Tesla, son extension multiface et l’Anthropocène

Par Lee Hall

Tesla va produire des voitures à 25 000 dollars. Une bonne nouvelle pour de nombreux travailleurs qui, jusqu’à présent, n’ont admiré les voitures Tesla que de loin. Et ce devrait être une bonne nouvelle pour la transition mondiale vers l’énergie durable – si l’on en croit Elon Musk, le Roi de la tech (Technoking) auto-couronné.

Quoi qu’il en soit, ce prix de 25 000 dollars m’a fait réfléchir. Quand je pourrai m’offrir une Tesla, devrais-je m’en procurer une? D’abord, je vais faire un tour de contrôle. Puis-je vous dévoiler quelques curiosités?

SpaceX

Tout d’abord, je jette un coup d’œil à SpaceX. Tesla et SpaceX se chevauchent de manière informelle, car elles créent des matériaux pour les énergies renouvelables, les voitures et les fusées. SpaceX est au cœur du rêve ultime de Musk d’une humanité multiplanétaire. Mais d’abord, notre Technoking établit un système à large bande par satellite pour un service internet mondial. Cela va dépendre du lancement de dizaines de milliers de satellites. Certains astronomes reprochent à SpaceX la pollution lumineuse. D’autres préviennent que les satellites entassés dans l’espace courent un risque élevé d’entrer en collision et d’éclater provoquant une cascade de débris, dans une dynamique connue sous le nom d’effet Kessler [scénario envisagé dès 1978 par ce consultant de la NASA]. Les plans concurrents d’Amazon, visant à créer des constellations de satellites propageant l’Internet, ajoutent au risque.

SpaceX a ajusté l’altitude de ses satellites pour réduire les risques de collision. Les satellites quitteront leur orbite après un certain temps et se consumeront dans l’atmosphère terrestre. C’est censé être une bonne chose, mais cela ressemble à beaucoup de choses, que ces satellites soient en orbite ou en train de brûler. Alors, qui est responsable des débris ou des toxines susceptibles d’entrer en collision avec la Terre. Et quels sont les remèdes?

SpaceX précise que les lois de la Californie, aux Etats-Unis, seront compétentes pour son service par satellite Starlink. «Pour les services fournis sur Mars, ou en transit vers Mars via Starship ou tout autre vaisseau spatial de colonisation». Starlink déclare en outre, «les parties reconnaissent que Mars est une planète libre et qu’aucun gouvernement basé sur Terre n’a d’autorité ou de souveraineté sur les activités martiennes.»

Eh bien, cela a pris une tournure intéressante. Par sa propre description, SpaceX colonise Mars. Et en désignant la Californie comme juridiction applicable, elle revendique l’autorité d’un gouvernement basé sur Terre tout en parlant de «Mars comme planète libre», avec l’autre facette de sa langue technocratique.

Il n’existe aucun contrôle efficace des compétitions entre les gouvernements et les entreprises pour piller l’espace. L’armée de l’air des Etats-Unis a pris en compte SpaceX dans son budget 2022. Les accords Artemis de la NASA autorisent l’exploitation minière extraterrestre. Le Japon, le Luxembourg et les Emirats arabes unis ont adopté des lois pour permettre à leurs propres entreprises de mettre en place des plateformes industrielles pour prospecter, extraire et utiliser des ressources dites spatiales. Pendant ce temps, les gouvernements de l’Inde, de la Russie et de la Chine travaillent sur des concepts concurrents, tandis qu’Israël prévoit des expériences sur la lune. L’Administration spatiale européenne et le MIT prévoient un Village sur la lune (Moon Village).

Neuralink

De retour sur Terre, Elon Musk veut mettre des puces informatiques dans nos cerveaux. L’entreprise Neuralink de Musk a déjà parcouru les étapes préliminaires: câbler le cerveau de souris, de cochons et de singes. Ne manquez pas la boutade «trois petits cochons» de Musk et d’autres sarcasmes lors d’une démonstration de Neuralink sur les cochons en août 2020.

Musk pense que les connexions cerveau-machine pourraient changer la vie des personnes handicapées. Mais cela a-t-il quelque chose à voir avec Tesla? Il semblerait que oui. Pendant le spectacle du cochon, un utilisateur de Twitter a posé une question pour savoir si les propriétaires de voitures connectées au cerveau pouvaient appeler leur voiture par télépathie. La réponse de Musk: «Bien sûr».

Musk prédit que l’intelligence artificielle (IA) prendra le pas sur les humains d’ici 2025. Entre les mains d’une mauvaise entreprise, l’IA deviendra une menace. C’est à ce moment-là, selon Musk, que «les choses deviennent instables ou bizarres». Pourtant, c’est l’entreprise de Musk qui est en train de câbler des cerveaux de singes.

Bien sûr, un inspecteur de l’USDA (Département de l’Agriculture des États-Unis) a qualifié Neuralink de «plus bel équipement pour singes». Et Musk affirme que les primates non humains de la société «ont l’air totalement heureux». Le Teslasplaining continue: «Nous avons fait un effort supplémentaire pour les singes».

Musk ajoute:

«Une des choses que nous essayons de comprendre: est-ce qu’on peut faire jouer les singes au Pong [un des premiers jeux vidéo] entre eux? Ce serait plutôt cool.»

Je pense avoir une meilleure idée de ce qui est cool: des primates dans la forêt de mangrove où ils ont évolué, plutôt que d’être capturés ou élevés à dessein et confinés dans la prison à vie de Neuralink.

Le bar des employés de Neuralink glorifie le câblage – au moyen de néons – du cerveau des singes. Shivon Zilis, directrice des opérations et des projets spéciaux de Neuralink, considère également les expériences sur les singes comme amusantes et cool. Faut-il s’étonner, alors, que les conversations passent de l’expérimentation sur des sujets non humains à des personnes handicapées (qui, soi-disant, ne manqueront de rien si le «cerveau inutilisé» est endommagé dans le processus) à des améliorations chirurgicales commodes, de type Lasik [soit un type d’intervention chirurgicale de l’œil], pour les «personnes en bonne santé» et, enfin, à la nécessité de s’assurer que le monstre IA ne se déchaîne pas?

Quentin Crisp [écrivain britannique : 1908-1999] a un jour posé la question suivante: «Si les machines finissent par triompher, pourquoi ne pas se soumettre à elles dès le début?» Musk et consorts ont pris ce concept à cœur. Cela peut-il bien se terminer? Peut-être, si l’intelligence artificielle, quelque part, a une conscience. Peut-être qu’elle puisera dans une espèce qui en a une!

Boring Company

La Boring Company de Musk [société de construction de tunnels, sur plusieurs niveaux pour établir un réseau de routes souterraines] met des Teslas dans des tunnels. La construction de tunnels nécessite des matériaux, des équipements et de l’énergie. Elle brise le sol, expose le carbone enfoui à l’oxygène, et libère du CO?. Et comme nous l’avons vu lorsque les traînées de l’ouragan Ida ont inondé le métro de New York, placer davantage d’humains dans les tunnels alors que le niveau de la mer augmente est probablement une idée risquée.

Et, bien sûr, le sol est aussi un habitat. Les communautés qui nichent au sol en Floride comprennent des abeilles et des oiseaux indigènes déjà menacés par l’utilisation des terres et l’élévation du niveau de la mer. Les tortues perdent leurs corridors côtiers au profit de projets de construction côtière. Pourtant, Fort Lauderdale [ville de la côte sud-est de la Floride] veut que la Boring Company l’aide à gérer le trafic. De nouvelles routes pour les voitures signifieront plus de besoins en stationnement. Les tunnels ne vont-ils pas aggraver les problèmes de circulation?

L’intérêt de la création de métros était de pérenniser les déplacements, de réduire le besoin de fabrication de voitures, la consommation d’énergie et l’espace de stockage des véhicules. Mais Tesla veut développer la société basée sur la voiture.

Considérez le logo Tesla T comme un dépôt de brevet pour une utilisation de restaurant. Peut-être que Tesla veut transformer les attentes de recharge en un succès de marketing. On peut supposer qu’un restaurant de recharge Tesla soutiendrait également l’agro-industrie animale. Musk rejette le passage aux protéines végétales, affirmant que le problème des gaz à effet de serre consiste principalement à «déplacer des milliards de tonnes d’hydrocarbures des profondeurs du sous-sol vers l’atmosphère et les océans». Mais l’agrobusiness animal est un émetteur massif de gaz à effet de serre. Les deux formes de désinvestissement sont importantes: le désinvestissement des énergies à base d’hydrocarbures et le désinvestissement des protéines d’origine animale.

Que pourrait-il se passer d’autre pour la marque Tesla? Un analyste de la banque Morgan Stanley s’attend à ce que Tesla fasse voler les voitures en mélangeant les technologies de Tesla et de SpaceX. Des voitures volantes. On en a besoin, non?

Que faisons-nous pour réduire l’utilisation des ressources? Pour créer des villes piétonnes et améliorer les transports publics? Pour réduire notre dépendance à la construction de routes et protéger les habitats?

L’innovation, sans principes forts de réhabilitation, nous encourage tous à utiliser toujours plus de ressources et toujours plus d’espace. C’est ingérable. En fin de compte, nous devons nous concentrer sur la simplicité en réponse à la crise climatique. Sur des réponses de faible technicité, comme la réduction des voyages discrétionnaires. Comme le désinvestissement personnel et collectif de l’agrobusiness animal, qui permettrait de redonner de l’espace aux bio-communautés vivantes. Comme encourager une architecture compacte et à faible consommation d’énergie, et placer les capteurs solaires sur les toits, et non dans les écosystèmes fragiles. Donner aux entreprises énergétiques un accès facile et bon marché à de vastes étendues de terres fédérales est une tragédie de la poussée vers les énergies renouvelables.

Teslaspreading

Si vous achetez une maison d’Alset EHome International dans le lotissement Northpark au Texas, vous obtenez un équipement de stockage de batterie et de recharge pour voiture Tesla – et une voiture Tesla. Le but de ce prix est de «promouvoir l’utilisation de véhicules électriques pour un mode de vie durable». En collaboration avec Brookfield Asset Management et Dacra à Austin, Tesla développe un modèle pour «des projets de logement durables à grande échelle dans le monde entier». Peut-on qualifier de durables des projets de logement à l’échelle mondiale pour une population humaine en pleine expansion?

Tesla Energy Ventures produira de l’électricité pour les marchés de détail et de gros. Lorsque le réseau californien de distribution électrique aura besoin de soutien, les abonnés à l’énergie solaire pourront contribuer à une centrale électrique virtuelle via l’application Tesla. La technologie solaire de Tesla peut alimenter de vastes zones et générer des flux de revenus pour Tesla. En termes commerciaux, il s’agit là d’un retournement réussi du discours sur le climat.

Pourtant, des usines doivent être construites et des matériaux doivent être extraits pour tout cela. Et pas seulement pour Tesla. La société chinoise CATL développe de nouvelles usines pour produire davantage de batteries au lithium-ion pour Tesla, Volkswagen et d’autres. L’extraction du lithium consomme de l’eau et nuit à la vie animale terrestre et aquatique. L’extraction du cobalt est liée à des violations des droits de l’homme.

Le recyclage des batteries et les progrès en matière d’efficacité des usines pourraient apporter quelques réponses au fil du temps. Mais il faut se rendre à l’évidence. Les humains consomment plus de ressources en un été que la Terre ne peut en reconstituer en une année entière. Les communautés vivantes incontrôlées de notre planète sont écartées au profit des énergies propres et sales.

Les communautés vivantes indomptées de notre planète sont mises de côté au profit des énergies propres et sales.

Plan de sortie

«Je suis le roi des rois Ozymandias [nom grec du Pharaon Ramses II]. Si quelqu’un veut savoir à quel point je suis grand et où je me situe, qu’il me surpasse dans mon travail.» Voilà l’inscription sur une statue égyptienne, telle que rapportée par Diodore de Sicile.

Tesla est plus qu’une entreprise automobile. C’est un réseau d’extraction, capable de saisir les justifications écologiques et sociales pour prospérer et s’insinuer dans les facettes clés de la vie humaine moderne.

Considérez les implications des voitures à conduite autonome. Tesla déploie progressivement des abonnements à la conduite autonome intégrale (FSD) basée sur la vision par ordinateur. Une fois que la technologie sera au point, les voitures prendront les humains en stop. Imaginez toutes les promenades effectuées parce qu’il est facile et sûr de laisser la voiture être conduite. Les voyages dans les parcs nationaux pourraient devenir des excursions mensuelles. Les personnes ayant une mauvaise vision nocturne pourront à nouveau monter dans leur voiture à la nuit tombée. Au fur et à mesure que Tesla encourage les gens à acheter des voitures et à les conduire, ses références en matière de durabilité deviendront de plus en plus absurdes.

Quant à SpaceX, elle pourrait permettre à quelques riches de nourrir le fantasme de quitter la planète qu’ils ont ravagée. Le vice rédhibitoire n’est-il pas l’extraordinaire et complet anthropocentrisme de tout cela? Où est le sens de nos origines – une planète dotée de riches communautés biologiques, et non un simple rocher épuisé? Les voitures et les robots «semi-sensibles» de Tesla peuvent-ils remplacer la vie sensible qui a évolué pendant des ères avant que l’humanité ne l’envahisse?

Compte tenu de notre orgueil démesuré, il est probable que nous pousserons bientôt la planète au-delà de sa capacité à nous soutenir. Les statues antiques se sont effondrées; les satellites modernes le feront aussi. En attendant, dois-je acheter une Tesla? Je suppose que la meilleure réponse est encore la plus simple. Pendant plusieurs années consécutives, j’ai fortement réduit mes émissions, en conduisant moins de 1000 miles par an. C’est de plus en plus facile. Je n’ai plus envie de conduire. Une trop grande partie de la Terre est bétonnée pour le «confort» de l’homme.

Tesla, je pense, ne partage pas mes préoccupations. Au lieu de cela, la firme stimule les catastrophes causées par l’homme en vantant les inventions destinées à les surpasser. Je ne suis pas convaincu qu’il y ait là l’histoire de la transition vers une énergie durable, ou vers une humanité durable. (Article publié sur le site Counterpunch en date du 19 septembre; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

Lee Hall détient un master en droit environnemental.

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