Dossier. «30 ans du génocide: le Rwanda est (aussi) une histoire belge»

Mémorial du génocide à Kigali, le 8 avril 2024. (KEYSTONE/XINHUA/Dong Jianghui)

Par Colette Braeckman

Si la responsabilité française dans le génocide rwandais est régulièrement pointée du doigt, les liens belges sont souvent occultés. Et pourtant, l’ancien colonisateur a lui-même creusé les divisions rwandaises.

Avant, pendant, et après le génocide des Tutsis, le soutien apporté par la France de François Mitterrand au pouvoir de Kigali a pratiquement occulté une autre responsabilité, qui s’étend pratiquement sur un siècle : celle de la Belgique.

En 1890, après le traité germano-britannique qui définit le partage de l’Afrique de l’Est, le Rwanda, jusque-là ignoré des explorateurs, se trouve englobé dans la sphère d’influence allemande, le Mwami Kigeli IV Rwabugiri ayant dû consentir à recevoir, contre son gré, le comte allemand Gustav Adolf Von Goetzen. Par la suite, il doit s’incliner devant des étrangers dotés d’armes à feu tandis que les Pères blancs qui, dès 1900 arrivent dans le sillage des Allemands, se voient octroyer d’importants domaines fonciers où ils établiront leurs missions.

La population divisée en catégories

Inspirés par les critères de l’époque, les nouveaux venus divisent la population en plusieurs catégories : ils collaborent avec les « nobles » Tutsis pour se procurer une main-d’œuvre composée de Hutus et ils méprisent profondément les Pygmées. En 1916, les troupes belges menées par le général Tombeur et venues du Congo, remportent la victoire de Tabora et envahissent le Rwanda. A l’issue de la Première Guerre mondiale, les Belges, qui font partie du camp des vainqueurs, se voient octroyer par la Société des nations un protectorat sur deux colonies allemandes, le Burundi et le Rwanda.

Un résident belge s’installe alors aux côtés du Mwami et de nombreux notables se convertissent au catholicisme. En 1931, le Mwami Musinga, qui jusque-là refusait la religion étrangère et incarnait la royauté sacrée, est destitué au profit de son fils Rudahigwa qui portera le nom de Mutara.

Les années 30 sont celles du catholicisme triomphant : après le baptême de Musinga, ses compatriotes, surtout les Tutsis, se font baptiser en masse (parfois au jet d’eau) et envoient leurs enfants dans les écoles tenues par les missionnaires. Ces derniers forment des « fils de chefs » et le pouvoir colonial les utilisera comme auxiliaires.

De catégories « ethniques » à clivages sociaux

Ce traitement privilégié réservé aux Tutsis s’explique par le fait que, depuis le XIXe siècle, le personnel colonial, civil ou religieux, est fortement imprégné par l’idéologie raciale de l’époque. Il voit dans les « Hamites », (c’est-à-dire les Tutsis), une « race » dite « caucasienne », « supérieure » et destinée à commander tandis que les Hutus, qualifiés de peuple « bantou », n’ont d’autre choix que l’obéissance. Les Pygmées, naguère musiciens et sorciers du Mwami, se voient déconsidérés et rejetés comme des êtres infrahumains.

Un tel regard brise l’unité du Rwanda et celle du Burundi ; les catégories « ethniques » se transforment en clivages sociaux et la mention de l’ethnie sur les cartes d’identité scelle la division entre les citoyens. Elle sera plus tard l’un des outils du génocide.

Des décennies plus tard, à la fin des années 50, les élites tutsies, dans la foulée de la mise en cause générale de la colonisation, commencent à s’élever contre la tutelle belge et au Rwanda, le Mwami qui prévoit de s’adresser aux Nations unies pour demander la fin du régime de tutelle trouvera la mort la veille de son départ, dans des circonstances jamais réellement élucidées.

Le retournement

C’est alors que les Belges, qui ont perdu confiance dans leurs alliés tutsis, commencent à prêter l’oreille aux revendications du « menu peuple » c’est-à-dire des Hutus. Ceux que l’on appellera les « Séminaristes », des Hutus formés dans des établissements religieux, dénoncent l’ascendant politique, socio-économique et intellectuel des Tutsis qui jusque-là avaient été choyés par les Belges, au détriment des populations hutues.

Dans la Belgique des années 50, les syndicats chrétiens et les mouvements d’action catholique, prenant conscience des injustices infligées aux Hutus soutiennent désormais une « révolution sociale » et – avec des accents dignes de la Révolution française – ils dénoncent les « féodaux » Tutsis. Violemment hostiles à l’Unar (Union nationale rwandaise) un parti d’abord nationaliste et soutenu par les Tutsis, les catholiques belges, galvanisés par un évêque suisse, Mgr Perraudin, s’engagent ouvertement aux côtés du Parmehutu (Parti du mouvement de l’émancipation hutu) » fondé par un ancien séminariste, Grégoire Kayibanda. Ce dernier deviendra le premier président de la jeune république.

La « Toussaint rwandaise »

La jacquerie qui éclate en 1959 sera appelée la « Toussaint rwandaise », marquée par des violences à l’encontre des Tutsis. Les écrits des mouvements hutus définissent les Tutsis comme une ethnie étrangère, venue d’Abyssinie et qui se serait imposée aux « Bantous » autochtones (le fait qu’en 1994, les auteurs du génocide aient jeté les corps de leurs victimes dans la rivière Nyabarongo, un affluent du Nil, découle directement de cette croyance).

Galvanisés par la haine de l’« autre » c’est-à-dire de leurs voisins, les paysans hutus brûlent les huttes des Tutsis, et, sans les tuer, les poussent à l’exil. La famille d’un certain Paul Kagame fuira vers l’Ouganda, d’autres Tutsis gagnent le Congo belge. Eparpillés à travers le continent, privés de passeport et de nationalité, les Tutsis du Rwanda deviendront les plus anciens réfugiés d’Afrique.

Après l’indépendance, proclamée en 1962 après des élections qui donnent la victoire au Parmehutu et installent Grégoire Kayibanda à la présidence, le ressentiment et la méfiance à l’égard des Tutsis cimentent l’unité du nouveau régime qui devient aussi l’un des fleurons de l’Eglise catholique, le Rwanda ayant même été consacré au Christ Roi.

Les schémas belges plaqués sur le Rwanda

A l’époque, le philosophe Bertrand Russel et son ami le père Pire seront bien seuls à dénoncer l’exclusion des Tutsis, la montée de la haine et le risque de génocide : les anciens colonisateurs, autant qu’ils le peuvent, aident le pouvoir hutu tandis que le colonel Logiest prend en main la nouvelle armée. Il lui apprend à lutter contre les Inyenzi (cancrelats) qui depuis les pays d’exil souhaiteraient revenir dans leur pays sinon y participer au pouvoir.

Curieusement, les schémas qui divisent la Belgique d’alors sont plaqués sur les rives des grands lacs : il est entendu que les Hutus doivent bénéficier de la majorité du nombre tandis que les milieux démocrates chrétiens, surtout flamands, stigmatisent volontiers l’« arrogance » et la « morgue » des Tutsis. En cette période de tensions linguistiques dans l’ancienne métropole, ces derniers sont volontiers assimilés à une certaine bourgeoisie francophone résidant en Flandre !

Jusqu’à la fin des années 80, le Rwanda, d’abord dirigé par le président Kayibanda, ancien secrétaire de l’évêque de Kapgay puis par le très catholique Juvénal Habyarimana, un militaire originaire du nord du pays et qui laissa son prédécesseur mourir de faim en prison, fut l’« enfant chéri » de la coopération belge. La bonne gestion du Rwanda, volontiers appelé « le pays des mille coopérants » était souvent citée en exemple à côté du turbulent Zaïre de Mobutu et la plupart des Belges, à l’exception de libéraux comme Jean Gol, ne s’émouvaient guère des discriminations et des brimades qui frappaient les Tutsis du Rwanda et menaçaient également le Burundi.

Dès la moitié des années 80 cependant, l’ajustement structurel imposé à toute l’Afrique entraîna la dévaluation du franc rwandais qui perdit 50 % de sa valeur et sa place de monnaie de référence. La crise économique s’aggrava au même rythme que la corruption qui caractérisait désormais le clan présidentiel appelé l’Akazu (la petite hutte), la surpopulation était invoquée pour dissuader les réfugiés tutsis de vouloir revenir au pays et le sida, quoique officiellement minimisé, faisait des ravages.

La Belgique détrônée par la France

En octobre 1990 la guerre éclata sur la frontière ougandaise, menée par un groupe de réfugiés tutsis. Ils avaient combattu aux côtés de Yoweri Museveni [président de la république d’Ouganda depuis le 26 janvier 1986…], l’avaient conduit à la présidence et, ayant créé le Front patriotique rwandais, ils revendiquaient de pouvoir retrouver place dans leur pays d’origine. Sans mesurer qu’elle avait déjà été détrônée par la France, la Belgique se lança dans un ballet diplomatique inutile car le président Mitterrand, s’inspirant des clichés des années 60 qui décrivaient les Hutus comme le « peuple majoritaire », avait pris parti pour ces derniers.

En réalité, le voisin français était d’abord soucieux de défendre « un bastion de la francophonie » dans une région de l’est de l’Afrique naguère conquise par les Britanniques. Paris décida de soutenir Kigali contre ceux que les services français appelèrent rapidement les « Khmers noirs », c’est-à-dire les rebelles du FPR, qui revendiquaient le droit de revenir dans leur pays d’origine.

De 1990 jusqu’en 1994, la France s’engagea toujours plus avant dans le soutien militaire accordé à un régime de Kigali arc-bouté sur les certitudes ethniques tandis que la Belgique, croyant pouvoir éviter le pire, privilégia jusqu’au dernier moment la voie diplomatique et les pressions personnelles : c’est aussi parce qu’il était menacé de ne pas être invité aux funérailles du roi Baudouin, en août 1993, que le président Habyarimana accepta de signer les accords de paix d’Arusha qui prévoyaient le retour des exilés tutsis et l’inclusion du Front patriotique rwandais dans un gouvernement de transition.

La Belgique crut que le pire pourrait être évité

La suite est connue : la Belgique, jusqu’en avril 1994, crut que le pire pourrait être évité et elle privilégia toujours la voie diplomatique, croyant que les accords prévoyant le partage du pouvoir finiraient par être appliqués. Tout en dénonçant les violations des droits de l’homme, les assassinats d’opposants, les distributions d’armes sur les collines, le recrutement de milices Interahamwe qui menaient des entraînements militaires sur les collines, tout en s’inquiétant des messages de haine lancés par la radio des Mille Collines (mais imparfaitement traduits à l’ambassade par un religieux belge le père Theunis). Bruxelles sous-estima jusqu’au bout la détermination des extrémistes hutus incarnés par le colonel Bagosora. Nul ne voulut réellement croire que l’aile radicale du pouvoir avait préparé une « solution finale à la rwandaise », c’est-à-dire l’extermination des Tutsis.

Cette difficulté à concevoir que le pouvoir hutu, si longtemps allié de la Belgique, pouvait basculer dans l’extrémisme le plus absolu explique à la fois l’engagement et la frilosité de Bruxelles : après la conclusion des accords d’Arusha, en août 1993, les Belges, croyant aux chances de la paix, furent les premiers, sinon les seuls à proposer des troupes destinées à participer à la force de l’ONU (Minuar) qui était censée remplacer le contingent français dont le départ était exigé par le FPR.

L’engagement était volontariste, mais au moindre prix : les Belges furent dotés d’un mandat uniquement défensif, nettement insuffisant, on rogna sur les effectifs du contingent (450 hommes) et des militaires à peine rentrés de Somalie furent envoyés au Rwanda avec des équipements calculés au plus juste. Opérant aux côtés de soldats du Bangladesh totalement ignorants des réalités rwandaises, les Casques bleus belges ne disposaient même pas de cartes de Kigali et bivouaquaient dans deux dizaines de cantonnements différents !

Dès le lendemain de la mort des dix Casques bleus, une seule décision s’imposa à Bruxelles : évacuer tous les ressortissants belges, organiser au plus vite le départ des soldats traumatisés et révoltés par la mort de leurs camarades qui avaient été sommés de rendre leurs armes. Par la suite, fin avril, alors que les cadavres s’entassaient à Kigali et que les massacres s’étendaient à tout le pays, la Belgique plaida devant les Nations unies non pas pour un renforcement de la Minuar et un changement de son mandat, mais pour une réduction significative des effectifs mis à la disposition du général Dallaire. L’officier canadien se retrouva alors avec une force résiduelle de 270 personnes sur le terrain, uniquement défensive.

Sans avoir même songé à s’opposer à l’entreprise génocidaire, par exemple en essayant de sécuriser Kigali, la Belgique avait choisi d’abandonner le Rwanda à ses démons. Par la suite, Willy Claes, alors ministre des Affaires étrangères et devenu par la suite secrétaire général de l’Otan [président du Parti socialiste européen de novembre 1992 à octobre 1994, secrétaire général de l’Otan d’octobre 1994 à octobre 1995], devait justifier cette décision par le fait que nul, au sein des partis politiques ou d’une opinion publique tétanisée par la mort des dix Casques bleus, ne s’était opposé à l’abandon du Rwanda.

Il fallut attendre avril 2000 pour que le Premier ministre de l’époque, Guy Verhofstadt [juillet 1999-mars 2008], qui avait présidé en 1998 aux travaux de la commission d’enquête parlementaire sur le Rwanda, se rende à Kigali à l’occasion de la commémoration du génocide et déclare : « Au nom de mon pays et de mon peuple, je vous demande pardon. » (Publié dans le quotidien belge Le Soir le 4 avril 2024. ©Rossel – Le Soir. Les articles de ce dossier sont reproduits avec l’autorisation de l’Editeur, tous droits réservés)

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Comment les génocidaires ont pu gagner le Zaïre en 1994

Par Colette Braeckman

Alain Juppé [30 mars 1993-11 mai 1995, ministre des Affaires étrangères] a donné les ordres, Hubert Védrine [secrétaire général de la présidence de la République française 17 mai 1991-17 mai 1995] a interprété François Mitterrand [président de la République française mai 1991-mai 1995]. Déclassifiées, les archives de la France au Rwanda sont bavardes : elles rappellent que Paris a laissé les génocidaires s’enfuir vers le Zaïre.

Alors que la commission d’historiens chargée par le président Macron d’examiner les responsabilités de la France dans le génocide commis au Rwanda en 1994 devrait remettre ses conclusions le 2 avril prochain [1], les archives « Rwanda » de la présidence Mitterrand, enfin « libérées » sur décision du Conseil d’Etat et accessibles aux chercheurs, parlent bien plus vite.

Le chercheur indépendant François Graner, qui a pu consulter des documents estampillés « confidentiel diplomatie » a ainsi découvert et transmis à Mediapart un télégramme émis le 15 juillet 1994 par le cabinet du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé et transmis à l’ambassadeur Yannick Gérard. Ce dernier, qui représentait le Quai d’Orsay auprès des militaires français participant à l’opération « Turquoise », demandait des instructions claires à propos du sort à réserver aux membres du « gouvernement intérimaire ». Ces derniers avaient été le « cerveau » du génocide, commanditant et dirigeant les massacres. Ces dignitaires, mis en fuite par la victoire militaire du Front patriotique rwandais, s’étaient réfugiés dans la zone « Turquoise » contrôlée par l’armée française, à proximité de la frontière de l’ex-Zaïre.

Alors que le diplomate estimait qu’il n’y avait pas d’autre choix que les arrêter ou de les mettre en résidence surveillée avant la décision des instances judiciaires internationales compétentes, Paris en décida autrement : dans un télégramme daté du 15 juillet, le cabinet Juppé donna pour instruction de transmettre aux autorités génocidaires « notre souhait qu’elles quittent » la zone contrôlée par les militaires français.

Une sorte de sauf-conduit

Autrement dit, le gouvernement français de l’époque et l’Elysée n‘ignoraient rien des agissements des dignitaires rwandais placés sous leur protection. Mais au lieu de les arrêter et de les empêcher de nuire, ils leur offrirent une sorte de sauf-conduit qui devait les mener vers le Kivu, en attendant l’occasion de fuir ultérieurement vers Nairobi. Théodore Sindikuwabo, ex-président de l’Assemblée nationale et placé à la tête du « gouvernement intérimaire », un homme qui avait personnellement incité à « l’élimination totale des Tutsis », put ainsi rallier le Zaïre en juillet 1994 sans être inquiété par les militaires français. L’éventualité d’une arrestation des membres du gouvernement génocidaire, dont la responsabilité dans les massacres ne faisait plus aucun doute, suscita cependant un certain débat à Paris. Selon une « source autorisée » reprise à l’époque par l’AFP, il aurait d’abord été décidé que, « s’ils apparaissaient dans la zone humanitaire protégée par l’Opération “Turquoise”, les membres du gouvernement intérimaire seraient mis aux arrêts. »

Les archives sont loquaces. Dans la marge de cette dépêche imprimée à l’époque par les services de l’Elysée figure une annotation sous la plume d’Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée : « Lecture du Président : ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier ministre. »

Prélude à la première guerre du Congo

Dans un document émanant du cabinet Juppé apparaît alors l’ordre de laisser filer les génocidaires. Autrement dit, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, était d’accord avec l’Elysée tandis qu’Edouard Balladur [Premier ministre 29 mars 1993-17 mai 1995], qui dirigeait le gouvernement de cohabitation, était opposé à l’exfiltration des génocidaires. En 1998, Balladur rappellera d’ailleurs qu’« il n’était pas question, aux yeux de Mitterrand, de châtier les auteurs hutus du génocide tandis qu’aux miens, il n’était pas question de permettre à ceux-ci d’aller se mettre à l’abri au Zaïre. » Il ne s’agissait pas seulement de fermer les yeux : Mediapart rappelle que, dans les jours qui suivirent, l’exfiltration fut organisée par l’état-major tactique et pilotée par le lieutenant-colonel Hogard qui commandait le groupe « Sud Turquoise » au Rwanda, formé de troupes de la Légion étrangère.

Est-il besoin de rappeler que la guerre fut ainsi transportée au Zaïre où, sous l’œil des Français, les autorités génocidaires reconstituèrent leurs forces et se préparèrent à la revanche ? Deux ans plus tard, les camps de réfugiés hutus étaient attaqués par des hommes de Kagame et la première guerre du Congo commençait. (Publié dans Le Soir le 16 février 2021)

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[1] Réd. A l’Encontre : en mars 2021, l’historien Vincent Duclert remettait à Emmanuel Macron un rapport de 1200 pages sur le rôle de la France au Rwanda de 1990 à 1994. Selon Le Monde du 6 avril 2024 : « Il montrait un naufrage politique, militaire et diplomatique. Il révélait aussi un aveuglement idéologique de François Mitterrand et de ses conseillers, imposé au reste de l’appareil d’Etat. Vincent Duclert vient de publier aux Editions Tallandier un ouvrage intitulé La France face au génocide des Tutsis. Le grand scandale de la Ve République.

Selon Pierre Lepidi, dans Le Monde du 6 avril, « Vincent Duclert entend faire la lumière sur ce qu’il considère comme “l’impensable”, à savoir comment les autorités françaises se sont engagées “dans une alliance inconditionnelle avec un régime autoritaire [celui du président rwandais Juvénal Habyarimana] ethnique et raciste dont les éléments les plus radicaux ont préparé en Afrique le denier génocide du XXe siècle”. L’impensable, c’est aussi d’avoir, au plus haut sommet de l’Etat, ignoré toutes les alertes lancées par des ONG, des diplomates comme Antoine Anfré, vice-consul de France en Ouganda (1987-1991)… ou des officiers comme le général Jean Varret, chef de la Mission militaire de coopération jusqu’en 1993.»

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Les images du Rwanda furent parfois trompeuses

Par Colette Braeckman

Lorsqu’il déclara à Kigali qu’en 1994 le monde avait abandonné le Rwanda, le président Paul Kagame ne se trompait pas : dans la foulée des casques bleus, tous les expatriés, Européens pour la plupart, avaient été évacués du Rwanda. Seule la France préparait l’Opération Turquoise afin de pouvoir, en juin 1994, sécuriser une zone dans le sud-ouest du pays, voisin du Kivu. Les extrémistes hutus, mis en déroute par l’avancée du Front patriotique rwandais (FPR) vers Kigali s’y réfugièrent, protégés par l’armée française, avant de gagner le Zaïre de Mobutu. Dès septembre 1994, d’immenses camps de réfugiés hutus s’égrenèrent sur la frontière séparant le Zaïre et le Rwanda et une épidémie de choléra à Goma fit 60 000 victimes au rythme de 2000 morts par jour ! Ce désastre sanitaire, dû à un afflux massif de population dans des conditions d’hygiène désastreuses, suscita enfin une mobilisation massive de la presse internationale. Journalistes et photographes purent compter sur le soutien logistique de l’armée française qui attirait ainsi l’attention sur une autre tragédie que celle du génocide au Rwanda, qui fit plus d’un million de morts. A tel point qu’aujourd’hui les images d’archives illustrant, depuis l’intérieur du pays, le génocide des Tutsis du Rwanda sont relativement rares, presque toujours pareilles, tandis qu’abondent les photos réalisées dans les camps de réfugiés hutus au Nord et au Sud-Kivu. Aujourd’hui encore, ces images sont utilisées, faute de mieux (entre autres par Le Soir) pour illustrer la situation au Rwanda au temps du génocide. Le problème, c’est que les victimes du génocide, c’est-à-dire les Tutsis, furent non seulement abandonnées mais qu’ils devinrent invisibles alors que les images de la crise humanitaire provoquée par l’afflux de réfugiés hutus à Goma et Bukavu sont restées dans les mémoires et dans les archives de la presse internationale. (Publié dans Le Soir le 7 avril 2024)

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Génocide rwandais : trente années pour revivre et reconstruire

Par Colette Braeckman

Trente ans après le début du génocide rwandais, la mémoire est toujours très douloureuse. Lors des commémorations, les crises traumatiques sont fréquentes. Et le silence règne sur les collines comme dans la capitale, Kigali.

Alors qu’en 1995, de nombreuses victimes du génocide gisaient encore dans les fossés et les églises, le nouveau gouvernement du Rwanda, dit d’« unité nationale » avec à sa tête le Front patriotique rwandais qui avait conquis Kigali le 4 juillet 1994, y avait organisé une conférence internationale sur le génocide. Une seule question hantait les participants : « Dans ce pays transformé en cimetière, avec un million de morts et deux millions de citoyens en exil dans les pays voisins, parmi lesquels de nombreux tueurs, que faire ? »

Un frisson parcourut l’assistance lorsque Ephraïm Züroff, rescapé du génocide des Juifs, chasseur de nazis et fondateur du Centre Wiesenthal à Jérusalem, prit la parole sans aucune précaution oratoire : « Le traumatisme, la douleur vont vous poursuivre votre vie durant… La mauvaise nouvelle, c’est que vous transmettrez cette souffrance à vos enfants. Y compris à ceux qui ne sont pas encore nés… Mais la bonne nouvelle, si j’ose dire, c’est que nous, les survivants de l’Holocauste, nous serons à vos côtés. Autant que possible nous tenterons de vous aider. »

A cette époque, Kigali n’était pas nettoyé de sa boue et de ses immondices ; des cadavres gisaient encore dans les fossés et dans les toilettes des rares maisons encore debout ; une odeur de mort flottait sur les maisons en ruines. L’hôtel des Mille Collines – qui avait abrité dans ses chambres des rescapés obligés de boire l’eau de la piscine et, au dernier étage, accueilli l’état-major du Hutu Power avant sa déroute – était en rénovation, mais ses tapis dégageaient encore une odeur de sueur et d’effroi.

L’exode massif

Les anciens réfugiés revenaient d’Ouganda ou du Zaïre et occupaient les maisons des Hutus en fuite tandis que des rescapés, des survivants erraient comme des ombres. Ils coltinaient des sacs souillés, des cabas gonflés de macabres découvertes : les restes de leurs proches retrouvés au fond des fossés. Des corps déchirés identifiés grâce à des lambeaux de tissu. A cette époque, chaque survivant tentait, en priorité, de retrouver les siens et de les enterrer le plus dignement possible.

Sur les collines, il n’était pas difficile d’identifier les maisons qui avaient appartenu à des Tutsis : jardin pillé et détruit, murs en ruines tachés de sang, toit emporté jusqu’à la dernière tuile. Quant aux maisons des Hutus, intactes, elles étaient vides : dès la victoire militaire du FPR le 4 juillet 1994 et surtout dès le retrait, fin août, des militaires français qui avaient participé à l’Opération Turquoise, un exode bien encadré avait mené les Hutus vers les camps de réfugiés de Tanzanie et surtout vers la frontière de l’actuel Congo. Près de deux millions de civils accompagnés de femmes et d’enfants sans oublier quelques Tutsis emportés comme butins de guerre, avaient afflué autour de Goma et de Bukavu. Coupant tous les arbres, les nouveaux venus avaient construit des « blindés », des huttes de branchages entrecroisés.

Alors que le génocide des Tutsis s’était déroulé à huis clos après le départ des forces de l’ONU, les humanitaires s’étaient précipités vers Goma et Bukavu, avec leurs convois de nourriture, leurs citernes d’eau potable, leurs dispensaires. L’urgence les dispensait de comprendre qu’ils se portaient au secours des auteurs du génocide, des hommes en armes mais aussi des civils, hommes, femmes et même enfants. Dans les camps installés au-delà des frontières, les militaires et les miliciens hutus dissuadaient leurs compatriotes de prendre la route du retour. Ils obligeaient aussi les jeunes gens à participer à des entraînements militaires afin de, un jour, « finir le travail »…

Les soldats du Front patriotique avaient pris le contrôle de Kigali le 4 juillet 1994 mais ils n’atteignirent la « zone Turquoise » sur la frontière avec le Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) que fin août, après que les militaires français, songeant peut-être à une éventuelle revanche, eurent encouragé l’exode des réfugiés hutus.

« Le monopole de la justice »

A Kigali, Paul Kagame, ministre de la Défense, était devenu vice-président d’un gouvernement d’union nationale dirigé par un Hutu, Pasteur Bizimungu. Cependant, ayant dirigé les opérations militaires, il était déjà le vrai chef. Ayant accepté de nous recevoir, il assurait d’une voix calme, au timbre bas : « Je ne peux pas obliger mes compatriotes à s’aimer, mais je peux faire en sorte que la vengeance soit interdite. Il faut que, dans ce pays, chacun puisse vivre en sécurité, à l’abri des représailles… »

Il assumait le fait que, sur ses ordres, des soldats du FPR aient été exécutés sur-le-champ lorsqu’ils s’étaient vengés après avoir découvert dans leur village d’origine les corps de leurs proches. Il martelait : « Le monopole de la justice doit appartenir à l’Etat, la vengeance individuelle sera interdite. » L’une des premières mesures décidées par le gouvernement d’union nationale avait été d’interdire que l’appartenance ethnique figure sur les documents d’identité.

La « première guerre du Congo »

Alors que l’aide internationale se déversait sur les camps de réfugiés, la solitude des victimes était totale.

En 1998, le Fonds d’aide aux rescapés du génocide (Farg) absorbait 5 % du budget national alors que l’association d’aide aux enfants rescapés du génocide représentait plus de 100.000 orphelins devenus chefs de famille. Après la mise à mort de leurs parents, ils s’étaient retrouvés seuls et tentaient de vivre en communauté dans des maisons abandonnées, vaguement surveillés par leurs anciens voisins, parfois assassins de leur famille. Peu à peu, des orphelins du génocide, qui survivaient en grappillant un peu de nourriture dans les champs, se virent octroyer des bourses d’études, une mesure qui fut aussitôt critiquée par les contempteurs du régime, dénonçant déjà le favoritisme.

Ayant menacé de le faire, il tint sa promesse : en 1996, deux années après la prise de Kigali, Paul Kagame lança la « première guerre du Congo ». Ses troupes, soutenues par des pays amis dont l’Ouganda, prirent la tête d’une force hétéroclite dans laquelle se trouvaient des Tutsis congolais et des opposants à Mobutu, dont Laurent Désiré Kabila. Le premier objectif de l’AFDL (Alliance des forces pour la libération du Congo) était de démanteler les immenses camps de réfugiés hutus où se préparait la reconquête du Rwanda. Un an plus tard, les troupes de Kagame pénétraient dans Kinshasa et installaient au pouvoir Laurent Désiré Kabila, un ancien partisan de Lumumba. Si la plupart des réfugiés hutus avaient regagné le Rwanda, nombre d’entre eux, préférant la fuite à travers la forêt congolaise, furent traqués et massacrés par les troupes rebelles, entre autres à Lubutu et Tingi Tingi.

La plupart des réfugiés hutus revenus au pays furent dirigés vers leur colline d’origine tandis que les criminels dits « de première catégorie », c’est-à-dire les concepteurs et les responsables du génocide, furent confiés au Tribunal pénal international sur le Rwanda. Une institution installée « hors sol », dans la ville tanzanienne d’Arusha, fonctionnant en anglais et suivant des procédures anglo-saxonnes.

La justice sur l’herbe

Dans le pays, les autorités, confrontées à des prisons surpeuplées, choisirent d’innover : s’inspirant de coutumes qui existaient avant la colonisation, ils instaurèrent les tribunaux gaçaça (la justice sur l’herbe). Des jurés, choisis au sein des communautés villageoises et ayant reçu une formation spécifique, furent chargés, lors d’audiences publiques et obligatoires, d’assister à la confrontation entre des accusés extraits des prisons avec les survivants du génocide, proches des Tutsis assassinés. Les cellules villageoises rassemblèrent ainsi des informations relatives aux victimes, aux lieux de tuerie, aux biens volés et pillés.

Les jugements émis par les bashingantahe, les « sages », élus pour siéger dans les tribunaux gaçaça, prévoyaient souvent des mesures de réparation : les criminels, en guise de châtiment, se virent obligés de reconstruire les maisons détruites, d’aider les veuves à bêcher leurs champs… Il arriva aussi que les tueurs, mis sur la sellette par des témoins de l’époque, tentent de se racheter en révélant des secrets jusque-là bien gardés : les lieux (fossés, marécages, puits) où ils avaient jeté des dépouilles jusque-là introuvables ! En 2012 le processus gaçaça se termina officiellement, allégeant un peu l’arriéré judiciaire et la surpopulation des prisons, et toutes les fosses communes n’avaient pas encore été découvertes : en 2018 encore des corps allaient être retrouvés dans les fondations des maisons de Kabuga, à quelques kilomètres de Kigali. De nos jours encore, les nouveaux chantiers qui apparaissent dans la capitale révèlent de macabres surprises : voici peu, un charnier fut découvert au fond du jardin de l’ambassade de Belgique à Kigali ! A l’époque du génocide, il jouxtait les bâtiments de la Croix-Rouge rwandaise et des corps avaient été jetés au-dessus de la clôture.

Kwibuka, souviens-toi

Un vieux proverbe rwandais demeure d’actualité : « Ne montre jamais à l’autre que tu sais qu’il te hait. » De nos jours encore, tout au long de l’année, le silence règne sur les collines comme dans la capitale : les Rwandais, qu’ils soient bourreaux ou victimes, vivent côte à côte et chacun surveille ses attitudes autant que ses propos. Seules les cérémonies de commémoration du génocide, appelées Kwibuka (« souviens-toi ») et organisées le 6 avril de chaque année, libèrent un chagrin soigneusement dissimulé et contenu.

Ce jour-là, dans les travées du stade Amahoro reconstruit avec soin, les équipes de cliniciens sont sur le qui-vive : lorsque les larmes et les cris se transforment en hurlements, des volontaires emportent les corps saisis par des crises traumatiques, ils tentent de calmer ceux qui entrent en transes. Un psychologue se souvient de ces classes d’école primaire qui jadis devenaient soudain incontrôlables : « Il arrivait souvent qu’un enfant, sans raison apparente, se mette à hurler. Les autres suivaient, se jetaient au sol et bien souvent l’enseignant, submergé par les émotions, craquait à son tour. »

La vérité officielle, c’est que les Hutus et les Tutsis ne sont plus que des citoyens rwandais censés vivre désormais côte à côte, sans violence, remerciant le FPR et Paul Kagame de permettre à tous de vivre en paix, en sécurité et d’assurer le minimum vital à chacun. S’il est vrai que l’ancien réfugié venu d’Ouganda, candidat cette année à un quatrième mandat présidentiel, à l’âge de 67 ans, est à la fois craint et respecté, nul n’ose poser à voix haute la question de sa succession.

Obsédé par la sécurité, le président règne d’une main de fer ; il n’hésite pas à faire enlever ou assassiner des opposants vivant à l’étranger, y compris d’anciens compagnons de combat comme Patrick Karegeya tué dans sa chambre d’hôtel en Afrique du Sud ou le général Kayumba Nyamwasa, à la tête du Congrès national rwandais et cible de plusieurs tentatives d’assassinat. A l’intérieur du pays, chacun surveille ses propos et, pour justifier la guerre menée au Congo, le président répète que les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), descendants des Hutus réfugiés en 1994, ont pu se réorganiser et se réarmer.

« Ils nous ont tués et nous tueront encore »

L’historienne Hélène Dumas a passé des années à écouter, en kinyarwanda, les enfants rescapés. Elle a même retrouvé, en 2016, des cahiers de classe entassés sur une étagère de la Commission nationale de lutte contre le génocide. L’Avega (Association des veuves du génocide d’avril) avait réuni une centaine d’orphelins, dont la moyenne d’âge oscillait entre 8 et 12 ans, et il leur avait été demandé de consigner leur histoire par écrit : la vie d’avant, la vie durant le génocide, la vie d’après…

Ces textes forment aujourd’hui la matière vive d’un livre majeur qui dément autant les thèses négationnistes que l’optimisme de commande(1). Car nombre de témoignages griffonnés sur des cahiers d’écoliers contredisent la sérénité officielle : « Quand arrive le mois d’avril et que nous commençons la semaine de deuil, nous trouvons des Hutus qui disent que nous ressuscitons les mauvais esprits ou que nous allons déterrer les os comme des chiens. » « J’ai encore beaucoup de chagrin quand je vois des Hutus qui ont été libérés en disant qu’ils ont avoué et qui, quand ils arrivent chez eux ou chez nous dans la campagne, se moquent de nous en disant qu’ils nous ont tués et nous tueront encore. »

R, un jeune étudiant, interrogé à l’improviste, refuse cependant de se montrer pessimiste en dépit de la pauvreté persistante et des inégalités : « Le régime a fait beaucoup. Désormais tous les Rwandais ont une couverture médicale, tous les enfants ont accès à l’enseignement… Nous remercions Kagame pour la paix qu’il nous a apportée, pour la beauté et la propreté de notre pays. C’est pour cela que le chef remporte les élections à chaque fois… »

Lorsque nous arrivons à destination, la conversation s’interrompt. Le Rwanda n’est pas un pays où l’on parle à voix haute. (Publié dans Le Soir le 5 avril 2024. ©Rossel – Le Soir. Les articles de ce dossier sont reproduits avec l’autorisation de l’Editeur, tous droits réservés)

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[1] Hélène Dumas, Sans ciel ni terre, paroles orphelines du génocide des Tutsis (1994-2006), éditions La Découverte, 2020.

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Rwanda-Suisse. De l’évêque au conseiller présidentiel, une implication dans l’essor d’une politique institutionnelle qui se fera génocidaire

Mgr Perraudin

Par la rédaction de A l’Encontre

Dans son premier article (reproduit ici), Colette Braeckman souligne que «les Pères blancs, qui dès 1900 arrivent dans le sillage des Allemands, se voient octroyer d’importants domaines fonciers où ils établiront leurs missions». Ainsi est établie la base matérielle de leur travail «catholique». Colette Braeckman ajoute :  «Violemment hostiles à l’Unar (Union nationale rwandaise) un parti d’abord nationaliste et soutenu par les Tutsis, les catholiques belges, galvanisés par un évêque suisse, Mgr Perraudin, s’engagent ouvertement aux côtés du Parmehutu (Parti du mouvement de l’émancipation hutu) » fondé par un ancien séminariste, Grégoire Kayibanda», président de la République rwandaise d’octobre 1961 à juillet 1973.

Mgr Perraudin – qui fut évêque de Kabgayi, territoire ecclésial de l’Église catholique au Rwanda – valide dans une lettre pastorale datée du 11 février 1959 la construction des « catégories ethniques ». Il écrit : « dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont pour une grande partie liées aux différences de races, en ce sens que les richesses d’une part et le pouvoir politique et même judiciaire d’autre part, sont en réalité en proportion considérable entre les mains des gens d’une même race ». Cela va s’inscrire entre 1959 et 1961 dans l’appui de l’Eglise catholique aux Hutus, dans « la guerre contre le pouvoir tutsi » et les premiers massacres de Tutsis, entre autres dans la région de Kabgayi, massacres qualifiés de « premier génocide rwandais ». Dans son autobiographie pro domo, Perraudin résume avec audace, dans une formule, l’idéologie qui a sous-tendu la pratique génocidaire : « Par-dessus tout la charité » ! Le titre complet de l’ouvrage est Un évêque au Rwanda : « Par-dessus tout la charité » : les six premières années de mon épiscopat (1956-1962), Éd. Saint-Augustin, Saint-Maurice-en-Valais, 2003.

Ce n’est pas le seul acteur suisse qui a joué un rôle important auprès du gouvernement rwandais. Ainsi, Charles Jeanneret, conseiller de Juvénal Habyarimana, « continuait de dire en pleine tourmente que le pays avait un bon président, et qu’il voyait l’avenir avec optimisme » (Le Temps, 25 mai 2020). Jessica Monteiro, dans Le Nouvelliste, le 6 avril 2024, rappelle que « ce Neuchâtelois a été mandaté par la Confédération de 1981 à 1994 au sein de la coopération suisse au Rwanda comme «conseiller présidentiel», à raison de 200 000 francs par an. Peu avant les massacres, Charles Jeanneret-Grosjean tenait encore un discours élogieux sur Juvénal Habyarimana, pourtant fervent défenseur des discriminations entre Hutu et Tutsi, et participait régulièrement à des réunions diplomatiques avec lui. »

La présence helvétique au Rwanda après la Seconde Guerre mondiale est documentée par Lukas Zürcher dans son ouvrage Die Schweiz in Ruanda: Mission, Entwicklungshilfe und nationale Selbstbestätigung (1900-1975), Zürich: Chronos, 2014. Selon Bertrand Tappolet, dans Swissinfo.ch le 9 avril 2014, « aux yeux de l’historien zurichois Lukas Zürcher, “le gouvernement suisse a entamé des relations avec le Rwanda car il souhaitait corriger l’image de sa neutralité mal vue et critiquée au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La Confédération souhaitait faire partie de la communauté d’aide internationale qui émergeait autour du concept de développement ». Moyen d’affirmation nationale au plan international du pays, le Rwanda fut envisagé comme «une plateforme et vitrine du savoir-faire helvétique». Il poursuit: «Depuis 1961, la Suisse œuvre dans le domaine de la coopération bilatérale. A partir de 1963, elle a fait du Rwanda son premier pays prioritaire. Dans le conflit [dit] interethnique, les Suisses ont pris parti jusqu’en 1994 de façon répétée pour le régime ‘Hutu’.»

On peut rappeler ici le dépôt de l’interpellation (https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=19963305) au Conseil fédéral – intitulée « Rwanda : Auteurs du génocide et victimes » – de Nils de Dardel, en date du 9 juin 1996  . Selon la tradition, la réponse de l’exécutif dissout les termes effectifs de l’interpellation et construit un «à-côté de la plaque», collégial. (Réd. A l’Encontre)

Quelques ouvrages de Colette Braeckman

Rwanda. Histoire d’un génocide, Fayard, octobre 1994
Rwanda. La revanche des mille collines, Nevicata, 2023
Mes carnets noirs, Weyrich Edition, novembre 2023

 

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