Après les élections législatives anticipées de cet automne – à l’issue desquelles le parti conservateur (ÖVP) et l’extrême droite (FPÖ) ont obtenu 31,5%, respectivement 26% des voix – le chef de l’ÖVP, Sebastian Kurz, a annoncé la nomination des ministres de son futur cabinet, dans ce qui se présente comme une réédition de l’alliance entre les conservateurs et l’extrême-droite des années 2000. Six ministres du nouveau gouvernement sont issus du FPÖ. Parmi eux, le futur ministre de la Défense, Mario Kunasek, et celui de l’Intérieur, Herbert Kickl, sont tous les deux connus pour leurs prises de position de droite extrême. Karin Kneissl, nommée à la tête des Affaires étrangères, n’est certes pas membre du FPÖ, mais est connue pour son intransigeance envers les réfugié·e·s.
Avec son image reluisante, S. Kurz accède à la Chancellerie après une carrière initiée dès la fin de son adolescence. Alors qu’il était ministre des Affaires étrangères du gouvernement précédent, il indique clairement vouloir diriger l’Autriche à la manière d’une entreprise. Les analogies avec le style de Macron en France sont multiples, y compris en ce qui concerne la tendance à se passer du contrôle parlementaire.
Après avoir prêté serment, lundi, Kurz s’est précipité à Bruxelles, mardi 19 décembre, pour rassurer Jean-Claude Junker (Commission européenne) et Donald Tusk (président du Conseil de l’UE) sur le cap pro-européen de son gouvernement. Or, ses belles promesses ne l’empêcheront en rien de généraliser une gestion policière et fort autoritaire du «flux des migrant·e·s». Un train de mesures a déjà été annoncé: confiscation de l’ensemble des effets monétaires des migrant·e·s lors de leur demande d’asile, prélèvement des téléphones portables aux fins d’analyse des données, «mise en caserne» des demandeurs d’asile.
L’Autriche va appuyer le groupe de «Visegrad», ce club informel d’Etats d’Europe centrale et orientale majoritairement dirigés par des partis autoritaires qui militent pour durcir la politique européenne envers les migrant·e·s. Une politique déjà marquée par une gestion militarisée et répressive de la dite crise migratoire. Au regard de tels développements, il peut être utile de se pencher sur le personnel que le FPÖ a fait accéder aux postes de pouvoir. C’est ce travail d’analyse qu’effectue la contribution dont nous offrons ci-dessous la traduction. (Rédaction)
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Aujourd’hui [vendredi 22 décembre], Anneliese Kitzmüller va prêter serment en tant que suppléante du président du parlement autrichien, le Conseil national [la chambre basse du parlement autrichien, comprend un président, ainsi que deux suppléant·e·s qui reçoivent les titres de deuxième et troisième président·e·s]. La politicienne du FPÖ, le Parti autrichien de la liberté, dispose des meilleurs contacts auprès de l’extrême-droite, propage des paroles haineuses contre les femmes sans-enfants et fait régulièrement parler d’elle à cause de ses prises de position homophobes et «völkisch»[1].
Anneliese Kitzmüller a commencé très tôt une carrière politique, comme il ne peut y en avoir de plus classique: pendant ses études de droit, elle est active auprès du Ring Freiheitlicher Studenten (RFS)[2], elle devient, dès 1994, membre de la direction du FPÖ dans le Land de Haute-Autriche, pour ensuite accéder, à partir de 2000, à la direction nationale du FPÖ (avec des interruptions). Depuis 2008, elle exerce les fonctions de députée du FPÖ au Conseil national et travaille comme porte-parole de son parti sur les questions de famille.
Un réseau lié à l’extrême-droite
La future suppléante du président du parlement marche dans les pas de son prédécesseur au même poste, Norbert Hofer. Comme lui, Kitzmüller dispose des meilleurs relais auprès des milieux d’extrême-droite. Hofer est, de notoriété publique, membre de la corporation d’étudiants Marko-Germania[3], tandis que Kitzmüller est active au sein de deux sociétés d’étudiantes rattachées au nationalisme pangermaniste. Dans la société d’étudiantes «Iduna zu Linz», Kitzmüller assume les fonctions de vice-présidente, tandis qu’elle est membre de la société d’étudiantes «Sigrid zu Wien».
Dimanche prochain, ces corporations étudiantes ne vont pas fêter Noël, mais la «Julfest». Il s’agit d’un code utilisé par les néonazis et l’extrême-droite, qui se réfèrent à une fête germanique associée au solstice d’hivers pour ne pas avoir à fêter Noël, perçu comme une coutume chrétienne. La page internet de «Iduna zu Linz» est affublée d’un bleuet (Kornblume), constituant le symbole du mouvement antisémite fondé par Georg Schönerer[4].
Kitzmüller n’est pas seulement une fidèle adepte des mœurs et des symboles «völkisch»». Elle s’engage en tant que membre de la direction de l’association faîtière des «Landmannschaften» de la vieille Autriche et auteure de la revue «Aula». Dans cette revue, on trouve régulièrement des publications de néonazis. Comme l’atteste le centre de documentation et d’archives de la résistance autrichienne (DÖW) [il s’agit d’un centre de recherche historique sur la résistance au nazisme, qui lutte aussi pour le devoir de mémoire face aux crimes nazis et contre l’extrême-droite], la revue Aula fait office de trait d’union entre le FPÖ et tous les courants extra-parlementaires de l’extrême-droite et du nationalisme pangermaniste.
Des attaques contre les droits des personnes homosexuelles
Dans son rôle de suppléante à la présidence d’une association active dans la politique des familles (Freiheitlicher Familienverband Österreich), Kitzmüller semble se soucier bien particulièrement des enfants. Ces derniers sont poussés sur la scène dès que la politicienne du FPÖ propage des paroles haineuses contre les homosexuelles ou contre les politiques d’égalité des sexes.
Lorsque, en 2015, la Cour constitutionnelle a levé l’interdiction faite aux couples homosexuels d’adopter, Kitzmüller a déclaré qu’il s’agissait «d’un jour noir pour les enfants». Elle utilise le terme de «Konstrukt» pour désigner les parents homosexuels et est persuadée du fait qu’une telle « construction artificielle » serait «inadaptée à la psyché des enfants» Der Kurier, 14 janvier 2015). Même les politiques d’égalité des sexes mises en œuvre dans les entreprises ou les institutions publiques [désignées dans le monde germanophone par l’anglicisme Gender- Mainstreaming], ainsi que le fait de «revêtir des rôles non conformes à l’identité sexuelle» seraient la cause de «maladies psychiques» chez les enfants. C’est ce que Kitzmüller a écrit dans une contribution pour la plate-forme d’extrême-droite «unzensuriert», réputée proche du FPÖ.
Les faux-semblants d’une politique présentée comme favorable aux familles
Le fait que Kitzmüller se présente comme protectrice des familles est typique de son parti. Il est tout aussi habituel de constater que lorsqu’elle a véritablement quelque chose à dire, rien ne reste de ses déclarations favorables aux familles. Dans le Land de Haute-Autriche, le gouvernement régional de coalition FPÖ-ÖVP [parti conservateur et droite extrême] a déjà réduit les allocations au logement et a plafonné l’aide sociale (Mindestsicherung) attribuée aux familles à la somme de 1500 euros.
Une vague d’indignation a été en outre provoquée par les plans du gouvernement régional FPÖ-ÖVP consistant à introduire une taxe pour les enfants devant être gardés l’après-midi par les jardins d’enfants en Haute-Autriche. De nombreuses personnes craignent une diminution du nombre de places dans les crèches, qui font déjà fortement défaut dans les régions rurales. Ce sont avant tout les femmes de familles monoparentales qui verraient leur situation précaire se dégrader davantage. Une répartition des tâches de reproduction et des revenus respectant l’égalité des sexes en deviendrait encore plus difficile à mettre en place.
Les femmes aux fourneaux
Pour Anneliese Kitzmüller, cela ne pose pas de problème bien particulier. Elle représente une conception de la famille dans laquelle la garde des enfants dans le cadre de crèches publiques, ainsi que l’emploi féminin n’ont pas de place. Ainsi, elle a déclaré dans un communiqué de presse que «malgré les revendications de politiciens de gauche, qu’ils soient rouges, verts ou noirs [la couleur des conservateurs en Autriche], voulant plus de place de crèches alors qu’ils n’ont pour la plupart pas d’enfants» les petits enfants seraient «gardés au mieux dans leur famille» (Agence de communication APA-OTS, 24 mai 2011).
Une présidente-suppléante du Conseil national de conviction nationaliste et pangermaniste; une politicienne de carrière, rondement payée, qui propage des paroles haineuses contre les «politiciens professionnels sans enfants» ; une «politicienne au service des familles» qui veut que les femmes retournent aux fourneaux plutôt que de travailler: Anneliese Kitzmüller incarne à la perfection ce qu’est le FPÖ en 2017. Et ceci la rend particulièrement dangereuse. (Article de Sonja Luksik pour le blog Mosaik. Traduction par Daniel Bonnard pour Alencontre)
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[1] Le terme «völkisch» désigne une série de mouvements nationalistes apparus au 19e siècle ayant pour point commun une conception raciste et mythologique du peuple allemand.
[2] Le RFS est une organisation étudiante proche du FPÖ.
[3] Pour le lectorat francophone, les corporations d’étudiant·e·s peuvent paraître quelque peu folkloriques. Elles le sont, certes, mais combinent cette apparence désuète avec un ancrage prononcé dans les milieux d’extrême droite, ceci tant au niveau idéologique que matériel. Les corporations d’étudiant-e-s sont, en Autriche, des relais entre les milieux de la droite nationaliste et raciste et les structures du FPÖ. Le Centre de documentation de la résistance autrichienne (DÖW, voir plus bas) a publié un commentaire détaillé sur la corporation de Norbert Hofer, la Marko-Germania, où sa proximité idéologique avec le nationalisme «völkisch » et des positions anti-libérales est démontrée, sources à l’appui.
[4] Georg von Schönerer (1842-1921) était un politicien et un publiciste autrichien anti-libéral, anticlérical et opposant farouche à la création d’un état autrichien indépendant. Il était habité d’un antisémitisme radical et militait pour le rattachement de l’Autriche au Reich. Dès 1879, il assuma un rôle dirigeant au sein du mouvement nationaliste pangermaniste autrichien. L’antisémitisme radical de Schönerer trouvait son origine dans une idéologie germano-ethnique (völkisch) et était inspiré de la théorie biologique des races. En raison, entre autres, de son engagement contre les couples « mixtes » entre chrétiens et juifs, il devint un modèle pour le jeune Adolf Hitler. Source : Austria-Forum, AEIOU, das Lexikon aus Österreich (une documentation qui dispose du support technique et éditorial de l’université technique de Graz).
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