Soudan-débat. Quelle dynamique après le coup d’Etat du 25 octobre 2021 et la démission de Hamdok du 2 janvier 2022?

Par Willow Berridge

Dimanche soir 2 janvier 2022, à la suite d’une nouvelle vague de manifestations massives et d’assassinats perpétrés par les forces de sécurité, le premier ministre de transition du Soudan, Abdallah Hamdok, a démissionné, annonçant que le pays se trouvait désormais «à un tournant dangereux qui menace sa survie».

Des sources proches d’Abdallah Hamdok ont rapporté qu’il était contrarié par la décision du Conseil de souveraineté, dirigé par les militaires, de rendre les pouvoirs d’arrestation au Service général du renseignement du Soudan [GIS- General Intelligence Service, prolongement du NISS-National Intelligence and Security Service à l’époque d’Omar el-Béchir, renversé en avril 2019], ainsi que par le refus de reconduire dans leurs fonctions les ambassadeurs limogés à la suite du coup d’Etat, le 25 octobre, d’Abdel Fattah al-Bourhane contre ses alliés civils.

Dans la pratique, cependant, Hamdok avait déjà perdu une grande partie de sa légitimité auprès de la rue soudanaise et parmi les forces politiques civiles après avoir signé un accord politique avec Abdel Fattah al-Bourhane, le commandant des forces armées soudanaises (SAF), le 21 novembre. [Il avait été placé sous résidence très surveillée dès le 25 octobre – dans un contexte d’état d’urgence proclamé – et «réinstallé dans ses fonctions» le 21 novembre.]

L’accord assurait aux militaires leur principale exigence: la formation d’un cabinet «technocratique» afin de remplacer le cabinet établi le 8 février 2021 [dirigé par les Forces de la liberté et du changement (FFC-Forces of Freedom and Change) et intégrant des représentants de «groupes rebelles du Darfour, du Nil Bleu et du sud Kordofan»].

Après l’accord du 21 novembre, la rue était divisée, tandis qu’une partie de l’opinion publique s’est instantanément retournée contre Hamdok, le dénonçant dans un premier temps comme un «traître» à la révolution soudanaise. Cependant, l’opinion la plus forte dans la rue pensait que Hamdok, vu son statut, devait avoir peu d’options en main et qu’il représentait toujours le régime civil.

La démission de Hamdok le 2 janvier 2022 signifie que la transition présente au Soudan semble désormais suivre un cours très différent des deux transitions historiques qui ont suivi les deux premiers soulèvements civils: la révolution d’octobre de 1964 [soulèvement populaire et grève générale, du 21 au 30 octobre, qui, face à la répression militaire, aboutit au renversement du régime du maréchal Abboud] et le soulèvement d’avril 1985 [suite à la détérioration de la situation économique et de la hausse massive des prix éclate une grève générale à Khartoum, dans la foulée les forces armées et le ministre de la Défense opèrent un coup d’Etat et «évincent» Gaafar Nimeiry], deux soulèvements qui ont été, d’une certaine manière, les précurseurs historiques des événements d’aujourd’hui.

Ce que Hamdok partage avec les premiers ministres intérimaires de chacune des deux transitions précédentes du Soudan, c’est qu’il s’est retrouvé en désaccord avec les mobilisations urbaines radicales. En 1964 et en 1985, les premiers ministres Sirr al-Khatim al-Khalifa [nommé finalement premier ministre d’un gouvernement de transition dans un contexte marqué par de fortes contradictions entre diverses forces politiques, il doit démissionner en juin 1965] et Jazouli Dafa’allah [avril 1985-mai 1986] ont travaillé contre la gauche urbaine pour assurer une transition vers des gouvernements élus du Parti national Al-Oumma [National Umma Party, parti conservateur islamiste] qui avaient le soutien de l’armée.

La différence aujourd’hui, bien sûr, est que si ces deux premiers ministres ont tenu jusqu’à la fin de la période dite de transition, ce n’est pas le cas de Hamdok, ce qui signifie que la situation politique au Soudan est désormais extrêmement fluide.

Des références progressistes

Abdallah Hamdok n’était pas prédestiné à jouer le même rôle que ses prédécesseurs. En effet, ses références progressistes étaient bien plus importantes que celles de Jazouli Dafa’allah, qui avait des liens historiques avec les islamistes soudanais, ou de Sirr al-Khatim al-Khalifa, qui a négocié avec Sadiq al-Mahdi de l’Oumma en 1965 pour dissoudre un gouvernement de transition dominé par la gauche politique.

Hamdok était lui-même un ancien membre du Parti communiste soudanais, et ses principaux conseillers étaient également des hommes issus d’une tradition historique de gauche. Il a d’abord été chaleureusement accueilli par de nombreux Comités de résistance, le mouvement de base à l’origine du Hirak («mouvement») soudanais. Les groupes rebelles les plus progressistes du Soudan, notamment le Mouvement populaire de libération du Soudan d’Abdelwahid al-Nour et la faction d’Abdelaziz al-Hilu de l’Armée populaire de libération du Soudan-Nord, avaient également une opinion positive de Hamdok.

A la suite de nouvelles tueries commises par les services de sécurité, Hamdok a compris qu’il ne pouvait plus s’associer au virage de plus en plus contre-révolutionnaire de l’armée et a démissionné. Hamdok avait également attaqué publiquement le rôle de l’armée dans l’économie, affirmant que le rôle des entreprises militaires devait se limiter au secteur de la défense.

Selon des sources au sein des services de sécurité, avant le 25 octobre, le Service général du renseignement du Soudan (GIS) avait élaboré une analyse des scénarios post-coup d’Etat potentiels. Il affirmait qu’Hamdok était une figure hésitante et malléable qui pourrait être utilisée comme figure de proue pour masquer une prise de pouvoir militaire. Si cela est vrai, Hamdok n’a pas été conforme aux attentes des services de sécurité, refusant sous la menace des armes de lire une déclaration approuvant le coup d’Etat.

Néanmoins, les services de sécurité ont continué à s’efforcer de maintenir Hamdok isolé, le plaçant en résidence surveillée et ne lui permettant d’avoir accès qu’aux personnalités pro-militaires des Forces de la liberté et du changement (FFC), ainsi qu’aux diplomates internationaux et régionaux qui l’ont poussé dans le sens d’une solution qui assurerait la «stabilité» du Soudan.

Le médiateur

Fadlallah Bourma Nasir, le dirigeant par intérim du Parti national Al-Oumma, est l’une des personnes qui a bénéficié d’un accès privilégié à Hamdok. Il y avait de nombreuses raisons pour lesquelles les militaires voyaient Fadlallah Bourma Nasir d’un bon œil, car il apparaissait comme un fantôme des transitions passées au Soudan. Officier de l’armée en 1985, il avait rejoint le Conseil militaire de transition de Siwar al-Dahab et c’est lui qui aurait tenté de maintenir les militants de gauche emprisonnés par l’ancien régime dans la prison de Kober [du nord de Khartoum] après la chute de l’ancien dictateur soudanais Gaafar Nimeiry.

Après le coup d’Etat du 25 octobre, Fadlallah Bourma Nasir s’est profilé comme un médiateur entre Hamdok et les militaires. Il a été l’un des principaux architectes de l’accord du 21 novembre 2021 et a été le plus ardent de tous les hommes politiques soudanais à le défendre dans les médias.

Selon le site d’information pro-opposition Al-Rakoba, Nasir a cependant fait croire à Hamdok qu’il avait été autorisé par le conseil central des Forces de la liberté et du changement à négocier entre lui et l’armée. En réalité, la direction des FFC, consciente de la colère généralisée dans la rue, avait refusé catégoriquement de négocier avec l’armée.

Les FFC ont rejeté l’accord politique dès que Nasir l’a annoncé aux médias, tout comme l’Association professionnelle soudanaise et les Comités de résistance à Khartoum. En revanche, les différentes institutions représentant la «communauté internationale», à la grande déception des manifestants, avaient déjà publié des déclarations saluant l’accord au motif qu’il avait permis la libération de Hamdok. A la suite de cet accord, Fadlallah Bourma Nasir a subi des attaques au sein de son propre parti. Des personnalités de premier plan ont contesté ses initiatives.

Bien qu’Hamdok ait réussi à obtenir le retour d’un certain nombre de fonctionnaires renvoyés des ministères à la suite du coup d’Etat du 25 octobre, pour chaque personne qu’il replaçait, les militaires réinstallaient un autre «sécurocrate» de l’époque du régime d’El-Béchir. Alors même que l’accord du 21 novembre stipulait officiellement que tous les partis, à l’exception du Parti du Congrès national d’El-Béchir, feraient partie de la transition, Al-Bourhane a ramené l’ancien gouverneur du Kordofan du sud de l’ère du PCN [parti du Congrès national] à la tête du Service général du renseignement (GIS).

Le 2 janvier, à la suite de nouveaux meurtres commis par les services de sécurité, Hamdok a compris qu’il ne pouvait plus s’associer au virage de plus en plus contre-révolutionnaire de l’armée et a démissionné.

Qui après Hamdok?

Selon certaines informations, Ibrahim Al-Badawi, le ministre des Finances, qui avait quitté le premier cabinet de transition de Hamdok en raison de divergences politiques, serait envisagé par les militaires pour le remplacer. Cependant, il est peu probable que tout politique qui remplace Hamdok conserve une crédibilité s’il entre dans le dispositif gouvernemental tel qu’il a été formaté après le coup d’Etat du 25 octobre et l’accord politique du 21 novembre.

En effet, un problème majeur pour tout «technocrate» qui tentera de remplacer Hamdok sera le fait qu’il y a maintenant une large opposition de la rue non seulement à l’accord du 21 novembre, mais aussi à l’accord original d’août 2019 qui a inauguré le partenariat civil-militaire et a installé Abdallah Hamdok au poste de premier ministre.

L’Association professionnelle soudanaise a salué la démission d’Hamdok, qu’elle considère comme la confirmation que s’est désormais évanoui tout espoir de partenariat civil-militaire. Le secrétaire général du parti Al-Oumma, Al-Wathiq Bireir, a déploré cette prise de position, affirmant qu’elle conduirait au retour à une domination complète de l’armée.

Les dirigeants du Parti national Al-Oumma et les manifestants radicaux de la rue maintiennent qu’ils veulent un retour à un régime civil, bien qu’ils aient des interprétations différentes de ce que cela signifie. Le Parti national Al-Oumma souhaite un retour rapide aux élections parlementaires.

S’il est peu probable que le parti obtienne aujourd’hui des résultats électoraux aussi bons que lors de son apogée dans les années 1960 et 1980, il a néanmoins plus de chances de mobiliser sa base de soutien restante par le biais de campagnes électorales que par celui d’une politique de protestation révolutionnaire. Il soutient que les forces politiques qui bloquent une transition immédiate vers les élections sont celles qui, historiquement, ont eu tendance à obtenir de mauvais résultats, comme les baasistes [allusion aux traits historiques de ce courant «nationaliste-progressiste»] et les communistes.

Ce que les manifestants urbains radicaux veulent en fait, c’est une transition vers un gouvernement dirigé par des civils, qui brisera l’emprise des militaires et des différents services dits de sécurité sur l’économie et la vie politique. Ce qui devrait empêcher les groupes pro-militaires de dominer lorsque les élections auront lieu.

La voie de la transition vers un régime parlementaire dirigé par le Parti Al-Oumma et soutenu tacitement par l’armée semble beaucoup moins claire aujourd’hui qu’en 1964 et 1985. Si le Parti national Al-Oumma reste un concurrent politique sérieux, sa base politique historique, issue de la période de 1986 à 1989, a été érodée par les groupes rebelles de l’ouest du Soudan (Darfour) et le mouvement de protestation des jeunes des divers centres urbains.

Pour les Comités de résistance, qui sont apparus comme un mouvement nationaliste plutôt que partisan, la conjoncture est encore potentiellement favorable. Dans le même temps, le gouvernement de transition est allé beaucoup plus loin dans la direction de la contre-révolution qu’en 1964 ou 1985, en accordant aux services de sécurité intérimaires des pouvoirs répressifs et d’arrestations similaires à ceux dont disposaient les services de renseignement et de sécurité (NISS) de l’ancien régime. Il est désormais clair que 2019-2022 n’est pas une réédition de 1964-1965 ou de 1985-1986, et l’avenir politique immédiat du Soudan reste extrêmement incertain. (Article publié le 4 janvier 2022 sur le site Middle East Eye; traduction rédaction A l’Encontre)

Willow Berridge est une historienne du Soudan moderne. Elle est l’auteure de Civil Uprisings in Modern Sudan: The Khartoum Springs of 1964 and 1985 (Londres: Bloomsbury 2015) et Hasan al-Turabi: Islamist Politics and Democracy in Sudan (Cambridge University Press, 2017).

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*