Afghanistan. La Chine s’intéresse aux ressources naturelles. Que pourrait-il se passer?

Par Michael Krätke

Ce dont les élites politiques de «l’Occident» ne sont apparemment plus capables, les dirigeants politiques chinois peuvent le faire: penser stratégiquement à long terme, et à l’échelle mondiale. La géopolitique n’est pas un mot étranger pour le Parti communiste (PCC), mais une catégorie familière. Comme il sied à une puissance mondiale.

L’Asie centrale fait partie de sa zone d’intérêt et d’influence directe. Il existe une coopération étroite avec le Pakistan, qui résulte de la rivalité avec l’Inde. Le premier intérêt de la Chine est de sécuriser ses routes commerciales vers l’Ouest. L’une des nouvelles Routes de la soie (One Belt, One Road) les plus importantes passe non loin de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. D’autres routes parallèles sont envisageables, mais la sécurité des routes existantes est prioritaire.

La politique étrangère de la Chine est ensuite motivée par la soif de ressources d’une économie en croissance rapide. L’Afghanistan a de nombreuses ressources naturelles à offrir: fer, cuivre, or, lithium, terres rares, charbon, pétrole, dont la valeur totale est estimée à plus de 3000 milliards de dollars. Cependant, la plupart des zones minières intéressantes sont situées dans des zones difficilement accessibles. Dans un avenir prévisible, ce sont les talibans qui contrôlent l’exploitation minière en Afghanistan. Mais pour extraire les ressources minérales ou même pour les trouver (70% du pays est encore peu exploré), les talibans manquent de technologie, de connaissances et d’argent. Les Chinois les ont. Ils détiennent une concession pour une mine de cuivre depuis 2007 et pour un champ pétrolier depuis 2011. Cependant, pour réussir à exploiter les ressources minérales, ils devront construire des routes et des chemins de fer, en grande partie en haute montagne. Cela nécessite une planification minutieuse à long terme et une expérience affirmée de grands projets d’infrastructure. La Chine dispose aussi de cela.

Pavot, cuivre et pétrole

Un regard sur leur situation économique montre à quel point les talibans ont besoin de cette coopération. Leur principale ressource financière a été jusqu’à présent l’exportation de pavot et d’opium brut – en plus des rackets et des droits de douane, qui sont perçus de manière arbitraire. Au total, les milices ont récolté environ 1,6 milliard de dollars provenant de diverses sources obscures en 2020 – le gouvernement afghan a pu enregistrer environ 5,6 milliards de dollars de recettes au cours de la même période. Même si des porte-parole talibans individuels le proclament maintenant, il est plus qu’improbable qu’ils ne s’intéressent pas au commerce extrêmement rentable de l’opium. D’autant plus qu’ils sont en grande difficulté financière après leur arrivée au pouvoir.

Pour diriger le pays, les talibans ont cependant besoin de beaucoup plus. Ils ne peuvent pas accéder aux réserves de change de la banque centrale afghane – actuellement 9,4 milliards de dollars [selon le FMI] – qui sont détenues à l’étranger, pour la plupart par la banque centrale des Etats-Unis. Le Fonds monétaire international a bloqué l’accès du régime à la part du pays dans les droits de tirage spéciaux, soit 340 millions de dollars, et a suspendu la dernière tranche (105,6 millions de dollars) d’un programme d’aide pour affronter la crise sanitaire, qui était à hauteur de 370 millions de dollars [tel que décidé en novembre 2020]. Jusqu’à présent, l’aide occidentale représentait 43% du produit intérieur brut (PIB) de l’Afghanistan. Plus de 60% du budget de l’Etat était financé par l’Occident. Cet argent a maintenant presque totalement disparu, même si les Britanniques, par exemple, ne veulent pas arrêter leurs paiements pour le moment. Les talibans reçoivent toujours des millions de dollars de dons de certains Etats du Golfe, mais ils sont en même temps en conflit avec d’autres Etats arabes.

En bref, le nouveau régime sera heureux de vendre des ressources naturelles à la Chine. Les concessions minières rapportent beaucoup d’argent. Les Chinois seraient également les bienvenus pour construire des routes. La Chine a des partenaires au Pakistan et dans d’autres pays islamiques, ce qui facilite son entrée sur le marché afghan. Il semble que les Chinois pourraient gagner la course aux ressources minérales afghanes.

Il reste encore la question du terrorisme

Pour leur part, les Chinois ne se font aucune illusion sur les nouveaux dirigeants de l’Hindou Kouch. Ils se méfient de leurs assurances qu’ils ne veulent pas assurer un foyer au terrorisme. A juste titre. Bien que la frontière entre l’Afghanistan et la Chine ne soit longue que de 76 kilomètres, la menace du terrorisme est réelle. Des djihadistes ouïgours revenant de Syrie ou d’Afghanistan ont été responsables d’attaques terroristes en Chine. Le gouvernement chinois a réagi avec dureté, et la région autonome du Xinjiang est sous un contrôle de fer.

Jusqu’à présent, les Chinois n’ont pas eu de bonnes expériences avec les projets miniers en Afghanistan. Par exemple, un consortium dirigé par la China Metallurgical Group Corporation a proposé plus de trois milliards de dollars pour transformer le plus grand gisement de cuivre du monde, situé dans la province de Lôgar [dans l’est du pays], en une région minière – avec une mine, une voie ferrée et une centrale électrique. A ce jour, les travaux n’ont pas commencé car la province était l’objet d’un conflit entre les talibans et le gouvernement. La compagnie pétrolière d’Etat a abandonné la production dans la dépression du fleuve Amou-Daria [qui sert de frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan]. Il n’a pas été possible d’établir des voies de transport sûres vers la Chine pour le pétrole extrait.

Pour qu’il y ait une coopération à long terme entre la Chine et le régime taliban, ce dernier devra tenir sa promesse de tenir en échec le terrorisme islamiste. Car la Chine ne dépend pas des talibans. L’Afghanistan peut être contourné, la frontière commune peut être fermée. C’était également le plan pour les nouvelles Routes de la soie. La République populaire dispose d’alternatives. (Article publié le 30 août sur le site de l’hebdomadaire Der Freitag, traduction rédaction A l’Encontre)

Michael Krätke, économiste, a été professeur à l’Université libre de Berlin, puis de Bielefeld et, par la suite, de l’Université d’Amsterdam. Il publie dans divers magazines de langue allemande situés à gauche.

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