Myanmar-Birmanie. De la libération de prisonniers politiques à l’achat d’armes par la junte à la Russie

Par Frontier Fridays

Cette semaine, la junte a libéré des milliers de prisonniers; les cas de Covid-19 ont atteint un niveau record alors que certains remettent en question les données officielles du régime; les médias d’Etat ont révélé plus de détails sur les achats, par Min Aung Hlaing, d’armes en Russie; les combats et le chaos ont continué dans l’Etat de Shan. (Réd. Frontier)

Libération massive de prisonniers

La junte a libéré mercredi plus de 700 prisonniers de la prison d’Insein à Yangon et près de 2300 dans tout le pays, dont de nombreux prisonniers politiques et des journalistes. Selon les médias d’Etat, ils étaient tous inculpés en vertu de l’article 505(a) du Code pénal, une clause rédigée en termes vagues que le régime a élaborée à la mi-février. «Au total, 2296 personnes ont été libérées. Elles ont pris part à des manifestations, mais pas dans des rôles de premier plan. Elles n’ont pas participé à des actes violents», a déclaré un porte-parole militaire à The Irrawaddy.

Au moins 14 journalistes figurent parmi les personnes libérées, dont Kay Zon Nway, journaliste de Myanmar Now, qui avait été arrêtée fin février alors qu’elle couvrait une manifestation. Elle aurait été soumise à un traitement plus sévère en prison en raison de sa religion musulmane. Des centaines de personnes se sont rassemblées devant la prison d’Insein en attendant de savoir si leurs proches seraient libérés. Pour certains, ce fut une fête, tandis que d’autres sont rentrés chez eux le cœur brisé.

Si l’on ajoute à cela l’abandon récent des poursuites contre des célébrités, on a l’impression que la junte tente de sauver un peu sa réputation, maintenant que les protestations ont diminué et qu’elle se sent plus maîtresse de la situation. De telles libérations servent à démontrer la bienveillance et l’autorité du pays, et ne doivent pas être considérées comme une expression de repentir. Comme l’a noté l’Association d’assistance aux prisonniers politiques dans une déclaration: «Il n’y a eu aucune reconnaissance aujourd’hui de l’injustice et de la souffrance causées, et aucune mention du droit à la compensation… La communauté internationale ne doit pas accepter cela comme une détente.»

Un porte-parole du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré qu’ils étaient «au courant» de la libération massive, mais «nous réitérons notre appel à la libération immédiate de toutes les personnes détenues arbitrairement, et cela inclut le président U Win Myint et la conseillère d’Etat Daw Aung San Suu Kyi». Il a ajouté: «Nous restons profondément préoccupés par la poursuite de la violence et de l’intimidation, y compris les arrestations arbitraires par les forces de sécurité.»

La libération conduira aussi presque inévitablement à la publication d’autres histoires sur les abus de la Tatmadaw (l’armée) dans les prisons, ce qui ne fera que nuire davantage à sa réputation. Cela pourrait renforcer la résistance puisque les dissidents seront de retour dans les rues plutôt que derrière les barreaux.

Remise en question des chiffres de Covid-19

La crise du Covid-19 continue d’échapper à tout contrôle. Cette semaine, la junte a fait état d’un nombre de cas quotidiens parmi les plus élevés jamais vus au Myanmar et de taux de tests positifs sans précédent. La junte a signalé 8 633 nouveaux cas de Covid-19 cette semaine, dont 2 070 cas jeudi 1er juillet – le deuxième plus grand nombre de cas en une journée au Myanmar – et 1 580 cas mercredi 30 juin, le sixième plus grand nombre. Mercredi et jeudi, les taux de positivité ont également atteint 19,9 % et 20 %, soit les deux niveaux les plus élevés signalés depuis le début de la pandémie, ce qui indique que le virus est encore plus répandu que ne le montrent les tests limités.

Par ailleurs, 72 décès supplémentaires ont été confirmés, portant le bilan officiel à 3 347 morts. Mais il y a des raisons d’être sceptique quant aux chiffres officiels.

Citant des travailleurs caritatifs, RFA Burmese (radio) a rapporté lundi que 25 personnes atteintes du Covid-19 sont décédées au cours des seules journées du 25 et du 26 juin, dont sept seulement ont été confirmées comme étant des décès dus au Covid-19, les autres étant toujours des «patients en cours d’investigation». Citant également des travailleurs caritatifs locaux, The Irrawaddy affirme qu’en moyenne 10 patients meurent chaque jour à Kalay, ville de la région de Sagaing. En comparaison, la junte n’a confirmé que trois décès pour chacun de ces deux jours, ce qui constitue un écart considérable. Un autre volontaire a déclaré au New York Times que quelque 400 personnes étaient mortes rien qu’à Kalay, soit plus du double du nombre total de décès signalés depuis le coup d’État. Ces chiffres sont impossibles à vérifier, mais il semble évident qu’il y a plus de morts que ce que la junte déclare. On ne sait pas s’il s’agit d’une sous-déclaration délibérée ou si la junte est simplement débordée, mais les écarts ne peuvent que se creuser dans les semaines à venir.

Cette semaine, la junte a ordonné le confinement de 11 autres communes. Les sept communes urbaines de Mandalay sont toutes sous confinement, tout comme Thayawady et Minhla dans la région de Bago, ainsi que Lashio et Laukkai dans l’État de Shan.

Pour la junte, le moyen le plus rapide de sortir de cette crise est de recourir aux vaccins, mais l’offre est limitée et on ne sait pas combien de personnes accepteraient un vaccin de la junte. La Tatmadaw se tourne vers ses bailleurs de fonds habituels pour obtenir de l’aide, affirmant qu’elle s’est procuré 7 millions de doses du vaccin Sputnik auprès de la Russie et qu’elle négocie pour en obtenir davantage auprès de la Chine.

Le catalogue d’armes de la Russie

Min Aung Hlaing a terminé sa tournée en Russie la semaine dernière par un voyage au Tatarstan, où il a visité plusieurs usines d’armement. Le 24 juin, il a visité l’usine automobile Kamaz, qui produit des camions et d’autres véhicules, y compris des véhicules à usage militaire. Le général a assisté à une démonstration de véhicules blindés Typhoon et d’autres produits. «La plupart des camions utilisés par les forces armées russes ont été fabriqués par la société Kamaz», a rapporté le Global New Light of Myanmar (GNLM).

Le lendemain, il s’est rendu dans la ville de Kazan, où il a visité l’usine de Zelenodolsk, une usine de construction navale qui construit des navires à usage militaire et civil. Le GNLM a précisé les raisons de la visite du général, écrivant que l’entreprise a «construit plus de 1 500 navires, dont quelque 600 étaient des navires de guerre. Ces navires sont vendus à des pays étrangers». Le site web de Zelenodolsk indique également que l’usine a construit des frégates Gepard-3.9, un type de navire de guerre russe, «pour la marine vietnamienne dans le cadre du programme de coopération militaire et technique». Dans la soirée du 26 juin, Min Aung Hlaing a également visité l’usine de Kazan Helicopters, l’un des plus grands fabricants d’hélicoptères au monde, qui produit (vous l’avez deviné) des hélicoptères militaires, comme les Mi-4, Mi-8, Mi-14, Mi-17. Selon le GNLM, ces machines de guerre ont été «exportées dans plus de 100 pays», dont le Myanmar.

Entre-temps, le commandant de la marine, l’amiral Moe Aung, a assisté au Salon international de la défense maritime à Saint-Pétersbourg, où il a «vu des sous-marins, des frégates, des corvettes, des patrouilleurs» et d’autres navires.

Les médias d’Etat biélorusses ont produit un suivi intéressant du voyage en Russie, en rapportant que le consul honoraire biélorusse au Myanmar, Aung Moe Myint, s’est rendu à Minsk pour s’entretenir avec le vice-ministre des Affaires étrangères, Nikolai Borisevich, le 25 juin. Ils ont discuté des «moyens d’étendre et d’intensifier la coopération bilatérale dans divers domaines». La Biélorussie a bien sûr été le seul pays à voter contre la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur le Myanmar au début du mois. Au début du mois, la DVB (site birman) a publié une lettre ouverte adressée à Min Aung Hlaing par un «officier militaire à la retraite» qui affirmait qu’un «Aung Moe Myint» avait «acheté des armes en Russie, en Europe et en Israël».

Troubles dans l’Etat de Shan

Les habitants du district de Namkham, dans l’Etat de Shan, se sont rassemblés lundi 28 juin pour protester contre le Parti du progrès de l’Etat de Shan (SSPP), ce qui a entraîné une série d’attaques violentes contre les manifestants, faisant deux morts. Les troubles ont commencé après la mort, au cours du week-end, du vice-président de l’Organisation de la jeunesse Tai, qui avait été enlevé par le groupe armé fin Mai. Le SSPP a affirmé que l’homme était mort d’hypertension, mais a refusé de rendre son corps à sa femme. Cette dernière aurait déclaré que son mari souffrait d’hypertension, mais que les responsables du SSPP lui avaient refusé l’autorisation de lui donner des médicaments alors qu’il était en détention. «Je ne les crois pas, car ils n’ont pas rendu son corps», a-t-elle déclaré.

Dimanche, un petit groupe de membres de la famille a manifesté près d’un bureau de liaison de la SSPP pour réclamer le corps. Des milliers de personnes se sont manifestées le lendemain, réclamant également la fin du recrutement forcé dans la région. Un article paru dans les médias d’Etat a rejeté la faute sur la SSPP, accusant deux de ses soldats d’avoir tiré «trois coups de feu sur la foule» depuis une moto, avant de lancer des grenades. L’article affirme que deux hommes ont été tués et cinq femmes blessées lors de l’incident. Le SSPP a nié être responsable de l’attaque. Il a exprimé ses condoléances pour les personnes tuées et a déclaré qu’il «condamnait fermement les auteurs de cette attaque».

Entre-temps, les combats entre la SSPP et le Conseil de restauration de l’Etat Shan (RCSS) continuent de s’intensifier dans le sud de l’Etat Shan, les deux formations s’accusant mutuellement d’empiéter sur leur territoire. Dans un développement potentiellement inquiétant, des habitants ont affirmé que l’Armée unie de l’Etat Wa (UWSA) combattait également aux côtés du SSPP, bien que le SSPP et le RCSS aient tous deux démenti ces informations. L’UWSA est le groupe armé non étatique le plus puissant du Myanmar, et si elle est entrée en lice, cela pourrait entraîner une escalade de la violence. (Lettre d’information publiée par Frontier le 3 juillet 2021; traduction rédaction d’A l’Encontre)

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