Après la journée du 2 octobre: quelques points de vue

Manifestation à Paris, le 2 octobre 2010

Rédaction

Revenant sur la mobilisation contre la réforme des retraites, Jean-Pierre Raffarin a estimé, dimanche 3 octobre 2010, qu’«un gouvernement n’a pas le droit de mésestimer la contestation sociale». L’ancien premier ministre prédit un débat «ouvert» au Sénat à partir de mardi. «Il est évident qu’il y a eu beaucoup de monde dans les rues hier (samedi). C’est incontestable», affirme le sénateur de la Vienne dans un entretien au Journal du dimanche. 2,9 millions de manifestants dans toute la France selon les syndicats, contre à peine 900’000 personnes pour le gouvernement: la troisième journée de manifestations contre la réforme des retraites (qui arrive mardi 5 octobre 2010 au Sénat) a en tout cas mobilisé dans toute la France.

Selon le site du Figaro (2 octobre 2010): «Encore une fois, les manifestations contre la réforme des retraites qui se sont déroulées ce samedi ont donné lieu à une bataille de chiffres. Selon la CFDT, la journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé «autour de 2,9 millions» de personnes. C’est «sensiblement le même nombre» que la fois précédente, selon le numéro 2 du syndicat, Marcel Grignard. Le 23 septembre, près de 3 millions de personnes étaient descendues dans la rue, selon les syndicats. Le ministère de l’Intérieur a pour sa part décompté 899’000 manifestants, un chiffre «en baisse» de 98’000 personnes.»

Mediapart souligne à ce propos: «Devant un tel écart de chiffre qui permet de parler d’un succès pour les syndicats ou d’un essoufflement pour le gouvernement, un policier s’interroge. Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat Unité police SGP-FO (qui appelait à manifester), a expliqué que, lors des manifestations, «le nombre compté sur le terrain par les policiers n’est pas toujours celui communiqué par la préfecture ou le ministère de l’Intérieur (…) Il y a souvent des modes de calcul assez similaires entre les syndicats et la police, mais la police compte environ un ou un et demi manifestant au mètre carré et les organisateurs deux manifestants», a dit ce responsable du premier syndicat des gardiens de la paix.».

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Olivier Besancenot, porte-parole du NPA, juge que la mobilisation contre la réforme des retraites est «un succès» et «un bon indice de la préparation du 12» octobre, date de la prochaine journée de grèves et de manifestations. «C’est un succès. Sarkozy s’est gaufré en disant que le mouvement allait s’essouffler. Ca ne s’essouffle pas», a-t-il estimé, interrogé par l’AFP le 2 octobre 2010.

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Le 25 septembre 2010 le collectif Le Militant soulignait:

«Ces secteurs [qui ont manifesté leur frustration, et plus, face au choix de l’Intersyndicale de laisser passer la date du 15 septembre, jour où fut adoptée la loi à l’assemblée] sont ceux qui se réunissent en assemblées générales et cherchent parfois à lancer des grèves reconductibles, et le font avec courage et détermination, tout en voyant bien que la question est nationale et relève des directions syndicales nationales, auxquelles sont envoyées des motions, des réclamations, des critiques.

«Ces secteurs, que des jeunes, lycéens et étudiants, commencent à rejoindre, qui sont souvent soutenus par telle ou telle section ou union de la CGT, de la FSU, de Solidaires, de FO (à noter, dans le cas de FO, que ces secteurs combatifs sont en même temps ceux qui déploraient au printemps que FO n’appelle pas à rejoindre les autres travailleurs quand l’ «Intersyndicale» faisait des journées d’action), ne sont pas en dehors de l’unité : ils sont l’aile marchante, ils sont le cœur de l’unité.»

«Ils font, durement, l’expérience d’une situation qu’ils peinent à débloquer, aussi parce que les secteurs «porteurs» sont moins en mesure de «porter» un mouvement en raison des défaites des années précédentes :

• dans le monde enseignant, beaucoup ne veulent pas refaire 2003 ; c’est même un argument entendu de professeurs : «on est intéressés par les AG, mais on n’y ira pas à ce stade parce que si on s’y retrouve à plusieurs centaines, on va voter la grève alors qu’on n’est pas sûr de la suite ! …».

• dans les transports, on a souvent fait grève aussi, alors que les acquis sociaux sont rongés, et qu’en 2007 déjà, l’interdiction par les principales fédérations de l’époque de dire «retrait» avait conduit au début de démantèlement du statut des agents SNCF et des régimes de retraites.»

«Cette expérience montre à ces militants syndicaux, à ces secteurs professionnels, que l’issue est de donner confiance à la majorité, tout en maintenant l’exigence que les directions appellent clairement à la grève unie pour le retrait, ce qu’elles n’ont encore jamais fait ; et que pour cela plutôt que de pousser à toute force à la reconduction de la grève – qui doit en effet être mise en discussion, et sans exclure une «percée» sur ce terrain – il faut généraliser la discussion avec un nombre croissant de travailleurs, donc réaliser des assemblées communes, associer les militants de différents secteurs et de différents syndicats, élargir, construire.

«Construire le débat démocratique où, de plus en plus, les travailleurs prennent leurs affaires en main eux-mêmes, comme ces manifestants de l’Institut Géographique National qui se retrouvent d’abord avec leur section CGT pour confectionner dans la bonne humeur panneaux et pancartes centrées sur une exigence : le retrait de la loi Sarkozy-Woerth.»

«Mais nous avons aussi à l‘action, ces jours, un troisième secteur, très minoritaire mais installé dans des postes clefs. Certains permanents (on ne vise évidemment pas ici tous les permanents), qui ne perdent rien les jours de grève, qui ne sont jamais des délégués dans les boîtes et toujours des déchargés délocalisés dans un bureau –nulle démagogie ici, c‘est cela que ressentent bien des militants syndicaux, tentent d’interdire systématiquement toute pratique démocratique permettant aux travailleurs eux-mêmes de se prendre en main, à savoir :

• les assemblées générales démocratiques des personnels à l’intérieur des entreprises, établissements, chantiers, administrations, parce que ce «n’est pas la peine» de réunir tout le monde s’il s’agit seulement de débrayer 2 heures pour aller à la manif …

• les assemblées interprofessionnelles avant ou après les manifs, parce que «ce sont des manips où les plus radicaux prennent la parole» et parce que, «nous, des AG, on en fait déjà dans les entreprises», ce qui est faux : car s’il y avait des AG dans les entreprises, elles exprimeraient le besoin, justement, de sortir de l’isolement et de rencontrer les représentants des autres AG et les délégués syndicaux à l’occasion des manifs.

• les intersyndicales locales, au profit de messes départementales chargées de répercuter par copier-coller les seules consignes nationales.

• les interventions multiples au micro lors des manifs.

• les rencontres avec les jeunes …»

«Le cœur de la réforme  c’est le passage du droit à la retraite de 60 à 62 ans et du taux plein de 65 à 67 ans, en relation avec la poursuite de l’augmentation du nombre d’annuités programmé par la loi Fillon de 2003. Tout recul du gouvernement et des parlementaires UMP sur les 62 ans et/ou sur les 67 ans serait pour eux le commencement de la débâcle finale – sauf un faux recul, évoqué dans la presse, consistant à seulement retarder le passage des 65 aux 67 ans. Les autres reculs possibles évoqués n’en sont pas. La «pénibilité», en particulier, est une notion qui a été instituée par le MEDEF et la CFDT pour individualiser et médicaliser le droit au départ anticipé, et l’annuler comme droit collectif : il existait par exemple des secteurs où prévalait la notion d’insalubrité, elle n’est plus prise en compte au nom de la «pénibilité». Un vrai recul sur la pénibilité serait l’abandon de ce «concept» et le retour au droit collectif garanti par une Médecine du Travail forte. Bref, il n’y pas de marge : le 12 octobre, l’ «intersyndicale» en fait l’aveu, elle sera devant le vide, la victoire, la non-défaite, pour les travailleurs, consistant dans le seul retrait du projet de loi, qui serait une défaite décisive pour Sarkozy, étape pour le défaire et le chasser.»

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Stéphane Alliès, dans Médiapart du 3 octobre 2010, écrit:

«Qu’il semble loin, le temps où un premier ministre fixait un seuil de 2 millions de manifestants à partir duquel un gouvernement «n’y résisterait pas» (ainsi que l’avait déclaré Alain Juppé en décembre 1995, dans un entretien au quotidien Sud-Ouest.) Alors que pour la troisième fois consécutive en moins d’un mois, l’Intersyndicale est une nouvelle fois parvenue à réunir dans des manifestations près de 3 millions de personnes en France, l’hypothèse d’une victoire sociale, voire seulement l’obtention de concessions significatives, n’a semble-t-il jamais été aussi vaine.

Avec un art consommé de la provocation comptable, flirtant avec les principes de la vente «hard-discount» – le prix psychologique à 1 centime sous la barre –, le ministère de l’intérieur a dénombré une mobilisation en baisse. Après les 997.000 du 23 septembre, ils n’auraient été ce samedi que 899’000 à avoir défilé. Sans doute peut-on déjà parier qu’ils seront, selon Place Beauvau [ministère de l’Intérieur], 799.999 le 12 octobre…

Toutefois, le pouvoir a manifestement remisé sa morgue jusqu’ici assumée sans gêne: à «la décélération» constatée par Eric Woerth il y a dix jours, l’Elysée a préféré cette fois-ci le terme de «stagnation» pour fleurir les éléments de langage de ses hérauts. De même, on n’entend plus la majorité parler d’«adhésion de la population» à sa réforme.

Bien qu’il annonce son intention de lâcher un maigre lest concernant la retraite des femmes ayant plus de trois enfants, le gouvernement entend malgré tout continuer son passage en force, alors que le Sénat commence l’examen de la réforme mardi 5 octobre 2010.

Une attitude thatchérienne qui met les syndicats au pied d’un mur qu’ils ont jusqu’ici réussi à toujours contourner: doivent-ils radicaliser le mouvement, quitte à mettre à mal le souci de responsabilité qui animait jusqu’ici les deux fers de lance du mouvement, la CGT et la CFDT, garant d’une large unité intersyndicale qui n’a jamais tenu aussi longtemps. Avec l’obligation, face au mégotage comptable du pouvoir, de parvenir à dépasser largement et incontestablement les 3 millions, le 12 octobre.

Encore totalement illusoires il y a quelques jours, les velléités de grèves reconductibles frémissent à la base. La pétrochimie et les cheminots commencent à y penser, et pas qu’en se rasant. D’autre part, même si la possibilité de voir étudiants et lycéens entrer dans le mouvement paraît très improbable vu les mots d’ordre actuels, les universités font leur vraie rentrée cette semaine. Et, même si François Chérèque verrait dans de tels renforts «l’arme des faibles», on ne sait jamais vraiment ce qui peut se passer dans les facultés, où de nombreuses assemblées générales viendront rythmer le début de semaine. Enfin, d’autres secteurs durcissent leur action, tels les anesthésistes ou les dockers marseillais. Sans lien avec les retraites, ces mouvements participent à un climat en nette dégradation: la colère monte, et le gouvernement fait celui qui n’entend pas.

Face à ce constat, la gauche semble pour sa part en situation de franchir un échelon dans son opposition. Au point que Martine Aubry, qui sait parfois se faire discrète, a fait un double acte de présence en marge des cortèges parisien et lillois. La première secrétaire du PS, qui sera l’invitée principale d’Arlette Chabot jeudi 7 octobre sur France 2, s’est même enhardie en prononçant samedi pour la première fois les mots «retrait» et «abandon» du projet de réforme des retraites, là où, jusqu’à présent, le terme de «remise à plat» était privilégié dans le jargon solférinien [le siège du PS se trouve rue Solférino]. Comme si naissait dans les têtes socialistes l’hypothèse d’un recul finalement possible, poussé par l’unité de la rue.

L’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, l’une des figures de la droite sénatoriale, a lui beau jeu de rappeler «devoir de compréhension» des ministres envers la rue. Il note qu’en 2003, lui avait «pris le temps du dialogue social», tout en expliquant que «dans toute grande réforme, il faut des alliés». Et d’enfoncer le clou: «Dans l’avenir, nous devrons poursuivre les efforts pour conforter notre système social, et le gouvernement ne pourra avancer seul.» Façon polie de souligner à quel point il l’est aujourd’hui, même les sondages ne parvenant plus à lui faire croire que l’opinion est avec lui.

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