Par Alina Leimbach
«Une politique sociale pour toi», c’est ce que le SPD a affiché pendant la campagne électorale. De nombreuses personnes ont voté pour ce parti. Les Verts ont également fait de la publicité pour une amélioration de Hartz IV [une contre-réforme datant de 2002 qui a dégradé fortement, entre autres, la situation des chômeurs et chômeuses], et même le FDP a demandé des allégements fiscaux non seulement pour les riches, mais aussi pour les personnes à faibles revenus. Maintenant, les affiches ont disparu. Qu’en est-il du volet social de l’accord de la coalition «feu tricolore» [Verts, SPD, FDP]?
L’un des principaux objectifs du SPD doit être mis en place: le salaire minimum doit passer à douze euros. Une mesure qui peut effectivement faire la différence. Les personnes travaillant actuellement à temps plein avec un salaire minimum recevront dès lors – si le salaire minimum est augmenté au second semestre 2022 – 270 euros de salaire brut en plus par mois. Environ dix millions de personnes disposeront ainsi de plus d’argent sur leur compte en banque. Mais l’effet de l’augmentation du salaire minimum pourrait être encore plus important: «Car les études internationales et nationales menées jusqu’à présent indiquent qu’une augmentation du salaire minimum a également un effet sur d’autres secteurs de salarié·e·s qui se situent au bas de l’échelle des revenus», explique Gerhard Bosch, expert du marché du travail à l’Université de Duisburg-Essen.
Les expert·e·s soulignent toutefois que l’augmentation prévue à douze euros est encore trop faible pour protéger les personnes âgées de la pauvreté. De plus, tous les ayants droit ne profiteront pas effectivement du salaire minimum. Selon les estimations, entre 500’000 et 2,4 millions de travailleurs et travailleuses ont été privés du salaire minimum en 2018. «Et cela ne changera probablement pas. Car les contrôles manquent, le droit au salaire minimum est trop peu protégé. Et c’est justement ce point qui n’apparaît pas suffisamment dans l’accord de la coalition», explique Martin Seeleib-Kaiser, spécialiste de l’Etat social à l’Université de Tübingen. Il souligne, en outre, qu’il existe un rapport de travail dans lequel le salaire minimum est très souvent contourné: les mini-jobs [salariés à temps très partiel]. Les pauses ne sont pas payées et peu parmi les minijobbers savent qu’ils ont droit à des congés payés [souvent le contrat de travail écrit fait défaut].
Or, ce sont précisément ces emplois non soumis à la sécurité sociale [1] qui sont revalorisés par le gouvernement «feu tricolore». A l’avenir, le seuil des mini-jobs passera de 450 à 520 euros – en plus, le montant est lié à la limite de dix heures de travail. Si le salaire minimum augmente, la limite de ce que l’on peut gagner avec un mini-job augmente également.
Les bas salaires demeurent
Au premier abord, cela peut sembler être un plus pour le porte-monnaie des bas salaires. Mais ce n’est pas suffisant. Entre-temps, même des chercheurs – qui ne sont pas réputés pour leur critique en matière sociale – de l’Institut de recherche sur le marché de l’emploi et les professions (IAB- Institut für Arbeitsmarkt und Berufsforschung) ou de l’Institut de recherche économique (Ifo- Institut für Wirtschaftsforschung), mettent en garde contre les effets négatifs des mini-jobs. Ils ne sont pas le pont espéré vers l’emploi régulier, a récemment confirmé l’IAB. Cet institut a calculé que les mini-jobs ont remplacé jusqu’à 500’000 emplois assujettis à la sécurité sociale, rien que dans les petites entreprises. L’expert du marché du travail Gerhard Bosch dresse le bilan suivant: «Les mini-jobs sont l’un des problèmes les plus évidents de l’accord de la coalition “feu tricolore”. Le secteur des bas salaires est ainsi cimenté.» Il ajoute que les contrats à durée déterminée (CDD) ne sont pour ainsi dire pas abordés dans cet accord, pas plus que les thèmes du travail intérimaire ou de la réglementation de l’économie de plateforme.
Alors que le FDP veut «libérer» le capital, les conventions collectives ne sont évidemment pas renforcées. Certes, il est désormais prévu que les commandes de l’Etat (marchés publics) ne soient attribuées qu’à des entreprises qui paient selon les conventions collectives. «Mais le nouveau contrat de coalition n’arrêtera pas le recul des conventions collectives», critique Gerhard Bosch.
En ce qui concerne les retraites, la politique gouvernementale prévue sonne d’abord comme une stabilisation: le niveau des retraites de 48% [taux de remplacement des gains pré-retraite] doit être maintenu et l’âge de départ ne doit pas être relevé. C’est exactement ce que le SPD avait promis. Une victoire aux points? Malheureusement, un statu quo ante insuffisant est cimenté. Car 48% ne suffisent pas, surtout pour les bas salaires, pour ne pas dépendre de l’assurance (protection) de base [qui est de 446 euros mensuels] ou du supplément à la pension de base [qui exige d’avoir cotisé entre 33 et 35 ans]. Par la petite porte, il y aura tout de même une détérioration, car le facteur de rattrapage par rapport aux salaires sera réintroduit. Celui-ci fait en sorte que les pensions augmentent moins vite que les salaires. «Et la retraite par capitalisation est d’un niveau si bas qu’elle ne jouera aucun rôle dans le financement», estime Martin Seeleib-Kaiser, expert en Etat social.
Le vide le plus criant de l’accord de coalition concerne justement les personnes qui n’ont pas ou très peu de revenus: les bénéficiaires de Hartz IV, les personnes qui reçoivent l’aide sociale de base pour les personnes âgées ou les réfugiés qui reçoivent des prestations sociales selon la loi concernant les prestations des demandeurs d’asile. «Les taux réglementaires ne sont pas augmentés davantage. Et cela, bien que les Verts l’aient explicitement demandé et que le SPD ait tout de même exigé une commission pour un nouveau calcul», critique Christoph Butterwegge, chercheur sur la question de la pauvreté. Au vu des actuelles tendances inflationnistes, la situation de ces bénéficiaires s’aggrave même: «Comme l’adaptation du taux normal l’année prochaine ne compense même pas la hausse des prix, il s’agit d’une réduction effective des taux. Les plus pauvres seront alors encore plus pauvres.»
Toutefois, il y a de petits changements. Les frais de logement (location) doivent être calculés de manière plus réaliste et surtout sur une base annuelle. Actuellement, ils sont souvent sous-évalués, notamment parce qu’ils ne sont que très rarement contrôlés. En outre, les personnes qui gagnent quelque chose de plus que le revenu de 446 euros (de Hartz IV) – baptisé aujourd’hui Bürgergeld (argent citoyen) – doivent être moins fortement pénalisées. Celles qui suivent une formation continue doivent également disposer d’un peu plus d’argent en poche: le projet de la coalition prévoit un bonus de 150 euros pour la formation continue.
Ce que l’on peut attendre de la sécurité sociale de base annoncée pour les enfants reste cependant encore à déterminer. «Il s’agit ici de savoir comment elle est construite et quel est son montant. Il ne doit pas y avoir d’enfants de première et de deuxième classe», souligne Christoph Butterwegge. A l’autre bout de l’échelle, l’accord de la coalition prévoit à nouveau des allégements fiscaux. «Par exemple au moyen de ce qu’on appelle des super-amortissements, qui ne sont pas du tout des super-amortissements, mais des cadeaux fiscaux coûteux faits aux entreprises.» Christoph Butterwegge dresse le bilan de l’accord de coalition «feu tricolore»: «L’inégalité sociale en Allemagne va continuer à augmenter sous la nouvelle coalition.» (Article publié sur le site Der Freitag, le 5 décembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Selon cette contre-réforme propre à Hartz II, si la rémunération d’un minijobber est inférieure à 450 euros (depuis 2013, 400 avant) par mois, sans considération du nombre d’heures travaillées, il est dispensé aussi bien du versement de cotisations sociales «salariés» que de l’impôt sur le revenu. Dans ces conditions, la couverture sociale qui leur revient à titre personnel est inexistante. Selon diverses statistiques, la composition des minijobbers est en gros la suivante: deux tiers de femmes et un tiers d’hommes; la répartition par âge: aux «extrêmes» un contingent de jeunes de 15 à 20 ans et l’autre de 60 à 66 ans. Voilà la transcription de la formule chérie par le patronat et ses gouvernements: la «flexibilisation du marché du travail». (Réd.)
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