Incendies catastrophiques: ils étaient «planifiés» !

Rédaction

Le 4 août 2010, sur la radio France Culture, Marie-Hélène Mandrillon, chercheuse au CNRS et spécialiste de l’environnement russe et enseignante à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, rappelait que: «Il y a trois ans, la réforme du code forestier a transféré ces forêts, qui n’étaient plus considérées comme des ressources naturelles exploitables, aux gouvernements régionaux». Des gouvernements régionaux qui, faute de ressources financières – une part substantielle ne se sont-elles pas envolées pas vers la Suisse, le Luxembourg, vers Londres et ailleurs, pour trouver refuge dans des coffres ignifugés ? – ont supprimé quelque 70’000 gardes forestiers, souligne-t-elle.

Ils ont délaissé ces massifs devenus, au fil des ans, de véritables bombes incendiaires. S’y ajoute le fait que, des décennies durant, les agronomes soviétiques – avec la bénédiction ou sous les ordres du pouvoir central – ont laissé s’assécher les marais et entrepris d’accroître ainsi les surfaces agraires ou forestières, souligne Marie-Hélène Mandrillon.

Au final, ces zones sont devenues des tourbières sèches qui, faute d’être replantées, s’avèrent facilement inflammables et difficilement extinguibles. Elles fournissaient de plus un combustible bon marché à des populations à la recherche de moyens accessibles pour se chauffer durant les périodes de froidure.

En outre, les pompiers russes ne disposent pas du matériel adéquat. Le «Ministère des situations d’urgence» le reconnaît. Il annonçait lundi 2 août 2010 l’acquisition imminente (sic) de 8 bombardiers d’eau ainsi que de plusieurs hélicoptères. Moscou va débloquer, en urgence, 25 millions d’euros ( !) pour renforcer ses moyens d’intervention aériens.

Passez: rien à voir. Puisque l’on voit de plus en plus mal

Tout cela n’empêche pas le porte-parole de l’insubmersible maire de Moscou, Iouri Loujkov d’être en vacances dans un lieu inconnu – qui ne semble pas être touché par les flammes. Toutefois, son porte-parole et porte-flingue, le remarquable Sergueï Tsoï explique, droit dans ses bottes: «Quels problèmes y a-t-il à Moscou, c’est la région de Moscou qui est concernée, pas la ville.» Il est vrai que la présence de Loujkov ne changerait rien – et que selon la bonne et vieille tradition du secret politique. S. Tsoï peut répondre aux journalistes: «Quand nous voudrons vous le dire, nous vous le dirons»…où se trouve Loujkov. (Le Monde 8-9 août 2010). Par contre, il est moins bavard sur l’évolution du feu dans la zone de tourbières des faubourgs de Moscou. Vendredi 6 août, la concentration de microparticules dans l’air moscovite a dépassé la norme «supportable maximale», de 5,2 fois selon l’organisme MosEcoMonitoring. Et alors ? Le président russe Dmitri Medvedev déclare avec cette foi propre aux anciens du KGB: «Bien sûr ce n’est pas nous qui décidons, c’est en haut.» Et selon Aléxandre Billette du quotidien Le Monde, Medvedev leva, alors, «la main vers les cieux».

Il est vrai que ce geste est en syntonie avecle nombre de décès à Moscou en juillet a été supérieur de près de 50% au même mois de l’année dernière, avec près de 5.000 morts supplémentaires imputables à la canicule.«On a enregistré 14’340 décès à Moscou en juillet 2010, c’est 4824 décès de plus qu’en juillet 2009», a indiqué une responsable des services de l’état-civil de la capitale russe, Evguenia Smirnova. «L’augmentation de décès a commencé en juillet. En juin, au contraire, les chiffres étaient plutôt bons », a indiqué cette responsable. «La canicule a très certainement influé», a-t-elle déclaré. Elle n’a pas été en mesure – ou pas été autorisée – de donner des chiffres de mortalité pour les premiers jours du mois d’août, période dans laquelle se combinent les effets de la canicule, qui frappe la partie occidentale de la Russie depuis le début juillet, et microparticules «planant» suite aux incendies des tourbières de la région. Mais, le plus rassurant n’est-ce pas que les autorités démentent encore toute hausse importante de la mortalité.

Cela était prévisible

Or, déjà, en 2007, le Groupe d’expertise et d’intervention déchets (GEID) établissait un rapport intitulé «Déchet post-catastrophe, risques sanitaires et environnementaux». Plus que prémonitoire. A l’heure où les «services de secours russes» recensent encore plus de 550 foyers couvrant au moins 190’000 hectares d’espaces naturels, alors qu’à Moscou la concentration de particules en suspension dépasse de très loin les seuils d’alerte, le document confirme que les conclusions d’hier sont plus que jamais d’actualité…

Ce rapport – voir des extraits ci-dessous – souligne que les incendies de savanes et de forêts, qu’elles soient tropicales, boréales ou méditerranéennes, comme les brûlis agricoles sont des sources majeures de pollutions atmosphériques transfrontières et peuvent être de plus en plus toxiques à cause de l’utilisation grandissante de produits phytosanitaires dans les sols agricoles et les plantations forestières, voire de l’inclusion de décharges dans les périmètres sinistrés – ces dernières étant connues pour être d’importantes génératrices de dioxines.

Le document rappelle qu’en Russie et dans les pays de l’ex-Union soviétique, ces incendies atteignent des dimensions insoupçonnées et inquiétantes. Qu’il y a d’ailleurs «des différences importantes entre les statistiques officielles qui en 2003 déclarent 2 millions d’hectares d’incendies de forêt et les observations satellitaires qui en inventorient plus de 14 millions.» Et d’enfoncer le clou: «Il ressort des travaux de l’American Geophysical Union et l’université du Michigan que [ces incendies] sont une des sources importantes de remobilisation atmosphérique du mercure d’origine naturelle ou anthropique»

Incendie et installations nucléaires

Une source volatile, potentiellement dangereuse lorsque ces feux concernent des plantations ou des cultures mettant en jeu des herbicides dont les molécules organiques, toxiques et cancérigènes, peuvent être transportées par les fumées. Où quand ces fumées contiennent des traces de radioactivité. «Les radionucléides redéposés après les essais nucléaires atmosphériques ou les excursions accidentelles et chroniques en provenance d’installations nucléaires sont remobilisés par les incendies, souligne le rapport. C’est le cas en particulier du césium 137 et du strontium 90″. L’avertissement est clair. Et aujourd’hui, la région élargie autour de Tchernobyl est en partie la proie des flammes. Or, en 1986, six millions d’hectares ont été pollués par la radioactivité, dont 2 millions en Biélorussie, en Ukraine et en Russie. Et des milliers d’incendies, de dimensions plus ou moins grandes, se déclarent dans ces régions, chaque année. De 1993 à 2001 près de 1000 incendies ont été rapportés. Ils ont couvert une surface de quelque 100’000 hectares.

A ce jour, les autorités russes délivrent les traditionnelles déclarations soporifiques et anxiolytiques. Ainsi dans la région de Nijni Novgorod, les flammes menacent l’Institut panslave de recherche en physique expérimentale où sont assemblées (mais aussi démantelées) des armes nucléaires. A 500 kilomètres à l’est de la capitale, les matériaux radioactifs de la centrale de Sarov ont été évacués, selon les déclaration officielles, alors qu’au sud de Moscou, l’incendie qui encerclait les réacteurs de la centrale nucléaire de Voronej semble sous contrôle. Sergueï Kirienko, le président de Rosatom, l’agence russe du nucléaire, a beau clamer «aucun risque pour la sécurité nucléaire». Le doute est plus que légitime. Pour des experts une inquiétude particulière «concerne le site secret Arzamas 16, à 60 km de la ville de Sarov». Depuis 1946, celui-ci abrite un centre russe d’expérimentations et d’activités nucléaires et sert de stockage de plutonium, d’uranium enrichi, d’assemblage et de désassemblage de bombes nucléaires. Certains l’assimilent à un dépotoir à déchets radioactif. Diverses associatioons écologiques réclament que l’Autorité de Sûreté Nucléaire et ses homologues européens communiquent sur une éventuelle pollution radioactive transfrontière à la suite de ces incendies. La lecture de quelques extraits du rapport consacré aux incendies de forêts établi par le Groupe d’Expertise d’Intervention Déchets – GEIDE post-catastrophe – permet de saisir une partie de ce qui se joue aujourd’hui en Russie ; la «dimension naturelle» de ce genre de catastrophe est réduite à sa réalité

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Les incendies de forêts

«Si le réchauffement climatique devient une réalité, il y aura de plus en plus d’incendies dans les forêts boréales qui augmenteront le réchauffement climatique… et vice versa.» Le brûlage intentionnel ou accidentel de la biomasse représenterait 40 % chaque année du dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère planétaire et contribuerait au niveau de 38 % à l’ozone troposphérique. Il atteindrait 100 millions d’hectares par an. Par brûlage de la biomasse on entend les combustions naturelles, accidentelles ou dirigées des forêts, des savanes, des sols agricoles pour fabriquer du charbon de bois, pour modifier la nature des cultures et la distribution des activités agricoles, pour éliminer les chaumes et les autres résidus agricoles. Les incendies de savanes, de forêts tropicales, boréales, méditerranéennes et les brûlis agricoles sont des sources majeures de pollutions atmosphériques transfrontières et peuvent être de plus en plus toxiques à cause de l’utilisation grandissante de produits phytosanitaires dans les sols agricoles et les plantations forestières et de l’inclusion de décharges dans les périmètres sinistrés. Les feux de décharge sont connus pour être des gros générateurs de dioxines. Les incendies de forêts et de tous types de végétations en Russie et dans les pays de l’ex-Union Soviétique comme l’Ukraine atteignent des dimensions insoupçonnées et inquiétantes. Il y a des différences importantes entre les statistiques officielles qui déclarent en 2003 en Russie 2 millions d’hectares d’incendies de forêt et les observations satellitaires qui en inventorient plus de 14 millions. Il ressort des travaux conduits par l’American Geophysical Union et l’université du Michigan que les incendies de forêts, de tourbières et de toundras boréales sont une des sources importantes de remobilisation atmosphérique du mercure d’origine naturelle ou anthropique. Il est estimé que 25% des incendies concernent les régions boréales. Quelles en sont les conséquences pour l’océan Arctique?

Incendies et zones urbaines

La multiplication des incendies de forêt, la proximité de ces incendies et des zones périurbaines, l’augmentation de la durée moyenne des feux et leur concentration dans des régions préférentielles font que les fumées d’incendie sont de moins en moins considérées comme des effluents inertes. Elles sont perçues par des scientifiques, des gestionnaires de l’aménagement rural et urbain et une petite partie de l’opinion publique comme une pollution atmosphérique supplémentaire susceptible de renforcer les pathologies attribuées aux autres pollutions atmosphériques.

Les populations les plus sensibles et les plus vulnérables aux fumées d’incendies de forêt sont les jeunes enfants, les fumeurs, les sujets à problèmes cardiovasculaires, respiratoires et psychiatriques préexistants. Des études américaines montrent que les traumatismes ou autres résonances psychiques, cauchemars, dépressions, troubles de la mémoire restent longtemps ancrés chez les victimes ou les témoins, nécessitent dans l’idéal des séances individuelles ou collectives de thérapie par l’expression orale ou artistique plusieurs mois après l’épisode; les personnes âgées, les enfants et «ceux qui ont tout perdu» en particulier à cause d’un défaut d’assurance sont les plus marqués à cet égard.

A contrario, des communautés ou des individus peuvent trouver après les feux de forêts des conditions psychologiques favorables invitant à un renouveau social s’ils ont été les acteurs ou les récepteurs d’une organisation ou d’une solidarité telles que l’habitat et l’environnement ont été sauvés. Les feux de basse intensité, comme les feux de tourbière produisent plus de gaz toxiques comme le monoxyde de carbone, l’oxyde d’azote, l’oxyde de soufre et plus d’hydrocarbures, d’aldéhydes et de radionucléides. Les variations directionnelles et d’intensité du vent, le degré d’humidité de l’air ambiant modifient les risques sanitaires des fumées d’incendies de forêt de même que les essences végétales consommées par le feu. Les polluants transportés par les fumées rentrent dans les organismes par inhalation, ingestion et absorption cutanée. A concentrations faibles et issues d’exposition courte, les fumées n’ont pas à proprement parler d’effet sanitaire apparent mais elles restent cependant une nuisance. Dans les expositions longues, les fonctions cardio-pulmonaires sont ciblées en priorité. Les effets se déclinent ainsi selon les travaux de spécialistes américains:
• diminution des fonctions pulmonaires
• diminution des capacités de respiration
• difficultés respiratoires
• emphysème
• asthme
• bronchite
• angine
• infarctus du myocarde
• pneumonie
• allergies.

Les particules fines et ultrafines ayant capacité à rentrer dans les systèmes respiratoires représentent 90% des particules transportées par les fumées de feux de forêt. 70 à 90 % d’entre elles ont un diamètre égal ou inférieur à 2,5 microns. Les particules de diamètre égal ou inférieur à 2,5 µm (microns, soit 2,5 millionièmes de mètre) pénètrent jusque dans les alvéoles pulmonaires et sont dites PM 2,5 (Particulate Matters). La toux est la manifestation la plus courante et la plus apparente de l’inhalation de particules puis l’asthme; l’inhalation particulaire aggrave les maladies asthmatiques et cardiaques déjà déclarées à partir d’une teneur de 20-40 microgrammes/m3. Leur caractère toxique dépend aussi de la variété et de la nature des polluants qu’elles transportent. Les émissions basiques d’incendies de biomasse végétale contiennent du méthanol, du formaldéhyde, de l’acétonitrile, de l’acide formique, de l’acroléine, des composés bromés et des hydrocarbures tels le benzène, le toluène, le xylène et le benzopyrène. Elles peuvent contenir toute une série de métaux dont la capacité à s’agréger aux particules ultrafines est bien identifiée. Elles peuvent aussi être chargées – les incendies de forêts ou de parcelles agricoles englobant des combustions de déchets, de biens mobiliers et immobiliers – d’amiante, de ciment, de plâtre et de tous les autres résidus de démolition observés après les tremblements de terre et les bombardements. La limite maximale admissible fixée par l’ACGIH (American Conference of Governmental Industrial Hygienists) est de 65 µg / m3 pour les particules dites PM 2,5. A 70 m du front de flammes, la teneur commune est de 49.500 µg/m3. L’exposition des pompiers et de certains riverains «luttant jusqu’au dernier moment pour sauver leur propriété» est considérable.

Les fumées d’incendies de forêts ou d’autres écosystèmes végétaux sont irritantes pour les yeux à cause de la combinaison des particules fines avec le S02, l’acroléine et le formaldéhyde. Si le substrat géologique contient des silices, les poumons peuvent être victimes d’inflammations et de lésions assimilées à des silicoses. De même, aux Etats-Unis, la combustion de certains végétaux comme le Toxicodendron radicon (herbe à puce) et Kalmia spp (laurier d’Amérique) peut provoquer des irritations de la peau ou des poumons et des inventaires spécifiques devraient être entrepris à ce sujet dans toutes les régions exposées aux risques d’incendies naturels.

Incendies et cultures avec herbicides et radioactivité

Si les incendies de forêts ou les brûlis concernent des plantations ou des cultures mettant en jeu des herbicides, des molécules organiques toxiques et cancérogènes comme la TCDD (Tetra Chloro Dibenzo Dioxine) peuvent être transportées par les fumées. Les fumées contiennent des traces de radioactivité. Les radionucléides redéposés après les essais nucléaires atmosphériques ou les excursions accidentelles et chroniques en provenance d’installations nucléaires sont remobilisés par les incendies. C’est le cas en particulier du césium 137 et du strontium 90.

Les polluants chimiques transfrontières atmosphériques comme les métaux lourds, les PCB sont aussi remobilisés par les incendies et adsorbés sur les phases particulaires des fumées. Pour ce qui concerne les dioxines, l’étude préliminaire réalisée en 2003 aux Etats-Unis dit que la majorité des espèces émises pendant les feux de forêts est d’origine industrielle. Sur la base annuelle moyenne de 1.7 millions d’hectares brûlés, l’émission globale de dioxines/furannes serait de 800 à 1.300 g soit l’une des sources les plus importantes pour l’ensemble des Etats-Unis.

Après Tchernobyl, 6 millions d’hectares ont été pollués par la radioactivité dont 2 millions en Biélorussie, en Ukraine et en Russie. Chaque année des milliers d’incendies de plus ou moins grande importance se déclarent dans les régions contaminées. Entre 1993 et 2001, près de 1000 incendies sont rapportés, couvrant 100’000 hectares. Ces incendies ont des retombées internationales. En 2003, les émissions radioactives des incendies des forêts de résineux de l’Est du Kazakhstan ont été enregistrées au Canada. L’Est du Kazakhstan a été radiologiquement marqué par le centre nucléaire de Semipalatinsk où 450 essais de bombes atomiques dont une centaine d’atmosphériques ont été réalisés entre 1949 et 1989. En mai 2006, des brûlis agricoles mal maîtrisés se sont propagés à la ville de Bufry au nord de Saint- Petersbourg ; le feu a alors consumé des garages et des entrepôts.

Simultanément, l’atmosphère de Saint-Petersbourg était polluée par des centaines de feux volontaires de déchets de jardin et de déchets pas toujours végétaux. Le responsable des pompiers de la région de Saint-Petersbourg remarquait que pendant le mois d’avril, il y avait eu 10 fois plus d’alertes que d’habitude: «les gens brûlent n’importe quoi, même si c’est interdit». La décharge principale de Saint-Petersbourg a été atteinte. Début mai les particules atmosphériques étaient 3 fois plus élevées dans le sud de la Finlande que le seuil autorisé. Le 11 mai, le panache des fumées en provenance de l’ouest de la Russie atteignait l’Ecosse, l’Irlande, le Nord de l’Angleterre. Les seuils de qualité de l’air étaient à leur tour dépassés.

Après quelques jours de stagnation, le nuage toxique est allé se répandre dans l’océan Atlantique. En mars-avril 2007, des incendies volontaires assimilables à de l’écobuage en Thaïlande, en Birmanie, au Laos, en Chine, au Cambodge ont provoqué une pollution de l’air aggravée par le contexte météorologique qui a maintenu les fumées dans la basse atmosphère de la sous-région. Dix ans auparavant, en Indonésie les incendies volontaires préparatoires aux plantations d’hévéa avaient produit une pollution analogue à Singapour et dans l’Etat du Sarawak en Malaisie. Des statistiques fiables ont alors démontré un excès de mortalité chez les personnes âgées.

Les études réalisées après des feux de forêts autour des sites nucléaires historiques américains de Hanford dans l’Etat de Washington et de Los Alamos au Nouveau-Mexique montrent que les zones périphériques des secteurs incendiés peuvent être contaminées par la redispersion atmosphérique des contaminants diffus ou canalisés rejetés par les activités et déposés sur le couvert végétal et le sol. Selon les spécialistes américains, «des points chauds» peuvent effectivement être repérés après les incendies. Supérieurs au « bruit de fond» régional, ils ne constitueraient cependant pas dans ces cas particuliers un enjeu sanitaire ou environnemental. En 1989 et en 1990, des feux de forêts et de landes ont eu lieu autour de Cadarache dans la vallée du Rhône (France) et du réacteur nucléaire en cours de démantèlement de Brennilis.

Les déchets d’incendie de forêts

Les cendres concentrent les toxiques naturels ou d’origine anthropique intégrés à la biomasse et aux biens matériels consommés par l’incendie. Tous les guides d’urgence aux Etats-Unis du type de «Emergency Guidance on the Southern California Wildfires» disent que les cendres sont dangereuses, dans la mesure où entraînées par la pluie, la fonte des neiges, les épisodes d’orages, elles aboutissent, si elles ne sont pas confinées, dans les systèmes de récupération des eaux pluviales, dans les eaux superficielles, les lagons, les criques, les baies. Elles sont aussi entraînées par les glissements de terrains et les coulées de boue consécutifs aux incendies et à l’érosion des sols dénudés. Après les feux de 2003 autour de San Diego en Californie, l’équivalent de l’Office National des Forêts ainsi que des universitaires spécialisés dans l’écologie des incendies de forêts disent que «les fortes pluies suivant les incendies entraînent des écoulements de boues et de débris 10 fois supérieurs aux quantités normales» et que «ces coulées de boues déversent dans les lacs et les rivières des flux de particules chargées en plomb, cadmium, en cuivre et en hydrocarbures qui tuent les poissons».

Les feux de forêts menacent en effet la qualité des eaux. La disparition du couvert végétal sur les sols en pente favorise le ravinement et les coulées de cendres. La disparition de la ripisylve accélère l’érosion des berges et perturbe le fonctionnement des usines de potabilisation de l’eau et les systèmes de distribution, à l’image de ce qui se passe pendant les inondations. La dispersion des cendres introduit des quantités importantes de phosphore et de nitrate dans les ressources aquatiques. Le flux de nitrate est renforcé par la composition des retardateurs de feux largués par voie aérienne. La formulation de ces retardateurs de feux et leurs effets polluants pour l’environnemment ne sont pas assez connus, ni explorés.

Les glissements de terrain, éboulis et coulées de boues

La déforestation due à l’exploitation du bois provoque régulièrement des glissements de terrain ou des coulées de boue qui poussent à l’exode ou ensevelissent des communautés villageoises en particulier en Asie du Sud-Est. La déforestation due aux incendies de forêts a les mêmes effets. Les pertes humaines et matérielles se doublent de dommages écologiques. Des autoroutes, des parcours de randonnées, des canyons, des camps de loisirs sont touchés. Aux Etats-Unis, les glissements de terrains tuent chaque année 25 à 50 personnes et coûtent 2 milliards de dollars.

En Italie, le Piémont et les Dolomites sont exposés à ces épisodes géologiques. L’Italie a d’ailleurs connu un glissement de terrain dans la retenue d’eau d’un barrage qui figure parmi les plus grandes catastrophes du 20e siècle. (cf. chapitre rupture de barrage). Les glissements de terrain peuvent aussi suivre les éruptions volcaniques après des fontes rapides des neiges, des périodes de fortes précipitations, et compter parmi les effets domino des tremblements de terre et des ruptures de barrages. Initialement ces glissements gravitaires de matériaux géologiques sont causés par des infiltrations d’eaux dans les sols dénudés. Dans le cas des glissements de terrains consécutifs à des incendies de forêts ou à des actions volontaires de déforestation ils seraient dûs à une perte de capacité d’évaporation des eaux interstitielles après la disparition du couvert végétal et à la perte de cohésion des sols profonds après la disparition des réseaux de racines. Les glissements de terrains peuvent survenir 10 ans après les incendies de forêt et les autres catastrophes naturelles. Ces coulées ou torrents de boue ont en général la consistance et la viscosité d’un béton liquide emportant sur son passage des pierres ou des rochers et se chargeant dans sa course de nouveaux sédiments.

Après avoir observé 10 forêts brûlées aux Etats-Unis, les géologues et écologistes du feu estiment que 75 % du tonnage au point final du déversement a été accumulé pendant le parcours.

Glissement: le cas de la forêt nationale de San Bernardino, Californie

En octobre 2003, 57’000 hectares brûlent dans la forêt nationale de San Bernadino, en automne. Plusieurs « Emergency Guidance Document » sont émis et distribués par les autorités des comtés de Los Angeles, Riverside, San Bernardino, San Diego et Ventura. Les recommandations concernent la récupération des cendres, imbrûlés et débris après la combustion des maisons, bureaux, entrepôts ou autres biens immobiliers, des équipements et accessoires et matériaux de construction. Tout est pris en compte: armatures, épaves de voitures, munitions, déchets toxiques ménagers, déchets industriels. Le jour de noël 2003, des pluies diluviennes déclenchent des coulées de boues dans les 2 périmètres de montagne incendiés qui mobilisent 4 millions de m3 de sédiments et tuent au moins 18 personnes. 26 millions de dollars sont dépensés pour récupérer les boues et extraire les sédiments des lacs et autres points bas où ils se sont accumulés. Les coulées de boues peuvent dans un même temps provoquer des barrages provisoires à travers des cours d’eau et dans un deuxième temps provoquer des inondations en aval après la rupture des barrages accidentels. Des effets domino analogues ne sont pas rares après les tremblements de terre (cf. chapitre spécifique) survenant dans les zones montagneuses.

La sur-catastrophe de San Bernardino a déclenché aux Etats-Unis un programme co-animé par l’US Geological Survey (USGS) et le National Oceanic and Atmospheric Adminitration (NOAA) destiné à cartographier les zones exposées à des coulées de boues après les catastrophes naturelles et à stimuler la vigilance collective.

La maison dans la forêt

L’Urban-Wildland Interface Code (UWIC) prescrit quelques recommandations constructives pour les bâtiments exposés aux risques d’incendie de forêt. Les matériaux de couverture, les avant-toits, les gouttières, les goulottes, les murs extérieurs, les appentis, les fenêtres extérieures et les baies vitrées doivent être résistantes au feu pendant au moins une heure. Des dispositions et des dimensions spéciales s’appliquent aux bouches de ventilation des greniers et des sous-sols. Selon le Fire Science Labotary, le feu de forêt de forte intensité peut projeter des escarbilles jusqu’à 800 mètres au-delà du front de l’incendie. Une zone incombustible de 30 mètres tout autour d’une maison adaptée suffirait à éviter les risques d’incendies domestiques à la condition d’exclure du périmètre de non combustibilité les stocks de bois de cheminée et autres sources inflammables comme les automobiles. La ville de Redlands en Californie a créé un espace de démonstration de résistance aux incendies avec un jardin composés d’essences végétales sélectionnées, une architecture paysagère et un bâtiment bénéficiant de dispositions constructives et de matériaux renforçant la résistance aux incendies.

Suivi des incendies industriels

Les incendies d’origine industrielle et de natures diverses comme les crash d’avions – exemple du Concorde (cf. le communiqué “Epave du Concorde: tous les risques sont-ils pris en compte ?” sur le site Internet de Robin des Bois), les incendies d’entrepôts et de plates-formes logistiques contenant des marchandises diverses, d’usines, de stocks de pneus ou de toutes autres sources susceptibles d’émettre dans l’atmosphère des contaminants toxiques et persistants devraient être pris en compte par les associations spécialisées dans l’analyse de la qualité de l’air et faire l’objet systématique d’un suivi environnemental et agricole et si nécessaire sanitaire auprès des pompiers, des secouristes et des populations riveraines et sous l’influence des panaches de fumée. Les déchets d’incendie et les eaux d’extinction doivent faire l’objet d’une surveillance immédiate et leur gestion devrait être financée par des fonds immédiatement disponibles avancés si nécessaire par les préfectures.

Conclusion sous forme de commentaires

Les incendies de forêts et d’autres écosystèmes végétaux deviennent de plus en plus prégnants à cause de la persistance d’anciennes pratiques agricoles et de la mixité grandissante des zones résidentielles ou récréatives et des forêts. Le réchauffement climatique est à l’évidence un facteur supplémentaire de risques. La toxicité naturelle des feux est renforcée par l’inclusion de décharges, d’usines et de stockages et par les dépôts secs issus de la pollution atmosphérique chimique et radioactive globale. Sur le plan national, la prévention des incendies de forêts, qui sont le plus souvent provoqués par des imprudences, est prioritaire.

Les précautions sanitaires en cas d’incendies persistants et cumulés restent en Europe sous-évaluées ou inconnues comme en témoigne le manque total de communication à ce sujet pendant les incendies de cet été 2007 en Grèce.

Le projet européen Phoenix sur l’écologie des incendies et leur suivi environnemental et sanitaire a été initié en 2005. Ses travaux, son budget, et son autorité doivent être renforcés. Le CEMAGREF, l’Institut National de la Recherche Agronomique, l’Unité de Recherches Forestières Méditerranéenne en font partie.

Il y a une vingtaine d’accords internationaux sur les incendies de forêts. Il s’agit exclusivement d’accords bilatéraux mobilisables en cas d’urgence entre 2 pays frontaliers comme l’Argentine et le Chili, la Finlande et la Fédération de Russie, le Canada et les Etats-Unis. Environ 80 pays ont dans leur législation forestière des articles sur la maîtrise ou la prévention des incendies de forêts.

La Convention Internationale sur le transport à longue distance des pollutions atmosphériques ne prend pas en compte les fumées d’incendies industriels ou de forêts. Il existe déjà une convention européenne sur les effets transfrontières des accidents industriels. Elle oblige la partie signataire à informer les pays riverains de risques potentiels soulevés par une activité industrielle implantée sur son territoire et à partager les informations techniques.

Une convention similaire concerne la prévention des pollutions des cours d’eau et lacs internationaux. Un instrument international spécifique ou annexé à une des conventions citées précédemment est indispensable. Dans le bassin méditerranéen, 50.000 départs de feux brûleraient chaque année 700.000 à 1 million d’hectares. Un accord régional s’y impose tout particulièrement dans les années à venir.

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