Allemagne. Dans le débat électoral, le thème de la fiscalité a été enfin abordé. Mais rien ne va changer en vue d’un gouvernement de coalition

Par Leopold von Hanstein

Lorsqu’il a été question de l’impôt sur la fortune dans le débat électoral entre les trois candidats [Armin Laschet, Annalena Baerbock et Olaf Scholz]. Armin Laschet a lancé une mise en garde en montrant à quel point un impôt sur la fortune serait mauvais et impraticable et il a fait la description du fonctionnaire des impôts parcourant la maison et retournant chaque verre. Annalena Baerbock, quant à elle, a déclaré que les Verts veulent examiner un impôt sur la fortune. Olaf Scholz y voit une chance de financer les dépenses d’éducation. En tout cas, les trois candidats ont réussi à mettre en évidence des différences sur la question des impôts. Les différences entre les autres partis sont également apparues lors des débats télévisés du lendemain.

Comment peut-on qualifier les propositions fiscales des différents partis et où se situe le potentiel de changement sur ce plan en Allemagne? Certaines formes d’imposition reviennent sans cesse dans les débats. Il s’agit de l’impôt sur la fortune, de l’impôt sur les successions et de l’impôt sur le revenu. L’ancien porte-parole de la politique financière des Verts au Bundestag allemand, Gerhard Schick, a co-initié la pétition «Kippen Steuerprivilegien» (Annuler les privilèges fiscaux). Avec cette pétition, le «Bürgerbewegung Finanzwende» (Mouvement citoyen pour un tournant en termes de finances), dont il est le président, veut obtenir des changements dans différents domaines fiscaux.

Avec des représentants du Netzwerk Steuergerechtigkeit» (Réseau pour la justice fiscale), qui s’engage pour une politique fiscale et financière orientée vers le bien commun, et de l’initiative #taxmenow, composée de personnes fortunées qui prônent une imposition plus élevée sur la fortune, Gerhard Schick a été clair vendredi 10 septembre: «Pas à pas, notre système fiscal s’est érodé. A maintes reprises, les intérêts de la société dans son ensemble ont été lésés lorsqu’il s’est agi de réaliser des gains élevés en capital et de constituer de grandes fortunes.»

Les propositions du Mouvement constituent un bon point de départ pour explorer les possibilités de changement en matière de fiscalité. L’ensemble des mesures proposées par le Mouvement devrait permettre de collecter un total de plus de 80 milliards d’euros d’impôts. Avec près de 800 milliards d’euros de recettes fiscales dans l’année pré-Corona 2019, cela représenterait une augmentation de 10%.

Où existe-t-il un potentiel de changement?

En abrogeant les exonérations de droits de succession, le Mouvement de Gerhard Schick espère 6 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires. Il se plaint surtout des exonérations fiscales dont bénéficient les capitaux d’exploitation des entreprises et du fait que les grandes fortunes sont moins imposées que les petites.

Les 127 donations les plus importantes, d’un volume total de 12 milliards d’euros, sont taxées à moins d’un pour cent, précise-t-il. «Nous avons encore besoin de plus de justice fiscale! Trop souvent, l’origine et l’héritage déterminent les chances face à la vie et l’influence», déclare Christoph Trautvetter du Netzwerk Steuergerechtigkeit. Selon lui, il est particulièrement absurde que les immeubles d’habitation, qui ne comptent normalement pas parmi les actifs commerciaux exonérés d’impôt, le soient jusqu’à un certain point. Ainsi, une personne qui hérite d’un immeuble de 30 appartements paie des impôts. En revanche, une personne qui hérite de dix immeubles de 300 appartements est considérée comme une «entreprise immobilière» et ne doit pas payer d’impôts.

En 2014, la Cour constitutionnelle fédérale a également critiqué le fait que les héritiers d’entreprises soient favorisés par rapport aux autres héritiers. Norbert Walter-Borjans, président du SPD, décrit plus en détail la complexité de l’imposition des successions dans son livre Steuern – der grosse Bluff (Les impôts: le grand bluff): «Dans le cas d’un héritage de plus de 26 millions d’euros, lorsque les droits de succession dus ne peuvent être payés sans toucher à la substance de l’entreprise ou sans l’étaler sur des années, l’impôt est supprimé. Selon le ministère fédéral des Finances, durant la seule période 2009-2014, pendant laquelle cette réglementation était en vigueur, aurait entraîné un manque à gagner fiscal de plus de 43 milliards d’euros. Le Mouvement (Bürgerbewegung Finanzwende) fait valoir que des modifications substantielles de l’impôt sur les successions n’ont pas eu lieu depuis lors, même si un ajustement a eu lieu en 2016. La situation est similaire dans le cas de l’héritage de logements: la Cour fiscale fédérale a considéré que le traitement de l’héritage de plus de 300 appartements locatifs était inconstitutionnel. Le ministère fédéral des Finances, quant à lui, a demandé aux bureaux des impôts responsables de poursuivre cette pratique et de considérer la décision de justice comme un cas particulier. Norbert Walter-Borjans décrit également le rôle majeur joué par les donations. Pour 2012, a-t-il dit, les héritages et les donations de plus de 51,4 milliards d’euros n’ont été taxés qu’à hauteur de 4,2 milliards d’euros. Les donations, qui représentent 26 milliards d’euros, soit plus de la moitié, n’ont été taxées qu’à hauteur de 2,3%. Ceci est principalement dû à leur meilleure planification et au fait que ses allocations peuvent être répétées tous les 10 ans.

Quel parti veut quoi?

Les partis sont divisés sur les droits de succession. La CDU/CSU et le FDP (Freie Demokratische Partei) rejettent un durcissement de l’impôt. L’AfD (Alternative für Deutschland) veut l’abolir complètement. Die Linke et le SPD veulent taxer plus lourdement les héritiers d’entreprises, tandis que les Verts ne reconnaissent l’impôt sur les successions que comme un instrument compensatoire dans leur manifeste électoral. Norbert Walter-Borjans, ancien ministre des Finances de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, affirme dans son livre que la classe moyenne doit prendre conscience qu’elle n’est pas concernée par des mesures telles que l’impôt sur les successions ou l’impôt sur la fortune, telles que le lobby les a présentées jusqu’à présent. Selon l’Institut allemand de recherche économique (DIW- Deutsche Institut für Wirtschaftsforschung), la dite classe moyenne comprenait, en 2016, les personnes dont le revenu équivalent net réel était compris entre 15 719 euros et 33 684 euros.

Dans le cas de l’impôt sur la fortune, les programmes électoraux présentent un tableau similaire. Par exemple, la CDU/CSU déclare: «Nous nous opposons résolument à toute considération visant à introduire de nouveaux impôts sur le patrimoine tels que l’impôt sur la fortune (…).» Le FDP et l’AfD rejettent l’impôt sur la fortune. Alors que les Verts et le SPD pourraient imaginer un impôt sur la fortune de 1%. Die Linke va plus loin: «Nous voulons le prélever à nouveau et inclure les multimillionnaires et les milliardaires dans le financement d’une société équitable avec un taux d’imposition progressif allant jusqu’à 5%.» Les Verts et le SPD soulignent toutefois qu’ils ne veulent pas mettre en danger les emplois avec la réintroduction de cet impôt.

Qu’apporterait un impôt sur la fortune et quels risques comporterait-il?

Le Mouvement (Bewegung Finanzwend) a calculé qu’un impôt sur la fortune de 1% rapporterait des recettes de 9,5 milliards d’euros avec un montant exonéré à hauteur de 20 millions d’euros. Jusqu’à 24 milliards d’euros pourraient être réunis avec une exonération à hauteur de deux millions d’euros. En 1997, la Cour constitutionnelle fédérale a critiqué dans un arrêt le fait que les biens immobiliers étaient mieux traités sur le plan fiscal que les autres actifs. Elle a déclaré l’impôt sur la fortune sous sa forme d’alors inconstitutionnel. Depuis lors, l’impôt sur la fortune a été suspendu, mais pas interdit.

Dans l’enquête représentative répétée du Sozio-ökonomischen Panels (SOEP), le DIW a estimé qu’en Allemagne, en 2017, toutes les personnes âgées de 17 ans et plus disposaient d’un patrimoine net moyen de 108 449 euros. Cependant, la répartition médiane de la fortune n’était que de 26 260 euros. Cela signifie que les 50% de la population allemande possédaient 26 260 euros ou moins d’actifs au total!

Le Global Wealth Report 2019 du Credit Suisse dresse un tableau comparatif donnant une image assez «mauvaise» de l’Allemagne: «Les inégalités de richesse sont plus importantes en Allemagne que dans les autres grandes nations d’Europe occidentale. Par exemple, le coefficient de Gini de la richesse en Allemagne est de 82%, contre 67% en Italie et 70% en France. Nous estimons que la part des 1% d’adultes les plus riches dans la richesse totale se situe à 30%, ce qui est également élevé par rapport à l’Italie et à la France, où elle est de 22% dans les deux cas.»

Mais les impôts sur la fortune sont également considérés d’un œil critique par certains instituts. Dans un commentaire dans la Neue Züricher Zeitung, Clemens Fuest, président de l’Institut Ifo (Institut für Wirtschaftsforschung de Munich), ainsi que Rainer Kirchdörfer, président de l’association de lobbying Stiftung Familienunternehmen (Fondation des entrepreneurs familiaux), ont critiqué la réintroduction d’un impôt sur la fortune. Les auteurs adoptent une vision sereine de la forte inégalité de richesse qui vient d’être décrite. Les inégalités sont restées plus ou moins constantes depuis 2007, selon eux. En outre, les calculs de l’inégalité dans une comparaison internationale omettent le fait que les droits à la pension et à la retraite sont plus importants en Allemagne que dans d’autres pays. Un autre point de critique porte sur la charge bureaucratique supplémentaire: plus de 12 000 emplois supplémentaires seraient nécessaires pour collecter un impôt sur la fortune. Les coûts peuvent atteindre 20% des recettes, voire davantage, car l’inventaire doit être constamment mis à jour.

Les auteurs poursuivent en affirmant que même un impôt sur la fortune de 1% peut avoir des effets dévastateurs sur le comportement des investissements, surtout dans la période actuelle de faible taux d’intérêt. «Un calcul de simulation de l’institut Ifo sur huit ans montre qu’avec un impôt sur la fortune de 1%, les investissements des entreprises nationales diminueraient de 11% et ceux des entreprises étrangères de 20%. Au bout de huit ans, le produit intérieur brut serait jusqu’à 6,2% plus bas que sans impôt sur la fortune.» Les calculs de l’Institut de l’économie allemande (Institut der deutschen Wirtschaft) indiquent également des effets minimes: même après dix ans d’impôt sur la fortune, la modification de l’inégalité de la richesse serait inférieure à un pour cent!

Le thème favori: le taux d’imposition maximal

Outre les différences en matière d’impôts sur le patrimoine, la fortune et l’héritage, il existe également des différences majeures en ce qui concerne les revenus. La CDU/CSU et le SPD promettent d’alléger la charge pesant sur les revenus moyens et modestes. Le FDP souhaite que le taux d’imposition maximal de 42% ne s’applique qu’aux revenus supérieurs à 90 000 euros par an. Actuellement, le taux maximal s’applique aux revenus de 57 052 euros. Les Verts, quant à eux, veulent introduire une nouvelle tranche avec un taux d’imposition de 45% sur les revenus de 100 000 euros ou plus. A partir d’un revenu de 250 000 euros, une nouvelle étape avec un taux d’imposition maximal de 48% doit suivre. Le plus ambitieux est Die Linke qui veut prélever un taux d’imposition de 53% sur les revenus de 70 000 euros ou plus par an.

Le Mouvement a calculé qu’une augmentation du taux d’imposition maximal à 53% sans effets d’ajustement rapporterait plus de 14 milliards de recettes supplémentaires. Ce qui est certain, c’est que la répartition des revenus en Allemagne devient de plus en plus inégalitaire. Selon les données du SOEP, le revenu moyen du décile supérieur était 4,9 fois plus élevé que celui du décile inférieur en 1991. En 2016, il était 7,3 fois plus élevé.

La politique fiscale: une machine lente

Il était bon de voir la campagne électorale s’accélérer le week-end dernier, lors du débat. La complexité de la question fiscale ne peut être suffisamment éclairée par un débat à trois ou dans un article. Quoi qu’il en soit, les différences qui se dessinent aujourd’hui entre Annalena Baerbock, Armin Laschet et Olaf Scholz s’étendent également à la question des impôts. L’introduction d’un impôt sur la fortune ou l’augmentation du taux d’imposition maximal divise les principaux candidats. Mais une chose peut être dite avec certitude: ni le taux d’imposition maximal de 53% réclamé par Die Linke, ni les 90 000 euros au-delà desquels le FDP veut qu’il s’applique ne seront réalisés. Car même si on parle enfin des impôts, ils restent complexes et font l’objet de compromis par excellence dans les négociations d’une coalition gouvernementale. (Article publié le 16 septembre 2021 sur le site de l’hebdomadaire Der Freitag; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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