Turquie. Après le 14 mai, Erdogan apparaît en pole position pour le second tour

Lecture des résultats le 15 mai à Istanbul.

Par Ayla Jean Yackley (Istanbul) et Adam Samson (Ankara)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan semble bien parti pour prolonger son règne pour une troisième décennie, alors qu’il se présente au second tour de la présidentielle après avoir confortablement battu son principal adversaire lors du premier tour.

Après une campagne très disputée qui avait fait naître l’espoir d’une percée de l’opposition, Erdogan a obtenu 49,5% des voix dans la course à la présidence, loin devant son principal rival, Kemal Kiliçdaroglu, avec 44,9%, selon l’autorité électorale turque.

Aucun candidat n’ayant obtenu plus de 50%, le Conseil électoral suprême a annoncé lundi qu’Erdogan et Kiliçdaroglu se retrouveraient au second tour le 28 mai, un second tour où le président sortant est le grand favori.

Outre l’avance de plus de 2 millions de voix sur Kiliçdaroglu dans la course à la présidence, la coalition de droite d’Erdogan semble en passe de remporter une majorité absolue lors des élections législatives turques, ce qui renforcerait sa position lors du second tour. [La coalition sous l’égide de l’AKP a la majorité des 600 sièges, l’AKP en obtient 267, le CHP 169, Yesil Sol Parti 61. Voir les résultats des élections législatives sur le site: https://secim.aa.com.tr/]

La performance d’Erdogan lors du vote de dimanche 14 mai a démenti les sondages d’opinion qui donnaient à Kiliçdaroglu une avance substantielle au cours des derniers jours de la campagne âprement disputée. «Ne tombez pas dans le désespoir», a tweeté Kiliçdaroglu lundi, ajoutant: «Nous nous relèverons et remporterons cette élection ensemble.»

Le chef de l’opposition, âgé de 74 ans, avait construit une large alliance de centristes, de nationalistes et de partis conservateurs et bénéficiait du soutien extérieur de la principale alliance kurde [soit le HDP-Parti démocratique des peuples] de Turquie dans sa tentative de mettre fin à ce qu’elle appelle le «règne d’un seul homme», c’est-à-dire le règne d’Erdogan.

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La probabilité croissante que les politiques économiques peu orthodoxes d’Erdogan se poursuivent a ébranlé les marchés financiers du pays, qui s’étaient redressés à la fin de la semaine dernière après que les sondages eurent donné l’avantage à Kiliçdaroglu.

Le coût de l’assurance contre un défaut de paiement (CDS-Credit Default Swap – prime d’assurance pour se protéger du risque de défaut) de la dette turque a bondi lundi, l’écart sur les swaps de défaut de crédit à cinq ans augmentant de plus de 100 points de base pour atteindre 608 points de base, le niveau le plus élevé depuis novembre, selon les données de Bloomberg.

Le marché des actions turques, dominé par les investisseurs locaux, a également chuté, l’indice de référence Bist 100 [indice Borsa Istanbul composé des 100 sociétés cotées à la Bourse d’Istanbul] perdant 3,1% et le sous-indice bancaire environ 8,3%. La lire est restée proche de son niveau le plus bas.

«Les marchés seront nerveux entre le premier et le second tour, car les politiques économiques d’Erdogan ne tiennent pas la route», a déclaré Timothy Ash, stratège des marchés émergents chez BlueBay Asset Management.

Les investisseurs s’inquiètent des politiques économiques peu orthodoxes d’Erdogan, qui a notamment réduit les taux d’intérêt malgré une inflation galopante.

Ils s’inquiètent également de la baisse des réserves de change du pays et de l’essor des comptes d’épargne spéciaux [qui assurent des taux d’intérêt élevés pour des dépôts en lires afin de freiner les transferts vers le dollar ou l’euro], qui obligeraient le gouvernement à payer en cas de chute soudaine de la lire.

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Les pressions liées au coût de la vie, un tremblement de terre dévastateur qui a tué plus de 50 000 personnes en février et le mécontentement suscité par le style autoritaire du régime d’Erdogan ont revigoré une opposition qui pense avoir sa meilleure chance d’arracher le pouvoir au dirigeant turc en activité depuis vingt ans.

Mais Erdogan a de nouveau mobilisé sa base de soutien en mettant l’accent sur des questions qui fâchent, notamment la coopération tacite de l’opposition avec un parti pro-kurde (HDP) qu’il accuse de liens avec le terrorisme, ainsi que les généreuses augmentations de salaire [dans la fonction publique] et autres cadeaux.

Jan Petersen, qui a dirigé une mission d’observation électorale de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, a déclaré lors d’une conférence de presse lundi 15 mai que si les Turcs ont pu voter librement dans l’ensemble, Erdogan et ses alliés ont bénéficié de plusieurs avantages injustes.

«Les chaînes publiques ont clairement favorisé les partis et les candidats au pouvoir», a déclaré Jan Petersen, ajoutant que «la majorité des chaînes de télévision nationales privées […] ont également été clairement partiales en faveur des partis au pouvoir dans leur couverture médiatique».

Il a également critiqué le gouvernement turc pour avoir exercé des «pressions sur [certains] politiciens et partis d’opposition» et a déclaré que le travail des autorités électorales était «marqué par un manque de transparence, des communications inadéquates et un d’indépendance».

Erdogan n’a pas proclamé sa victoire dans la nuit lors du discours prononcé depuis le balcon du siège [à Ankara] de son parti, le Parti de la justice et du développement (AKP), lieu traditionnel qu’il a utilisé pour célébrer la plupart de la douzaine de victoires précédentes de son parti.

Le président est apparu confiant, chantant un air pop devant des milliers de partisans brandissant des drapeaux et déclarant: «Nous sommes déjà en avance sur notre plus proche rival [et] nous nous attendons à ce que ce chiffre augmente avec les résultats officiels.»

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Des élections législatives simultanées ont donné à l’alliance de droite d’Erdogan une majorité confortable, qui l’aidera à conserver son emprise sur l’économie et d’autres aspects de la vie turque s’il remporte le second tour.

Un candidat tiers, l’ultranationaliste Sinan Ogan, a obtenu 5,2% et a été écarté de la course. Ogan a déclaré qu’il était ouvert à des négociations avec Erdogan et Kiliçdaroglu afin d’obtenir l’appui de ses électeurs au second tour. Mais il a déclaré que tout accord nécessiterait la mise à l’écart du principal mouvement pro-kurde, qui a obtenu des sièges au parlement en tant que parti de la Gauche verte [Ysil Sol Parti] – un électorat dont Kiliçdaroglu a besoin dans le second tour de défi à Erdogan.

Les alliés de Kiliçdaroglu se sont plaints à plusieurs reprises dimanche soir du décompte des voix, affirmant que les médias d’Etat [l’agence Anadulu était accusée de transmettre des résultats biaisés, d’autant plus que l’AKP faisait obstacle, en demandant des recomptages, à l’annonce de résultats dans des bureaux de vote où l’opposition était majoritaire] tentaient de «tromper» le public en flattant la position d’Erdogan. Mais l’opposition, qui a d’abord affirmé qu’elle avait une avance significative sur Erdogan, a atténué ses objections au fur et à mesure que le décompte des voix avançait. (Article publié à 15h15, heure Londres, le 15 mai 2023, sur le site du Financial Times; traduction rédaction A l’Encontre)

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Voir la carte interactive sur les votes des deux coalitions dans les provinces en cliquant sur le lien: https://secim.aa.com.tr/

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