Par Khaing Zar Aung et Cecilia Brighi
Un an après le coup d’Etat militaire au Myanmar [le 11 février 2021], il est temps d’intensifier les actions diplomatiques, politiques et économiques internationales pour vaincre la junte et remettre le pays sur la voie de la démocratie. Il est également temps que les pays partageant les mêmes idées s’accordent sur une stratégie diplomatique unitaire à l’égard de la junte et de ses partisans, en particulier la Russie et la Chine, qui font obstacle à un embargo contraignant sur les armes au Conseil de sécurité des Nations unies.
En février 2022, cela fera un an que les forces armées du Myanmar ont pris le pouvoir et déclaré la loi martiale à Mandalay [capitale administrative] et à Rangoon [principale ville], deux grands centres industriels produisant des vêtements portés par de nombreux Occidentaux. En mars, cela fera un an que 150 000 à 200 000 travailleurs et travailleuses ont fui Rangoon pour échapper aux assassinats, aux arrestations arbitraires et aux incendies criminels.
Ceux et celles qui ont fui ont eu du mal à retourner dans leurs villages. Les militaires avaient installé des postes de contrôle sur les routes et les voyageurs étaient harcelés, fouillés et arrêtés. Ceux et celles qui parviennent à rentrer chez eux ne sont guère en sécurité dans l’arrière-pays. L’armée attaquait également les zones rurales, dévastant les sites religieux et lançant des frappes aériennes sur les groupes armés qui luttaient pour défendre les civils. A Khatea, un village de l’Etat de Shan, les habitants ont eu les yeux bandés, ont été attachés et forcés de marcher devant les troupes pour servir de boucliers humains.
Le pouvoir de la junte a provoqué des millions de chômeurs et de personnes déplacées. Il a également pris pour cible les syndicats, une force clé dans la mobilisation de l’opposition non violente, et il a interdit la liberté de réunion et d’association. Il y a eu de nombreux incidents au cours desquels des syndicalistes ont été détenus, blessés ou tués lors de manifestations. La situation a contraint le Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT) à déclarer en juin 2021:
«Nous sommes profondément préoccupés par les pratiques actuelles des autorités militaires, notamment le recours à grande échelle à la violence meurtrière et au travail forcé, ainsi que par le harcèlement, les intimidations, les arrestations et les détentions dont font l’objet des syndicalistes et d’autres personnes, notamment des Rohingyas, pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. Nous demandons aux autorités militaires de cesser immédiatement ces activités, de libérer les syndicalistes qui ont participé pacifiquement à des activités de protestation et d’abandonner les poursuites contre eux.»
Un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, publié à la fin de l’année dernière, est plus concis: «Le coup d’Etat s’est transformé en une catastrophe en matière de droits de l’homme qui ne montre aucun signe d’atténuation.»
Après une année de paralysie de l’action internationale, le peuple birman demande à la communauté internationale de réagir, de renforcer les sanctions et d’étrangler la junte militaire ainsi que les ressources qui la nourrissent. Il n’y a plus de temps à perdre. La population du Myanmar est affamée.
Ceux qui s’opposent au renforcement des sanctions au motif qu’elles aggraveront la situation humanitaire déjà catastrophique négligent la particularité du cas birman: les sanctions ont été demandées à plusieurs reprises par l’opposition politique et sociale du Myanmar. Elles seraient imposées au Myanmar conformément à notre volonté plutôt que par les seuls gouvernements étrangers, ce qui leur conférerait une forte légitimité. Et, par le passé, elles ont été efficaces. Les habitants du Myanmar boycottent déjà les produits fabriqués par des entreprises appartenant à l’armée et refusent de payer les factures d’électricité et d’autres taxes afin d’écourter la durée de vie de cette dictature. Ils sont prêts à accepter de nouveaux sacrifices, y compris ceux découlant de sanctions économiques d’ensemble. Ils estiment que les mesures restrictives doivent être généralisées.
Des restrictions internationales efficaces répondent à l’appel du peuple
En 1997, sous le dernier gouvernement militaire, l’Organisation internationale du travail a publié un rapport accusant la junte de l’exploitation généralisée et systématique du travail forcé. Ce rapport s’appuyait sur plus de 10 000 pages de données, y compris des entretiens avec des victimes, des témoins et des syndicats, pour mettre en évidence l’impunité avec laquelle les responsables gouvernementaux et les officiers utilisaient le travail forcé comme outil d’intimidation et de domination du pays.
Stimulés par la réalité décrite dans le rapport de l’OIT, le syndicat birman FTUB (Fédération des syndicats de Birmanie) et plusieurs autres groupes ont lancé une campagne contre la présence des transnationales au Myanmar. Nous voulions qu’elles quittent le pays et emportent leurs investissements avec elles. Cette campagne a amené d’importantes entreprises, telles que Pepsi, Heineken, Texaco, Sony Erikkson, Reebook et Levi’s, à quitter le pays. Les syndicats ont également déposé une plainte auprès de la Commission européenne, qui a accepté de suspendre le système de préférences généralisées (SPG) pour le Myanmar, en réponse à sa violation systématique des droits de l’homme.
En juin 2000, la Conférence de l’OIT a en outre approuvé une résolution recommandant «aux mandants de l’Organisation de réexaminer leurs relations avec le Myanmar et de prendre les mesures appropriées pour que ces relations ne perpétuent pas ou n’étendent pas le système de travail forcé ou obligatoire dans ce pays». Elle invitait «le Directeur général de l’OIT à informer les organisations internationales qui travaillent avec l’OIT de reconsidérer toute coopération qu’elles pourraient avoir avec le Myanmar et, le cas échéant, de cesser dès que possible toute activité qui pourrait avoir pour effet d’encourager directement ou indirectement la pratique du travail forcé ou obligatoire».
Des sanctions ont commencé à être adoptées, mais en raison de la lenteur du processus décisionnel gouvernemental, la plupart des principales sanctions économiques ont été adoptées après la répression de la révolution Zaffron de 2007 [d’août à octobre des mobilisations sociales contre le gouvernement militaire se développèrent suite à la suppression de subventions pour le prix des carburants] et l’approbation de la constitution de 2008. Néanmoins, grâce à un savant mélange de sanctions, de négociations avec l’OIT et de pressions politiques, la junte militaire a passé le relais au gouvernement semi-civil, permettant ainsi d’entamer un nouveau chapitre.
Les revendications d’aujourd’hui s’inscrivent dans la continuité de cette histoire
Le 7 octobre 2021, le Parlement européen a adopté une résolution forte demandant au Conseil de l’UE de geler les actifs, de bloquer les transferts vers les banques publiques et de placer l’entreprise publique Myanmar Oil and Gas Enterprise sur la liste des firmes sanctionnées. Cette entreprise assure, selon la résolution, «la plus grande entrée de devises étrangères de la junte».
Ces décisions répondent en partie à l’appel à des sanctions économiques complètes lancé par 200 organisations de la société civile du Myanmar. Pour illustrer l’ampleur de la coalition qui a lancé cet appel, on peut citer la Labor-Alliance, qui regroupe 16 organisations syndicales, des organisations d’infirmières, des organisations de femmes, des syndicats d’étudiants universitaires, des syndicats d’enseignants, le Printing and Publishing Workers’ Union, le Electricity Distribution Workers’ Union, le Myanmar Railways Workers’ Union, divers réseaux médicaux et la LGBT Alliance. Ces groupes, et bien d’autres, réclament tous des sanctions économiques complètes.
Les 183 organisations signataires sont conscientes de l’inquiétude suscitée par les répercussions humanitaires négatives des précédentes sanctions imposées au Myanmar. En réponse, les organisations signataires ont écrit:
«Nous comprenons que les sanctions économiques d’ensemble (CES- Comprehensive Economic Sanctions) peuvent coûter des millions d’emplois au Myanmar et éventuellement détériorer davantage la situation dans le pays. Cependant, la présence à long terme de l’armée ne fera qu’aggraver et prolonger les violations des droits de l’homme et des droits des travailleurs et travailleuses, les problèmes de travail forcé, le chômage, les pénuries alimentaires, la crise des réfugiés et d’autres oppressions. Pour échapper à ces crises et à l’oppression, l’éradication du régime militaire est le seul moyen. Les sanctions économiques d’ensemble (CES) peuvent détruire les piliers de l’armée et raccourcir sa durée de vie. Par conséquent, c’est le choix que nous devons faire, pour construire une nouvelle démocratie fédérale, que le peuple désire.»
Ces organisations demandent aux institutions internationales et aux gouvernements, dont l’UE et les Etats-Unis, de bloquer les services financiers et d’assurance internationaux, de paralyser les aéroports et les docks et d’étrangler le commerce des armes, des produits pétrochimiques et d’autres ressources naturelles. Pour être efficaces, les sanctions doivent être complètes et interdire toute activité commerciale avec le régime du Myanmar. Combinées à une action diplomatique à l’égard de la Chine, de la Russie et des autres gouvernements qui soutiennent la junte, il sera possible d’affamer le régime et de le chasser. Tous les gouvernements doivent comprendre que seul un gouvernement démocratiquement élu peut stabiliser le pays et apporter la prospérité à tous.
Les gouvernements et les organisations internationales devraient écouter les voix birmanes qui réclament actuellement des sanctions internationales. La Fédération des travailleurs de l’industrie du Myanmar, qui mène la campagne pour des sanctions économiques d’ensemble, travaille depuis un an maintenant pour s’opposer au coup d’Etat militaire, avec des grèves et des manifestations qui ont vu les travailleurs, et en particulier les femmes, en première ligne. Ils méritent d’être entendus. Et ils savent que les sanctions vont frapper durement leur pays. Mais ils les demandent quand même car, lorsqu’ils l’ont fait dans le passé, leurs appels, lorsque entendus, ont contribué à renverser le gouvernement de la junte.
Mais les sanctions seules ne suffisent pas. Pour sortir de l’impasse, elles doivent s’accompagner d’une action diplomatique forte qui amène l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), la Chine, la Russie, l’UE et les Etats-Unis à s’asseoir à la table des négociations avec le Gouvernement d’unité nationale du Myanmar (NUG) pour envisager une éventuelle issue. Cette action doit également s’accompagner d’une décision du Conseil de sécurité des Nations unies concernant un embargo sur les armes. Ce n’est que lorsque les grands décideurs se donneront la main que la junte pourra être vaincue et que la transition vers une véritable démocratie pourra reprendre. (Article publié sur le site d’Open Democracy, le 14 février 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
Khaing Zar Aung est président de l’Industrial Workers Federation of Myanmar, trésorier de la Confederation of Trade Unions Myanmar, et membre de la Myanmar Labour Alliance.
Cecilia Brighi est secrétaire générale de l’ONG ITALIA-BIRMANIA.INSIEME.
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