Allemagne. Verts-FDP: «avec la bénédiction de la grande industrie»

Par Wolfgang Michal

On peut prévoir ce sur quoi les Verts et le FDP peuvent se mettre d’accord et où se situe le potentiel conflit latent.

Voyons les choses sous cet angle: les Verts (Grüne) et le FDP (Freie Demokratische Partei-Parti libéral-démocrate) ont reçu dimanche 26 septembre un mandat de gouvernement de la part des jeunes électeurs. Selon Infratest dimap, 23% des moins de 25 ans ont voté pour les Verts, 21% pour le FDP. Ensemble, ils pourraient former une GroKo (grande coalition) jeune, dans ce sens une GroKo du futur. La sanction de l’ancien, difficilement supportable en raison de sa lourdeur, a été si nette que la formation du gouvernement se déroule désormais d’une manière totalement différente de celle traditionnelle. Ce n’est pas le vainqueur [le SPD a obtenu 25,7% des secondes voix, la CDU/CSU 24,1%] de l’élection qui invite les partenaires potentiels de la coalition à des discussions. Cette fois-ci, c’est l’inverse: les «petits» [Grüne 14,8%, FDP 11,5%] examinent à l’avance s’ils peuvent travailler ensemble et qui ils pourraient préférer comme chancelier [entre Olaf Scholz et Armin Laschet]. Les «petits» ne sont plus si petits par rapport aux «grands», car les «grands» ne sont plus autant grands. Le FDP et les Verts ont obtenu ensemble 26,3%, soit plus que la CDU/CSU ou le SPD. Cela déplace les poids et change les rituels.

Déjà pendant la campagne électorale, le FDP et les Verts avaient pris la précaution de se contacter et avaient convenu de s’entretenir immédiatement après l’élection pour ne pas être «montés» les uns contre les autres, comme à l’automne 2017. L’expérience traumatisante de Christian Lindner [ce dernier avait alors renoncé à une potentielle participation à une coalition] à l’époque permet aujourd’hui aux partis soi-disant «les plus éloignés sur le plan du contenu» de procéder à des explorations préliminaires. Qu’est-ce qui sera «débattu», qu’est-ce qui émergera à l’issue des discussions «transversales»?

Le fait que nous ayons affaire à deux partis libéraux, l’un dit de gauche (les Verts) et l’autre économique et national (le FDP), plaide pour un accord rapide sur des «projets communs». L’histoire des deux partis est étroitement liée. Lorsque le FDP, autrefois libéral de gauche, a opéré son célèbre virage Lambsdorff [Otto Graf Lambsdorff est ministre de l’Economie de 1977 à 1982 sous le chancelier Helmut Schmidt; défenseur de l’ordo-libéralisme et de la réduction des déficits publics, provoque la rupture de la coalition avec le SPD -en 1982] en passant de Helmut Schmidt à Helmut Kohl en 1982, les Verts nouvellement fondés ont comblé le vide social-libéral qui en résultait en incarnant la protection de l’environnement, les droits civils, la libéralisation de la politique sociale, l’orientation vers le bien commun et tout ce que le FDP social-libéral avait inscrit dans son manifeste de Fribourg-en-Brisgau en 1971, mais qu’il avait laissé tomber dans l’oubli à partir de 1977.

Malheur aux initiatives citoyennes!

Ce n’est que maintenant, 40 ans plus tard, que nous pouvons voir à quel point les deux courants libéraux sont liés l’un à l’autre. En effet, ce n’est qu’avec le changement de direction de Robert Habeck et Annalena Baerbock [les deux coprésidents depuis 2018] que les Verts ont ouvertement reconnu leurs racines sociales-libérales et se sont considérés comme les héritiers légitimes et les innovateurs du libéralisme de gauche allemand. Début 2018, trois semaines après son élection en tant que coprésident des Verts, Robert Habeck a déclaré dans un entretien: «Nous devons nous préparer à la possibilité qu’après les prochaines élections, le résultat ne suffise même pas pour une grande coalition. Pour les Verts, cela signifie être prêts à combler le fossé social-libéral… Nous devons faire en sorte que la politique de gauche [au sens social-libéral] dans son ensemble soit capable de remporter une majorité.»

Depuis lors, le projet dominant des Verts est le suivant: créer une économie de marché écosociale-ökologisch-sozialen Marktwirtschaft [formule qui renvoie à sa façon à la Soziale Marktwirtschaft développée par Ludwig Erhard dès 1947]. Et c’est exactement le projet du FDP également. Christian Lindner met l’accent sur l’économie de marché, tandis que les Verts privilégient l’éco-social. Il y a donc suffisamment de superpositions en ce qui concerne une vue d’ensemble.

Un accord sera trouvé pour accélérer le développement des énergies renouvelables et des réseaux d’infrastructures (de nombreuses initiatives citoyennes ­– Bürgerinitiativen – peuvent déjà commencer à se réchauffer!), sur le «démantèlement de la bureaucratie» et l’amélioration des déductions fiscales [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 20 septembre 2021 http://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-dans-le-debat-electoral-le-theme-de-la-fiscalite-a-ete-enfin-aborde-mais-rien-ne-va-changer-en-vue-dun-gouvernement-de-coalition.html], sur tout ce qui lie la protection du climat à la croissance économique, sur la modernisation de la politique de l’éducation, sur la libéralisation de la politique en matière de genre, de famille et de drogues. Et peut-être même sur la mise en œuvre de ce que le patron de VW, Herbert Diess – dans un ambitieux programme en dix points – exhorte la future coalition gouvernementale à faire: l’accélération considérable de la transformation vers la décarbonation. Car pour l’économie, la transformation signifie avant tout: plus de produits, plus d’exportations, plus de consommation, plus de chiffre d’affaires, plus de croissance. La Fédération des industries allemandes (BDI- Bundesverband der Deutschen Industrie) met donc en garde contre une «phase de suspension» trop longue des négociations et des entretiens exploratoires et exige de tous ceux qui souhaitent former un gouvernement «un engagement en faveur de l’Allemagne en tant que pays d’industrie, d’exportation et d’innovation». Les Verts et le FDP seront probablement d’accord sur tout cela. [Voir sur les liens entre le patronat et les Verts l’article publié sur ce site en date du 15 juin 2021 http://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-le-capital-et-les-verts-ca-colle.html.]

Cependant, le même argument qui a été interprété, ci-dessus, un peu prématurément comme un signe positif s’oppose à un accord durable: avec le FDP et les Verts, nous avons affaire à deux partis libéraux, un libéral de gauche (les Verts) et un libéral économique et national (le FDP). L’histoire des deux courants montre que, malgré une coopération répétée, ils se sont toujours rapidement brouillés et se sont combattus à mort. Les libéraux de gauche tendent vers le SPD, les libéraux nationaux et économiques vers les conservateurs. Dans toutes les crises – de l’Empire à la République de Weimar en passant par la République fédérale – les libéraux ont toujours été les premiers à s’entre-déchirer. Cette matière explosive serait également présente dans une coalition de feu tricolore (Ampelkoalition). Cela se voit déjà dans les idées contradictoires sur la politique budgétaire, sur celle du marché du travail et de la fiscalité, sur la politique de la santé, de l’agriculture, de la construction et des transports, sur la politique de sécurité et sur l’UE. Il se peut que les vice-chanceliers Robert Habeck et Christian Lindner – comme Karl Schiller [1] et Franz Josef Strauss autrefois [Schiller était ministre des Finances de 1966 à 1971 sous la Chancellerie de Kurt Georg Kiesinger et Strauss ministre des Finances sous le même chancelier de décembre 1966 à octobre 1969] – s’entendent comme Plisch et Plum [deux jeunes chiens d’une histoire illustrée allemande datant de la fin du XIXe] sur la politique économique et financière, mais l’harmonie ne sera pas durable à long terme, car les contradictions entre l’écologie et l’économie continueront à se faire sentir en raison de la crise.

En supposant que tous deux [Verts et FDP] passent sous silence leur potentiel de conflit latent et mettent l’accent sur les points communs, avec qui préféreraient-ils gouverner, Scholz ou Laschet? La Wirtschaftswoche recommande Laschet, car «le chemin des Verts vers la CDU/CST est plus court que celui du FDP vers le SPD». En outre, les Verts pourraient mieux s’imposer dans une coalition Jamaïque [FDP, CDU/CSU, Verts; soit dans l’ordre ici: jaune, noir, vert]. Si l’on compare les résultats des élections fédérales en Rhénanie-Palatinat, où il y a un feu tricolore, avec ceux du Schleswig-Holstein, où c’est la coalition Jamaïque qui gouverne, on est étonné de constater qu’au Schleswig-Holstein, les Verts ont obtenu plus que leur moyenne nationale, tandis que la CDU a perdu plus que leur moyenne et le FDP a perdu légèrement des voix. En Rhénanie-Palatinat, c’est l’inverse qui s’est produit: le SPD a gagné plus que sa moyenne, les Verts moins que leur moyenne, tandis que le FDP a gagné plus que sa moyenne.

Un nouveau territoire pour Olaf Scholz

Le FDP pourrait donc mieux s’imposer dans une coalition de type feu tricolore (Ampelkoalition). De plus, dans cette constellation, seuls trois partis devraient se partager les ministères, alors qu’avec la coalition Jamaïque il y en aurait quatre, à cause de la CSU (Union chrétienne-sociale en Bavière- Christlich-Soziale Union in Bayern). Les Verts pourraient plus facilement revendiquer le ministère des Transports, le FDP celui de l’Agriculture.

En tout cas, la pression est de plus en plus forte pour que le FDP et les Verts optent pour une coalition feu tricolore. Les premiers sondages indiquent un fort soutien, même les milieux d’affaires se montrent confiants. En outre, les partisans du FDP sont moins réfractaires à une Ampelkoalition que ceux des Verts à la coalition Jamaïque.

Le chancelier Olaf Scholz (SPD) devra s’habituer à la nouvelle confiance en soi des «petits» partenaires. Il ne peut pas s’appuyer sur une expérience antérieure. Car Gerhard Schröder [chancelier de 1998 à 2005], Willy Brandt [chancelier de 1969 à 1974] et Helmut Schmidt [chancelier de 1974 à 1982] ne savaient pas ce que c’est que de faire face à de jeunes serveurs qui présentent leurs plats au vieux cuisinier [2]. (Article publié sur le site Der Freitag, le 30 septembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] La carrière de Karl Schiller illustre la plasticité de ce qui est qualifié d’élite politique en Allemagne. De 1937 à 1945 il était membre du NSDAP, en 1946 il prend la carte du SPD, jusqu’en 1972. Il fera une cure d’indépendance de 1972 à 1980, puis réintégrera les rangs du SPD de 1980 à 1994. Il a une carrière universitaire et professorale. En 1971, Willy Brandt le nommera ministre fédéral de l’Economie et des Finances. (Réd.)

[2] Cette formule fait référence à l’affirmation célèbre de Gerhard Schröder: «Dans une coalition, le grand parti est le chef cuisinier, le petit est le serveur.»

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