France. Avant les urnes, le FN veut s’imposer dans les esprits

louveciennesfrPar Laurent Lacoste

Le Front national, bien décidé à conquérir l’Elysée, a passé la vitesse supérieure dans sa campagne pour l’élection présidentielle de 2017. D’une manière tout à fait spéciale, désormais connue et, si l’on ose dire, bien rodée: il ne s’agit pas de se risquer directement sur les grands thèmes comme la réduction du chômage, la relance économique ou la généralisation de la précarité, sur lesquels le FN n’a aucun plan à proposer, mais d’œuvrer pour faire glisser le débat vers ses thèmes de prédilection comme l’immigration, la sécurité et l’identité nationale. Avec, comme méthode, ce maillage local qui voit les élus municipaux, départementaux ou régionaux profiter de leur position (même minoritaire) pour actionner des leviers idéologiques et semer le trouble dans l’opinion publique en assénant nombre d’idées fausses.

La charte du FN: «Ma commune sans migrants»

A l’origine de cette offensive et de cette polémique, la charte «Ma commune sans migrants», lancée à la mi-septembre par Steeve Briois, le maire FN d’Hénin-Beaumont. Plus encore que les huit points que contient le document, sa déclaration liminaire est un florilège des fantasmes véhiculés depuis des années par le parti d’extrême droite. Le troisième paragraphe, en particulier, illustre bien le syndrome du «pompier pyromane»: «Considérant que l’installation de camps de migrants situés à proximité des cœurs de villes engendre des tensions graves avec les administrés de nos communes, nuit à l’ordre public, asphyxie l’économie locale…». Ainsi, celui qui s’apprête à provoquer tensions et désordres est aussi celui qui les dénonce… à l’avance.

Plus loin, on arrive au cœur du sujet avec un concentré des spectres agités ces dernières années par Marine Le Pen, ce à grand renfort de postulats et d’hypothèses dramatiques assénés sans aucun fondement et destinés à instaurer la peur:  «Considérant que les corridors migratoires qui sont empruntés par les migrants permettent à des djihadistes de pénétrer sur le territoire de la République en vue de commettre des attentats contre nos populations, et qu’il n’est pas exclu que certains soient infiltrés dans les groupes de migrants disséminés dans les centres d’accueil et d’orientation»; «Considérant que l’immigration massive nourrit les revendications communautaristes contraires aux principes de laïcité, principe que sont tenus de respecter les élus locaux»

Par cette charte, les communes signataires s’engageraient entre autres à «s’opposer à l’accueil des migrants», à «ne verser aucune subvention aux associations dont l’objet social est de promouvoir l’immigration massive [sic] et/ou l’accueil de migrants en situation irrégulière». Elles combattraient aussi «par tous les moyens légaux» l’installation de centres d’accueil et d’orientation (CAO), et utiliseraient «tous les moyens de communication […] pour faire connaître leur opposition à l’accueil de migrants sur le territoire». Elles organiseraient enfin une «réunion publique d’information à destination des administrés» pour les renseigner sur «l’impact des politiques d’accueil des migrants».

Problème, en admettant que les conseils municipaux signent une telle charte, celle-ci se révélerait inapplicable car truffée de dispositions illégales au regard du droit français et européen. Les maires ne disposent donc d’aucun moyen pour interdire «par des moyens légaux» l’installation d’un CAO dans leur commune et ceux qui s’aventureraient dans cette démarche risqueraient de lourdes sanctions. Cette réalité, les élus FN la connaissent. Ce qui prouve une fois de plus le caractère purement idéologique et électoraliste de la démarche.

Une offensive qui dépasse le FN

Le caractère insidieux de cette charte a commencé à produire son œuvre: depuis la semaine dernière, les esprits s’enflamment dans les conseils municipaux de petites villes appelées à ouvrir des CAO, mais aussi dans l’opinion publique, avec tous les risques de débordements et de violences que cela comporte. Des bourgs de 2000 habitants ont ainsi été le théâtre de manifestations organisées par le FN et réunissant entre 200 et 300 personnes. A Louveciennes [département des Yvelines, «coin cossu» près du château de Versailles], dimanche 4 octobre, c’est à l’appel de la mairie LR (Les Républicains) que plus de 1000 personnes ont défilé pour protester contre l’installation d’un CAO sur le site de Villevert.

Pour Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), ce point est peut-être le plus préoccupant: «On connaît la stratégie et la logique du FN; cette campagne n’est donc pas étonnante. Ce qui est vraiment inquiétant, c’est que cette charte peut être reprise et adoptée par d’autres élus, notamment Les Républicains. Il y a donc le risque de voir émerger tout un courant contre l’accueil des réfugiés». Même remarque du côté de Jean-Claude Mas, le secrétaire général de la Cimade, qui nous rappelle la pétition lancée le 16 septembre par Laurent Wauquier (LR), président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, contre la «création de jungles sur l’ensemble du territoire». Pour lui, si ce mouvement a bien été lancé par le FN «en s’appuyant sur des idées fausses», il est « en train de s’étendre au-delà ».

Au sein de la LDH, on redoute par ailleurs que cette fronde anti-réfugiés aux accents xénophobes, si elle continue de s’étendre, «n’oblige les autres élus à se positionner par rapport à elle». Au risque de les voir «se tétaniser et finir par s’abstenir au moment du vote sur la charte. Cela prouve bien le danger représenté par les élus FN implantés dans les conseils municipaux, les départements et les régions. Leur stratégie de maillage du territoire fonctionne et se poursuit. De ce point de vue, dans le cas présent, les préfets auraient aussi leur rôle à jouer». Françoise Dumont pointe également le fait que cette charte, en remettant en cause une législation d’Etat mais aussi des directives européennes, est attaquable sur le plan juridique – ce que fera probablement la LDH après l’avoir décortiquée. Cependant, «son véritable enjeu n’est pas juridique. Si une victoire doit être remportée, c’est auprès de l’opinion publique».

Une bataille de proximité

Pour mener et remporter cette bataille des idées, il faudra obligatoirement occuper le terrain et déconstruire les fantasmes colportés par le FN – et les autres. Concernant les CAO, «la Cimade va se mobiliser au côté d’autres organisations pour faire comprendre aux populations qu’ils ne représentent aucun danger, annonce Jean-Claude Mas. Il s’agit seulement d’accueillir de 50 à 70 personnes, le temps qu’elles fassent les démarches nécessaires au parcours qu’elles choisissent par la suite. Et même si ces centres ont vocation à perdurer [le séjour d’une même personne sur place ne peut excéder trois mois, NDLR], on est très loin des mini-Calais. Ces personnes jouissent d’un encadrement spécifique et adapté». 

La polémique est d’autant plus absurde que des centres de ce type existent déjà depuis longtemps sur l’ensemble du territoire, jusque-là sans causer de «troubles notoires». Des troubles, ces réfugiés en ont déjà connu beaucoup de bien pires, puisqu’ils ont tous fui des pays déchirés par les guerres. Autant d’arguments qui peuvent servir à un travail de pédagogie auprès de la population et qui constituent «un véritable enjeu de méthode pour les collectivités locales», selon Jean-Claude Mas. A condition qu’elles ne gaspillent pas tout leur temps à répondre aux provocations du FN, serait-on tenté de rajouter.

A cette lutte idéologique, les organisations politiques et syndicales doivent aussi prendre part en s’appuyant sur leurs implantations locales. Lancée le 29 janvier 2014, la campagne «Ensemble uni·e·s contre l’extrême droite», qui regroupe les syndicats CGT, FSU, Solidaires, l’Unef, l’UNL (Union nationale lycéenne) et Fidl (Fédération indépendante et démocratique lycéenne), a organisé des rencontres et des débats en ciblant notamment les villes et régions particulièrement noyautées ou dirigées par des élus FN (notamment Béziers et Marseille).

De là a été produit, en partenariat avec la LDH et le MRAP, un livre justement intitulé «En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite» dont le chapitre 18 traite l’idée maîtresse (et fausse): «Si nous ouvrons nos frontières, c’est une vague de millions de réfugiés qui risque de nous submerger». Une affirmation pas très difficile à démonter puisque la France, comme nous le rappelle Françoise Dumont, «s’est engagée à accueillir 34’000 réfugiés, sachant qu’elle s’arrangera pour rester en dessous».

Fantasmes ou non, les mensonges propagés par le FN et la «droite décomplexée» font leur chemin dans les esprits, comme en témoigne l’ébullition de ces derniers jours. Et le risque n’est pas seulement d’assister à des troubles ou de bloquer l’ouverture des CAO, mais bien de se retrouver avec une campagne présidentielle focalisée sur la question et propre à «booster» le vote FN. (Article publié dans le Progrès Social)

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