Actions massives de protestation à Francfort

Par Daniel Behruzi

A Francfort, le week-end prolongé de l’ascension a été marqué par d’importantes actions de protestation, auxquelles plus de 100 organisations, telles ATTAC, Die Linke, Gauche interventionniste, ainsi que de nombreux syndicats et mouvements sociaux, avaient appelé autour du slogan «Blockupy» (contraction de occupy et de blockieren, de l’allemand bloquer, qui fait allusion aux trois mots d’ordre des journées : prendre les places de manière collective et non-violente, bloquer les banques de manière massive et pacifique, manifester de manière solidaire et résolue).

Les revendications mises en avant: «Résistance contre le diktat d’austérité budgétaire de la troïka et du gouvernement allemand! Pour la solidarité internationale et la démocratisation de tous les domaines de l’existence» (tract unitaire de mobilisation).

Or, durant les semaines précédant les journées d’action, une vaste œuvre de criminalisation du mouvement a été déployée, en commun par la majorité des médias et des partis politiques bourgeois, y compris de larges pans du SPD [parti social-démocrate] et des Verts. Une ambiance de panique a été volontairement répandue auprès des habitants et des salarié·e·s du centre-ville. Le point culminant de la répression a été atteint lorsque les autorités de la ville de Francfort ont, les 8 et 9 mai 2012, déposé 13 procédures d’interdiction visant à empêcher le programme politique et culturel des journées de protestation. Un programme qui prévoyait des activités en grande partie sur les places publiques et associait militant·e·s, scientifiques et artistes dans le cadre de plus de 70 ateliers et performances.

Des interdictions de séjourner dans le centre-ville ont été prononcées contre près de 400 personnes, avant d’être cassées pour invalidité procédurale. Dans les jours suivants, suite aux recours intentés par des manifestant·e·s, les tribunaux ont confirmé et étendu leur décision d’interdiction de toute forme de rassemblement durant les quatre jours, n’autorisant que la manifestation du samedi 19 mai 2012, sous condition (communiqué du 14 mai 2012 du Blockupy).

Cette politique est une grave atteinte aux droits démocratiques les plus élémentaires. Elle montre à quel point les intérêts du secteur bancaire et de la place économique de Francfort priment et rendent caduques les libertés démocratiques, comme cela a été le cas avec l’interdiction des grèves à l’aéroport en février de cette année [voir sur ce site les articles publiés en date du 2 mars 2012].

Le jeudi 17 mai, un rassemblement pour la défense du droit de manifester et de se rassembler sans demander la permission aux autorités s’est tenu devant l’Eglise Saint-Paul, haut lieu de l’histoire ambivalente de la démocratie allemande, pendant lequel les participants brandissaient la Grundgesetz (Loi fondamentale), ouverte à la page de l’article 8 garantissant la liberté de réunion [1]. Ce rassemblement de plusieurs centaines de personnes a été encerclé et menotté pendant plusieurs heures par d’importants effectifs de police. Il a fait l’objet d’une charge de policiers en équipement antiémeute qui ont arraché les tentes mises en place. Plusieurs autres provocations des forces de l’ordre ont eu lieu.

Cet événement, prélude des atteintes graves aux droits fondamentaux commis par les autorités durant ces journées, est à mettre en relation avec la politique de destruction proclamée des acquis démocratiques pratiquée en Grèce, comme ailleurs en Europe, par les technocrates de Goldman Sachs et la troïka. Gardant en tête ces développements, nous traduisons un bref compte rendu de la grande manifestation de solidarité internationale tenue le samedi 19 mai dernier, à considérer comme une large victoire contre la politique de criminalisation et d’intimidation pratiquée par les autorités allemandes contre le mouvement « Blockupy ». Rédaction à l’encontre.

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Cette fois-ci, c’est ceux qui critiquent le capitalisme qui ont gagné la partie. «Cette semaine, nous avons gagné sur toute la ligne», a constaté Roman Denter, du réseau ATTAC Allemagne, lors des discours d’ouverture de la manifestation «Blockupy» du samedi 19 mai à Francfort-sur-le-Main. Malgré l’interdiction, peu avant le début des protestations, de toutes les manifestations, malgré le déploiement policier martial et la prétendue menace «d’excès de violence», près de 30’000 personnes sont venues dans la [capitale financière allemande], afin de montrer, devant le siège de la Banque centrale européenne (BCE), leur colère contre la politique de gestion de crise menée par l’Union européenne. Tandis que la police avait d’abord annoncé 20’000 participants et les organisateurs en comptaient 25’000, ces derniers ont rectifié le chiffre vers le haut, après les discours de clôture.

Au lieu des images d’émeutes attendues par de nombreux médias, ceux-ci ont dû se contenter de montrer une démonstration de grande ampleur, aux formes créatives et diversifiées. Même la Frankfurter Rundschau, qui d’ordinaire se bornait à appeler les organisateurs à se distancer d’une prétendue violence menaçante, constatait sur son blog : «C’est la plus grande manifestation que Francfort a vécue dans ce millénaire, elle est multicolore, pacifique et [se fait entendre]

Dans son discours, l’auteur américain Michael Hardt [auteur, avec Toni Negri, du livre Empire] a prêté des «pouvoirs magiques» aux militants de gauche en Allemagne. Selon ses propos, ils ont réussi à faire en sorte que les banquiers ferment eux-mêmes les banques et que la police bloque elle-même les rues de la ville.

La veille [le vendredi suivant le jour de l’ascension, qui est de manière générale, l’occasion de «faire le pont» pour beaucoup de salarié·e·s], l’activité économique était presque complètement au point mort dans le quartier financier de Francfort, car cette partie de la ville était clôturée sur une aire très vaste de peur que les manifestant·e·s [ne parviennent jusqu’au siège de la BCE]. Malgré l’interdiction de manifester, de plus en plus de rassemblements, manifestations et actions avaient eu lieu depuis mercredi 16 mai. «La répression est la preuve évidente que nous avons choisi le bon endroit, ici à Francfort, pour organiser nos manifestations», a déclaré Anna Dohm de la «Interventionistische Linke» (Gauche interventionniste). Selon elle, la tentative de criminaliser l’ensemble des actions de «Blockupy» serait révélatrice de la nervosité des gouvernants. «Dans les médias, on prétend que nous sommes violents, mais c’est le système qui est violent», a-t-elle ajouté. A ce titre, de nombreux discours ont mis l’accent sur l’appauvrissement de couches larges de la population en Grèce, suite à la politique de la troïka, composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international.

Un des thèmes centraux sur lesquels a porté la critique des intervenant·e·s [dans les interventions lors de la manifestation] a été le rôle du gouvernement allemand dans l’imposition des programmes d’austérité budgétaire en Grèce et ailleurs.

«Nous devons continuer à descendre dans la rue [pour lutter] contre un nationalisme-chauvinisme allemand qui se remet à germer», a exigé Jochen Nagel, du syndicat de l’éducation et des sciences (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft, GEW). Bernd Riexinger, le secrétaire de ver.di de Stuttgart, a martelé: «Ces pays sont en train d’être noyé par des programmes d’austérité et d’appauvrissement, sans qu’ils ne puissent décider par eux-mêmes, des alternatives possibles». Selon ce syndicaliste, il est urgent que les syndicats mettent en pratique une solidarité internationale renforcée.

«A l’heure actuelle, les Grecs en révolte ne doivent pas être laissés seuls », a déclaré la militante grecque Sonia Mitralias. La forme la plus appropriée de solidarité est, selon elle, la résistance contre la politique d’austérité [comme elle se manifeste] également en Allemagne. Le caractère international de la manifestation – des militants d’Italie [plus de 300], d’Espagne, de Belgique, de France, du Portugal et d’Autriche [comme d’ailleurs de nombreux camarades de Suisse alémanique du BFS/MFS] – a été mis en évidence par Arbi Kadri Regueb, du «Groupement des chômeurs diplômés» de Tunisie [venu de Sidi Bouzid et représentant d’une organisation de base des jeunes diplômés sans emploi; en traduisant par «chômeurs sans diplôme», le journaliste de Junge Welt a mal compris l’intitulé politique de ce mouvement, au rôle fort important dans la révolution tunisienne]. [Arbi Kadri Regueb a ajouté]: «En Espagne, en Grèce et en Amérique, partout, il y a un mouvement pour un autre système». Selon lui, un mouvement de masse a fait tomber la dictature en Tunisie, «mais le mouvement pour les droits des travailleurs ainsi que contre le système capitaliste se poursuit.»(Traduction à l’encontre)

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[1] L’église Saint-Paul a accueilli lors de la révolution de 1848-49 le célèbre «parlement de Francfort», premier parlement élu librement dans l’histoire de l’Allemagne. Il était chargé de rédiger la Constitution suite à la révolution de mars 1848. Cette église, détruite durant la Seconde guerre mondiale, a été un des premiers bâtiments reconstruits dans l’après-guerre. Elle est le symbole de la liberté de pensée et de s’exprimer. En effet, c’est dans cette église qu’est attribué le Prix de paix attribué par les libraires à l’occasion de la Foire du livre de Francfort.(Réd.)

Cet article a été publié dans le quotidien Junge Welt du 21 mai 2012.

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