Débat. Combien de personnes vont migrer en raison de l’élévation du niveau de la mer? Nos meilleures suppositions ne sont pas suffisantes

Par Sonja Ayeb-Karlsson, Celia McMichael, Ilan Kelman, Shouro Dasgupta

Un article paru en 2011 en a choqué plus d’un en suggérant que jusqu’à 187 millions de personnes pourraient être forcées de quitter leur domicile en raison de l’augmentation de deux mètres du niveau de la mer d’ici à 2100. Près d’une décennie plus tard, certaines des dernières estimations suggèrent que jusqu’à 630 millions de personnes pourraient vivre sur des terres situées en dessous des niveaux d’inondation annuels prévus pour la fin du siècle.

L’idée que la montée des mers obligera des millions de personnes à se déplacer, déclenchant une crise de réfugié·e·s sans précédent, est désormais devenue courante. C’est un récit que les médias aiment, mais cela ne veut pas dire qu’il est basé sur des preuves.

L’ampleur potentielle de l’élévation du niveau de la mer devient plus claire, mais cela ne se traduit pas nécessairement par des mouvements de population. Tout ce que nous avons appris jusqu’à présent suggère que les décisions de migrer sont bien plus complexes qu’une simple réaction de fuite.

Dans notre nouvel article de synthèse, nous avons examiné 33 études différentes qui ont estimé la façon dont l’élévation du niveau de la mer affectera les schémas de migration. Il est important de disposer d’estimations fiables pour aider les populations vulnérables, mais il existe une grande incertitude quant au nombre de personnes qui seront exposées à la montée des mers et à la manière dont elles y réagiront.

Populations piégées

Nous avons examiné attentivement les méthodes et les ensembles de données de ces études pour tenter de lever les incertitudes. L’un des problèmes qui se posent dans leurs estimations est celui des hypothèses sur le nombre de personnes qui vivront dans des zones de basse altitude vulnérables à l’avenir.

La plupart des études que nous avons examinées ont noté que les liens entre la migration et l’élévation du niveau de la mer sont incroyablement complexes. Il n’est pas garanti que chaque personne directement touchée s’éloigne de ces zones. Les gens peuvent tout aussi bien essayer de protéger leur maison contre l’eau, en construisant des digues ou en élevant leur maison.

Il est impossible de prévoir comment chaque personne réagira. Et il existe d’innombrables raisons pour lesquelles une personne pourrait choisir de rester à l’endroit qu’elle appelle sa maison plutôt que de déménager ou de chercher refuge ailleurs. Les personnes qui pourraient être contraintes de migrer et de se réinstaller en raison du changement climatique reçoivent beaucoup plus d’attention que celles qui restent sur place. Ces populations dites «piégées» peuvent être tout aussi vulnérables que celles qui se déplacent, sinon plus.

Les recherches suggèrent que la décision de rester ou de partir aura autant à voir avec les pressions émotionnelles et sociales qu’avec des raisons financières ou pratiques. Les gens peuvent avoir peur ou trouver insupportable de partir, tandis que d’autres n’ont pas le soutien nécessaire. Beaucoup peuvent se sentir obligés de rester en raison de liens sociaux et de responsabilités contraignantes.

La façon dont la santé et le bien-être de ceux qui restent seront affectés par la montée des eaux est peu étudiée. Des recherches plus approfondies sont nécessaires pour comprendre les réalités de la situation, tant pour ceux qui choisissent de rester que pour ceux qui ne peuvent pas partir.

Et maintenant, où allons-nous?

Les recherches sur l’élévation du niveau des mers et les migrations ont souvent tenté d’obtenir des estimations globales des personnes susceptibles d’être touchées. Ces estimations sont utiles pour attirer l’attention sur l’ampleur potentielle des impacts futurs, mais elles manquent d’informations locales qui pourraient aider à mieux comprendre la situation dans différentes régions.

L’élévation du niveau des mers n’est qu’une des nombreuses façons dont le changement climatique transforme notre monde. Il sera important de comprendre comment l’élévation du niveau de la mer interagit avec d’autres changements environnementaux, tels que l’augmentation des températures et la modification du régime des pluies, mais cela met à rude épreuve la capacité à prévoir le nombre exact de migrations.

Malgré toutes les inconnues, nous savons que les changements côtiers provoqués par le changement climatique seront importants et qu’il faut agir dès maintenant. Cela signifie qu’il faut concevoir des mesures pour prévenir ou réduire les inondations, trouver comment vivre avec l’eau et prévoir des moyens efficaces de migrer et de se réinstaller. Il faut évaluer les options, élaborer des scénarios et prendre des décisions à ce sujet dès maintenant, plutôt que d’attendre que le problème devienne plus urgent.

Il est tout aussi important d’éviter de répéter les mythes qui entourent le changement climatique et qui déclenchent de vastes flux de personnes du «Sud global» cherchant refuge dans le «Nord global». Nous savons que les gens ne fuiront pas inévitablement au-delà des frontières dans un monde en réchauffement. Lorsque des migrations ont lieu, les mouvements à l’intérieur des pays sont souvent négligés, en partant du principe probablement erroné que la plupart des migrant·e·s traversent les frontières.

Ces récits suscitent des inquiétudes inutiles tout en détournant l’attention de ce qui compte vraiment, à savoir l’aide aux personnes vulnérables. Non seulement ces mythes reproduisent des rapports de force coloniaux xénophobes et surannés, basés sur des arguments infondés, mais ils créent également une peur inutile et des environnements hostiles pour les populations migrantes du monde entier. (Article publié sur le site The Conversation, le 25 septembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Sonja Ayeb-Karlsson, chercheure principale, Institut pour l’environnement et la sécurité humaine (UNU-EHS), Université des Nations unies
Celia McMichael, maître de conférences en géographie, Université de Melbourne
Ilan Kelman, professeur en catastrophes et santé, UCL
Shouro Dasgupta, maître de conférences en économie de l’environnement, Université Ca’Foscari (Venise)

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