Chine. L’hyper-exploitation du secteur des nouvelles technologies a pour nom: 996-ICU

China Labour Bulletin

Un ingénieur employé de la plateforme de commerce électronique Pinduoduo s’est suicidé le samedi 9 janvier [en se jetant du 27e étage], après être rentré chez lui de manière inattendue lors d’un congé. Il s’agissait de la deuxième mort soudaine d’un employé de Pinduoduo en dix jours, ce qui souligne l’extrême pression à laquelle sont soumis les travailleurs du secteur technologique ultra-compétitif chinois.

Une employée de Pinduoduo, du nom de Zhang, âgée de 22 ans et basée à Urumqi, la capitale régionale du Xinjiang, est décédée le 29 décembre après avoir travaillé après minuit. Elle s’est effondrée alors qu’elle rentrait chez elle à pied avec des collègues à 1h30 du matin. Les collègues de Zhang l’ont emmenée d’urgence dans un hôpital local, où elle est morte quelques heures plus tard.

Dans le cas le plus récent, l’ingénieur Pinduoduo, du nom de Tan, venait d’être diplômé de l’université du Sichuan en 2020 et travaillait depuis six mois au siège de la société à Shanghai. Le matin du vendredi 8 janvier, il a demandé un congé et s’est immédiatement rendu, en avion, dans sa famille, dans la ville de Changsha, capitale de la province du Hunan.

Les périodes d’emploi de Tan et de Zhang coïncident avec le lancement d’une nouvelle initiative de Pinduoduo destinée à tirer parti de la demande croissante de services de livraison d’épicerie en ligne en Chine. Pinduoduo aurait poussé ses employés à travailler 300 heures par mois pour atteindre les objectifs de l’entreprise, ce qui signifie en gros travailler 12 heures par jour, avec un seul jour de congé par semaine au maximum. Plusieurs employés auraient démissionné parce que la pression était trop forte.

En réponse à ces deux morts subites, Pinduoduo a annoncé qu’il mettrait en place un service de conseil psychologique pour les employé·e·s [1], une initiative qui rappelle la réaction du géant taïwanais de l’électronique Foxconn suite à la vague de suicides de travailleurs dans son usine de Shenzhen en 2010.

Pinduoduo n’a pas répondu à la colère du public concernant les conditions de travail de l’entreprise. Caixin [groupe de média] a fait état de la réaction impitoyable de l’entreprise à la mort de Zhang. L’entreprise aurait licencié un autre employé qui avait annoncé sur les médias sociaux qu’un autre collègue avait été emmené en ambulance.

La semaine dernière, le Bureau municipal du travail de Shanghai a indiqué le lancement d’une enquête sur les conditions de travail à Pinduoduo. Cependant, Pinduoduo n’est pas la seule entreprise technologique qui met ses employés sous une pression extrême, comme le montre la campagne 996-ICU [travailler de 9h à 21h, six jours par semaine – 996 – et ICU: intensive care unit: unité de soins intensifs] menée par les travailleurs du secteur technologique dès 2019.

Les travailleurs en première ligne des services de livraison du secteur technologique souffrent également d’heures de travail excessives. Un employé de 43 ans du nouveau service de logistique à la demande d’Ele.me est mort après s’être effondré au travail à Pékin, le mois dernier. L’entreprise a d’abord offert à la famille endeuillée une compensation de 2000 yuans [254 euros] seulement. À la suite des protestations du public, Ele.me a accepté d’augmenter ce montant pour le porter à la prestation de décès standard de 600 000 yuans [76’360 euros].

La Fédération des syndicats de Chine a déclaré qu’elle a fait des travailleurs de la distribution l’un de ses huit secteurs clés pour l’organisation. Cependant, comme l’a montré l’exposé des conditions de travail dans l’industrie de la livraison alimentaire par le magazine People l’année dernière [12 novembre], le syndicat n’a jusqu’à présent fait que peu de progrès pour améliorer la sécurité, le salaire ou les conditions de travail des travailleurs et travailleuses.

La pression publique et les campagnes de médias sociaux n’auront qu’un effet limité et temporaire sur les grandes entreprises technologiques. Un changement concret et durable nécessitera un effort soutenu de la part des travailleurs eux-mêmes, du syndicat et de la société civile afin de forcer les puissantes entreprises technologiques à traiter leurs employé·e·s avec respect et de leur permettre de gagner un salaire décent pour un travail décent.

Les travailleurs ont déjà exprimé leurs revendications pour un syndicat efficace qui puisse représenter tous les travailleurs du secteur de la technologie. Un récent message sur le forum 996-ICU, par exemple, demandait: «Certaines des grandes entreprises technologiques comme Huawei, Tencent et Alibaba ont-elles créé des syndicats?»  Nous ne pouvons qu’espérer que l’ACFTU [All-China Federation of Trade Unions] entende l’appel! (Article publié par le China Labour Bulletin – basé à Hongkong –, le 11 janvier 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Selon Le Monde du 25 janvier, Pinduoduo s’est risqué à publier ce message: «Regardez les gens en bas de la société. Qui n’échange pas sa vie contre de l’argent? Je ne vois pas ça comme un problème lié au capitalisme mais un problème social. C’est une ère où il faut travailler dur. Vous pouvez choisir d’avoir des journées tranquilles et confortables, mais vous devez en accepter les conséquences. Les gens peuvent contrôler leurs efforts. Nous le pouvons tous.» Selon Frédéric Lemaître, elle a rapidement fait disparaître ce message. (Réd.)

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