
Par Gideon Levy
Le plan d’Israël pour le nettoyage ethnique de la bande de Gaza avance à grands pas, peut-être plus vite que prévu. Outre les résultats significatifs déjà obtenus en matière d’assassinats et de destructions systématiques, ces derniers jours ont vu une autre étape décisive: la famine provoquée délibérément commence à porter ses «fruits».
Les effets de cette politique se propagent rapidement, faisant un nombre de victimes qui n’est pas inférieur à celui des morts causés par les bombardements. Ceux qui ne meurent pas en faisant la queue pour obtenir de la nourriture ont de fortes chances de succomber à la faim.
L’arme de la famine intentionnelle fonctionne. La Fondation «humanitaire» de Gaza (GHF) est, quant à elle, devenue un tragique succès. Non seulement des centaines de Gazaouis ont été abattus alors qu’ils faisaient la queue pour recevoir des colis distribués par la GHF, mais d’autres n’ont pas réussi à atteindre les points de distribution et sont morts de faim. La plupart d’entre eux sont des enfants et des bébés.
Rien que mercredi 23 juillet, 15 personnes sont mortes de faim, dont trois enfants et un bébé de six semaines. Cent deux personnes sont mortes depuis le début de la guerre, dont 80 enfants, et le nombre ne cesse d’augmenter ces derniers jours.
Les images que les médias locaux criminels d’Israël cachent au public – dont l’absence de couverture de Gaza ne sera jamais oubliée ni pardonnée – sont vues par le reste du monde. Ce sont des images qui rappellent celles des survivants des camps de concentration, des images de l’Holocauste. Les dissimuler revient à nier le phénomène.
Des corps squelettiques de bébés et de nourrissons, vivants ou morts, dont les os saillent à travers les tissus adipeux ou les muscles atrophiés, les yeux et la bouche grands ouverts, le regard vide.
Ils gisent sur le sol des hôpitaux, sur des lits de fortune, ou sont transportés sur des charrettes tirées par des ânes. Ce sont des images de l’enfer. En Israël, beaucoup de gens rejettent ces photos, doutant de leur véracité. D’autres expriment leur joie et leur fierté en voyant des bébés affamés! Oui, c’est aussi ce que nous sommes devenus.
Transformer la famine intentionnelle en une arme légitime et acceptable parmi les Israéliens, que ce soit par un soutien affiché ou par une indifférence glaciale, est l’étape la plus démoniaque à ce jour dans la guerre qu’Israël a lancée contre la bande de Gaza.
C’est aussi la seule étape pour laquelle on ne peut inventer aucune justification, excuse ou explication. Même l’appareil de propagande sans limites d’Israël n’arrive pas à en trouver. La famine est devenue une arme légitime, car c’est un autre moyen d’atteindre l’objectif: le nettoyage ethnique.
Il faut intérioriser cette réalité et considérer la poursuite de la guerre sous cet angle. Tout comme Israël tire profit des morts causées par les tirs, il tire également profit de la faim qui tue des centaines de personnes. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de rendre Gaza invivable, et ce n’est qu’ainsi que ses habitants partiront «de leur plein gré», d’abord vers la «ville humanitaire» [ce camp de concentration établi au sud de Gaza], puis vers la Libye, ou Dieu sait où.
La famine est désormais visible sur tous les visages. Les journalistes palestiniens à Gaza qui n’ont pas encore été abattus par l’armée israélienne rapportent qu’ils n’ont rien mangé depuis deux ou trois jours.
Même les médecins étrangers ont parlé mercredi de ce qu’ils avaient mangé, ou plutôt de ce qu’ils n’avaient pas mangé. Une médecin canadienne de l’hôpital Nasser a déclaré qu’au cours des deux jours précédents, elle n’avait mangé qu’un petit bol de lentilles. Elle ne pourra pas continuer à soigner les malades et les blessés dans ces conditions. Cela aussi, c’est bon pour Israël.
Une équipe d’Al-Jazeera a accompagné un homme jeune qui partait à la recherche de nourriture pour ses enfants. Il a cherché et cherché, jusqu’à ce qu’il trouve deux sacs de farine israélienne et une bouteille d’huile sur un étal de marché. Le prix était de plusieurs centaines de shekels par sac, et il est rentré les mains vides chez lui, auprès de ses enfants affamés. La chaîne de télévision a ensuite donné des détails sur les trois étapes menant à la mort par famine. Les enfants de cet homme en étaient à la deuxième étape.
Cette famine organisée a fait de cette guerre la plus horrible des guerres d’Israël, et certainement la plus criminelle. Nous n’avons jamais affamé deux millions de personnes de cette manière.
Cependant, il n’y a qu’une seule chose pire que la famine délibérée: l’indifférence avec laquelle elle est accueillie en Israël. A une heure et demie de route de l’endroit où un autre bébé, Yussef al-Safadi, est mort mercredi. Sa famille n’avait pas pu trouver de substitut au lait pour lui. Pendant qu’il mourait, la chaîne Channel 12 diffusait une émission de cuisine, et les audiences étaient excellentes. (Publié par le quotidien Haaretz le 24 juillet 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
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«Nous exigeons la suspension immédiate de tous les accords de l’UE avec Israël»

Des citoyennes et citoyens de l’Union européenne (UE), à l’appel de l’association Acción Contra el Odio (Action contre la haine) et des revues CTXT et Viento Sur, s’insurgent contre la position «honteuse» de la Commission face au génocide perpétré à Gaza. (Madrid, le 24 juillet 2025)
«A la présidente de la Commission européenne,
Nous, citoyens et citoyennes de l’Union européenne, à l’appel de l’association Acción Contra el Odio (ACO) et des revues CTXT et Viento Sur, tenons à exprimer notre protestation la plus énergique contre la position honteuse que la Commission européenne que vous présidez adoptée depuis que, le 9 octobre 2023, Israël a décidé de déclencher un génocide contre la population palestinienne vivant dans la bande de Gaza, en représailles aux terribles attentats et à l’enlèvement de civils commis le 7 octobre de cette année-là par le Hamas.
A ce jour, l’armée israélienne, sous le commandement du sioniste Benyamin Netanyahou, a tué au moins 60 000 civils palestiniens, pour la plupart des femmes et des enfants. Ces dernières semaines, Israël est en train d’exterminer les Gazaouis par la faim et de tuer par balles chaque jour des dizaines de personnes qui se rendent à la distribution simulée de nourriture, transformant ainsi la famine planifiée en une arme génocidaire supplémentaire.
Depuis octobre 2023, votre silence et votre prise de parti en faveur d’Israël, Madame Von der Leyen, vous rendent, vous et la Commission européenne, légalement moralement complices de l’anéantissement systématique et dévastateur de la population de Gaza. Le rapport présenté par la diplomatie européenne aux Etats membres [fin juin], qui accuse Israël de crimes de famine, de torture, d’attaques aveugles et d’apartheid contre les Palestiniens, doit conduire à des décisions concrètes et urgentes.
Les signataires de cette lettre ouverte vous demandent, en tant que responsable première de la Commission européenne, de respecter et de promouvoir les mesures suivantes:
- Suspension immédiate de l’accord d’association UE-Israël, signé en 2000, étant donné qu’Israël a manifestement violé l’article 2, qui oblige au respect des droits de l’homme.
- Suspension de tous les contrats de fourniture d’armes et de technologies de surveillance avec des entreprises israéliennes publiques, parapubliques ou privées.
- Suspension du soutien et de la coopération en matière de renseignement.
- Application immédiate des règles de l’UE déjà en vigueur concernant les échanges commerciaux, culturels et de recherche avec les institutions publiques et privées israéliennes présentes dans les territoires palestiniens occupés.
- Soutenir l’application du droit international sur tout le territoire européen, à commencer par les procédures de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale, y compris l’exécution des mandats d’arrêt [Benyamin Netanyahou et l’ex-ministre de la défense Yoav Gallant] émis par cette dernière.
Les signataires ci-dessous sont convaincus que la Commission européenne respectera les valeurs fondatrices de l’UE et mettra en œuvre ces mesures dans les plus brefs délais. Dans le cas contraire, l’association Action contre la haine se réserve le droit de porter plainte contre vous et contre la responsable de la politique étrangère européenne [Kaja Kallas] devant la Cour pénale internationale pour complicité dans le génocide en cours, qui met fin à des décennies de colonialisme, d’épuration ethnique et d’oppression.»
Premiers signataires : cliquez sur le lien

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