes, évitement fiscal, compression des coûts, délocalisation si possible. Ils en récoltent encore aujourd’hui les fruits. Ce sont d’autres qui en subissent les coûts.

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