Par Christian Zeller
En une seule année, le gouvernement ÖVP-FPÖ [Parti populaire autrichien et Parti de la liberté d’Autriche] a changé l’Autriche. Son objectif central est d’améliorer les conditions de profitabilité des grandes entreprises et de leurs fournisseurs de biens intermédiaires. Elle conduit la transformation de la société sur plusieurs axes. Trois éléments différents actuels méritent d’être soulignés.
1° Extension et flexibilisation du temps de travail
Très rapidement, le gouvernement a modifié en profondeur la Loi sur la durée du travail durant l’été 2018. La loi, entrée en vigueur le 1er septembre, permet d’allonger la durée quotidienne de travail jusqu’à 12 heures par jour et 60 heures par semaine. Cela permet aux entreprises d’allonger et de consolider le temps de travail des salarié·e·s, d’augmenter l’intensité du travail, et donc le stress et de réduire significativement les salaires en réduisant, voire en supprimant, le paiement des heures supplémentaires. De cette façon, le gouvernement vise à accroître la productivité et l’intensité du travail, ce qui aboutit à l’abaissement des coûts unitaires salariaux.
2° Les compagnies d’assurance maladie sous contrôle du capital
Le 13 décembre 2018, le Conseil national (Nationalrat, la chambre basse) a décidé une réorganisation complète de l’assurance maladie. En passant de 21 caisses maladie à seulement 5, la fusion a été très forte. Le gouvernement veut ainsi économiser un milliard d’euros d’ici à 2023. Toutefois, les gains d’efficacité invoqués par le gouvernement ne sont pas vérifiés. Au contraire, le gouvernement détruit tous les éléments de consultation, même bureaucratique, des salarié·e·s et des personnes assurées. Les représentants des entreprises qui dominent aujourd’hui les organes autonomes des institutions d’assurance sociale peuvent réduire les «prestations supplémentaires» légales des caisses d’assurance maladie afin de les ouvrir aux assureurs privés en tant que domaines d’activité [ce qui correspond, plus ou moins, à la place des mutuelles en France ou des assurances complémentaires par rapport à l’assurance de base en Suisse]. Stratégiquement, le gouvernement veut créer un marché de l’assurance et donc un champ d’investissements rentables pour le capital.
3° Création d’un secteur à bas salaires
Le gouvernement veut créer une fraction d’exploitation de la force de travail rémunérée avec des bas salaires [inférieurs aux normes salariales majoritaires actuelles]. En 2019, les contre-réformes portant sur les montants alloués pour le revenu minimum, l’allocation chômage et l’assurance chômage sont à l’ordre du jour. Toute une série de mesures, à savoir la réduction drastique de l’aide sociale et la suppression de divers droits donnant accès aux allocations de chômage, visent à obliger les chômeurs et chômeuses à accepter n’importe quel emploi [assignation au travail, méthode qui est répandue dans toutes les contre-réformes de l’assurance chômage en Europe]. Ces salarié·e·s sont donc utilisés pour faire pression sur ceux qui ont un emploi relativement mieux payé. Avec la marginalisation de certains salarié·e·s, la pression salariale à la baisse exercée sur la majorité d’entre eux s’intensifie également.
D’autres attaques contre les salarié·e·s
Le gouvernement prépare d’autres contre-réformes: il veut même inscrire la compétitivité dans la Constitution et rendre la législation environnementale sans impact effectif. Il veut transformer les Chambres du travail [1] en des «organisations de service» et affaiblir considérablement les syndicats.
Pour mettre en œuvre son «programme de reconstruction», il organise une division et opposition systématiques des habitant·e·s: les personnes âgées contre les jeunes, les familles monoparentales contre les jeunes mariés, les habitants de la campagne contre les citadins, les personnes avec contre les sans passeport autrichien, les malades contre les personnes en bonne santé, les fumeurs contre les non-fumeurs, tous sont montés les uns contre les autres. Toute idée de solidarité sociale et de résistance commune doit être détruite. Le gouvernement ÖVP-FPÖ est particulièrement perfide dans sa propagande raciste et antimusulmane.
Une alternative reste à construire
Le SPÖ [parti social-démocrate autrichien] poursuit une «modernisation» totalement subordonnée à la logique de la concurrence. Pamela Rendi-Wagner, la nouvelle présidente du SPÖ, ne s’est même pas prononcée en faveur de la réintroduction de l’impôt sur la fortune. Son discours s’adresse aux soi-disant classes moyennes et aux «plus performants» de la société. Le SPÖ et les Verts ont expressément confirmé leur orientation vers une opposition molle à ladite modernisation lors des conférences de leur parti à la mi-novembre et fin novembre 2018.
Immédiatement après l’annonce de la loi sur le temps de travail, l’ÖGB [Österreichischer Gewerkschaftsbund, Confédération syndicale autrichienne] a mobilisé plus de 100’000 personnes le 30 juin pour une grande manifestation à Vienne. Les syndicats de branche ont annoncé un «automne chaud». Ils ont promis de freiner les effets de la Loi sur la durée du travail en imposant des conditions sévères dans les conventions collectives qui devaient être négociées.
Cependant, ils n’ont pas donné suite à ces déclarations si ce n’est que quelques actions très limitées. Comme d’habitude, elles se sont centrées sur la négociation d’augmentations de salaire pour leurs secteurs constituant leur base sociale traditionnelle, essentiellement masculine. Cela signifie que la «discussion» et les «mobilisations» portant sur le temps de travail sont malheureusement terminées pour le moment.
Depuis début octobre, des manifestations contre le gouvernement ont lieu tous les jeudis à Vienne et dans d’autres villes. Les participant·e·s à ces dernières expriment une déception générale, une colère et une frustration. Toutefois, ces manifestations sans objectif précis n’ont évidemment pas encore réussi à changer les rapports de forces. Les groupes anticapitalistes restent faibles et, de plus, sont fragmentés. (Article publié par le Sozialistische Zeitung (1/2019) et sur le site d’Aufbruch-Salzburg le 1er janvier 2019, traduction A L’Encontre)
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[1] La particularité du système de relations professionnelles autrichiennes est l’existence de neuf Chambres provinciales du travail (Länderkammern, connues principalement sous l’abréviation AK) fonctionnant sous l’égide de la Chambre fédérale du travail (Bundesarbeitskammer, BAK). L’affiliation aux Chambres est obligatoire; la Chambre fédérale du travail représente les intérêts d’environ 3,6 millions de travailleurs et de consommateurs, selon les données de 2016. (Réd. A L’Encontre)
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