Le mouvement contre la réforme des retraites suscite des analyses pendant qu’il continue. C’est bon signe! Ce texte est commencé au moment où les médias s’acharnent à dénoncer «la radicalisation» et «le reflux» ; mais, trois jours après, le Conseil d’Etat met en doute la validité de l’étude de «pré-impact» faite par le gouvernement. Autant dire que nous devons être critiques devant l’usage du concept d’«échec» à son sujet [1], même s’il traduit une compréhension de sa première phase.
Il ne faut pas se contenter de la référence à d’autres mouvements antérieurs: il y a des cycles de mobilisation. Un véritable échec, écrasant pour la suite, c’aurait été trois petites (ou ‘grandes’) «journées» de pression, suivies de fausses concessions, et le relais des forces politiques tâchant de faire des contrepropositions «réalistes» en vue de jouer leur rôle lors des échéances électorales. Telle est la voie de l’échec, répété depuis plus de vingt ans, 1995, 2003, 2010… Surprise pour beaucoup, cette «stratégie» est mise en échec, par plusieurs aspects.
Une surprise surprenante…
Le point d’affirmation de cette mobilisation, qui rejette toute la politique gouvernementale actuelle et en même temps tout ce qui a été hérité depuis Nicolas Sarkozy (2007-2012), ne vient pas d’une intersyndicale qui l’aurait préparée dès l’origine. Il a fallu la décision d’appeler à la grève par les syndicats de la RATP, et l’ensemble des autres s’y est accroché. D’où l’impression que la grève de la RATP, rejointe par les cheminots (SNCF), avait le rôle décisif. On mesure aujourd’hui que les grévistes de la RATP peuvent adapter leur tactique dans la durée, – «jusqu’au retrait!» –; sans doute aussi faut-il abandonner une description d’avant-hier (1995) au sujet de la «grève par procuration», qui était une image journalistique plus qu’une analyse concrète.
Comment expliquer qu’il ait fallu attendre la journée RATP du 5 décembre 2019, suivie d’un tel essor de la mobilisation? Tentons une hypothèse: une très grande partie de militant·e·s, assez démoralisé·e·s, pensaient que ce projet de Macron devait être combattu. Mais, les organisations politiques ne disaient pas grand-chose et les directions syndicales montraient leur crainte d’une mobilisation qui serait un nouvel échec; la question semblait posée dans les termes du «temps qu’il faudrait, patiemment, pour reconstruire une capacité d’action collective… ». Avec, sur son propre chemin, la mobilisation dans la santé… Toutefois, les mobilisations qui étaient en train de tourner en rond entre forts mécontentements et crainte que leurs luttes soient par avance battues, ont perçu la portée d’un tel mouvement dans les transports, comme gage d’efficacité. S’il faut se garder de l’idée que des millions de femmes et d’hommes étaient «l’arme au pied» pour en découdre avec Macron et son monde, il faut toutefois constater la force de cette action collective qui a passé la période des fêtes en déjouant même les tentatives de division hypocritement amplifiées par Laurent Berger [2], qui a tout de même osé «appeler à une trêve» pour une grève à laquelle il n’appelait pas. Pour placer un repère, soulignons que la conscience de classe des «gens de la moyenne» est politique et nous en avons une illustration frappante. Dans le marasme politico-social actuel, depuis des années, les études d’opinion font apparaître que 60% au moins de la population (en France et au-delà) juge que le capitalisme est incapable de résoudre les problèmes actuels. Et sensiblement autant disent aussi qu’ils ne savent pas quelles solutions seraient possibles. Tel est le résultat d’une absence de discussion politique mettant la suite des luttes en perspective au moment de la Chute du Mur, suivie de l’effondrement de l’ex-URSS. Etait-ce un «Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré» que les travailleurs auraient désavoué au profit des principes de liberté et d’égalité du monde occidental? Ou bien était-ce une dictature bureaucratique dont les couches dirigeantes étaient dans la situation des appareils d’Etat des «despotismes asiatiques», selon l’analyse marxiste de Georg Lukacs avant 1968 [3]? Cette relative «aphasie» des forces politiques, socialistes, communistes ou de la gauche radicale n’aide pas à avoir une discussion ouverte et la multiplication de petits groupes tenant à une particularité d’idée joue un rôle d’amplificateur du marasme politique.
Cette toile de fond pèse beaucoup sur les couches militantes, malgré leur volonté de résister aux politiques du capitalisme d’aujourd’hui. On ne peut pas ignorer cette réalité qui fait la situation instable, entre les rejets des maux du néolibéralisme et le silence des forces politiques sur les questions essentielles. L’état du monde sur le plan écologique est «la barbarie», en progrès sous nos yeux. Il suffit de voir les images de l’Australie et le semi continent de déchets plastiques sur l’Atlantique, le retour des risques de guerre nucléaire, des centaines de millions de personnes «en migrations», des refus du droit des femmes à disposer de leurs corps: ce système détruit et il n’y a pas de voix politique qui porte pour dire l’équivalent du «socialisme ou barbarie», actualisé après le 20e siècle.
La mise en cause des principes de l’égalité sociale, sur lesquels nous pensions notre continuité et notre espace de relative sécurité, s’est manifestée depuis des années. On ne peut pas dire qu’une «sensibilisation» était nécessaire pour rejeter le projet, même si sournoisement le monde de Macron avait prévu de tirer argument des inégalités et des injustices des retraites réellement existantes.
Avant même le 5 décembre, la journée de manifestation avait des suites annoncées, un soutien massif de 70 à 80% de la population, méfiante, n’ayant aucune idée positive des projets de «réforme». Il a fallu quelques jours pour que le climat change; un indice supplémentaire cerne une analyse concrète: la faiblesse militante laissait le référendum contre la privatisation d’ADP (Aréoports de Paris) avancer à un tout petit rythme. Et ce sont les mêmes forces militantes qui entrent dans une action de masse! Un «tous ensemble» un jour permettait deux choses: vérifier que les mécontentements exprimés sur les réseaux d’échanges interindividuels se retrouvaient vraiment, visibles. Après les défaites de ces dernières années et avec l’exemple des Gilets Jaunes, il fallait que se cristallise dans les rangs militants une impression de pouvoir gagner, de contraindre le gouvernement à donner des garanties ou à retirer son projet. La démoralisation était forte, et la voilà qui tend à disparaître. Macron s’était lourdement trompé sur ce point, croyant la conscience de classe réduite à peu: à trop écouter les conseillers nourris aux pensées du think-tank Terra Nova (pour les plus à gauche!) ou des conseillers des grands de Davos, de la Banque-Assurance…Il avait fini par projeter son succès à partir d’une erreur d’analyse.
Remarquons à quel point les choix de discussion publique du gouvernement ne s’adressaient pas sérieusement à ceux qui s’opposaient, comme si le passage en force contre le Code du Travail de la loi «travaille et tais-toi» [dite aussi loi Pénicaud, ministre du Travail, promulguée en septembre 2017], puis la réforme de la SNCF, se situaient dans un passé oublié et digéré. Il y a des failles, on le sait, dans la formation des énarques… Tel cet oubli, de leur part, des 75 à 80% qui soutenaient les manifestations de 2016 et 2017; un jugement étroit sur la faible politisation des Gilets Jaunes… Après deux ans de rencontres lénifiantes avec un agent de la droite [4], ministre de Chirac puis de Raffarin, qui paraissait aussi rassurant qu’un agent d’assurance, et que personne n’avait démasqué comme servant les «fonds de placements», terme français pour dire «fonds de pensions» sans en avoir l’air, le gouvernement était rassuré et confiant (sic !)…
Une telle bévue du pouvoir donne place à une question: le gouvernement avait-il perçu que la conscience de classe des précaires comme des salarié·e. s·n’était pas du tout au niveau des résultats misérables que les organisations politiques de gauche avaient obtenu aux européennes (au plus 13% du corps électoral avec six listes dont celle de Jadot [5])? Que la colère était mobilisable. Et, pour mieux comprendre, voyons-le, les dirigeants des forces politiques de la gauche n’avaient pas non plus compris qu’elles devaient mettre en chantier un véritable débat public sur l’avenir des retraites afin de conserver en le corrigeant un système solide mais comportant de gros défauts.
Cependant, la lutte des Gilets Jaunes avait marqué les esprits parmi les salarié·e·s de la RATP, et donné l’idée qu’il était possible de ne pas attendre «les échéances institutionnelles» pour en découdre et faire reculer le gouvernement. Par leur lutte, durant les mois de 2018-2019, la ténacité des Gilets Jaunes avait démontré qu’il y avait moyen de se faire entendre par l’action collective. Leur emboîter le pas commençait à dépasser la seule question de solidarité de principe. Puis, la piteuse révélation des liens entre le Commissaire Jean-Paul Delevoye et les cadres de l’Assurance venait démontrer que «les discussions» avaient eu lieu depuis deux ans sous contrôle des ennemis de la Protection sociale. Au moment où les failles dans les garanties du projet alimentaient la discussion publique, cette «révélation» – ce qu’on appelle conflit d’intérêts pour ne pas dire relations stables de corruption – a mis en lumière quel pouvoir devait servir ce projet. Rappelons, sobrement, qu’Emmanuel Macron, dans son Révolution [6], exprimait l’opportunité offerte à chacun de devenir entrepreneur, de se libérer des contraintes, en s’érigeant contre les professions réglementées et les corps intermédiaires.
Des racines deviennent visibles
Un des axes du projet «macronien» est en réalité de remodeler, de façon soigneuse, les contours des classes. Un de ses zélés soutiens a d’ailleurs souligné cet enjeu [7]. Si l’égalité subsiste, «elle a changé de signe: de sociale et protectrice, elle est devenue libérale et émancipatrice» (p. 53). Illustration de l’hommage rendu par ces gestionnaires de la «gouvernance», il invite la CFDT à pousser plus loin son évolution, «qu’elle devienne enfin l’animation de la prise en charge de la diversité des attentes individuelles». Il faudrait «recomposer les relations sociales autour de la seule personne privée […] : c’est le moment de passer de l’égalité sociale à l’égalité libérale».
Un autre fil conducteur
Ces discours hypocrites, qui avaient suscité la rage des Gilets Jaunes, donnent une logique très politique au cycle des luttes qui a fini par se manifester, et explique en partie le mouvement en cours contre la réforme des retraites.
Nous trouvons donc, ainsi, des mobilisations depuis celles à base syndicale de 2016 et 2017, durement réprimées avec les techniques épanouies contre les Gilets Jaunes; elles avaient été largement soutenues mais méprisées, ou négligées, par les appareils politiques soucieux de tourner les forces militantes vers leur(s) campagne(s) pour l’échéance électorale de la présidentielle [avril-mai 2017].
Après les échecs politiques, le mouvement des Gilets Jaunes a joué un rôle de rupture de la chaîne de domination avec laquelle le Président Macron voulait se légitimer: il a dû céder un tant soit peu, ouvrir le «Grand débat», mais fait tellement de répression que sa légitimité en soit usée. Plusieurs mois d’action ont eu cet effet, car la population a continué à exprimer sa sympathie pour les exigences populaires malgré des violences policières et des injustices de l’appareil judiciaire. Justice et respect, égalité et démocratie: les grands référents politiques n’étaient plus du côté de Macron et son monde bien avant le développement du mouvement pour le droit à la retraite. Il faut donc accepter de voir que ce mouvement ne se joue pas, pour le moment, dans la rapidité, mais au travers des contradictions et d’une extension des domaines dans la lutte. Une lame de fond se constitue et peut avoir les forces et la stratégie qui submergent les calculs élyséens. Au lieu de mots d’ordre pressés, répétitifs des tactiques de groupes «d’avant-garde» appelant tout de suite à une manifestation nationale à Paris, les actions, les succès partiels tel celui des pompiers, les mises en cause de députés, tout ce qui fait «tomber les masques» concourt à consolider le mouvement et à augmenter l’isolement du Pouvoir.
Il se produit ainsi un fait rare dans les luttes sociales: une consolidation des actions pour «résister», dire non, s’accompagne d’un progrès dans la compréhension des enjeux. Ainsi, au lieu de laisser croire à une simple attaque contre le pouvoir d’achat et les droits des plus pauvres, les véritables objectifs apparaissent et il s’agit de la destruction des droits sociaux permettant de résister à l’ordre mondial globalisé. Des documents se sont mis à circuler, qui ont précisé le projet politique auquel résister et à détruire. Ainsi Alain Supiot le fait avec la mise en évidence d’un texte de la Banque mondiale [8], qui depuis 1994 propose un modèle de système de retraite, une recette qui semble pouvoir s’appliquer aussi bien aux pays en voie de développement qu’aux pays industrialisés. La mise en place de systèmes de retraites à trois éléments repose sur un premier, qui a une minime fonction redistributive et prend en charge les pensions de retraites des personnes les plus pauvres, financé par cotisations sociales ou bien par l’impôt. Vient ensuite un deuxième étage, obligatoire, individuel ou professionnel, financé de fait par capitalisations individuelles (le projet par «points» acquis par chacun·e en est une illustration). Il est géré selon des critères actuariels; il oblige tous les individus à épargner pour payer leur retraite future, mais n’opère pas de redistribution et fait dépendre de la valeur du «point» au moment venu, en fonction du contexte international, de l’état des «affaires». Selon la Banque Mondiale, ce deuxième pilier obligatoire doit être suffisamment limité pour permettre l’expansion d’un troisième, privé et facultatif, fondé sur l’épargne volontaire, bénéficiant d’avantages fiscaux et devant permettre aux individus de choisir où et comment placer leur revenu tout au long de leur vie. Revoilà les «premiers de cordée» [salués par Macron] avec les moyens de placer leurs revenus tout au long de leur vie, d’autres niveaux de traitements dans les entreprises (publiques et privées), avec des avantages fiscaux…
La réforme des retraites vise à faire un pas décisif dans le reclassement pyramidal des fractions de classe parmi les couches qui vivent de la vente de leur force de travail, reconnue et payée, diversement garantie… Ceci illustre la «philosophie» du Président: «c’est le moment de passer de l’égalité sociale à l’égalité libérale».
Contre ce projet, faisons ce qu’il faut pour que les demandes d’un RIC (Référendum d’initiative citoyenne) ne soient pas «oubliées» en prétextant que ce mouvement était trop faible pour se faire entendre. Une démarche de Référendum d’Initiative Citoyenne peut se traduire par la préparation d’un référendum: une activité auto-organisée localement par les Gilets Jaunes, les syndicats, les associations, tous les militants et organisations politiques qui veulent savoir à quoi ils disent «non» et à quoi ils diront «oui». Au cours même des activités de mobilisations locales… A ces conditions, au lieu d’être un plébiscite entre les mains de la classe dominante, un référendum pourrait être une réelle expression qui rassemble l’immense majorité des gens de la moyenne.
Vers une action commune, des retraites à l’enseignement
Du côté de la jeunesse, les attaques politiques sont d’une ampleur comparable. Pour rendre les jeunes plus dépendants de ces calculs mercantiles sous couvert de «modernité», la volonté de Blanquer [9] (avec Macron) est de réaliser ce que Sarkozy avait annoncé: en finir avec le statut des enseignants de l’Education nationale, les rapprocher des contrats du privé. Il faut à leurs yeux réduire le plus possible le droit à des études libres, devenu une des caractéristiques de la jeunesse. Dès le «bac en continu» le but est d’insécuriser assez élèves et familles pour qu’une partie plus grande des jeunes se tourne vers des projets de pré-embauches chez des patrons, qui peuvent au demeurant prendre en charge, pour certains, les formations complémentaires spécialisées. Dépendance pour la suite, que ces Messieurs de la «Gouvernance» appellent « souplesse ».
Pour les universités – alors que le SNESUP (Syndicat national de l’enseignement supérieur), syndicat majoritaire, demande 6000 postes pendant dix ans pour rattraper de bonnes conditions de formation et de recherches – le gouvernement a préparé une Loi de programmation qui prévoit qu’une partie des maîtres de conférences seront dans un «statut d’excellence» avec des «contrats» renouvelables par «appels d’offres», les dispensant de tâches d’encadrement des étudiants… Un programme afin de réduire le droit de faire des études sauf «courtes» et de pré-embauches. Plus de plasticité avec «les innovations» disent-ils, et en fait soumission étroite de la recherche aux désirs des directions d’entreprises publiques ou privées [10].
Evidemment, cela peut sembler loin des questions de la retraite! Mais les jeunes craignent déjà de ne pas avoir droit à une véritable retraite. Et de devoir se rendre disponibles en permanence. Il faut, en plus, observer cette régression dictée par les Fonds de pension et les gouvernements au moment où les évolutions techniques pourraient permettre de travailler infiniment moins de temps [11], avec le droit à se former et à reprendre des études au cours de la vie de travail…
Pour schématiser, il est possible de dire: le néolibéralisme, actuellement, pousse les gouvernements à supprimer ou diminuer les libertés qui formaient un cadre de sécurité de vie. Celles-ci résultaient de la phase pendant laquelle les luttes de classe et les concessions auxquelles elles ont amené la bourgeoisie ont eu des effets positifs…
Somme toute, le droit à des études libres et le droit de vivre à la retraite en bonne santé sont attaqués l’un comme l’autre. Et il ne s’agit donc pas ici seulement d’une souhaitable «convergence des luttes»: il s’agit de prendre les moyens pour mettre un projet politique en échec.
Imaginons que l’ensemble des travailleurs/travailleuses et de la jeunesse, ayant compris qu’il faut refuser la loi sur les retraites quand elle viendra au vote de l’Assemblée, au printemps, puisse permettre une mobilisation à la hauteur de la crise politique à provoquer. Par exemple, devant les Préfectures et les sièges des députés des diverses droites, des rassemblements massifs, par département, se tiennent dès la veille de ce vote et paralysent le pays alors que le Parlement prétend décider. Cela peut se réaliser si existent des lieux de débats locaux du mouvement, en lien avec les grandes journées d’action et l’animation des Caisses de grève. «Retrait de la loi, référendum, et on est là pour l’obtenir …!» Quel député peut aller revoir ses électeurs ensuite? Sachons viser haut. Dissolution, dispersion du Parti de Macron, démissions… La crise politique peut être provoquée par l’action collective.
Organiser les discussions entre salarié·e·s, tenir des réunions d’une ou deux heures dans des entreprises, des sit-in, ou des initiatives de discussions sur des marchés, dans des cinémas de villes moyennes… Des retraites au flambeau aux rendez-vous pour un buffet ensemble, les liens et les réflexions qui se multiplient permettent de prévoir une participation pour de prochaines grandes dates: votes à l’Assemblée, etc. Le calendrier institutionnel s’étend jusqu’en mars ou en juin. Et un très grand nombre de personnes, sans appartenance organisationnelle en ce moment, peuvent se transformer en militant·e·s de la «résistance» définissant eux-mêmes leurs réponses, leurs «buts communs».
Et les partis politiques, dans cette analyse? Dans la construction de la mobilisation, s’ils veulent sortir de leur déclin, qu’ils participent à l’animation des assemblées locales comme celles souhaitées par les Gilets Jaunes avec le RIC! Cela ne se fera pas sans des transformations internes nécessaires… Et pour des alliances qu’ils passeraient, ouvertes à toutes celles et à tous ceux qui sont dans le mouvement, il leur resterait à s’exprimer clairement sur des engagements vraiment élémentaires, clairement résumés.
Du fait de la gestion mitterrandienne de 1981 et de ses suites: les mesures politiques de justice et de réparation pour éradiquer les restes postcoloniaux sont indispensables. Des lois imposant que les salaires des femmes soient égaux à ceux des hommes. L’annulation de toutes les mesures réactionnaires, toutes les injustices légalisées depuis les trois derniers présidents: contre les chômeurs, contre le droit au travail et le Code du Travail, contre les services publics, contre les libertés démocratiques… Et la mise en œuvre des revendications. Nous ne pouvons pas laisser faire comme si les mauvais coups passés étaient légalisés: d’où la recherche d’alliés qui s’engagent à combattre les politiques néolibérales.
Réorganisation des institutions… Dans la crise de confiance actuelle il faut discuter et faire reconnaître une analyse de l’appareil d’État et de la formation des «élites dirigeantes». Comme «toute l’organisation de la République tend […] à priver les masses des moyens propres à leur faire acquérir la connaissance des affaires et la pratique de la liberté», une «révolution démocratique» est nécessaire (Ferrat, 1945: 225-255) [12]. Toute la préparation des lois, avec les informations discutées, doivent-elles rester loin des discussions les plus larges? Peut-on faire confiance à l’Etat alors qu’en se contentant des règles parlementaires actuelles les députés sont plus souvent otages de questions biaisées? Pourquoi ne pas imposer, par réalisme afin d’éviter de se faire emprisonner dans les mailles des lobbys, que des conseils techniques consultatifs permanents élus parmi les spécialistes et des comités techniques consultatifs provisoires, avec des tirés au sort liés à des assemblées et activités locales, soient nommés pour l’étude d’une question? Et pour avoir une politique qui donne le temps de la démocratie, avant toute élection, discussion et suppression d’une partie des pouvoirs du Président au profit d’une majorité à l’Assemblée contrôlant Premier ministre, gouvernement et services de l’Etat…
L’ouverture du débat sur le changement des institutions… Ce mouvement pourrait aller jusque-là? On m’a dit que c’est peut-être optimiste. Mais pourquoi se contenter de ce que les membres de ce gouvernement pourraient «négocier»? Pourquoi ne pas voir que le cri «Macron démission» a un sens fort: il veut dire chassons la classe dominante et instaurons des règles démocratiques. (Article envoyé par l’auteur; il paraît dans la revue Les Mondes du Travail, en date du 6 février 2020, en ligne et en format papier https://lesmondesdutravail.net/)
Pierre Cours-Salies, sociologue, a été professeur à l’Université Paris 8 Saint-Denis.
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[1] Dominique Seux « Retraites, le reflux pas à pas », Les échos, 16 janv.
[2] Laurent Berger est Secrétaire général de la CFDT.
[3] Lukacs, Georg, (1969), Entretiens avec Georg Lukacs, avec Wolfgang Abendroth, Hans Holz, Leo Kofler, Théo Pinkus, Paris, Ed. François Maspero.
[4] Delevoye, Jean-Paul, naît le 22 janvier 1947 à Bapaume, dans le Pas-de-Calais. Il étudie au lycée jésuite La Providence (en), à Amiens. Conseiller général RPR du Pas-de-Calais, élu dans le canton de Bapaume (1980-2001) Maire de Bapaume (1982-2002 et 2004-2014) Député du Pas-de-Calais (1986-1988). Président de l’Association des maires de France (1992-2002) ; Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire (2002-2004).
[5] Député européen et dirigeant du parti EELV
[6] Macron, Emmanuel (2017), Révolution, Paris, XO
[7] Maillard, Denis (2019), Une Colère française, Paris, éd. L’Observatoire.
[8] Mediapart, 30 décembre 2019.
[9] J-M Blanquer est ministre de l’Education nationale.
[10] https://www.snesup.fr/rubrique/loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche
[11] La CGT, Solidaires et la FSU ont les mêmes revendications du droit au salaire, au travail et à la formation; ainsi que de la réduction du temps de travail sans perte de salaires et avec embauches, 32h vers 30h.
[12] De telles réflexions figuraient déjà dans un livre d’un ancien dirigeant du PCF, André Ferrat, à propos de la 4e République (1945), La République à refaire, Paris, Gallimard
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