Allemagne. Durcissement de la politique face aux réfugié·e·s

Thomas de Maizière et Angela Merkel
Thomas de Maizière et Angela Merkel

Par Manuel Kellner

Le 15 octobre, le Parlement fédéral allemand («Bundestag») a adopté la nouvelle loi du «Asylbewerberleistungsgesetz» (loi exécutoire concernant les demandeurs d’asile) en lui attribuant une nouvelle dénomination: «Asylverfahrensbeschleunigungsgesetz» (loi d’accélération des procédures ayant trait aux demandes d’asile).

Cela signifie que les réfugié·e·s incapables d’acquérir un des statuts leur donnant le droit de rester sur le territoire allemand peuvent être plus rapidement renvoyés dans leur pays d’origine. S’ils déposent un recours, ils perdent le droit à un certain nombre d’aides. Ils gardent toutefois le droit: à un logement chauffé; à l’accès à une alimentation de base et à l’hygiène corporelle; aux soins médicaux. Toutefois, ils perdent le droit aux allocations pour les vêtements et autres nécessités quotidiennes. Ils auront une somme d’argent liquide très inférieure. En rechange, ils recevront des bons pour acheter des vivres. Ils n’ont plus le droit au minimum vital fixé par la loi allemande, ni aux allocations garantissant l’accès aux moyens de formation pour leurs enfants.

En fait, ces mesures sont en contradiction avec les droits de l’homme garantis par la Constitution allemande, la «Grundgesetz». Mais le 16 octobre 2015, le «Bundesrat» (représentant les «Länder» de l’Etat fédéral allemand) entérine la nouvelle loi à une forte majorité, à l’exception respectable du Land de Thüringen (La Thuringe, dont la capitale est Erfurt) dont le gouvernement de gauche est formé par une alliance comportant Die Linke (majoritaire), le SPD et Bündnis90/Die Grünen.

Cette décision est en contradiction flagrante avec une décision de la Cour constitutionnelle allemande (Bundesverfassungsgericht) du 18 juillet 2012 qui interdit formellement de placer des réfugié·e·s dans une situation matérielle inférieure au minimum vital. Mais la pression de l’agitation et des mobilisations xénophobes (Pegida, entre autres) sur la politique officielle aboutit à des résultats qui, pas à pas, conduisent le gouvernement fédéral sous la direction de la chancelière d’Angela Merkel à élimer ce qui reste du droit d’asile et des promesses d’une «bienvenue».

L’idée des «zones des transit» (hot spots) empêchant les réfugié·e·s de mettre le pied sur le sol allemand et permettant de les trier vite afin de pouvoir rapatrier tous ceux et toutes celles qui n’ont pas beaucoup de chances d’acquérir un statut leur permettant de rester en Allemagne pour un certain temps avait été lancée par Horst Seehofer (président du CSU de Bavière, parti frère de la CDU). Cela avait suscité de nombreuses protestations, mais la chancelière Angela Merkel avait fini par accepter l’idée plus ou moins, sous pression de bon nombre de dirigeants chrétiens-démocrates (CDU). Le SPD s’y opposait. Le compromis adopté stipule la mise en place des centres d’accueil sur sol allemand qui remplissent plus ou moins les mêmes critères que les «zones de transit» demandées par Seehofer. En outre, Angela Markel a négocié avec Recep Tayyip Erdo?an mi-octobre pour «stabiliser» les réfugié·e·s de Syrie et d’Afghanistan en Turquie.

C’est le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière, du CDU (parti chrétien-démocrate, majoritaire dans la coalition gouvernementale avec le SPD comme partenaire junior), qui avait, il y a quelques jours, proposé publiquement d’aggraver le statut des réfugiés syriens. Jusqu’à maintenant ils peuvent acquérir un statut leur permettant de s’installer en Allemagne pour trois ans et de faire entrer en Allemagne leurs époux ou leurs épouses et leurs enfants (Familienzusammenführung: regroupement familial). De Maizière veut qu’ils n’aient que le statut «subsidiaire» ne leur donnant le droit de rester en Allemagne que pour un an et leur interdisant de faire venir en Allemagne leurs proches, époux, épouses et enfants.

Beaucoup de protestations, relayées par les grands médias sur cette question, semblaient barrer la route à de Maizière. Néanmoins, Angela Merkel, sous pression de bon nombre de dirigeants chrétiens-démocrates, lui a finalement donné raison. Le SPD, jusqu’à nouvel ordre, s’y oppose. Toutefois, bon nombre des dirigeants du SPD donnent raison au ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière. Donc, la probabilité est grande que son idée s’imposera les prochains jours.

Les mobilisations de l’extrême droite reprennent de plus belle. Pegida (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes-Patriotes – Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident chrétien) à Dresde a mobilisé quelque 8000 à 9000 personnes, le 9 novembre, date symbolique [la dite Nuit de Cristal qui, du 9 au 10 novembre 1938, donna lieu à l’organisation d’un vaste pogrom contre les Juifs) sur une place symbolique qui portait le nom d’Adolf-Hitler Platz, sous la dictature des nazis.

Certes, il y avait 4000 contre-manifestants, et le même soir à Erfurt, ce sont 6000 qui se prononcent publiquement pour l’accueil solidaire des réfugié·e·s et contre les manifestations racistes et islamophobes. Mais les agitateurs de la droite extrême se radicalisent. Il y a déjà des appels à se mobiliser aux frontières pour faire barrage aux réfugié·e·s qui veulent gagner l’Allemagne pour vivre.

Il est vrai aussi que le mouvement d’aide solidaire pratique aux réfugié·e·s continue à se développer en Allemagne. Donc, une bipolarisation des réactions populaires sur cette question d’importance se manifeste en Allemagne.

Mais il faudrait que l’élan de solidarité se généralise au niveau de la société dans son ensemble. Seulement si les «perdants» du «modèle allemand» se mettent ensemble avec les réfugié·e·s – perdants du système capitaliste à l’échelle nationale comme internationale – il y aura un vrai changement des rapports de force: les détenteurs du capital, le 1% de ceux qui concentrent la richesse accumulée, les grandes firmes comme les grandes banques doivent payer (concrètement) les frais pour les conséquences d’un ordre mondial générant des inégalités criantes et la misère de centaines de millions de déshérité·e·s. (10 novembre 2015)

https://www.tagesschau.de/inland/asylrecht-117.html
http://www.sozonline.de/2015/11/wer-nicht-geht-wird-ausgehungert/
http://www.sozonline.de/2015/11/kein-ja-aber-sondern-ein-ja-und/

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Manuel Kellner collabore à la rédaction du mensuel Sozialistische Zeitung.

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